vendredi 21 octobre 2011

Assise III et les zoïles

"Un servile « traditionalisme » ultra-ratzingerien (craintif et complexé), qui au lieu de se limiter à de justes explications se sentirait obligé même de partager et approuver Assise III, bien qu’il ne s’agisse ni d’un acte magistériel ni d’une loi de l’Eglise, se retrouverait « à gauche » non seulement de Mgr Gherardini et de ses réserves sur l’abus de la notion d’ « herméneutique de la continuité », mais aussi à gauche de Benoit XVI. Rendrait-t-il en agissant ainsi un bon service au Saint Père, alors qu’il se trouve dans des conditions de plus grande liberté que Lui? Quelle raison d’être lui resterait-il?"
Je rassure tout de suite mes lecteurs : ce texte est une citation. L'extrême violence des termes dans lesquels se formule cette attitude purement dialectique et non doctrinale sur Assise III n'est pas la marque de metablog. Je dirais même : non seulement ce texte n'est pas de moi, mais j'ai la fierté de reconnaître dans ce que l'auteur qualifie de " servile traditionalisme ultra-ratzingérien craintif et complexé" [quatre adjectifs dont un dans une forme intensitive : excusez du peu] une manière (assez discourtoise il est vrai) de caractériser les propos qui ont été tenus sur ce Blog depuis l'annonce d'Assise III. L'auteur de ce jugement à la fois péremptoire et amphigourique se pose la question... finale de "la raison d'être" de ce "traditionalisme ultra-ratzingérien".

Je voudrais lui répondre. Sur la forme comme sur le fond.

En même temps qu'il dénie à nos positions toutes raisons d'être, l'auteur, pas rancunier, nous offre une "situation". A metablog, nous serions "à la gauche" de Ratzinger. Ce genre de métaphore spatio-politique est à utiliser avec la plus grande prudence. Mais si je l'ai bien décryptée, malgré sa gaucherie, notre zoïle, tout au long de son texte, tend à affirmer la chose suivante : Benoît XVI est "obligé" d'aller à Assise pour les 25 ans d'Assise I. Il y va à reculons. Et nous, en soutenant cette démarche que foncièrement il ne veut pas faire, nous lui plantons un poignard dans le dos.

Vous goûtez le paradoxe ! Vous sentez l'intelligence et la profondeur de la mise en cause ! A entendre notre zoïle, il y a des fois où soutenir les actes du pape, c'est travailler contre lui car le pape ne les pose que contraint et forcé. Nous qui sommes "plus libres que lui" (quelle ambition ! Présomptueuse ?) nous nous devons de dire tout haut ce qu'il se dit tout bas mais qu'il ne peut pas dire à l'Eglise... Le pauvre...

Je le dis tout net : cette position sur le pape condamné au silence et que l'on fait parler est non seulement dénuée de fondement mais nuisible. Entre faire parler le pape et se prendre pour lui... il n'y a malheureusement souvent qu'un pas comme une actualité pas si ancienne peut nous en donner des exemples. il me semble que nous sommes revenus, avec de tels raisonnements sur des "actes du pape qui seraient plutôt subi que voulus", à la grande époque où certains traditionalistes, trouvant aux yeux de Paul VI des reflets changeants, avaient imaginé d'abord qu'il était interdit de parole, puis qu'il était prisonnier au Vatican (est-il mort ?) et enfin remplacé par un sosie. Quand on commence à penser que le pape, Vicaire de Jésus Christ, ne dit pas ce qu'il devrait dire parce qu'il en est empêché, comment le respecter comme pape ? Comment ne pas le rendre pour l'ombre de lui-même ? Un sosie ou un ersatz ?

Nous ne pouvons pas admettre la thèse complotiste du pape réduit au silence et dont quelque happy few sur un blog exprimerait "les justes explications".

Mais il faut en venir au fond de l'affaire : l'auteur dans son texte intégral, utilise jusqu'à la gauche un courrier privé du pape à l'un de ses amis pasteur luthérien. C'est au nom de ce texte que le zoïle s'estime, lui, plus libre que le pape. Ce texte, je l'ai cité déjà ailleurs, mais je vous le redonne ici :
«Je comprends très bien, votre préoccupation par rapport à ma participation à la rencontre d’Assise. Mais cette commémoration doit être célébrée de toutes façons et après tout, il me semblait que le mieux c’était d’y aller personnellement pour pouvoir essayer de cette manière de déterminer la direction du tout. Cependant je ferai tout pour que soit impossible une interprétation syncrétique de l’évènement et pour que cela reste bien ferme que toujours je croirai et confesserai ce que j’avais rappelé à l’intention de l’Église avec l’encyclique Dominus Iesus»
Ce texte donne-t-il l'impression d'un pape dont "les actes sont plutôt subis que voulus". Réponse : non. Au contraire : "Je ferai tout... " dit le pape qui juge en son âme et conscience et fait partager ce jugement à son ami luthérien : "Il me semblait que le mieux était d'y aller personnellement..."

Nous sommes typiquement, d'après cette lettre privée dont il ne faut pas majorer l'importance non plus, dans la perspective du moindre mal que les gouvernants connaissent bien. Je ne résiste pas à vous donner, en latin, l'avis sur ce point de saint Thomas lui-même : "Cum autem inter duo, ex quorum utroque periculum imminet, eligere oportet, illud potissimum eligendum est ex quo sequitur minus malum". Lorsqu'il faut choisir entre deux situations, alors que de l'une et de l'autre on attend du danger, ce qu'il faut choisir de préférence c'est la situation d'où suit un moindre mal" (De Regno éd. Marietti c. 6 in init.)

Choisir la solution qui implique un moindre mal, ce n'est pas faire preuve de faiblesse, ce n'est pas se laisser "contraindre", ce n'est pas "subir", bien au contraire ! C'est faire acte de gouvernant sage et prudent.

Mais continuons avec saint Thomas et sa magistrale précision de langage pour comprendre Benoît XVI et son modus operandi. Saint Thomas ne dit pas qu'il est licite de choisir le moindre mal. Cela n'est jamais licite. Il ne faut jamais choisir un mal pour qu'arrive un bien. Dans les périodes troubles, on sait combien d'atrocités ont été justifiées par là.

Le pape, prenant à son compte Assise III, ne se résout pas à faire le mal... Il connaît trop bien sa théologie morale pour cela. Il prend Assise dans les eaux théologiquement troubles du dialogue interreligieux et il change l'eau du bain, puisqu'il en charge le cardinal Turkson, responsable du Dicastère sur la paix dans le monde. Nous ne sommes pas là dans je ne sais quelle figure glauque d'un pape empêché, empêtré ou lâche. Nous sommes dans une transposition de l'événement qui permet à Benoît XVI de "déterminer la direction de tout" pour reprendre le texte même sur lequel se fonde notre zoïle. Et ce n'est pas être un "ratzinguerien de gauche", ce n'est pas doubler le pape sur sa gauche que de souligner son extraordinaire travail théologique. Comme le voleur chinois, petit à petit, le matin venu, le pape a emporté le morceau "Assise"... à la droite du Père, en l'immunisant contre tout "syncrétisme".

Au lieu de mettre le pape en discorde avec lui-même, en lui prêtant des attitudes qui ne sont pas les siennes et une lâcheté qui ne lui appartient pas, je crois que les théologiens doivent travailler dans le même sens que lui et montrer à quelles conditions, sans aucun syncrétisme, le dialogue interreligieux, débarrassé de sa gangue pseudo-doctrinale issue du Concile, apparaît non seulement comme possible, mais comme souhaitable. Il ne s'agit pas de répéter l'optimisme béat de Nostra aetate sur "ce qui nous unit" qui serait "plus important" que "ce qui nous divise". Ce discours au sucre n'intéresse plus personne, qu'un quarteron de plus en plus réduit de nostalgiques de Vatican II.

Mais, dans la mondialisation morale et mentale que nous vivons bon gré mal gré, nous ne pouvons pas faire comme si les autres religions n'existaient pas ou comme si, en tant que catholiques, nous n'avions rien à leur dire. Il faut donc un discours. "Vatican II a ouvert des pistes" disait joliment Benoît XVI dans son dialogue avec Paolo d'Arcis. Le grand mérite du Concile est d'avoir ouvert les dossiers : de nous montrer le travail à fournir. Mais ce travail, il reste à faire... et ce n'est pas en cultivant je ne sais quelle très gauche Troisième voie que l'on sera à l'aise pour s'y mettre, mais alors vraiment ! Plutôt que de nous satisfaire d'une fragile dialectique, où la seule chose qui importerait en définitive tiendrait à des jugements de personnes et à des effets de clientèles, notre "raison d'être" à nous traditionalistes est d'aller aux principes pour penser la situation absolument inédite dans laquelle se trouve notre chère Église. Il faut seulement retrousser nos manches !

6 commentaires:

  1. "les théologiens doivent travailler dans le même sens que l(e pape)"

    Oh mon Dieu, comme vous avez raison ! Il serait temps que non seulement les théologiens, mais tous les catholiques, devraient mettre leur point d'honneur à travailler dans le même sens que le Pape ! Au lieu de cela, on voit des gens pleins de zèle amer s'imaginer capables de mieux connaître la foi et la "Tradition" que lui et être en meilleure position que lui pour la défendre ! Cela serait risible si le mal qui résultait de tels comportements n'étaient pas aussi grave : c'est tout simplement la perte du sens catholique... Les mêmes se gargarisent d'ailleurs des Trois Blancheurs de Don Bosco sans se rendre compte qu'on ne peut en mépriser une sans mépriser les trois car l'Eglise est bâtie sur le pape... Les Protestants aussi ont cru pouvoir se passer du Pape, il me semble...
    Quand on voit des esprits limités utiliser la messe ou le chemin de la Croix comme des outils d'agit-prop, sans être capables de prendre la mesure de l'immense travail accompli par ce pape (et je ne parle même pas de mesurer la profondeur de sa pensée et de sa spiritualité car leur étroitesse d'esprit leur est en réalité une circonstance atténuante en la matière), on se dit que le diable est visiblement très fort ! Et on se saisit de son chapelet pour invoquer Celle qui est la seule à pouvoir faire arriver l'Eglise à bon port... (je précise : il s'agit de Notre Dame hein ! car les plus bercés pourraient s'imaginer que je fais allusion à une certaine fraternité, tant ils ont transféré sur elle une dévotion qu'ils refusent au pape, alors que les promesses d'inerrance sont fondées sur le second et non sur la première...)

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  2. Ni thuriféraire ni "protestantisme"(au sens litéral) extrémiste,systématique,névrotique et iconoclaste .

    La Vérité , le Christ, le Verbe, nous rendront libre et non un papisme benoit ni un anti-papisme convulsif(de droite comme de gauche d'ailleurs). Comme quoi, Julien torrentiel, ne vs en déplaise , nous avons besoin de théologie et dc d'intelligence et donc de la patristique, de la scholastique etc....
    Car le pape n'est que le pape, c'est tout et c'est beaucoup...Depuis Pierre en passant par les papes de la Renaissance...jusqu'à aujourd'hui.
    Ce n'est pas du tout "mépriser" Benoit XVI que de dire qu'il semblerait que son discours ce soit nettement infléchi et devenu bcp plus "consensuel" depuis Ratisbone et les attaques médiatiques en règle et à l'arme lourde dt il a été l'objet immédiatement et depuis les attaques concentrés,massives et intensives sur la question de la pédophilie dans le clergé...Aux bien-pensants de sacristies, je dirais sortez un peu voyez le monde et l'Eglise dans quel état pitoyables ils sont et voyez l'histoire Catherine de Sienne, Thérèse d'Avila, Savonarole et même Luther(pour lequel Benoit XVI a sans doute été un peu trop "gentil" récemment), voyez l'exécution des templiers, l'interdiction des jésuites sous la pression des cours d'europe et des voltairiens...et fourbissez vos armes...spirituelles d'abord.

    Il y aurait tant de choses à dire aujourd'hui par la seule autorité morale qui tient encore debout(plus ou moins) et c'est le silence ou un murmure à peine perceptible qui ne gêne en rien les nouveaux puissants dans leurs basses oeuvres et leurs mensonges et qui n'éclaire pas les foules sans bergers.

    Le manque de vocations n'est pas imputable à la société mais à l'Eglise et à ses pasteurs !
    Vous ne voulez pas le voir par confort personnel , vos enfants feront tous HEC(s'ils le peuvent),c'est très bien dormez tranquille et tant pis pour vous et pour eux....


    PS.: Quelles sont les nominations d'evêque sous Benoit XVI....?

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  3. A Hermeneias, puisque vous me prenez à témoin, bien que je ne sois volontairement pas intervenu sur cette "topique" (comme dirait Thierry), qui me semble ne concerner que les traditionalistes de stricte observance dont je ne suis pas :

    où avez-vous pris que je méprisais le recours à la théologie parce que je ne suis pas un "fan" de patristique, ni de scolastique, avec ou sans "h"? Ce que je préconise est un retour à la théologie fondamentale, pas du tout un abandon de la théologie, et ma préconisation est déjà ancienne et fidèle, voyez mes interventions sur ce blog !

    D'autre part, vous voulez que nous fourbissions nos armes pour nous défendre contre l'agression du monde? Mais nous risquerions bien de les fourbir pour nous défendre contre un monde qui ne croit seulement pas nous agresser, qui ne comprendrait pas notre offensive et qui nous prendrait pour ses agresseurs.

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  4. Anonyme de 19h45 encore

    Déviation, gauchissement, encore et toujours… En revêtant la livrée de la Tradition pour mieux entraîner les fidèles vers le modernisme ?

    Une fois de plus, vous bottez en touche. Le véritable problème dans la citation de la lettre de Benoît XVI, est ici : "Mais cette commémoration doit être célébrée de toutes façons..."

    Personne ne semble se demander pourquoi doit-elle l'être. Qu'est-ce qui oblige Benoît XVI à ce faire ? Sinon son intention objective car démontrée par ses actes répétés (visites aux synagogues, mosquées, temples, ...) de poursuivre sur la voie du faux oecuménisme, condamné jusqu'à Pie XII.

    De la même manière, lorsque vous indiquez : "nous ne pouvons pas faire comme si les autres religions n'existaient pas ou comme si, en tant que catholiques, nous n'avions rien à leur dire."

    En effet, tout d'abord, vous parlez des "autres religions" et non des fausses religions comme il eut fallu. Par ailleurs, le pape doit-il parler aux fausses religions en tant qu'institutions et ce faisant les légitimer ? Ou doit-il chercher à convertir leurs fidèles ?

    Le problème ne vient pas du fait que Benoît XVI parlerait aux fidèles des fausses religions pour les convertir, ce qui n'est aucunement le cas ; mais du fait qu'il dialogue avec leurs représentants institutionnels. Ce faisant, il place de fait la seule Eglise dans une position d'égalité avec les fausses religions, leur permettant de parler à la Sainte Eglise de Dieu sur le même plan où Elle leur parle.

    Il ne s'agit donc pas d'un évènement où le pape s'adresserait aux fidèles des fausses religions, ces derniers venant recueillir la parole de la Vérité. Non, pas du tout et c'est même le contraire dont il s'agit puisque les fausses religions sont ici supposées s'adresser au pape comme à l'égal de leurs propres représentants.
    Dois-je vous rappeler Mortalium Animos de Pie XI : « De telles entreprises ne peuvent, en aucune manière, être approuvées par les catholiques, puisqu'elles s'appuient sur la théorie erronée que les religions sont toutes plus ou moins bonnes et louables, en ce sens que toutes également, bien que de manières différentes, manifestent et signifient le sentiment naturel et inné qui nous porte vers Dieu et nous pousse à reconnaître avec respect sa puissance. En vérité, les partisans de cette théorie s'égarent en pleine erreur, mais de plus, en pervertissant la notion de la vraie religion ils la répudient, et ils versent par étapes dans le naturalisme et l'athéisme. La conclusion est claire: se solidariser des partisans et des propagateurs de pareilles doctrines, c'est s'éloigner complètement de la religion divinement révélée. » ?

    Je répète pour que cela soit clair : "c’est s'éloigner complètement de la religion divinement révélée".

    Alors pourquoi y revenir ?

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  5. @julien torrentiel

    Précisément la "théologie fondamentale" peu de gens savent de quoi il s'agit !
    Et votre "préconisation" "ancienne et fidèle" aggrave le problème en prônant avec insistance une sorte de "non-théologie" qui descend paresseusement le fleuve de la "déconstruction" à la mode. Rien ne peut s'opposer à votre "fondamentalisme" fondamental au fond et s'il n'y a plus de théologie qui tienne ...faisons de la politique ou du commerce ou des réunions inter-religieuses en attendant la charia.

    Marrant tout ça

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  6. Aux fanatiques anti-Assise du Tradiland :
    En quoi etes-vous différents des partisans de cette charia que vous évoquez ? Pour eux aussi il n'y a que nos "fausses religions" et la leur, la vraie. Et ce ne sont pas eux qui seront à Assise, non, car précisemment ils en pensent à peu près la même chose que vous : "haram" ! = péché !

    Ceux qui y seront, ce sont ceux qui ont répondu à l'appel du Pape, les "hominibus bone voluntatis" qui cherchent leur chemin du Ciel à la façon que leur ont transmis leurs ancêtres et que le Christ ne repousserait point - n'est-ce pas à la Noce qu'il a invité les hommes de tous les chemins (cf l'Evangile du dimanche passé) ?
    Si leur coeur est sincère et si c'est Dieu qu'ils adorent à leur façon (dans l'intention), Jésus saura faire la différence. Et peut-être ce ne sera point un juif ou un musulman qui sera surpris en habits non appropriés pour la noce, mais celui qui, au lieu de prier Dieu, aimer les hommes et sortir enfin de soi-même, va chercher le Mal et l'erreur partout, jusqu'à dans les actions du Saint Père (!!) en finissant par se prendre soi-même pour Dieu le Père !

    Quel orgueil demesuré, les mots en tombent...

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