Je n'ai pas encore parlé des rubriques liturgiques, ces indication en rouge (ruber en latin), qui donnent quelques indications sur le texte et sur la manière de le dire. Les rubriques ne sont pas très nombreuses et laissent finalement au prêtre une certaine latitude d'interprétaation du texte. Au début du paragraphe Communicantes, il y a deux mots sur lesquels il convient d'insister : Infra actionem. Deux mots en rouge que l'on pourrait traduire : Au coeur de l'action.
Soulignons au passage que le rite de la messe est formulée dans un beau latin classique. Cette rubrique rouge - Infra actionem - nous donne occasion de trouver une "faute" de latin. En latin classique on dirait Intra : à l'intérieur... C'est donc simplement cette indication marginale, cette rubrique qui nous fait toucher du doigt le latin de cuisine, ou si vous voulez le latin médiéval en ce qu'il a de spécifique. On trouve Infra pour intra dans le dictionnaire Du Cange, de la latinité tardive.
Notons en revanche pour ce qui concerne non une rubrique mais le texte lui-même, qu'à partir du Re igitur, dans le Canon, il n'y a pas de verbe conjugué, avant la consécration, sinon des verbes exprimant le sacrifice. Le présent paragraphe a pour seul verbe Communicantes... un participe présent, qui n'est donc pas un verbe conjugué. Il me semble que ce n'est pas un hasard : Communicantes est mis en apposition à "Nous t'offrons ou ils t'offrent..." C'est en accomplissant le sacrifice que nous sommes en communion. Lorsque le sacrifice de l'Eglise ne s'accomplit plus, la communion dans l'Eglise se trouve compromise à sa source sacrificielle.
Que nous dit en lui-même le participe présent communicantes ? On pourrait en proposer une traduction un peu appuyée, qui rejoindrait la théologie du cardinal de Bérulle sur les états de Jésus Christ, et marquerait bien l'action divino-humaine que représente la communion ecclésiale dont nous parlons pour l'heure. On pourrait risquer : "Etant en état de communion". Un état qui nous permet de transcender le ciel et la terre, de tutoyer les saints, de monter sur le Thabor, nous trouvant non seulement en l'état ordinaire où se trouve usuellement les animaux plus ou moins raisonnables que nous sommes, mais nous trouvant, communiant avec les saints, ceux qui vivent encore sur cette terre ou tous ceux qui sont déjà ressuscités.
La communion ecclésiastique ne désigne pas je ne sais quelle bisounourserie obligatoire pour tous, aux termes de laquelle il faudrait simplement s'empêcher de parler trop fort pour ne pas gêner la parole moyenne, censément de rigueur en telle circonstance. La communion ecclésiastique a sa source active dans le Sacrement de l'eucharistie qui de manière constante irrigue les coeurs en leur donnant invisiblement la grâce de l'unité.
Mais puisque, une fois n'est pas coutume, c'est la rubrique que nous commentons : infra actionem, et du commentaire de la rubrique que nous sommes partis, il faut maintenant expliquer le mot : actionem, dans l'expression Infra actionem. De quelle action s'agit-il ? Si vous suivez quelques uns de ces posts, si vous suivez le présent commentaire sur le sens du participe présent Communicantes, qui désigne un état, pas une action, parce que communicantes n'est pas un verbe conjugué mais un participe présent, vous n'aurez aucun doute : il s'agit du sacrifice. L'action qui a lieu à la messe est celle du sacrifice du Christ épousant le sacrifice de l'Eglise, de sorte que les deux ne font qu'un.
Comment comprendre que le sacrifice du calvaire, qui a eu lieu vraisemblablement le 7 d'avril de l'an 30, constitue une seule action avec le sacrifice de la messe, qui a lieu depuis, sur chacun des autels (fussent-ils de fortune) où il est célébré ? Il faut remonter à une comparaison entre le jeudi et le vendredi saint, entre le dernier repas qui est la Cène du Seigneur et le sacrifice sanglant sur le Golgotha. Le jeudi, Jésus prend du pain et dit : "Ceci est mon corps". Il prend du vin et déclare ; "Ceci est le calice de mon sang". A-t-il accompli son sacrifice ? Oui, totalement en intention. Mais comme dit saint Paul aux Hébreux : "Sans effusion de sang, il n'y a pas de rémission". Disons que dès le jeudi saint, la séparation des espèces qui signifient son corps et son sang manifeste que la sacrifice est réalisé en intention.Le mode de réalisation du sacrifice est différent. Le sacrifice est le même.
Si l'on compare le Golgotha et la messe, on retrouve la même action sacrificielle, mais évidemment selon un mode de réalisation bien différent ; la croix se réalise modo immolatitio, selon un mode d'immolation. A la messe, le sacrifice se réalise selon un mode sacramentelle, à la fois caché et manifesté, mais manifesté autrement. C'est la même réalité à laquelle on assiste, que ce soit à la Cène, au Golgotha ou à chaque messe. Cette réalité n'est pas seulement représentée comme un tableau ou comme un mémorial, elle se réalise, toujours la même, selon un mode sacramentel, en manifestant non pas seulement l'intention sacrificielle du Christ comme à la Cène, non pas seulement l'immolation sacrificielle du Christ comme au Golgotha, mais l'application sacrificielle à tous les volontaires, des fruits de ce sacrifice ; Heureux les invités au repas du Seigneur ! Parce qu'ils ont répondu à l'invitation du Seigneur, ils reçoivent les grâces attachés au sacrifice de la croix, qui ne prend visiblement toute sa dimension que dans cette communion solennelle (communion sacramentelle ou communion de désir) qui accomplit le sacrifice comme don d'amour à l'hummanité.
Voilà ce que la rubrique appelle l'action dans l'expression Infra actionem : le sacrifice de la messe n'est pas une réunion de prière comme les autres, qui se déroulerait simplement dans l'esprit de charité qui est celui du messie. Le sacrement de l'eucharistie n'est pas simplement un mémorial des paroles et des actes de Jésus le jeudi saint. Le sacrifice de la messe n'est pas seulement un sacrifice de louange, même si, nous l'avons vu, il est cela : mais il serait hérétique de prétendre qu'il n'est que cela.
Le sacrifice de la messe est l'action sacrée par laquelle aujourd'hui le Christ ressuscité est toujours vivant pour intercéder en notre faveur et appliquer son sacrifice à ceux qui lui en font humblement la demande. Et dans cette demande, il n'y a pas d'un côté les prêtres et de l'autre les fidèles. Chacun, assistant à la messe, fait au Christ la demande de grâce qui va lui permettre de nourrir son propre sacrifice intérieur, en vivant dans la lumière du ressuscité.
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