mardi 25 octobre 2011

Beaucoup sont appelés...

Quelle est cette invitation que le Seigneur nous envoie pour que nous le rejoignions ?

Beaucoup de théologiens au XXème siècle, parmi lesquels le célèbre cardinal de Lubac, enseignent qu’il existe en chaque homme un désir naturel de Dieu. Cela signifierait qu’il y aurait en nous, spontanément, cette invitation : nous la trouverions en naissant. Nous désirerions Dieu comme on désire manger ou copuler.

La question immédiate qui se pose, dans cette perspective, c’est : si Dieu est vraiment le désir de l’homme, pourquoi est-il si peu désiré, si mal aimé ? Pourquoi aujourd’hui l’indifférence vis-à-vis de Dieu apparaît-elle, dans certaines sociétés dont la nôtre, comme une note dominante ?

Une question plus profonde apparaît aussi : si Dieu est vraiment un désir de nature, cela signifie qu’il est pour nous comme un objet de consommation parmi beaucoup d’autres. Il apparaîtrait donc seulement comme le moyen de satisfaire en nous un désir. Cela n’est pas possible.

Dieu n’est donc pas un désir naturel en nous. Mais alors quelle est donc cette invitation ? Comment se formule-t-elle ?

Si cette invitation nous représente comme bon pour nous quelque chose que nous ne possédons pas encore et qui nous manque, elle est bien de l’ordre du désir. Elle se manifeste par le désir que nous éprouvons de voir la beauté de Dieu, de comprendre quelque chose de la raison éternelle, de nous laisser inclure dans sa lumière.

Mais de quel désir s’agit-il ? Non pas du désir naturel que nous venons d’évoquer, non pas d’un désir spontané et brutal, mais d’un désir qui s’alimente à la connaissance que l’on prend de son objet. C’est ainsi que le désir de Dieu s’identifie en nous au désir de vérité. Si nous sommes invités par le Seigneur, c’est dans la mesure où nous cherchons à le connaître, c’est parce que seule la vérité nous satisfait. Non pas une vérité abstraite, non pas une babiole philosophique, mais une vérité qui nous transforme et qui nous sauve. Comme dit saint Thomas d’Aquin, l’objet de la foi est la vérité première. La foi intervient quand cette vérité devient en nous un objet de désir.

Cette vérité, nous en connaissons assez les contours pour la désirer. Mais nous ne la connaissons pas suffisamment pour considérer que nous la possédons. Nous nous sentons invités à la connaître mieux en nous identifiant à elle : beaucoup sont invités ainsi, beaucoup sont appelés ! Mais, nous dit le Christ, peu sont élus. Ce désir de vérité nous tenaille tous d’une manière ou d’une autre, mais il est bien supérieur à notre nature… Nous pouvons si facilement nous échapper, oublier de revêtir la robe nuptiale, selon l’image utilisée par la parabole. Ainsi nous ne concrétisons pas l’appel qui nous est lancé quand nous oublions qu’il s’agit d’un appel absolument personnel, auquel personne ne peut répondre à notre place et qui apparaît comme absolument unique, pour chacun.

Peu sont élus… Parce que parmi ceux qui sont appelés, il y a ceux qui répondent correctement, mais il y a aussi tous ceux qui répondent par la négative, parce qu’ils poursuivent des désirs plus immédiats que le désir de vérité et il y a encore ceux qui répondent « Oui » sans mesurer l’honneur qui leur est fait et le sérieux de cette invitation.

7 commentaires:

  1. Merci, mon Père,

    d'avoir éclairé ce texte lu à la messe de dimanche dernier et qui avait été écarté lors du prône au bénéfice d'une réflexion sur Marie et le Rosaire, réflexion d'ailleurs bien venue en ce mois d'octobre.

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  2. Monsieur l'abbé,
    c'est toujours une joie de lire vos commentaires... si l'accord n'est pas toujours plénier, c'est toujours stimulant.

    Toutefois, aujourd'hui, il me semble que vous êtes un peu injuste avec H. de Lubac. En effet s'il parle de "désir naturel du surnaturel" je ne pense pas qu'il le range dans la même catégorie que les besoins instinctifs (nourriture, reproduction) auxquels vous faites allusion.
    C'est plutôt un désir proprement humain, qui est donc de l'ordre de la quête de vérité, et non pas un besoin animal.

    "Désir naturel" ne veut ainsi pas dire "désir de nature" chez Lubac.

    En conséquence, je pense que Lubac ne serait pas opposé avec ce que vous dites ensuite...

    Et ce désir, c'est ce creux qui est en chaque homme et lui fait vouloir quelque chose de plus, même s'il ne sait pas comment l'atteindre ou s'il emploie des moyens erronés pour l'atteindre. C'est ce désir naturel qui est en l'homme qui l'oriente vers la vertu de religion. C'est ce désir qui lui fait vouloir parler à Dieu, le servir, le reconnaitre comme souverain maître, par toutes les religions...

    Et ce désir naturel, même sans que l'homme ait été atteint par la Révélation, est déjà mû par la grâce... car l'homme non-gracié, cela n'existe pas.

    en union de prière

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  3. Dieu est mal désiré parce qu'Il Est difficile! Déjà qu'on ne s'atteint jamais. L'on n'a guère en sa vie été que transporté une fois près de son but. Et puis on est tombé de haut, dans la sécheresse, l'amertume de la soif, la fermentation de la désillusion. Ceux qui acceptent cette chute et ce goût amer dans la bouche en n'en continuant pas moins de fixer le but qu'ils savent qu'ils n'atteindront jamais de leur vivant, ceux-là savent ce qu'espérer veut dire, ceux-là vivent dans l'espérance et la connaissent.

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  4. Cher Monsieur l'abbé,

    vous n'êtes pas sans ignorer que théologiquement, le sujet est légèrement plus compliqué que vous ne voulez bien le dire. Le P. de Lubac est loin d'être le seul à évoquer un "désir naturel de Dieu". L'essentiel de la tradition thomiste, qui ne se résume pas à Cajetan, est d'accord sur ce point, quoiqu'avec des nuances importantes qui manquent de fait chez le P. de Lubac. Celui-ci "idéologise" la question du désir naturel de Dieu de même que les protestants et les jansénistes ont "idéologisé" celle de la prédestination, mais le problème théologique existait bien au départ.

    La comparaison, d'ailleurs, est loin d'être superficielle. Dans les deux cas, l'on est en présence d'une forme d'augustinisme ou d'hyper-augustinisme, qui comme tous les -ismes, aboutit à un excès et finalement enseigne le contraire d'Augustin lui-même. Vous n'êtes pas sans savoir d'ailleurs que des positions analogues aux positions lubaciennes avaient été défendues bien avant celui-ci par Baïus et un certain... Jansénius, repris plus tard par Quesnel. Il s'agit d'ailleurs de l'une des propositions jansénistes du Concile de Pistoie qui a été condamnée par le Pape à l'époque. A la vérité, la position lubacienne offre quelques différences avec celle de Jansénius ou de son prédécesseur, Baïus (par exemple, les jansénistes et pré-jansénistes distinguent deux types de grâce : l'une "due" à la nature, qui fut donnée à Adam, l'autre qui nous est venu par Jésus-Christ). La conséquence est cependant dans tous les cas la même : annuler la gratuité du surnaturel (en quoi l'augustinisme aboutit au contraire d'Augustin : le pélagianisme, ou semi-pélagianisme). Il est d'ailleurs surprenant que se néo-augustinisme se soit développé initialement... chez des jésuites, adversaires de toujours du jansénisme.

    Pour autant, cela ne signifie nullement qu'un certain désir naturel de Dieu, entendu avec suffisamment de nuances et de modération, ne puisse en un sens exister. Et parfois sans la grâce se transformer en désir possessif de Dieu (lequel est alors plutôt qualifié d'Absolu) : fusionner avec le Grand Tout, pour abolir toute distinction et toute identité personnelle. Quelque chose comme le "sentiment océanique" dont parlait Freud, si je ne m'abuse, mais je pense que vous pourrez me corriger si je me trompe.

    Cela dit, merci beaucoup pour ce post qui reste très intéressant et agréable à lire. u.d.p.

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  5. Cher abbé,
    Vous vous situez en-deçà de votre propre niveau... Je vous pardonne votre usage de l'homme de paille pour les besoins de la rhétorique, car vous savez fort bien que le désir naturel tel qu'en parle de Lubac n'est pas un désir que chacun ressentirait spontanément à la manière de la faim ou de la soif...
    Le désir en question est dirimé par le péché du monde qui nous éduque à autre chose qu'à Dieu, mais aussi, et en tout premier lieu, par les conséquences du péché des origines.

    Dieu a créé la nature humaine avec, en vue, comme projet pour elle, l'union de celle-ci à Son Fils. C'est pourquoi chaque être humain, effectivement, a au fond de lui, même très enfoui, un tropisme, une « pente » vers Dieu, qui est du reste liée, au fond, à l'image de Dieu en lui.

    Ceci dit, vous avez raison, ce désir est un désir qui dépasse notre nature, et cela Lubac le dit très bien. C'est bien là l'instabilité de l'homme : il possède en sa nature même quelque chose qu'il ne peut satisfaire par ses propres moyens naturels, quelque chose qui lui dit qu'il ne doit pas se satisfaire de sa propre nature.

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  6. "Ceci dit, vous avez raison, ce désir est un désir qui dépasse notre nature, et cela Lubac le dit très bien"

    Il y a de nombreuses citations dans son livre le "Surnaturel" qui viennent étayer cette position. Position patristique également partagée par les théologiens orthodoxes qui ont une mauvaise image de la théologie latine du fait qu'elle a à une certaine époque (comme le montre Lubac) pu pour envisager les rapport entre la nature et la surnature préférer Aristote aux pères et à la Bible. Lubac (ni Gilson) n'aimait pas Cajetan d'où peut être la petite pique de l'abbé :) ?

    Bellarmin : "Ce n'est ni une nouveauté ni une chose indigne de la nature de l'homme qu'il désire naturellement ce qu'il ne peut obtenir qu'avec un secours surnaturel ... cela fait partie de sa plus haute dignité qu'elle ait été créée en vue d'une fin trop haute pour qu'elle puisse l'atteindre par les seules forces de sa nature"

    et plus proche de nous Joseph de Finance : "La gloire la plus haute de l'homme c'est d'être naturellement incliné vers une fin qui dépasse son pouvoir"

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  7. Voui voui voui ....On cause , on cause et on refait la théologie et le monde en 2 coups de cuillère à pot. M'enfin cela élève le débat.C'est déjà ça !

    Pour éviter la théologie de supermarché cependant on pourrait déjà poser en préambule que, comme le disait le docteur angélique et docteur commun(et oui) ,l'argument d'autorité est le dernier en philosophie et partiellement en théologie sauf si l'Eglise c'est prononcée dogmatiquement ou a engagé son autorité .

    De Lubac ,pour faire court, n'est pas docteur de l'Eglise...Et opposer la Bible, les Pères et Aristote ...c'est bien "jésuite".
    On a le droit mais il est plus honnête d'exposer ses a priori d'emblée

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