vendredi 3 juin 2011

Ascension : fête de la... dualité chrétienne

Un peu de retard, pour fêter l’Ascension. Qu'importe ! Nous sommes liturgiquement dans les restes de l'octave de cette fête [octave : période de huit jours après les grandes fêtes, parce qu'il faut bien se temps là pour "réaliser" ce qui se passe]. Nous pouvons méditer sur ce Mystère jusqu'à la Pentecôte.

Il apparaît paradoxal de prime abord de fêter l'Ascension. L'Ascension est la fête de notre... séparation d'avec le Christ. Jamais plus nous ne le verrons sur nos chemins. Jamais personne ne pourra plus se vanter d'avoir parlé avec lui, d'avoir mangé avec lui, d'avoir vu son visage... C'est fini. Il est monté au Ciel et il est assis à la droite de Dieu.

En même temps, on peut dire à l'inverse que, lors de l'Ascension, le Christ est allé nous préparer une place auprès du Père, car il y a dans la maison du Père, des places, nombreuses. L'ascension représente ce moment au cours duquel le Christ mène à bien sa mission qui est de faire de nous, pauvres animaux pas très raisonnables, des fils et des filles de Dieu. Comment s'y prend-il ? En ennoblissant nos esprits au contact du sien. En s'adressant à la plus noble part de nous-mêmes. Nos esprits peuvent être corrompus à force de Moitrinerie. Le Christ les élève par sa bonne nouvelle, par sa science nouvelle, par sa charité nouvelle. Il nous donne la vie du Ciel, de fils et de filles auprès de Dieu.

De sorte que par le Christ, nous pouvons dire avec saint Paul : "Notre vie est dans le ciel". Le mot latin est pour "vie" est "conversatio" : nous sommes tournés vers le Ciel, nous passons notre temps à désirer le Ciel. L'Ascension du Christ est la nôtre, comme est nôtre par la foi tout son mystère.

Est-ce à dire que nous n'avons plus de vie terrestre ? Au contraire ! Dans la vie terrestre le moindre détail compte puisqu'il peut nous valoir la vie éternelle. La moindre attitude, le moindre acte, la moindre oeuvre. Souvenez-vous de la parabole des talents. il ne suffit pas de garder soigneusement son talent pour le rendre au Maître, il faut le faire fructifier.

On peut dire que le chrétien a vraiment... une double vie ! Et cela non pas par les arrangements extrêmement compliqués avec la réalité que tentent ceux dont on dit dans le monde qu'ils ont une double vie. Si nous avons une double vie, c'est par le don de Dieu.

C'est de cette dualité que naît la liberté chrétienne. On peut caractériser cette liberté de deux manières : d'une part elle est faite d'un élan vers l'infini, qui fait relativiser tout le fini [c'est à travers cet élan que saint Thomas démontre la liberté humaine supérieure à tous les attachements relatifs] ; d'autre part, selon la logique de l'incarnation et du mérite, elle investit le fini d'une aura qui est celle de l'infini : le moindre événement peut être un signe de Dieu ; le moindre objet d'amour un reflet de l'amour infini etc.

La morale chrétienne est donc fondée sur un paradoxe, que j'ai trouvé formulé magnifiquement dans la Vie de M. Pascal par Gilberte Périer sa soeur. Elle note que Pascal était à la fois infiniment tendre, qu'il marquait une grande "tendresse" (c'est le mot qu'elle emploie) envers ses amis mais aussi envers les pauvres. Mais, qu'en même temps, il voulait n'être attaché à rien, puisque seul Dieu lui apparaissait comme digne d'attachement. Ce mélange de "tendresse" et de "détachement" chez Blaise Pascal me semble la meilleure approximation de la synthèse morale chrétienne... dont on voit qu'elle est essentiellement libre.

16 commentaires:

  1. Dans ma loîntaine jeunesse, j'eus ma période "Jean d'Ormesson" dont j'admîrai la grâce et l'érudîtion époustouflante. Virevoltes philosophiques enîvrantes, et recherche de l'absolu, mâtinée d'humour sur soi-même: combien d'après-midîs, passées en sa compagnie (lîvresque), à l'ombre des grands arbres, remplis de chants d'oiseaux.

    Tout à coup en lîsant ce énième billet de notre cher Monsieur l'abbé GdT, le rapprochement des deux a fait tilt, dans mon esprît mais un Jean d'Ormesson qui se ferait grave et ne craîndrait plus de paraître profond, en essayant de nous faîre partager ses découvertes et son trésor, dont il nous a accoutumés à être si peu économe, avec ses ouailles que nous sommes, souvent vindicatîves et promptes à lui reprocher un mot ou une théorie, lui qui voudrait nous les enseîgner toutes, avec tant de probité, et sans compter son énergie.

    J'espère que vous ne m'en voulez pas, Monsieur l'abbé mais Jeand'O-GdT, ça ferait un sacré lîvre d'entretiens, une bombe tenue à quatre mains, par l'académicien couvert d'honneurs, au savoîr encyclopédique
    et le prêtre comme nous vous connaîssons, jamaîs fatigué de s'émerveîller et certaînement enchanté de faîre un petit cent mètres, voire un marathon, avec le descendant d'un régîcide, peut-être mais qui saît? en son coeur, le plus royaliste des hôtes immortels, de la Vieille Dame du Quai de Contî...

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  2. C'est très beau ...et pourtant...
    Le Christ nous ennoblit aussi le corps...pour la Résurrection.
    Comment faire attention "aux moindres détails"...quand nous avons les yeux fixés (depuis "l'ouverture au monde" sur l'horizon mondial... et que d'ailleurs, de cet horizon mondial , même l'"église" ne voit pas - ou plus- la catastrophe qui est préparée de longue date et que "nous" venons d'éviter de justesse déjà deux ou trois fois (enfin, que nos TYRANS nous évitent en pompant les derniers fonds que nous leur avons imprudemment confiés pour renflouer le système qui nous écrase et ruine?).
    Sentiment que l"indifférence"(ignatienne) le "détachement " est devenu pour nombre d'entre nous j'men foutisme( après nous le déluge..et même de notre temps!). Et la tendresse, vague philanthropie affichée, pour masquer l'atroce et l'horreur...
    Voilà où mène la "dualité" sans espérance d'unité (" soyez un comme nous sommes Un" " soyez parfaits comme le Père", "priez sans cesse" "soyez des coeurs et corps purs " etc etc .. )
    C'est qu'entre l'aspiration ardente aux Cieux (= à la vie éternelle en Dieu) et les" moindres détails", tous les chainons nécessaires ont sauté à coup de subversion et de révolution...
    les familles, les métiers, les régions, les nations..tout est dans le grand chaudron du chaos ..pour que l'ordre totalisant totalitaire (le Plérome incarné, le Paradis sur terre, la gouvernance mondiale, le communisme de marché etc )soit imposé...

    Et dans la "stratégie " de l'Eglise, les chainons ont sauté aussi: elle ne garde plus d'intéret que pour l'avortement et l'euthanasie, les deux bouts de la chaine "naturelle" de la vie...comme si l'entre deux n'avait plus d'importance...(du moins est-ce l'impression que donnent les seuls "combats" menés lisiblement )

    Bref, quand tiendrons-nous la "dualité" entre la dualité et l'unité? Entre les détails et les formes (institutions) , entre les formes terrestre et la Forme divine?

    Je sais bien qu'Alain de Benoist ne "croit" plus depuis longtemps aux institutions, et vante les seuls réseaux...mais des réseaux d'individus (même révoltés, même "indignés" surtout révoltés et indignés) et de grands corps mondialisés, cela fait la Terreur..
    continuée...
    je suis bien obligé de constater que le Corps mystique du Christ ( dans son style d'aujourd'hui) semble s'aligner tout à fait sur ce modèle très mondain ... .

    Encore une dernière "dualité" à tenir" il y a de nombreuses demeures" et "il y a peu d 'élus" !!!

    Car ce que Jésus nous prépare ne sera peut-être pas occupé...par nous !

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  3. Julien Weinzaepflen5 juin 2011 à 00:09

    La double vie du chrétien. Allez, Monsieur l'abbé, que cela ne vous étonne pas de ma part, faisons, voulez-vous? un peu de casuistique. Vous évoquez dans votre article le poids que peut avoir, dans notre religion de l'Incarnation, tel acte défini pour nous mener, au regard de l'Infini, le cas échéant, à la vie éternelle. Je réfléchissai tantôt au débat qui a secoué catholiques et réformés au sujet de la justification par la foi ou par les oeuvres. Je me fais souvent la réflexion qu'apprentif écrivain et croyant dans la dimension verbale de mon sauveur christique, je me sens justifié, sinon par mon oeuvre en herbe et devenir, du moins par ma volonté de faire oeuvre. Mais n'importe ce qu'il en est de moi! L'essentiel, c'est que la modernité, à travers le courant évangéliste, a singulièrement retourné le débat de la foi et des oeuvres en faveur de l'option opérative comme source de justification personnelle. Pour simplifier, selon ce courant, nous sommes en relation constante avec dieu, et c'est à chacun des instants de notre vie qu'il nous faut opter pour Lui, l'instant décisif et sans retour étant le dernier, comme dans notre ancienne manière de croire, mais à cette différence que cet instant ultime et décisif n'est qu'un tout petit poids qui peut déboussoler et déséquilibrer la balance si la mort, intervenant sans crier gare, nous surprend en train de faire un mauvais choix. En passant, il est salutaire que la fonction opérative nous revienne par là où elle nous a été prise, par cet évangélisme qui constitue, qu'on s'en réjouisse ou s'en afflige, le pôle reconquérant du christianisme ou de la chrétienté. Car, si nos sociétés n'ont plus de force, c'est à force de ne plus croire dans la vertu de force et de se fondre dans la foi prise pour un dissolvant. Mais comment pensez-vous qu'il faille harmoniser et exprimer à frais nouveaux ce rapport de la foi et des oeuvres? Faut-il cautionner la radicalité évangéliste en faveur de la surprise de la mort, estimer plus raisonnablement que la vie est une somme, ou accepter cette part de disjonction innérente à la condition humaine qui peut aller jusqu'au divorce de l'option qui nous oriente et des actes qui entérinent cette option? Le salut est-il orientation ou adéquation?

    Julien weinzaepflen

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  4. Si notre Webmestre ne la trouve pas trop hors sujet, une belle page de Jean d'O. sur François Mitterand le vénitien, tître qui lui convîent aussi bien, sinon mieux, que celui de florentin:


    "L'épithète homérique et italienne accolée le plus souvent - depuis François Mauriac - au nom de François Mitterrand est celle de «florentin». Il y a, dans l'opération, une connotation péjorative, et presque une intention de nuire: on voit des dagues, du poison, des conspirations en pagaille et de la trahison dans l'air. Rappelons, pour tenter de garder un peu d'objectivité et serrer en même temps la réalité de plus près, qu'il y a une autre ville d'art en Italie à laquelle Mitterrand n'a jamais cessé de témoigner son admiration et son attachement. Ce n'est pas Florence; c'est Venise.

    François Mitterrand se rendait régulièrement à Venise. On le voit, sur des photos, accompagné de quelques amis, à bord d'un «motoscafo» ou en train de se promener sur la Riva degli Schiavoni ou sur les Zattere. Des rumeurs ont longtemps assuré que le président avait acheté une maison à Venise. On allait jusqu'à la montrer aux passants, ébaubis. Je ne sais pas du tout, pour ma part, ce qu'il y a de vrai dans ces bruits.

    On raconte que, lassée sans doute par les rumeurs, la propriétaire actuelle de cette maison aurait fait imprimer une carte de voeux de Noël. Avec trois volets: sur le premier, Mitterrand contemple la maison; sur le deuxième, Mitterrand et la propriétaire sont ensemble devant la maison; sur le troisième, Mitterrand s'éloigne et la propriétaire rentre seule chez elle.

    Ce qui est sûr, en revanche, c'est qu'il a longtemps habité, entre le campiello San Vio et le pont de l'Accademia, un palais du xviie siècle qui donne à la fois sur un jardin et sur le Grand Canal: le palais Balbi-Valier. Et que plusieurs trattorias ont eu l'honneur de recevoir à déjeuner ou à dîner le premier des Français.

    J'ai souvent pris des repas dans une trattoria de la Giudecca qui s'appelle Altanella et dont la terrasse s'ouvre sur un de ces canaux qui débouchent à deux pas de la belle église du Redentore, édifiée par Palladio, en 1577-1580, juste après San Giorgio Maggiore, juste avant le théâtre olympique de Vicence: François Mitterrand était un habitué de cet endroit très simple, très calme et très délicieux.

    Pour Noël 1994, dans la plus grande discrétion, entouré d'êtres qu'il aimait - et aussi de trois gardes du corps qui l'aidaient parfois à franchir quelques marches ou à enjamber un obstacle - le président est revenu une fois encore à Venise. La presse a évoqué une retraite tenue secrète. C'était à la Sérénissime qu'il avait tenu à rendre une dernière visite. Hanté par la mort, tenté par un mysticisme qui perçait jusqu'à travers ses discours officiels, il a retrouvé la ville du plaisir et du déclin.

    Il s'était installé, une fois de plus, dans ce palais qui jouxte San Vio, entre le pont de l'Accademia et la pointe de la Salute et de la Douane de mer. De temps à autre, il poussait jusqu'aux Zattere et prenait un repas au restaurant Riviera, en face de la Giudecca, un des meilleurs de Venise. Mais, moins disposé à de longues marches, il s'installait surtout plus près, à deux pas de San Vio, à côté de la boutique d'un encadreur, le long d'un canal qui mène jusqu'aux Zattere, dans une trattoria populaire et très simple, le Cantinone storico.

    On voit bien ce qui pouvait attirer François Mitterrand à Venise. Il aimait la beauté, la littérature, les femmes. Plus que Rome, reine majestueuse et altière, plus encore que Florence, princesse écrasée sous les ors et la prospérité, Venise est une ville-femme. On pourrait dire: une ville-femme-femme. Le Grand Canal est son écharpe. Les ponts sans nombre sont ses bracelets. Et les églises, les palais, les puits sur les petites places, les maisons ocre ou rouges sont les bijoux dont elle se pare.

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  5. (Francois Mitterand par Jean d'O./suite)

    Aucune ville au monde n'est plus littéraire que Venise. Pour un admirateur du romantisme, de Chateaubriand, qui mêle Venise à ses amours passionnées pour Nathalie de Noailles et pour Juliette Récamier, dont il écrit le nom sur le sable du Lido, de Musset,

    Dans Venise la rouge,
    Pas un bateau qui bouge,
    Pas un pêcheur dans l'eau,
    Pas un falot...
    Mais qui, dans l'Italie,
    N'a son grain de folie ?
    Qui ne garde aux amours
    Ses plus beaux jours ?...
    Comptons plutôt, ma belle,
    Sur ta bouche rebelle
    Tant de baisers donnés
    - ou pardonnés!
    Comptons, comptons tes charmes,
    Comptons les douces larmes
    Qu'à nos yeux a coûtées
    La volupté !

    et de Barrès: « Avec ses palais d'Orient, ses vastes décors lumineux, ses ruelles, ses places, ses traghets qui surprennent, avec ses poteaux d'amarre, ses dômes, ses mâts tendus vers les cieux, avec ses navires aux quais, Venise chante à l'Adriatique, qui la baigne d'un flot débile, son éternel opéra », Venise est incomparable.

    Grand amateur d'histoire, connaisseur averti de la littérature, François Mitterrand, quand il passait de la statue de Goldoni, au pied du Rialto, à la statue du Colleoni, devant San Giovanni e San Paolo, ou de la Madonna dell'Orto et de la maison du Tintoret à l'Arsenal, gardé par ses quatre lions de pierre, pouvait s'imaginer qu'il n'était plus entouré de Jack Lang, de Michel Charasse ni de Patrice Pelat, mais de Casanova, de Byron, de Thomas Mann et de Visconti.

    J'imagine assez bien Mitterrand en train de rêver devant la plaque de marbre apposée sur le beau palais Dario (dont on raconte qu'il porte malheur, mais Woody Allen envisage de l'habiter) pour célébrer la mémoire d'Henri de Régnier, qui y vécut et y écrivit à la vénitienne: « In questa casa antica dei Dario visse et scrisse venezianamente Henri de Régnier, poeta di Francia. »

    J'imagine surtout - je n'imagine pas, je le sais - que le président se promenait longuement et de jour et de nuit le long des canaux de Venise. Venise est une ville qui entraîne. Mitterrand se laisse entraîner. Florence est une ville immobile. On s'arrête longuement devant les portes du baptistère ciselées dans le bronze par Ghiberti ou devant Or San Michele ou devant la «Bataille de San Romano », où Uccello a peint quelques-unes des plus belles croupes de cheval de l'histoire de la peinture.

    A Venise, chacun court le long du Grand Canal. On se précipite du Ghetto Vecchio à l'isola di San Pietro et des Gesuiti aux Gesuati. Ce n'est pas François Mitterrand qui aurait confondu, comme tant d'autres, les Gesuati, sur les Zattere, avec les incroyables draperies en marbre vert et blanc de l'église baroque des Gesuiti.

    Il ne rêvait pas seulement à toutes ces splendeurs de l'art entassées à Venise. Venise est une leçon de beauté. C'est aussi une leçon de politique. De la grandeur, des triomphes, des échecs, et de la cruauté. Quels talents, quelle énergie, quelle patience avaient dû déployer ces gens venus se réfugier dans des marais hostiles - et sur des bords un peu plus élevés, dits Riva alta, d'où Rialto - avant de régner sans partage, plutôt par l'intelligence que par la force brutale, sur une bonne partie de la Méditerranée!

    Tous les matins, surtout vers la fin, n'étaient pas triomphants: Bragadin, le défenseur héroïque et malheureux de Famagouste, avait été écorché vif par les Turcs, qui avaient promené par la ville sa peau bourrée de paille. Et Othello, et Casanova, et Marco Polo, et l'autre président, le bon vieux président de Brosses, qui détestait Saint-Marc! Seul le pavement de mosaïque trouvait grâce à ses yeux: il était si bien jointé qu'on pouvait y jouer à la toupie. Venise est une machine à susciter des rêves de beauté, de pouvoir et de mort.

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  6. (Jean d'O./François Mitterand/fin)

    Je suis prêt à parier que ce qui amusait Mitterrand et l'attristait en même temps - mais à quoi bon lutter contre une histoire qu'il vaut mieux accompagner qu'essayer en vain de contrer? - ce qui l'intéressait, en tout cas, c'est qu'il savait l'année, le mois, le jour où le déclin de Venise était devenu inéluctable: le 12 octobre 1492, Christophe Colomb découvrait l'Amérique. Lentement, mais fermement, l'océan Atlantique poussait la Méditerranée hors de la scène de l'Histoire. Le monde basculait. Ce n'était pas la première fois. Ce ne serait pas la dernière. Le tour viendrait du Pacifique. L'Histoire ne reste jamais immobile.

    J'aurais aimé me promener à Venise avec François Mitterrand. Nous aurions parlé de cette république aristocratique, de cette démocratie élitiste, si pleine de contradictions, qui a inventé l'impôt sur le revenu, qui a élevé le masque à la hauteur d'une institution, où les lions ont des ailes et où les pigeons marchent à pied. Nous aurions évoqué tant de beauté, tant de crimes, tant de pouvoir, tant de génie. Nous aurions parlé de la politique, de l'argent, de «La Tempête», de Giorgione, et du petit chien blanc aux pieds de saint Augustin dans le tableau de Carpaccio à San Giorgio degli Schiavoni. Je lui aurais posé des questions.

    Sur Venise. Sur la vie, qui lui avait tant donné. Sur les arbres, qu'il aimait tant et qui font défaut à Venise. Sur la mort, qui ne fait défaut à personne. Et sur Dieu, dont les peintres de Venise se sont tant occupés. Mais, quoi ! je ne me suis jamais promené avec Mitterrand à Paris, où nous habitions tous les deux. Pourquoi diable lui serait-il venu à l'esprit de se promener avec moi à Venise ?"

    Jean d'Ormesson
    © L'Express - 1996.

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  7. http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/89/Venezia_veduta_aerea.jpg

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  8. C'est "amusant" cette illustration de la rubrique sur la "dualité" par Thierry qui nous propose ce personnage : Mitterrand! véritable Janus, faux-jeton, menteur, manipulateur, araignée dans sa toile, et pire que ça mais je n'ose quand même pas le dire noir sur blanc ici mais...qu'a-t-il fait de ses meilleurs amis ?
    Allons, allons Thierry, il semble que vous vous laissiez ensorceler par des magiciens, non ?
    Le bel oiseau chatoyant qui ne se laisse jamais abattre, qui re-naît toujours de ses cendres...
    Pas étonnant qu'il ait fasciné cet autre séducteur dont vous êtes entiché.

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  9. @ Anonyme (13h06): C'est drôle ce que vous écrîvez sur Mitterand, cher Anonyme, parce que j'ai lu une minute plus tôt, dans le topic de M. l'abbé GdT du 10 Juin, consacré à la contestation chrétienne, un(e) autre Anonyme, s'adressant à M.HdH, pour lui dîre sa déception d'avoîr tant entendu calomnier le Général de Gaulle, dans une certaîne Droîte tradi. mais pas du tout "Tradi.", pour elle en tout cas. Décidément les Présidents de la Vè. n'ont pas bonne presse, par chez nous.

    Rassurez-vous, je n'éprouve aucune fascînation pour le personnage, encore qu'il fût exceptionnel, dans son genre! Non, c'était juste pour apporter une petîte contrîbution littéraîre, en espérant que cela plaîrait aux lecteurs habîtuels et occasionnels de Monsieur l'abbé, qui nous enchante toujours avec des tas de cîtations philosophiques et littéraîres.

    J'ai pensé qu'une belle page vénitienne de Jean d'O., avec lequel je ne désespère pas qu'ils fassent un jour un bouquin ensemble(je lannce l'idée comme ça, si l'un de leurs amîs communs la trouve sympathîque)! ne déparerait pas ici.

    Et j'espère que vous m'avez fait l'honneur de mettre le lien que j'ai posté, dans votre fenêtre de recherche: ça va vous donner une somptueuse vue de Venîse, qui est tout bêtement celle qui illustre la page wiki (J'aurais bien aîmé l'envoyer en direct, pour l'effet de surprîse mais c'est impossîble, je croîs, quoique notre Webmestre nous fasse parfois le plaîsir, de placer de superbes îllustrations, et même des vidéos).

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  10. Ah! d'accord, c'est de l'humour!
    Monsieur l'abbé et Jean d'O...il fallait y penser!
    c'est complètement funambulesque, vous aimez les défis, vous!
    En tout cas, l'effet de surprise serait là, et puis tout deviendrait très clair soudain: l'ombre et la Lumière; la Vérité et le mensonge; l'authentique et l'ambigü.
    Mais pour moi c'est déjà clair. Je sais fort bien chez qui on trouverait l'une ou l'autre de ces valeurs.
    Bref, à quoi bon ?

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  11. @ Anonyme (mardi, 20h11)

    "Bref, à quoi bon?"

    Savez-vous, cher Anonyme, bien peu de lîvres seraient écrîts, avec une telle interrogation.

    Non, je ne faisais pas dans l'humour! Tels que je les connais (un peu), deux esprîts tels que ceux de GdT et JdO, pétrîs de culture classîque, au sens le plus noble du terme, nous gratifieraient, je n'en doute pas un seul instant, d'un merveîlleux texte. De leurs entretîens, pourrait naître un dialogue savoureux et plein d'enseîgnement, pour tous ceux qui les suivent et les apprécient.

    Je dis ça aussi, parce que Jean d'O. a peut-être bien des défauts, peu prîsés dans les milieux tradis., à ce que j'ai entendu dîre -on le trouve un peu trop virevoltant, si j'ai bien compris (certes, la grâce et l'élégance ne sont pas ses dernières qualîtés)- mais ce que l'on ne peut lui reprocher, c'est d'être extraordinaîrement intelligent et capable d'aborder à peu près n'importe quel sujet, avec pertînence.

    Je crois que vous serez d'accord, cher Anonyme, que Monsieur l'abbé GdT, ne nous laîsse pas souffler non plus, ici-même, avec une gamme non moins étendue de qualîtés littéraîres, au servîce de ses convictions religieuses, au point que j'éteins souvent mon ordînateur, ayant pris l'habîtude de toujours consulter le Métablog, en dernier, au cas où de subtils commentaîres -tel que le vôtre- eussent été valîdés par notre Webmestre, qui ne dort pas si tôt, ai-je remarqué! en me dîsant: on a tant envîe qu'il ait peut-être raîson...

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  12. "Bref, à quoi bon" visait cette insoutenable légèreté de l'être qui caractérise pour moi le personnage Jean d'O.
    Je sais qu'il a ses inconditionnels, enchantés par les promenades divertissantes que ce ludion initie avec brio et dans lesquelles il vous entraîne avec la science d'un prestidigitateur qui vous fait imaginer connaître vous aussi tout ce qu'il connaît.
    Or il aime tant dire qu'il connaît!
    Il aime tant dire surtout qu'il connaît untel et untel, les plus en vue naturellement.
    C'est peut-être une question de génération. Mes deux beaux-pères, 83 ans chacun, hommes cultivés dont l'un fervent croyant et l'autre pas, l'apprécient beaucoup et ne ratent pas un seul de ses ouvrages. Je ne dis pas cela pour être désagréable, croyez-moi.
    Mais pour notre époque, ça ne passe plus, il se dégage de tout, il ne choisit pas, il "verra bien", il s'accommode de tout. Il pérore sur tout. Sa vanité est étonnante. c'est un homme pour les médias ou pour le théâtre, il aurait amusé Molière. Ah! Molière, reviens!
    Pour ma part, j'arrête là sur ce pauvre homme qui n'engendre qu'ennui chez moi. Aaahhhhhh (baillement).

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  13. @ Anonyme (10h33)

    Bon ben! "Des goûts et des couleurs" comme l'on dît! C'est sûr que vous ne l'appréciez guère! Par contre, "ludion" ne me semble pas approprié, pour un écrivaîn de cette classe. Vous me voyez ravî de me trouver, en compagnie de vos deux beaux-pères, qui doîvent être de charmants seniors, parmi ses fans.

    Ne croyez pas que son goût du vedettariat me passe inaperçu mais bon, il y a tant de gens prétentieux, qui sont EN PLUS des raseurs!

    Cordîalement,

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  14. Bonjour Thierry,
    Si ce n'est un ludion, c'est un histrion : histrionalis favor !
    Pour moi, les prétentieux sont AUSSI des raseurs.
    Cela dit, j'avoue que je pousse le bouchon un peu loin pour m'amuser un peu, du coup j'ai dit des bêtises: je n'ai pas deux beaux-pères mais un père et un beau-père. Ils sont très bien en effet...............à part leur goût pour Jean d'O (!!!)

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  15. @ Bonsoîr Cher Anonyme (09h23)

    Vous eussiez pu avoir deux "beaux-pères"...auxquels je souhaîte de continuer à se réjouîr de lîre du Jean d'O...

    Cela ne me déplaît pas du tout que vous fassiez de la résistance, sauf qu'histrion me semble tout autant inadéquat pour lui, que "prétentieux".

    Ayant le souci -peut-être pas de renverser votre opînion- mais que vous mettiez un peu d'eau dans votre vin, je vous prie de songer combien des gens qui n'ont pas le centième! que dis-je le millième de sa culture, nous cassent sentencieusement les pieds, à longueur d'autobiographies tandis que notre Jean a toujours le sourîre aux lèvres (sauf une fois, en trente ans que je l'aie connu, lors d'un mémorable face à face avec un autre grand écrîvain mais un tantînet méchant qu'était feu Roger Peyrefitte, qui s'était amusé à le provoquer, sur le plateau d'Apostrophes, chez Bernard Pivot).

    Avez-vous connaîssance que Jean d'O. est agrégé d'allemand, si je ne me trompe, comme Michel Tournier à moins que l'un des deux ait raté l'agrèg. de justesse, je ne sais plus, en tout cas tout deux deux brillants germanistes: l'avez-vous entendu une seule fois pérorer avec ça, alors qu'il doit connaître sur le bout des doigts ses classiques des Lettres Allemandes? Non jamais, lui préfère nous emmener en promenade enchantée avec Chateaubriand qu'il semble avoir suivi pas à pas, de Paris à Jérusalem, en passant par Rome, y compris la nuît...

    L'avez vous entendu une seule fois, se moquer de la religion catholique, alors que c'est presque l'usage chez les germano-pratins bon teînt?
    Moi, jamais. S'il n'est pas une grenouille de bénîtier, il parle toujours avec respect et une gravîté qui affleure (il faut avoir lu ses portraîts inoubliables des Vendéens, entre mille autres choses, dans ses Mémoîres d'Oûtre-Tombe) sous ce que vous appeliez tout à l'heure son hédonisme au quotidien; Là, vous avez sans doute raîson, c'est un jouisseur qui ne souffre pas d'être sous les projecteurs de la gloîre et de la renommée mais combien sont dans son cas et ne nous infligent que leur médiocrité ?

    Bien à vous,

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  16. ...et le combat cessa, faute de combattants!

    Avec mes sincères excuses à Monsieur l'abbé de Tanoüarn, d'avoir fait dériver quelques commentaires, loin de son beau sujet initial.

    P.S. je me suis un peu mélangé les pinceaux, l'autre soir, dans mon dernier post, tout le monde aura rectifié: les portraîts des Vendéens et les Mémoîres d'Oûtre-Tombe, je voulais parler de Chateaubriand bien sûr. C'est Jean d'Ormesson qui apprécierait un tel lapsus!

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