lundi 16 avril 2012

Parce que tu as vu, tu as cru...

C'est un post de 2009 sur le miracle qui vient de retenir l'attention d'un lecteur de passage ; il nous envoie ce texte, sur lequel je voudrais m'attarder, car le temps liturgique y est propice :
"Essayer de convertir quelqu'un par des miracles est une profanation de l'âme" (R.W. Emerson, Allocution aux étudiants de dernière année de la faculté de théologie de Cambridge, 15 juillet 1838. Pierre a suivi Jésus parce qu'il avait les paroles de la vie éternelle, et non à cause des miracles (Jean VI, 68)
Dans l'extraordinaire rite que j'ai la chance de célébrer chaque jour, nous nous attardons en ce dimanche dit de Quasimodo sur la figure - noble - de Thomas, l'apôtre : Didyme, c'est-à-dire "le jumeau" pour les intimes. Pour "l'Evangile de Thomas, apocryphe gnostique, si Thomas est appelé "le jumeau", c'est parce qu'on le considère comme le jumeau du Christ. Gnostique ou pas à l'origine, cette considération porte. N'y a-t-il pas dans la renaissance baptismale un mystère de gémellité avec le Christ ? Ne sommes-nous pas tous des Thomas, tellement proche du Christ par la grâce offerte, tellement proche du Christ par le coeur, que nous nous mettons à douter, comme Naaman le Syrien, auquel Elisée recommande d'aller se baignersept fois dans l'eau du Jourdain : c'est trop simple, c'est trop facile, il est trop près de moi, il est trop... Oui : trop...

Thomas est celui qui, au début du chapitre 11 dit : "Allons et mourons avec lui s'il le faut". Il est chevaleresque. Mais justement : la Croix, le scandale de la Croix l'a touché en plein coeur. Il a été comme anéanti. Cet anéantissement, voilà l'origine de ce doute proclamé très haut pour que nul n'en ignore "Si je ne mets pas ma main dans ses plaies, je ne croirai pas". Ce grand coeur blessé avait besoin de voir. Il a vu.

Et il a cru. En qui ? Dans ce Jésus ressuscité qu'il appelle (seul dans tout l'Evangile) non seulement "son Seigneur" mais "son Dieu". "Mon Seigneur", c'est l'appellation que donnaient les disciples au Christ : "Ils ont enlevé mon Seigneur et je ne sais pas où ils l'ont mis" dit Marie (Magdeleine) à celui dont elle pense qu'il est le jardinier. L'apôtre douteur est celui qui fait la plus belle profession de fàoi dans l'Evangile. Preuve que loin d'être étranger à la foi, le doute lui est... consubstantiel. "Croire et savoir sont deux choses différentes" dit Thomas (d'Aquin). Le savoir exclut le doute. La foi le trouve toujours sur son chemin.

La question c'est : quel doute ? Si c'est un doute vague, généralisé comme le cancer du même nom, si c'est un brouillard plus ou moins opaque, alors il ne faut pas discuter avec ce doute-là qui est une asthénie de l'âme. Mais si c'est un doute précis, alors la question porte vers des réponses. Elle force le croyant à chercher, à désirer, à progresser dans la connaissance de Dieu. Ce doute-là est salutaire.

Thomas n'est pas dispensé de la foi par ce qu'il a vu, le Crucifié avec ses plaies des mains et des pieds. Au contraire : sa foi augmente. Il voit le ressuscité et, rempli de foi, il appelle son jumeau spirituel : mon Dieu. Pierre, après la Pentecôte, l'appellera lui "l'auteur de la vie".

Et c'est en ce point que j'en viens au miracle, c'est-à- dire à la prise de position de l'anonyme cité plus haut. Beaucoup d'entre nous, nous connaissons des miracles. Il suffit d'aller à Nevers et de contempler le corps conservé de sainte Bernadette... La question n'est pas de voir ou de ne pas voir. La question est de savoir ce que nous en faisons. Thomas, parce qu'il était noble de coeur a immédiatement cherché le solide. Pas question de faire comme les autres. Mais en s'appuyant sur ce qu'il avait vu, il  s'est élevé dans la foi à un niveau officiellement jamais atteint.

7 commentaires:

  1. S'il y a un miracle, les 22 avril et 6 mai, c'est à Jeanne que nous le devrons (prier saint Michel n'est peut-être pas inutile non plus)...et à son chevalier Guillaume de Tanoüarn qui organise des colloques à son propos d'une qualité et d'un intérêt remarquables.
    Le samedi 5 mai à l'espace Bernanos, ce sera tout simplement brillant et nous en aurons pour notre attente la plus exigeante ; notre esprit et tous nos sens seront eveillés et émerveillés par le Beau et pour le Bien : grande musique (concert Tchaïkovski), art plastique (une nouvelle statue de Jeanne) , lecture de poèmes, conférence...

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  2. Thomas me semble être un des apôtres les plus impressionnants.Il croit mais pas en aveugle; ce n'est pas un béat. Lorsqu'il exprime ses doutes devant le Christ ressuscité, c'est en homme choqué par la cruauté du supplice - pourtant courant à l'époque - . Oui, il y a du chevalier chez lui. D'ailleurs son Seigneur et son Dieu ne lui en veut pas.
    Willy

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  3. M. l'abbé, je consulte très souvent votre blog très intéressant, et notamment vos commentaires sur la liturgie quotidienne. Néanmoins, c'est avec regret que j'ai constaté que rien n'a été dit sur le dimanche de la Miséricorde, instauré par Jean-Paul II. C'est dommage, mais me direz-vous, on ne peut tout traiter!
    Bien cordialement

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  4. Voici sur le doute ce que dit un jour Saint Grégoire le Grand:
    « Le retard que les disciples mirent à croire à la résurrection du Seigneur, n’est pas tant à mettre au compte de leur faiblesse que notre assurance future... l’histoire de Madeleine, qui crut très vite, m’est moins utile que celle de Thomas qui douta longtemps ; car cet Apôtre, en doutant, toucha la cicatrice du Sauveur et enleva ainsi de notre cœur la plaie du doute ».
    En effet "dix mille difficultés ne font pas un seul doute" Newton.
    Tout est dit!

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  5. Votre correspondant gallège. R.W. Emerson ne viendra en Angleterre en 1832,1833 et y retournera en 1847,1848. a ma connaissance il aurait difficilement pu délivrer un sermon aux étudiants de la théologie à Cambridge, d'autant plus qu'il avait donné sa démission de pasteur unitarien au début des années 1830. (A moins qu'l ne s'agisse de Cambridge, Mass. mais j'en doute)

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  6. Finalement c'était bien vrai. Ralph Waldo Emerson (1803-1882) a bien prononcé en 1838 un discours devant les étudiants de l'école de théologie d'Harvard (The Divinity School Address) à Cambridge ; mais il eut été plus honnête de mentionner qu'il s'agissait de Cambridge au Massachussets afin d'éviter tout risque de confusion avec l'Université de la ville éponyme en Angleterre.

    "Le discours aux étudiants en théologie de Harvard". Trad. de Raphaël Picon. Nantes, Ed. Cécile Defaut, 2011.


    Pour en savoir plus sur ce texte et cet auteur totalement méconnus en France voici un lien ntéressant :

    http://harvardsquarelibrary.org/emerson_hds/

    A noter que Ralph Waldo Emerson avait une grande passion pour Montaigne ce qui l'a conduit a titrer "Essays" son oeuvre principale.

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  7. Suite (et fin) : voici la phrase d'Emerson dans son contexte :

    So I love them. Noble provocations go out from them, inviting me to resist evil; to subdue the world; and to Be. And thus, by his holy thoughts, Jesus serves us, and thus only. To aim to convert a man by miracles, is a profanation of the soul. A true conversion, a true Christ, is now, as always, to be made by the reception of beautiful sentiments.

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