samedi 17 mars 2012

Pour une science nouvelle - Samedi de la troisième semaine

"La connaissance naturelle est capable par elle-même de mouvoir notre être : si nous savons que notre maison brûle, nous nous sauvons parce que la vie et la mort ont, pour notre être naturel une signification immédiate et existentielle. Mais lorsque nous savons de même que, sans la grâce divine nous n'échapperons pas au feu de l'enfer, cette connaissance est sans effet sur notre être, parce qu'elle n'a pour lui qu'une signification théorique : notre être naturel n'a pas le sens de son salut. L'esprit s'éveille en nous (c'est-à-dire le sens de la réalité surnaturelle) lorsque la connaissance intellective commence à avoir pour nous une signification de vie ou de mort aussi existentielle que l'incendie sur mon corps"
Jean Borella, Amour et vérité, La voie chrétienne de la charité, éd. L'Harmattan 2011 p. 144
Jean Borella a mauvaise presse chez les traditionalistes parce qu'il est trop traditionnel dans sa pensée. Profondément catholique, passionné par le rite traditionnel, il mène depuis cinquante ans un itinéraire spirituel hors normes. Il est passé tout près de René Guénon et de la gnose. Il est aujourd'hui comme hier un catholique profondément conscient de porter une anthropologie, une vision de l'homme qui dépasse toutes les philosophie et prend naissance dans la Révélation, en particulier dans les écrits de saint Paul.

Il oppose ici très classiquement la connaissance naturelle et la connaissance surnaturelle, l'une qui met en jeu nos sens et se formalise dans des concepts (des représentations universelles), l'autre qu met en jeu notre intelligence (noûs) sous l'impulsion de l'Esprit saint (Pneuma) et qui nous donne conscience à la fois de notre véritable origine et de notre destinée ultime. Cette connaissance surnaturelle est comme endormie, elle s'éveille en nous par la grâce qui nous est donnée au moment où elle nous est donnée.

Jean Borella nous donne immédiatement un exemple de cet endormissement : le feu de l'enfer. Beaucoup disent à ce sujet : cela me fait une belle jambe. C'est qu'ils n'ont pas cette connaissance surnaturelle, qui est la véritable et nécessaire science de la vie. C'est dans la mesure où l'on devient capable de se situer autrement que dans l'immédiateté de l'instant et de la bonne (ou mauvaise) fortune qu'il apporte, que l'on peut pressentir ce qu'est le feu de l'enfer, cette peine des sens à laquelle correspond en fait, avajnt tout la mystérieuse peine du dam, la privation de Dieu.

"L'enfer est une oeuvre de la Miséricorde divine" disait saint Bonaventure. On peut dire que la perception de cette horreur de la vie sans Dieu et contre Dieu n'est vraiment donnée qu'à ceux que l'Esprit saint à réveiller et qui peuvent recevoir par la grâce comme une nouvelle conscience de ce qu'est la vie réelle.

3 commentaires:

  1. Je n’avais jamais songé à cela, mais faut-il s’en étonné, puisque l’au-delà nous caché ? Notre nature animale, si j’ose dire, nous confère des réflexes de survie. Ceux-ci correspondent tout naturellement à ce que peuvent percevoir nos sens. Allez-vous promenez à côté de la centrale nucléaire de Fukushima, vous n’aurez aucun réflexe de fuite, aucune appréhension naturelle comme on pourrait en avoir en cheminant au cœur d’une forêt en flammes. La perception du risque de damnation, puisque c’est de cela dont il s’agit, ne peut qu’être intellectuelle, tout comme celle du danger nucléaire. En revanche une foi vive devrait permettre d’acquérir des réflexes face aux risques que représentent certains péchés. Je pense qu’il en est de même pour les sentiments qui touchent les personnes de Jésus ou de la Vierge. Si une personne les offenses en notre présence d’une manière ou d’une autre, on peut se sentir personnellement blessé, comme s’il s’agissait d’une personne proche. Il y a eu intellectualisation de notre proximité.

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  2. Pour moi, votre commentaire, monsieur l'abbé, est beaucoup plus fin que cet extrait de Jean Borella. Vous introduisez, pour expliciter sa pensée-mais en cela vous faites mieux que l'expliciter, vous la rendez bien plus intéressante- le concept de conscience et parlez si bien de la connaissance surnaturelle qui est "comme endormie et qui s'éveille par la grâce". En fait, vous introduisez un inconscient.
    Or, il me semble, que l'inconscient connaît des choses que la "connaissance naturelle" (dit Borella) ignore ou préfère oublier.
    Par exemple, l'inconscient est taraudé par un manque. Il y a une séparation d'avec son origine dont il est blessé. Il est marqué et travaillé par une angoisse, une tristesse, auxquelles personne n'échappe, cette personne fut-elle très rationnaliste, maître de sa vie et connaissant tout ce qui fait sa nature.
    Et c'est la simple nature, cela, que d'être doté d'un inconscient. Ainsi la "connaissance surnaturelle" me semble loin de n'avoir aucun impact sans la grâce sur la simple "nature" car de simple nature il n'y a pas. Il n'y a que des êtres orphelins de Dieu.

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  3. "Notre être naturel n'a pas le sens de son salut", il n'en a pas le sens tant qu'il n'en a pas une connaissance intellectuelle, avant d'être surnaturelle. C'est ce qui rend l'annonce et la compréhension du salut si difficile: créés à l'Image de Dieu, nous voudrions que Sa Révélation nous soit comme co-existentielle, c'est-à-dire accessible, dès son origine, à notre sensation d'exister. Or il faut un apprentissage pour que ces réalités surnaturelles deviennent le nom que nous mettons sur notre angoisse.
    Empiriquement, par exemple, nous avons peur du feu, il suffit que nous nous soyons brûlés une seule fois. Mais, si nous commençons à faire la métaphysique de cette peur, nous avons d'abord l'impression, la sensation, que nous avons autant, que nous avons indifféremment peur du feu de la Pentecôte et peur du feu de l'enfer. Or cet élément, le feu, existe, et dans le Royaume du bien, et dans l'antiroyaume du mal. Comment pourrions-nous transposer notre peur naturelle du feu dans l'angoisse existentielle qu'elle recouvre?

    L'enfant spirituel, dans son sens de Dieu qui vient de s'éveiller, a peut-être plus facilement la connaissance de "la peine du dam" que de "la peine du sens".

    De plus, notre peur du feu s'amenuise à mesure que nous en vivons éloignés. Nous vivons éloignés de l'immédiateté de la menace infernale éternelle. Aussi est-il naturel que nous ayons tendance à l'oublier, sauf à en entretenir en nous une peur malsaine. Mais, dans la prière eucharistique, j'aime cette demande:

    "Arrache-nous à la damnation", comme si nous pouvions mieux comprendre ce que c'est que la damnation, qui implique tellement notre volonté d'être séparés de dieu, voire à travers notre "indifférence pratique" à l'Endroit de notre Créateur, que les foudres de l'enfer et leurs "peines du sens", nous qui, quand nous avons mal, commençons par nous demander:
    "Pourquoi moi!",
    et puis n'avons de cesse de nous éloigner de la douleur, fût-ce en nous y habituant.

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