mercredi 1 mai 2013

Veiller avec les veilleurs

"Cette demi-heure n'est pas symbolique, elle est politique". Axel est un gars tout simple, un gars de chez nous. A côté de lui, Alix, silencieuse, rayonne. Une fois de plus les Veilleurs, puisque c'est ainsi qu'on les appelle, vont emporter la mise. Dans le calme La chanson de l'Espérance sur un tempo hyper-lent et murmurée. Le chant des partisans avec une tranquillité qui n'est sûrement pas dans l'original de Kessel. Pour moi qui revient de Bretagne, ça fait un choc. Le choc du calme et d'une détermination que partage le millier de jeunes qui suivra Axel du Louvre à l'Opéra.

Quant à moi, je suis de passage, venant d'adresser à un public nombreux, au Centre Saint Paul, une conférence dont le thème était : Hannah Arendt, le totalitarisme et la désobéissance civile. Une amie me fait souvenir d'un petit fait : le mot désobéissance civile, Axel l'a employé déjà. C'est la fameuse demi-heure mythique, gagnée sur des flics qui ce soir-là étaient très agressifs : "Lesquels parmi vous sont prêts à la désobéissance civile ?". Tout le monde avait levé la main, sans un bruit.

Mais qu'est-ce que la désobéissance civile selon Hannah Arendt : ni l'objection de conscience ni non plus une résistance à l'autorité qui serait purement subjective. La désobéissance civile a trois caractéristiques selon la philosophe : la publicité (on résiste pour les autres), la non-violence (on résiste sans rébellion ni révolution), le fait de provenir non pas d'individus isolés mais de groupes, parce que c'est essentiellement un geste politique et pas simplement un geste moral. La désobéissance civile est un geste qui n'est ni réactionnaire ni révolutionnaire, c'est un geste conservateur : il s'agit d'invoquer l'esprit de la loi contre la loi...

Je me suis demandé si les Veilleurs étaient en train d'instaurer un espace de résistance ou de désobéissance civile. Et pourquoi non ? Toute démocratie, si elle ne souhaite pas être dominée par la dictature la plus pernicieuse et la plus cachée, la tyrannie de la majorité, doit avoir recours à des espaces de désobéissance civile pour équilibrer le jeu politique de la majorité et de la minorité.

De ce point de vue, l'espace de la désobéissance civile est indispensable en toute vraie démocratie. Elle nous vaccine contre le Contrat social à la mode de Rousseau (où la majorité est prise comme l'unanimité citoyenne en un redoutable tour de passe passe). Comme l'écrit Hannah Arendt : "Le consensus de fait ne peut représenter le consensus de droit. Si tel était le cas, alors une humanité hautement organisée pourrait en arriver à conclure le plus démocratiquement du monde, c'est-à-dire à la majorité, que l'humanité en tant que tout aurait avantage à liquider certaines de ses parties" (cit. in A.M. ROVIELLO, Sens commun et modernité chez HA").

Je reviens demain sur Hannah et sur le film extraordinaire que vient de lui consacrer Margarethe von Trotta (allez le voir !). Mais je crois que Les Veilleurs pourraient bien réussir à dé-rousseauiser notre République, en inscrivant invisiblement sur le sol de Paris, cet espace de liberté spirituelle, où un vivant esprit de la loi peut juger des lois perverses, même de celles qui se recommandent d'un vote républicain pour s'imposer violemment à tous les citoyens. Loin d'être un coup de canif dans la démocratie, la désobéissance civile apparaît comme le seul moyen d'être vraiment démocrate. Il s'agit d'empêcher que se mette en place cette tyrannie de la majorité, où, disait déjà Aristote, "tout le peuple est comme un seul tyran". Hannah Arendt, convaincue de l'importance de ces considérations (voir son article dans Du mensonge à la violence) appelait à constitutionnaliser la désobéissance civile.

En attendant il faut encourager les Veilleurs, les aider à faire vivre en France, pour la première fois depuis longtemps, une vraie démocratie. Le temps des Veilleurs est bien un temps politique, comme le disait Axel : le temps de la désobéissance civile.

3 commentaires:

  1. "des flics qui ce soir-là étaient très agressifs" --> L'abbé G de T parle bien évidemment de la soirée du 17 au 18 avril 2013, durant laquelle les forces de l'ordre ne connaissant pas encore le code des Veilleurs alors en éclosion, ont embarqué (bien inutilement) nombre d'entre eux

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  2. Pardonnez-moi Monsieru le Webmestre si mon propos n'a pas de rapport avec le titre de votre article (quoique) mais ce n'est pas pour me vanter, cet après-midi je suis allé voir un très beau film israélien intitulé "Le coeur à ses raisons"; une très belle histoire d'amour, de deuil et de mariage dans une famille hassidique traditionnelle. Dans la critique du Figaro le journaliste cite ces mots de la réalisatrice Rama Burshtein : «C'est vrai la beauté est très importante. Elle est à la fois familière et sacrée, comme un rayon de la splendeur divine. Les femmes sont élevées comme des princesses, on a un profond sentiment de la noblesse des êtres. Les enfants de Dieu sont des fils de roi.»

    La réalisatrice a certainement été influencée par Jane Austen (mon auteur anglais préférée) et surement par "Pride and Prejudice" en ce qui conerne l'évolution des sentiments des protagonistes.

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  3. "les aider à faire vivre en France, pour la première fois depuis longtemps, une vraie démocratie"

    C'est super mignon, super citoyen, mais je pense très sincèrement que ça va faire doucement sourire la plus grande partie des veilleurs...

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