mercredi 3 mars 2010

Une aristocratie évangélique ?

Ce fut un débat sans concession mais à fleurets mouchetés qui nous opposa, Alain de Benoist et moi au Centre Saint Paul hier soir. Alors que je le raccompagnais, il me dit : "Je n'ai pas voulu être désagréable, mais franchement il n'y a pas d'aristocrate ni d'aristocratie dans l'Évangile"...

Sur le coup je n'ai pu lui dire qu'une chose: aristocratie est un mot grec qui renvoie effectivement à un phénomène grec. On peut ajouter que cette aristocratie combattante des frères Macchabées, luttant pour préserver l'identité juive en plein hellénisme triomphant, intervient justement alors que Jérusalem, où l'on a construit un gymnase dans lequel les "sportifs" sont nus (horresco referens), semble totalement hellénisé.

Mais je crois surtout que le Christ lui même, comme parlaient naguère mes cours d'ecclésiologie, "a fondé une Église hiérarchique et monarchique". Il y a douze apôtres et soixante douze disciples envoyés en mission. Ils forment en quelque sorte l'aristocratie des croyants... L'Église, avec ses évêques (episcopoi) commandant aux presbytes et aux veuves, apparaît très tôt comme un gouvernement qu'à l'échelle élaborée par Platon et Aristote, on appellerait "aristocratique".

Évidemment, c'est toujours ennuyeux d'utiliser des concepts laïcs pour mesurer la réalité ecclésiale. A tout prendre, plutôt que de parler d'aristocratie, comme si c'était les meilleurs qui avaient le pouvoir dans l'Église (ce que personne n'a jamais revendiqué), je préfère dire que l'Église, parce qu'elle est le Royaume de Dieu annoncé par le Christ (n'en déplaise à M. Loisy), est une monarchie de monarchies ou comme dit saint Pierre reprenant l'Exode : "un peuple de rois".

Pour parler de l'Église comme d'une aristocratie, il faut admettre l'idée de Bonald selon laquelle l'aristocratie ne possède jamais le pouvoir mais remplit une fonction : les aristocrates sont au service de tous, soit à travers le "ministère" de la guerre soit à travers ce que l'on a appelé "la robe" et les robins, c'est-à-dire l'administration du Royaume. Cette idée de service, chez le chrétien Bonald, n'est pas innocente. Elle renvoie à la charité, bien sûr. "Voici que je suis au milieu de vous comme celui qui sers" dit le Christ avant de laver les pieds de ses apôtres.

C'est en ce sens-là que cette monarchie de monarchies qu'est l'Église - ce royaume de prêtres ("Il a fait de nous un Royaume et des prêtres" Apoc. 1) - peut être considérée comme une aristocratie - je dirais : une noblesse. La noblesse, c'est de servir!

N'est-on pas en train de divaguer un peu, par rapport à la question initialement posée par Alain de Benoist : où y a-t-il une aristocratie dans l'Évangile? J'ai essayé d'expliquer tout cela pour montrer quel est l'impact d'une phrase éminemment aristocratique : "Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait". La perfection, le Christ nous en a montré le chemin : celui du service.

Mais il faut préciser une chose, c'est que l'aristocratie évangélique des parfaits est ouverte à tous. elle n'englobe pas tout le monde, loin de là : "Vous aimez si durement vos amis, Seigneur, dit sainte Thérèse d'Avila, que cela ne m'étonne pas que vous en ayez si peu". Mais elle est potentiellement le fait de tous. Chacun, ayant reçu la grâce, peut "aspirer aux dons supérieurs" (I Cor. 12) comme dit saint Paul. Cela ne signifie pas que nous soyons tous égaux dans le Royaume de Dieu, mais que nous avons tous notre chance. Le voleur de grands chemins crucifié à côté de Jésus s'entend dire : "Ce soir tu seras avec moi dans le Paradis". Simplement parce qu'il a eu cette prière : "Seigneur, souviens toi de moi, quand tu seras dans ton Royaume".

C'est dans la mesure où, face au Christ, dans son Royaume, nous avons tous notre chance que nous pouvons dire que le christianisme est "un personnalisme intégral". Chaque personne peut accéder, si elle le veut, à cette aristocratie chrétienne du service.

9 commentaires:

  1. Partons d’une citation d’Edouard Berth qui conclut l’excellent article qu’Alain de Benoist a consacré au « bourgeois » (disponible ici : http://www.alaindebenoist.com/pages/textes.php?cat=orientation&lang=fr) : « Il n'y a que deux noblesses, celle de l'épée et celle du travail ; le bourgeois, l'homme de boutique, de négoce, de banque, d'agio et de bourse, le marchand, l'intermédiaire, et son compère, l'intellectuel, un intermédiaire lui aussi, tous deux étrangers au monde de l'armée comme au monde du travail, sont condamnés à une platitude irrémédiable de pensée et de cœur ». L’apparition finale du « cœur » dévoile bien sur un troisième type de noblesse. Non plus celle des seigneurs mais du Seigneur. Si notre église est l'église des saints et que la noblesse est de servir alors les saints sont les grands aristocrates non seulement de l'Evangile mais aussi de l'histoire.
    A. de Contrepont.

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  2. Un beau débat de sourds apparemment….
    Il n’est pas étonnant qu’Alain de Benoist ne trouve pas d’aristocratie dans l’Evangile.
    « Où y a-t-il une aristocratie dans L’Evangile ? » la question n’a pas de sens.
    Pourquoi chercher quelque chose où l’on n’est sûr de ne pas le trouver ?
    L’évangile n’est pas le lieu de l’aristocratie.
    Les principes aristocratiques lui sont d’ailleurs bien antérieurs.
    La révélation de l’évangile, c’est la possibilité offerte à l’aristocrate d’échapper à la fin certaine
    de celui qui, parce qu’il n’y a plus rien sur terre au dessus de ce qu’il possède, ne peut plus s’élever.

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  3. "Nous avons tous notre chance", dites-vous. La phrase peut s'entendre de différentes manières, et le principe des concours n'est pas celui des examens. Prenez un concours: chacun a sa chance, mais puisqu'on ne prend que les quelques meilleurs, tous réussiront pas. Prenez un examen... chacun a sa chance, et tous peuvent réussir. Autrement dit, on ne peut pas imaginer que tous soient agrégés, mais on peut imaginer que tous aient le permis de conduire.

    Les Témoins de Jéhovah sont dans la première optique – chacun a une chance d’accéder au paradis, mais seuls y entrent les 144.000 meilleurs d’entre nous, pour y servir dans divers fonctions, autour de Jésus (qui n’est pas Dieu), ils aident à l’administration d’une sorte de paradis terrestre peuplé par les autres, ceux qui sont méritants, mais pas assez pour être retenus parmi les 144.000.

    Les Chrétiens sont dans la seconde optique. Chacun a une chance d’accéder au paradis, mais le jugement est individuel, non par rapport aux autres, et sans concurrence entre les âmes. Tous, nous pouvons accéder au paradis, mais en plus nous pouvons y accéder tous, pour peu que nous ne déméritions pas trop.

    Si aristocratie il y a, je la verrais plutôt du côté des Jéhovistes.

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  4. Et que s'est-il dit lors de votre échange au Centre Saint Paul? Quelle fut votre ligne, Monsieur l'Abbé, et quel propos développait votre invité?

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  5. Et que s'est-il dit lors de votre échange au Centre Saint Paul? Quelle fut votre ligne, Monsieur l'Abbé, et quel propos développait votre invité?

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  6. Il faudrait d'abord se mettre d'accord sur le terme aristrocratie. Si ce sont les meilleurs alors je suis pour car il y a des meilleurs en tout. Ne parle-t-on pas des "meilleurs ouvriers de France".

    Ce qu'il faut c'est essayer d'être le meilleur dans son domaine, que ce soit son métier ou son hobby ou d'ête le meilleur époux ou le meilleur fils de famille possible (rappelons nous la Constitution de l'an III de la République : "Nul n'est bon citoyen s'il n'est bon fils, bon frère, bon père, bon ami, bon mari etc..." ; c'est un peu cucul mais ce n'est pas faux)

    Ce qui est détestable c'est l'aristocratie héréditaire car nul n'a un droit acquis à être devant les autres de par sa naissance. Tout s'acquiert par l'effort, le travail et le mérite.

    Bien entendu, le christianisme est antinomique avec toute espèce d'aristocratie car Jésus est venu pour les petits, les humbles, les pécheurs et tout ceux .qui ne comptent pour rien (ça fait du monde).

    "Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche de rentrer dans le Royaume du Seigneur."

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  7. Et le "Pourquoi je serais plutôt aristocrate" de Vladimir Volkoff ? En a-t-on parlé à la conférence ?

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  8. J'ai oublié les références, les voici :

    « Nul n'est bon citoyen, s'il n'est bon fils, bon père, bon frère, bon ami, bon époux »
    Constitution du 5 Fructidor An III de la République française ;Devoirs article 4


    Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d'entrer au royaume de Dieu

    (Luc 18:25)

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  9. Deux hommes s'affrontent en duel cette pratique éminemment aristocratique. Celui qui gagne prouve qu'il est plus fort, plus habile, plus rompu au maniement des armes. Il prouve tout et fait gagner sa cause. Il ne prouve pas qu'elle est bonne.

    Dans un débat s'affrontent deux penseurs, tous deux d'une grande culture, d'une grande aisance de pensée et de verbe. Qui l'emportera? Celui qui est tout cela, et un peu plus que l'autre. Ou qui habilement amènera le débat sur son terrain. Un point de vue l'emporte par la qualité de son défenseur, non par ses qualités propres.

    Peut-être êtes-vous du métier? Si ce n'est pas le cas, un concessionnaire vous prouvera par A+B la supériorité du diesel sur l'essence. Ou le contraire - selon ce qu'il a à vous vendre.

    On a dessiné une femme sur une feuille - et le résultat n'est pas très bon. On ne saura jamais s'il s'agit d'une belle femme mal dessinée. Peut-être est-elle bien dessinée, bien représentée dans sa laideur?

    Jacouille la Fripouille a raison de vouloir se défaire de son maître Godefroy de Montmirail. Certes, il n'est "guère aimable", il a "le regard biaiseux", c'est du moins ainsi qu'on l'a représenté pour les besoins de la cause cinématographique. Mais que le comte Godefroy porte beau, qu'il soit preux, qu'est-ce que ça apporte à Jacouille la Fripouille? J'enrage de voir 10 millions de gueux rire quand le comte de Montmirail bote le fessard de Jacouille.

    L'élitisme n'est pas un modèle à proposer au plus grand nombre - par définition il n'est pas reproductible par le plus grand nombre.

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