jeudi 17 mars 2011

Huitième billet de carême jeudi de la Première semaine

"les miettes qui tombent de la table de leur Maître" Matth. 15, 27

Le Carême avance. Nous avons pris des résolutions, tenues ou pas... Nous ne nous approcherons de Dieu que dans l'humilité, c'est-à-dire l'oubli de nous-mêmes. C'est cette exemple que nous donne la Cananéenne dans son étrange dialogue avec Jésus.

Jésus lui rappelle sa vocation personnelle, sa mission : "Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la Maison d'Israël". Il faudra qu'il soit clair qu'Israël l'ait rejeté, lui, l'Envoyé de Dieu, ait rejeté sa messianité, ait considéré comme un blasphème l'affirmation de sa divinité pour que d'autres, parmi lesquels au premier rang un certain Saul de Tarse, aille porter l'Annonce au païens. Mais il se trouve que Jésus, au Nord du Lac de Génésareth, touche au Pays des Phéniciens, symbolisé par les deux grandes villes portuaires, Tyr et Sidon. Cette femme a entendu parler de Lui, de sees dons extraordinaires de thaumaturge. Ce qu'elle va faire, ce n'est pas pour elle, c'est pour sa fille, tourmentée par un esprit malin, nous dit le texte. Elle s'approche de Jésus, et elle est prête à tout, elle osera parler avec le Maître galiléen, le contredire même.

Cette intervention de la Syro-phénicienne fait penser bien sûr à l'épisode du centurion romain qui implore Jésus pour son serviteur (Matth. 8, 5-13). Le Christ a admiré sa foi, tranquillement professée, lui qui est un gradé de l'armée d'occupation : "Jamais je n'ai vu une telle foi en Israël". Avec la Cananéenne, nous ne sommes plus en Israël mais dans le monde païen et c'est le même élan de foi qui se manifeste. La Loi a été donnée à une Nation, elle règne sur un peuple ; la foi est accessible à tout homme et à toute femme. C'est par la foi que le Royaume spirituel de Dieu sur la terre devient vraiment universel.

La foi du centurion est mâle et tranquille : "Je dis à l'un va et il va, à un autre : fais ceci et il le fait". La foi de la Cananéenne est assurée. Il semble qu'elle ne doive reconnaître aucune barrière. Mais il faut bien le reconnaître, le dialogue entre elle et Jésus nous le fait comprendre, cette assurance n'est pas tranquille. Elle est inquiète, elle ne connaîtra le repos que lorsque le maître aura déféré à sa demande : "O femme, grande est ta foi, qu'il soit fait selon ton désir".

C'est en toute sécurité que le centurion s'écrie : "Seigneur je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit, mais dites seulement une Parole et mon serviteur sera guéri". Cette sécurité, la Cananéenne ne peut pas la connaître car sa flle est malade, mais elle trouve dans cette incertitude une force nouvelle pour supplier sans aucun amour propre le maître qui peut tout pour sa fille.

L'incertitude devient un moteur de la foi. Elle nous ressemble tellement cette Cananéenne, elle n'a pas... la confiance tranquille. Nous non plus ! N'ayons pas peur de nos doutes, de nos incertitudes. Affrontés, ils peuvent donner une force nouvelle à notre foi, un élan incroyable et renouvelé à nos supplications.

On pourrait être tenté de rapprocher la foi de la Cananéenne avec la foi de la Vierge Marie, à Cana. Jésus rabroue sa mère : "Femme qu'y a-t-il entre toi et moi ? et Marie, tranquillement, humblement, se contente de dire à son Fils : "Ils n'ont plus de vin" et aux serviteurs : "Faites tout ce qu'il vous dira". il est vrai que Jésus a rabroué aussi la Cananéenne, et de quelle manière ! "Il n'est pas bon de prendre le pain des enfants [les juifs] pour le jeter aux chiens [les païens]". On retrouve son caractère abrupte et cette autorité qui se dégage de lui. Marie entend cela et se tait. Elle a la confiance tranquille, comme le centurion, auquel elle peut être comparé, par la distance qu'elle veut garder, ne répondant pas à l'apparente rebuffade de ce Fils bien aimé, parce qu'elle est sûre de son fait.

La Cananéenne ? C'est différent. Elle répond, et vertement, n'hésitant pas à prendre le Seigneur au mot : "Les chiens mangent au moins les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres".

Au delà d'une étrange synonymie,ce qui unit Marie [à Cana] et la Cananéenne - je ne veux rien dire qui soit irrespectueux - c'est la même obstination tranquille, la même volonté d'arriver à leur fin. Marie fait faire à son fils le premier miracle de sa vie publique dans des circonstances étonnantes, dans la trivialité de l'atmosphère d'une noce de village et pour que le vin continue de couler à flot. Elle est, en quelque sorte, Marie, par sa foi sûre d'elle-même, responsable de ce moment. Plus tard, on comparera ce Fils dont elle connaît la mission à un joueur de flute (Matth. 11). Je me suis toujours demandé : pourquoi la flûte ? Et j'ai pensé aux noces de Cana, au vin qui fut vraiment délicieux, une fois que tout le monde eût un peu bu, et aux flutiste qui devaient réjouir les invités buvant encore. Jésus flutiste ? Est-ce en souvenir de ce commencement si humain de sa mission divine que l'on a pu dire cela, ce commencement que, représentant la providence de Dieu dans l'assurance tranquille de sa foi, Marie elle-même a voulu ainsi, en ce premier Jour de la Mission de son Fils ?

Quant à la Cananéenne, elle représente, avec le centurion, cette humanité nouvelle, venue de la gentilité, qui va découvrir, éblouie et reconnaissante, sa destinée éternelle. Lorsque l'Infini est en jeu, on peut bien se contenter des miettes, elle l'a compris avec une étonnante lucidité. Des miettes d'Infini ? C'est encore l'Infini. Des lambeaux ou des reliefs de la Toute puissance ? C'est encore la Toute puissance, qui ne se partage pas. En vérité, donc, qu'importent les miettes, le Pain divin s'y trouve, tout entier donné. C'est la victoire de la Femme et de son insistance.

Je suis tenté de conclure que décidément "Ce que femme veut, Dieu le veut". Mais ce serait réducteur de laisser aux femmes ce monopole de la volonté. "Que veux-tu vraiment ?" C'est peut-être la question que nous pouvons nous poser aujourd'hui. Où veux-tu aller ? Es-tu prêt à prendre les moyens de ton ambition spirituelle, de ta volonté de vivre pour toujours ?

8 commentaires:

  1. Merci , Mon Père pour avoir écrit les lignes suivantes. Elle vont m'encourager pour aller me confesser cet après-midi.
    "Lorsque l'Infini est en jeu, on peut bien se contenter des miettes, elle l'a compris avec une étonnante lucidité. Des miettes d'Infini ? C'est encore l'Infini"

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  2. la flute, c'est tout droit, tout simple, c'est un instrument à vent( qui souffle où il veut) cela se joue avec les doigts sur des trous...avant que ce soient les mains joueuses qui cessent de jouer et de bénir pour être ..trouées...
    C'est aussi un verre à champagne... avec des bulles..bulles d'infini( comme nous)
    Nous voulons la volonté de Dieu, même cassés, d'avoir trop voulu les nôtres ou celles de l'église idolâtre de ses propres inventions conciliaires..
    Nous sommes alors ces "pots cassés oubliés dans un coin du jardin" ( de Caussade).
    Supplions que Dieu veuille bien nous réparer -pour Sa Gloire, car l'état est piteux !- et fasse de nous ces "miettes" pour les chiens du voisinage, ces pots où, à la fin, ils pourrons boire le meilleur vin ...
    Car comme nous sommes tombés!!! et de haut ( la "nouvelle Pentecôte"!)

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  3. "Touché"! c'était effectivement LA question...

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  4. "Que veux-tu vraiment?"
    "Aimer Dieu!"
    "Es-tu sûr que tu ne le veux pas à la condition expresse que cet amour soit ppérimétré aux conditions que tu Lui assignes?"
    "Bien sûr que non! Ma résistance, mes conditions, ce n'est que l'écume de ma volonté. Certes, de cette écume, il est vrai que naît souvent la tempête de toute une vie, le combat spirituel de la lutte avec l'ange, la lutte de Jacob que dieu a appelé Israël, c'est-à-dire selon les traductions, "fort contre dieu" ou: "en lutte avec dieu".
    Il faut être fort pour accepter d'être un esclave. S'il y a une distinction entre la soumission islamique et la soumission chrétienne, c'est que le christ Se cherche des disciples forts se faisant les esclaves d'un dieu fort, servitude consentie après bien des luttes.

    Or il est précisément question de "force" dans ce récit de la cananéenne, c'est une question que vous n'avez pas abordée et qui est pourtant l'un des points les plus mystérieux de ce passage, mais je sais bien qu'on ne peut pas parler de tout. Jésus sent qu'"une force est sortie de Lui". Comment? Lui, le fort, Il ne maîtrise pas la situation au point qu'il puisse lui arriver de ne pas savoir à quel moment une force se met à sortir de Lui? Quelle est la différence entre Sa force et notre force combattantes et ces forces qui sortent de nous, indépendamment de notre volonté, obéissant à je ne sais quel déterminisme et dotées du pouvoir de guérir? Peut-on dire que cette Force en Jésus vient de l'Esprit, Qui se met à souffler "en autonomie", c'est-à-dire où Il Veut, comme le dit saint-Jean, dont Marguerite Duras définit l'evangile d'une formule magistrale:
    "Vous savez? C'est le livre de ce Roi des Juifs qui médite sur le sens du vent..."

    Sur cette force qui sort de Jésus comme dans une inconscience de Sa volonté, certain taumaturge japonais a cru pouvoir fonder le réki. Que penser de ces techniques et, au-delà, de ce pouvoir de guérison que nous mettons en sommeil? A quelle condition devons-nous exercer nos dons de guérison pour autrui? N'est-ce pas un signe que nous avons perdu la foi que nous ne croyions plus au miracle, et à cette Parole de notre divin Maître, qu'Il nous donnerait d'accomplir des oeuvres encore plus grandes, ou encore plus merveilleuses que les siennes? Et comment "nomenclaturer", si j'ose dire, l'état de nos forces, et ces forces qui sont en nous?

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  5. C'est à la lecture de l'épisode des Noces de Cana que j'ai compris que Marie était une vraie Maman juive. Elle donne de manière très euphémique (ils n'ont plus de vin) un ordre à son fils que celui-ci a compris à demi-mot. Il va bougonner et protester le fiston (mon heure n'est pas encore venue), mais Marie qui sait pertinemment qu'il finira par obéir, ne tient aucun compte des récriminations de son fils et donne aux serviteurs pour consigne d'exécuter ses instructions (faites tout ce qu'il vous dira) et les dits serviteurs ont bien compris qui était la véritable patronne dans l'affaire.

    Les peintres ne s'y sont pas trompés (voir Véronèse), ils ont souvent peint Marie rayonnante et Jésus un peu grognon, enfin pas véritablement réjoui de voir ses plans bouleversés pour ce qu'il pensait être un caprice de sa maman. En fait, c'était la maman juive qui avait le bon plan : sans elle pas de repas mystique annonciateur de l'Eucharistie.

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  6. C'est encore une fois passionnant et au-delà de ça, nous permet de nous poser des questions sur notre cheminement spirituel vers le salut.

    Entièrement d'accord avec Alain Texier qui relève cette phrase comme fondamentale :
    "Lorsque l'Infini est en jeu, on peut bien se contenter des miettes, elle l'a compris avec une étonnante lucidité. Des miettes d'Infini ? C'est encore l'Infini"

    Julien W soulève de son côté un point très intéressant, celui, en somme, de l'indépendance des trois personnes de la trinité les unes par rapport aux autres. Cela ouvre des perspectives de réflexions passionnantes!
    L'idée des "forces ou énergies" que les orientaux ont, semble-t-il expérimentées et qui n'ont rien de scientifiques au sens occidental, est aussi intéressante. Dans le monde multiculturel d'aujourd'hui, il est difficile d'y échapper. Ne s'agit-il que de simples miroirs aux alouettes ou y a-t-il un fond de vérité ? Et, comme le soulève Julien, où est passé le sens du miracle à notre époque ?
    Cordialement
    Clément d'Aubier (pseudo de rêverie)

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  7. Dieu, "moteur premier" (Aristote puis saint Thomas d'Aquin) cela veut dire énergie première.
    L'idée de "force" ou "d'énergie" est sans doute très prégnante chez certains esprits, peut-être chez les Orientaux... mais la force ou l'énergie elle-même ne peut être captée par tel ou tel thaumaturge fut-il oriental.
    Il n'est pas étonnant par contre qu'elle "sorte" du Christ Lui-même toujours relié à son Père par la Vie divine qui est en eux, par l'Esprit-saint, sans que Jésus sache -"Qui m'a touché ?"- avec sa raison raisonnante d'homme même surdoué, où elle va (l'Esprit souffle, on ne sait d'où Il vient ni où Il va).

    Pourtant, il semble que le Christ ait conféré aux apôtres ce pouvoir particulier de transmettre l'Esprit Saint. Mais avec un geste (imposition des mains) des paroles particulières, précises, d'où les sacrements (Confirmation, Ordre, sacrement des malades...).
    Chacun de nous n'a pas le don de guérison. Si certains SEMBLENT l'avoir (sagesses orientales? mages ?) n'oublions pas l'impact du savoir-faire psychologique, de la suggestion, du désir, du fantasme de toute-puissance.
    Quant aux miracles, ils sont des permissions de Dieu, eux non plus on ne sait ni d'où ils viennent, ni exactement où ils vont, ni quand ? à quelle prière exactement ils répondent?
    A accueillir, comme la Grâce.

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  8. A Clément: je ne sais si la "force en question" émane de l'Esprit-saint, ce qui justifierait que vous lisiez dans mon "poste" la mise en évidence d'une relative autonomie des Personnes de la Trinité. Mais vous touchez le coeur du problème: est-ce que les énergies biennfaisantes équivalent toutes à l'esprit-saint? Est-ce que ce multiple des énergies, mais à la fin du compte, des esprits, les démons étant exclus, se résout dans leur commune appartenance à l'Unique esprit? Dans la mesure où l'esprit-saint est Elargissement, rendant plus vaste notre vision, plus téméraire notre action et libérant notre âme et notre chair, on pourrait considérer que les énergies s'élargissant dans l'unique esprit relèvent du même effet de perspective. Mais l'autre terme du dilemme oude de l'aporie est le suivant: est-ce que les énergies ne sont pas une division contre l'esprit? Auquel cas elles porteraient la marque du diviseur, lequel, on sait qui il est: le diable en personne!

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