vendredi 12 avril 2013

"Je crois en l'homme" ? Un pape contre la mondialisation

Ne faites pas attention à ce titre, Je crois en l'homme, sous lequel a été traduit en français le livre d'entretien donné en 2010 par le cardinal Bergoglio archevêque de Buenos aires. Le titre originel, argentin, est Le Jésuite. Cette phrase - je crois en l'homme - ne se trouve dans le livre que sur les lèvres des interviewers (p. 191), et elle n'est pas reprise par l'archevêque lui-même. Que dit-il, quand on lui représente qu'"il est parfois difficile de croire en l'homme" ? "L'histoire semble une calamité, un désastre moral, un chaos de possibilités holistiques". Non pas : je crois en l'homme, mais quelque chose de beaucoup plus prosaïque : "On dit des Chinois qu'ils sont comme des bouchons. Dans certaines circonstances ils s'enfoncent et dans d'autres ils réapparaissent.Je crois que c'est aussi applicable en général à la nature humaine".

On n'est vraiment pas dans l'Utopie que suppose la croyance en l'homme : le pape entend rester comme il le dit en 2002 "sans grandiloquence, sans messianisme, sans certitudes impossibles". A la fin du livre, la dernière question des interviewers (Sergio Rubin et Francesca Ambrogetti) est la suivante : "En résumé, vous avez une vision assez peu optimiste de votre pays et du monde"... Notre pape a surtout, nous le verrons, une vision très méfiante de la globalisation... Mais pourquoi cet avis, au final, sur "l'optimisme modéré" de Bergoglio de la part de ses deux interviewers ?

C'est en réponse immédiate à cette profession de foi politique que je cite intégralement, qui n'est pas la foi en l'homme (abstrait) mais la foi dans le destin de son peuple : "J'aime bien parler de la patrie, pas de pays ou de nation. Le pays est en dernière instance un fait géographique et la nation un fait légal, constitutionnel. En revanche, la patrie est ce qui donne l'identité.D'une personne qui aime le lieu où elle vit, on ne dit pas qu'elle est une payiste ou une nationaliste, mais une patriote. Patrie vient de père ; c'est elle comme je l'ai dit qui reçoit la tradition des pères, la poursuit, la fait progresser. la patrie est un héritage des pères dans le présent qui doit etre perpétué. C'est pourquoi ceux qui parlent d'une patrie détachée de son héritage, aussi bien que ceux qui veulent la réduire à l'héritage sans lui permettre de croître, font erreur". C'est cette sortie sur la patrie que les interviewers, déçus, taxent de "modérément optimiste"... Comme si l'optimisme était le sujet !

On a parlé, en Argentine, du "premier pape peroniste de l'histoire". Cette vision des 'nations' ou plutôt des patries et de leur héritage est fondamentale pour notre pape, qui y revient dans une longue annexe sur un poème épique argentin Le gaucho Martin Fierro, de Jose Hernandez (1834-1886). Il a publié ce texte en 2002, avant de publier deux livres au sortir de la crise argentine La patrie sur les épaules (allusion consciente à Enée portant Anchise sur ses épaules après l'incendie et la prise de Troie) et La nation comme responsabilité.

Son discours n'est ni nostalgique ni de pur constat. Le pape François est un militant pour temps d'apocalypse. Voici ce qu'il disait de la globalisation, en 2002 : "La globalisation comme imposition unidirectionnelle et uniformisante de valeurs, de pratiques et de marchandises est liée à l'intégration entendue comme imitation et subordination culturelle, intellectuelle et spirituelle". Il met ici clairement en cause, quoi que sans le dire, l'hégémonie américaine. Et plus loin : "Les peuples en s'intégrant au dialogue global, apportent les valeurs de leur culture et doivent les protéger de toute absorption ou synthèse de laboratoire, susceptible de les diluer dans le commun, le global".

A lire le pape François, on se prend à songer à Karol Wojtyla et à son livre testamentaire, rédigé en 1993 et publié en 2005 : Mémoire et identité. On y trouve la même apologie d'une inculturation nationale du christianisme, le même goût pour les poètes nationaux - Adam Mickiewicz -, la même vision forte du caractère irremplaçable des nations. "Les nations sont les grandes institutrices des peuples" disait Jean Paul II à l'UNESCO en 1980. On sait quel rôle ce pape a joué dans l'effondrement du Rideau de fer et comment on a salué ce rôle politique par une tentative d'assassinat. Lorsque Jean-Paul II rencontrera Ali Agça, ce dernier lui dira simplement (c'est dans le livre de Bergoglio) : "Vous devriez être mort, je ne rate jamais mon coup".

Pourquoi n'aurions nous pas aujourd'hui un pape combattant, représentant des nations en voie de développement et s'insurgeant, mieux que ne saurait le faire un Italien, un Allemand ou un Français, contre  cette "imposition unidirectionnelle et uniformisante de valeurs, de pratiques et de marchandises" ? Son livre Le Jésuite (rebaptisé à la hâte Je crois en l'homme pour les besoins sans doute d'un camouflage médiatique) contient un manifeste des nations chrétiennes qui ne veulent pas mourir.

4 commentaires:

  1. Bien sûr, ce genre d'analogie est très limité, mais je trouve de la ressemblance entre les attitudes du pape François et celles de Pie XI - lui aussi en temps d'Apocalypse. Beaucoup de caractère, de pragmatisme - au meilleur sens du mot, un sens très fort de l'incarnation sociale et politique de la foi ( Pie XI fut le pape de "l'action catholique").

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  2. Et les nations en voie de sous développement (pauvreté!!!) , doctrinal, catéchétique, liturgique, pastoral, culturel, scolaire, politique, artistique spirituel???
    (si ce n'est pas en voie de guerre civile et de révolution terminale téléguidée par la Crapule criminelle que certains soient appeler le "pouvoir"?

    -l'Action Catholique , même sigle que l'Art Contemporain, a sombré dans les années 60 dans le soutien au FLN et au mai 68 bobo...je ne parle pas du mai-juin populaire anti gaulliste anti stalinien des occupations d 'usines, celui dont aucun bourgeois tradi ou libéral, résistant ou collabo ne parle jamais
    chercher l'erreur..

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  3. Pourquoi avoir traduit pour les français le titre de cette manière ? N'est-ce pas déjà biaiser tout le contenu du livre ? Une provocation ? Car c'est un vrai titre pour un pays qui met au coeur de tout la laïcité et le rejet de Dieu. Comme si le pape, chef de l'église catholique croierait plus en l'homme qu'en Jésus fils de Dieu. Quelle malhonnêté de la part des traducteur et éditeurs.

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    1. Je suis tout à fait d'accord avec Anonyme 19 mai à 23:05 sur le choix du titre pour la France. On dirait que c'est fait exprès, qu'ils ont fait dire au pape François ce qu'ils voulaient qu'il dise. C'est bien d'avoir mis les pendules à l'heure.

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