jeudi 11 mars 2010

Maurras, Rome et le diable

Vient de paraître chez Denoël le livre sensationnel d'Eric Zemmour, Mélancolie française. C'est, dans toute sa première partie, un hymne à l'alliance originelle de la France avec Rome. Le célèbre animateur qui n'est pas couché le samedi soir, avant que Ruquier ait sifflé la fin de l'émission à laquelle il participe régulièrement, emprunte un bel alexandrin au poète et tragédien normand : " Corneille, mieux que quiconque, explique Zemmour, a exprimé cette originelle référence de la francité : “Si vous n’êtes romain, soyez digne de l’être.” »

Je me trouve à Rome en ce moment et j'ai tout le loisir de méditer cette formule cornélienne, qui sous la plume d'Eric Zemmour prend un coup de jeune... Il me vient bien sûr, au fil de la méditation, un autre vers, celui de Maurras dans sa célèbre prière de la fin : "Notre Paris jamais ne rompit avec Rome, Paris d'Athènes en fleur a recueilli le fruit". On peut penser qu'il ne s'agit que de la fantaisie d'un grand humaniste sur le retour, on peut imaginer que ce lien entre Rome et la France, auquel croyaient les Zouaves pontificaux, le vieux cantique a tort de le rappeler respectueusement à Notre Dame elle-même, en lui demandant : "Sauvez Rome et la France au nom du Sacré Coeur"... Quant à moi, je pense qu'avec Aragon, Corneille ou Maurras, le Poète a toujours raison.

Et pourtant... Autant le Français d'instinct ne se sent pas indigne d'être Romain à Rome, autant souvent le Romain manifeste une incompréhension profonde, un agacement devant ce qu'il prend pour de la prétention et qui n'est que de l'amour.

C'est en tout cas l'impression que j'ai après avoir déjeuné ce matin avec un dignitaire du Vatican, expliquant gravement que la critique que font les prêtres traditionnels de certains aspects de Vatican II est intéressante, mais que le traditionalisme des fidèles est purement sociologique et que ce sont des "maurrassiens". Maurrassiens ? Comme je le disais sur Radio Courtoisie vendredi dernier, j'en ai rencontré bien peu chez les traditionalistes... Bien peu qui aient simplement ouvert un livre de Maurras ou qui sache ce qu'il est et combien, par exemple et au hasard, sa pensée est profondément, viscéralement antifasciste. L'étiquette une fois de plus suffit à diaboliser.

Mais quelle est la signification de cette étiquette dans la bouche d'un ecclésiastique romain, qui ne connaît ni Maurras ni la France ? Nous sommes toujours en 2010 dans le déni basique, celui de tous ces curés qui croient encore que l'on va pouvoir sauver les meubles en gardant farouchement les mêmes orientations que celles qui prévalent depuis 50 ans. Comme s'il suffisait une fois encore de repousser dans les ténèbres extérieurs de la diabolisation à bon marché, ceux qui ne vont pas à la même vitesse que les autres, ceux qui sont différents des autres, parce qu'ils ont dans la Tradition de l'Église, d'autres ressources, d'autres richesses que les autres.

Qu'à Rome même, soixante ans après sa mort, Maurras serve encore d'épouvantail, et qu'en son nom, on ne sache que diaboliser les petits et les sans-grade, qui souhaitent seulement prier dans les formes catholiques qu'ils ont choisies, cela en dit long sur l'intérêt que suscite le petit peuple de Dieu dans les hautes sphères.

Que faut-il faire ? Lutter encore et toujours, là où nous sommes, pour l'unité des catholiques, non pas dans un esprit de chapelle ni au nom de calculs d'appareil que la réalité saura toujours démentir, mais parce que du point de vue de cette puissance divine que nous avons reçue au baptême et qui nous fait vivre, l'unité, une unité sans arrière pensée et sans esprit de rivalité est la seule solution digne du Christ : "Qu'ils soient un comme nous sommes un, Toi en Moi et Moi en Toi"... Ce n'est pas une chapelle qui sauvera l'Église ; ce n'est pas une stratégie qui suffira à la sortir du marasme, c'est la foi vive, non pas seulement une foi matériellement intégrale, mais la foi avec tout ce qu'elle comporte de respect mutuel et de souci d'efficacité pour le Royaume de Dieu. La Foi avec la séduction qu'elle exerce immédiatement sur ceux qui en sont les spectateurs involontaires.

Quant à la diabolisation, et quant à ce qu'elle implique fatalement d'ignorance volontaire et de mépris de l'autre, que celui qui l'utilise sciemment prenne garde de ne pas être le diable en l'utilisant.

4 commentaires:

  1. Dire que "sa pensée (de Maurras) est profondément, viscéralement antifasciste" c'est pousser le bouchon un peu loi et prendre le lecteur pour un imbécile.

    Il suffit d'ouvrir une collection de l'Action française et de lire les dithyrambes de Maurras parlant de Mussolini dont il avait fait son héros et dont il gardait un portrait dédicacé sur son bureau.

    Maurras antifasciste on aura tout lu. Pourquoi pas le regrettable Jacques Duclos antimarxiste, ou le regretté André Frossard antipapiste ou antigaulliste.

    Il faudrait donc cesser de dire des contre-vérités qui ne font que ruiner la cause de la tradition catholique et rappeler que Maurras était agnostique militant et d'un antisémitisme virulent. La façon dont cet auteur traitair les Juifs soulève le coeur.

    Je me demande bien comment on pourrait être maurrassien et catholique : c'est totalement inconciliable. C'est la quadrature du cercle.

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  2. Quadrature du cercle réalisée, entre autres, par le carmel de Lisieux.

    Comme quoi rien n'est impossible à Dieu, pas même la quadrature du cercle ! ^^

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  3. Justement je conteste le carmel de Lisieux (de l'époque) qui accueillait beaucoup d'antisémites. Personnellement j'étais toujours géné lorsque le Cardinal Lustiger faisait l'apologie de Lisieux.
    NON on ne peut être catholique et accepter une once d'antisémitisme: c'est impossible, même au Seigneur, qui est le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Pie XI l'a bien dit nous sommes des sémites spirituellement.

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  4. S'il vous plaît, sortez de vos sens uniques.

    Maurras était agnostique et antisémite ? Et après ça ?

    Dans un coin de ma mémoire, Joinville raconte que St Louis était content qu'un de ses chevaliers ait mis fin - sans mettre des gants - à un "dialogue" entre Juifs et Chrétiens sur la Vierge Marie.

    Pour être saint, on ne nous demande pas d'avoir toujours raison sur tout. On ne demande que 2 choses : cherchez le vrai, le bon, ce qui est juste. Et vivre selon ce qu'on en a découvert.

    Dans cette perspective, il y a des paquets d'adversaires et même de belligérants qui se sont réconciliés en présence de Dieu.

    Si ça se trouve, au paradis, Maurras l'agnostique pourrait passer avant bien des clercs et bien des fidèles.

    Alors, s'il vous plaît, ne confisquons pas la bonne conscience : c'est Dieu qui reconnaît les siens. Pas nous.

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