samedi 19 mars 2011

Dixième billet de carême : saint Joseph

Joseph, le grand méconnu

Nous célébrons aujourd'hui la fête de saint Joseph, le Père adoptif de Jésus. C'est une fête dite de Première classe et donc une occasion de sortir du carême. Nous retrouverons du reste l'évangile du samedi de la Première semaine demain dimanche : c'est le même : l'évangile de la Transfiguration du Seigneur.

Que dire de saint Joseph ? Qu'il est avant tout le patron de tous les pères de famille du monde.

- Vous me direz : mais biologiquement, il n'est pour rien dans la naissance de Jésus, puisque Matthieu, l'évangéliste, qui n'a pas la délicatesse de Luc, nous précise grand format et en couleur que "Marie était accordée en mariage à Joseph" et que "avant qu'ils aient été ensemble, elle fut trouvée, ayant en son ventre de l'Esprit saint"(Matth. 1, 18).
- Je vous répondrai : c'est justement la preuve que la paternité n'est pas seulement une réalité génitale (que reste-t-il souvent dans les mémoires de l'acte par lequel l'homme féconde sa femme ?), mais avant tout une réalité morale, nécessaire au développement harmonieux de l'enfant. Pour manifester le plein droit paternel de saint Joseph sur l'Enfant Jésus, il nous est précisé que c'est lui qui donne le nom de Jésus (Sauveur) à cet enfant, et c'est en fonction de lui et de sa généalogie que Jésus peut prendre le titre messianique de "Fils de David". Joseph a donc bien la fonction traditionnelle du père en Israël [voyez dans l'Evangile de Luc comment c'est Zacharie, bien que muet, dont la... voix est déterminante dans le choix du nom de son fils. "Il s'appellera Jean" écrit-il sur une tablette que l'on apporte à cet effet].

Bossuet a écrit un magnifique sermon sur le doute de saint Joseph, voyant Marie enceinte. Doute levé par un songe, dans lequel Joseph entend : "Ne crains pas de prendre chez toi Marie ton épouse".

Sur ce sujet, la thèse du Père Laurentin me semble absolument convaincante : le doute de Joseph n'est pas un soupçon portant sur la conduite de Marie. Il serait étrange d'imaginer Marie silencieuse devant Joseph, alors qu'elle l'a été si peu devant l'ange Gabriel. On donne à la Vierge la psychologie putative de la jeune fille accomplie, silencieuse et rougissante, version milieu du XIXème siècle ! Mais Marie parle ! Elle a parlé à l'Ange ("Comment en sera-t-il ainsi puisque je ne connais pas d'homme". Notez que le texte de Luc, cité ici, nous apprend trois lignes plus haut qu'elle est fiancée à Joseph). Pas d'inquiétude : Marie sait se défendre, elle que l'on appellera plus tard "terrible comme une armée rangée en bataille". Elle a forcément parlé à Joseph et elle a trouvé les mots. Ce sont, en somme, ceux de Matth. 1, 18, cité plus haut.

D'où vient le problème de Joseph ? L'évangéliste Matthieu nous dit simplement : "Joseph son homme, parce qu'il était juste, ne voulut pas la dénoncer, mais résolut de la renvoyer en secret" (1, 19). Cette phrase m'a toujours posé problème. Je crois que le Père Laurentin le résoud de manière satisfaisante, et qui nous fait progresser dans la connaissance de saint Joseph.

Quelle est cette "justice" de Joseph ?

Première solution : Joseph est appelé "juste" parce qu'il obéit à la loi juive. La loi commande la dénonciation et la lapidation de la femme adultère. Lui ne la dénonce pas (ce qui est non conforme à la loi) et il la renvoie en secret, ce qui ne manquera pas de révéler très vite la non-innocence de Marie. On a l'impression, dans ce cas de figure, d'un Joseph non pas juste mais scrupuleux et qui ne fait rien de bon. Bizarre que le Bon Dieu se soit encombré d'une pareille godiche à un poste si important !

Deuxième solution : La Justice de Joseph, c'est essentiellement sa Bonté, car la vraie Justice, c'est la Bonté. Dans ce cas de figure, peu importe de savoir si Joseph a obéi à la Loi lui ordonnant de dénoncer sa fiancée. Mais l'inefficacité de cette bonté reste... catastrophique. La vraie bonté aurait consisté non à répudié sa Promise mais bien d'avantage à "prendre chez lui Marie son épouse", comme le lui dira l'ange.

Troisième solution : Joseph est au courant de ce qui se passe. Il sait ce que révèle au lecteur le verset 18 (Marie se trouve "ayant dans son sein par l'Esprit de Dieu"), mais il hésite à prendre chez lui celle que Dieu a honoré d'une telle façon, pour ne pas avoir l'air de prendre pour lui et pour sa lignée l'oeuvre de Dieu. C'est la solution que défend magnifiquement le Père Léon-Dufour (Etudes d'evangile). "Joseph réagit comme les justes de la Bible lorsque Dieu intervient dans leur histoire : comme Moïse ôtant ses sandales, comme Isaïe terrifié par l'apparition du Dieu trois fois saint, comme Elisabeth se demandant pourquoi la mère de son Sauveur vient à elle, comme le centurion de l'Evangile, comme Pierre enfin disant : 'Eloignez-vous de moi car je suis un pécheur'" (XLD p. 81). Comme l'avait senti Eusèbe de Césarée (d'après Origène ?) et plus tard saint Ephrem et encore Raban Maur, c'est parce que Joseph est au courant de l'intervention divine en Marie qu'il ne veut plus assumer le rôle qu'il aurait eu par la Loi. D'où l'idée de répudier Marie "en secret" et de laisser Dieu se débrouiller avec ses Oeuvres ! Joseph n'est pas le lampiste qui ne sait rien et qui assume parce qu'un songe lui a dit d'assumer. Il sait et humblement, il trouve cela trop grand pour lui.

Reste à expliquer les paroles du songe qui semble révéler à Joseph la filiation divine de l'enfant : "Ne crains pas de prendre chez toi Marie ton épouse, car ce qui est en elle vient du Saint Esprit et tu l'appelleras du nom de Jésus"

La langue grecque, en particulier l'usage du Nouveau Testament (plusieurs exemples énumérés par XLD), permet de traduire ainsi le songe de l'ange : "Ne crains pas de prendre chez toi Marie ton épouse [cette Femme immense que tu sais enceinte du Saint Esprit]. Certes ce qui est en elle vient du Saint Esprit, mais c'est toi qui lui donnera le nom de Jésus". Ainsi le songe ne vise pas à rassurer Joseph, qui n'est pas inquiet, car Marie, bien sûr lui a parlé. Dans ce songe, Joseph trouve son rôle de père humain défini par Dieu : il donnera son nom (et son lignage de Fils de David) à l'Enfant divin.

Joseph n'est pas ce personnage falot et scrupuleux qui aurait agi en dépit du bon sens si un ange etc. Non ! Il est le modèle glorieux de tous les pères du monde. Sa paternité humaine est nécessaire pour que l'enfant "grandisse en âge et en sagesse". Elle est prévue par Dieu. Ce qui lui avait donné l'idée de se retirer ? C'est son humilité. Il n'avait pas été invité à faire partie du Mystère de Jésus. En lui donnant son nom, comme tous les pères de son Pays le faisaient pour leurs enfants, il est invité à entrer dans le dessein divin. Désormais, il sera, autant que de besoin, le protecteur de cet enfant, fuyant avec lui en Egypte et lui apprenant son métier de charpentier... Père adoptif ? Sans doute, et je pense à tous les pères adoptifs en écrivant cela et à tous les enfants adoptés : quelle force à ce lien humain ! Quant à Joseph, c'est de plus un Père adoptif qui sait tout ce qu'il est humainement possible de savoir sur cet Enfant unique au monde.

6 commentaires:

  1. Comme dans le monde profane, où il faut des décennies voire des siècles pour éventer les thèses-bidon( la "science" de Galilée dans bien des domaines, le rôle juridique innovant des manuels d'Inquisition, la réalité des croisades ou l'attribution frelatée à Einstein des relativités, dues en fait à Poincaré et à Hilbert), la science théologique profonde ne se diffuse pas à la vitesse de la lumière!!!
    Comment se fait-il que tant de merveilles restent "eclipsées" sous les banalités de base qui font florès.
    comme de magnifiques tableaux qui auraient été recouverts d'une croûte grisâtre?
    Merci de ce dépoussiérage, de cette "revisitation"... qui tranche avec les "révisions" catastrophiques que certains se permettent sur les plus hautes choses..

    Reste à "intérioriser" tout cela malgré le bavardage interne que font les slogans pauvres et faciles qui vont si bien avec la paresse d'âme, d 'esprit et de coeur.

    A quand un circuit " bio" de la théologie, court-circuitant les intermédiaires qui chacun rajoutent leur couche de sophismes et d'approximations sur la Saveur d'Origine ?

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  2. Merci pour cette belle image de la paternité que nous donne le Saint Joseph que vous nous apprenez á mieux connaître.

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  3. A cette lecture, me "pousse" une idée: combien sommes-nous à vivre comme St Joseph d'avant le " songe"? C'est à dire à considérer que "prendre Marie chez nous", "laisser Jésus naitre en nous" "héberger la Sainte Trinité" est bien trop grand pour nous ? (ce "grand" dont Jésus disait " Tu verras ou feras plus grand encore" ce "grand" de la Résurrection , elle qui permet de vivre avec Jésus au jour le jour malgré le temps historique écoulé!)
    Combien sommes-nous à nous cantonner dans les tâches matérielles, manuelles, dans le "marthisme( de Ste Marthe, pas de St Marx.. quoique ...) ..dans l'impossibilité d'envisager la haute ambition de la sainteté, de l'état de grâce et de l'union à Dieu ?
    Et pourquoi sommes-nous devenus ainsi ?

    Remède? le "saint esclavage" de Louis Marie Grignion de Montfort? Car c'est ce qui, au plan "spirituel" se rapproche le plus de là où nous avons dérivé dans la "pratique" temporelle...

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  4. Bonjour mon père!

    J'ai cru comprendre, dans votre dernier sermon, que vous disiez que l'abstinence de viande ne doit être faite que pendant le carême.

    Or cette obligation vaut pour toute l'année...Voici la canon du droit canonique qui le prouve:

    http://www.intratext.com/IXT/FRA0037/_P4L.HTM

    Bravo pour ce que vous faites et bonne continuation!!!

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  5. Cher Monsieur l'abbé,

    Votre analyse de Saint-Joseph, reprenant celle du Père Laurentin qui m'a toujours paru naïve, mais à laaquelle vous donnez consistance, et du Père léon-Dufour, jésuite profond, qui va au coeur des enjeux spirituels, est évidemment au-dessus de la mêlée profane associée aux railleries qui entourent la mission de saint Joseph qui, en obéissant aux paroles de l'ange, quelles que soient ses motivations, évite à Marie une lapidation publique, tandis qu'il se couvre, lui, de ridicule, c'est-à-dire qu'il s'inflige une lapidation morale "pour les siècle du siècle", se condamnant à être "le grand méconnu" de la Bible, lui, le dernier patriarche de l'Ancien testament, comme Saint-Jean-baptiste, le précurseur, en avait été le dernier prophète.

    Je ne discuterai votre thèse que sur un point: vous prêtez à Marie beaucoup de défense et d'attaque, et une capacité à plaider sa propre cause, à dire presque indiscrètement, y compris à l'homme qu'elle aime, ce qui est en train de l'inonder au point de remplir ses entrailles. Or Marie, devant l'ange gabriel, n'est pas tant indiscrètement bavarde ou sur la défensive qu'elle ne se montre intelligente: elle veut comprendre et ne veut acquiescer qu'après avoir compris. Lorsqu'elle arrive chez elisabeth, ce n'est pas la confession de Marie qui apprend à sa cousine l'honneur qu'elle a d'être visitée par la mère de son seigneur: c'est le tressaillement en elle de Jean-baptiste, après quoi Marie, débordant d'être reconnue, peut chanter son "magnificat", sans avoir fait aucune confidence préalable: vous me direz peut-être qu'elisabeth ne lui en a pas laissé le temps.

    Quant à saint-Joseph que, soit dans l'obéissance, soit dans l'humilité (car obéir, il va, notamment au moment de la fuite en egypte), nous pouvons prendre pour modèle de vie spirituelle, sa figure au centre des Evangiles de l'enfance est entre celle de Marie, témoin de l'action mystérieuse de dieu, qui veut comprendre et qui dit "oui", et de zacharie, à qui est faite une autre annonciation, mais qui commence par refuser un point du programme. La grandeur et la misère de Joseph, pour parodier, quoique dans un sens tout différent, un auteur que vous aimez beaucoup, c'est qu'il ne recevra d'annonciation que celle du fait accompli. C'est devant le fait accompli qu'il devra se positionner. Il n'a le choix que d'entrer dans cette histoire ou de la considérer comme trop grande pour lui, ou même de ne pas y croire. C'est en cela qu'il est plus proche de notre condition commune, bien que nous préférions être des Zacharie ou des Marie, car nous aimons à nous prendre pour de grandes personnes, et notre lyrisme nous fait aspirer à chanter les deux premiers cantiques du Nouveau testament, qu'ils ont respectivement prononcés l'un et l'autre. Dieu Etant l'auteur, nous aspirons à être des compositeurs comme Zacharie ou Marie, or Joseph n'est qu'un interprète qui doit constamment composer.

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  6. Si Joseph s’apprête à répudier Marie, c'est-à-dire en réalité à renoncer à la prendre sous son toi, car il ne son pas encore unis, ce ne peut être que pour une raison profondément juste et forte.
    Un colérique dénoncerait sa fiancé, quitte à le regretter ensuite. à cause des railleries à venir.
    Un idiot gentil pourrait la répudier, en effet, mais Joseph est tout sauf un idiot.
    Rejeter une fiancée ne devait pas être sans conséquences comme la honte et le ridicule. « Regardez cet imbécile, cocu avant même d’être marié ! »
    Prendre un tel risque devant être impératif à ses yeux. Joseph devait s’effacer devant l’œuvre de Dieu.
    Il faudra donc que l’ange le persuade d’accepter l’honneur ( et non la honte ) de prendre Marie sanctuaire, Saint des Saints ! Il assumera pleinement et de plein droit son rôle de père.
    Pardonnez-moi, je suis peut-être redondant avec vous, mais cette vision m’enthousiasme.
    Par ailleurs, je ne suis pas surpris que le père Laurentin ait pu développer de telles idées, c’est bien là son intelligence.
    Cordialement
    Clément d’Aubier (pseudo de rêverie)

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