Au temps de ma jeunesse, il était courant d'entendre que la messe est "un sacrifice de louange". J'avoue que je ne comprenais pas très bien cette expression. Je la comprends mieux aujourd'hui : il y a dans le saint sacrifice de la messe une dimension de louange au Père par le Christ, qui se trouve en particulier dans la Préface. Notre louange est une manière - humble - pour nous d'être un peu à la hauteur de l'événement qui s'annonce : la venue du Christ sous l'apparence du pain et du vin. Que sommes-nous face à un tel événement ? Et notre louange suffit-elle ?
A l'évidence, elle ne suffit pas. Et c'est pourquoi, dès la préface, l'Eglise, qui connaît son insuffisance, demande aux anges et aux archanges de rendre grâce avec elle : "Et donc avec les anges et les archanges, les trônes et les dominations et avec la milice de l'armée céleste nous chantons l'hymne de votre gloire en disant sans fin : Saint, saint saint le Seigneur". Le trisagion éternel, ce triple Sanctus, louange à la Trinité s'élève d'abord parmi les anges, qui voient Dieu alors que les hommes ne le voient pas, les anges qui savent louer Dieu alors que les hommes n'y parviennent qu'avec toute leur maladresse et leurs tendances au péché. Nous chantons avec les anges et non les anges avec nous, nous nous téléportons dans le cadre de la liturgie céleste, celle qui est décrite par allusion dans le livre de l'Apocalypse, celle dont parle saint Augustin dans son Commentaire du psaume 42 : "Il y a un autel sublime et invisible, dont l'homme injuste ne peut s'approcher". Et dans les Questions évangéliques I, 34, nous lisons : ""Il faut comprendre par le temple et l'autel le Christ lui-même. Et pour ce qui est de l'or et des dons offerts, ce sont les louanges et les sacrifices de prières qu'en lui et par lui nous offrons. Ce n'est pas lui qui est sanctifié par ses louanges mais ces louanges qui sont sanctifiées par lui".
Qu'est-ce qui fait la grandeur de la messe ? Non pas les beaux vêtements ni les vases de métaux précieux. Ceux-là ne sont que des reflets. Ce qui fait la grandeur de la liturgie terrestre, c'est qu'elle est une imitation de la liturgie céleste. Elle est sainte, cette messe, de la sainteté même du Christ. Ainsi l'évêque dit-il au sous diacre lors de son ordination : "Faites si bien qu'en accomplissant avec tout le soin et toute la bienséance nécessaires les fonctions visibles de votre ministère, vous remplissiez aussi le ministère invisible qu'elles représentent". Ainsi le sacrifice de louange n'est un vrai sacrifice que parce que les louanges sont celles des anges, et avant tout celles que le Fils de Dieu offre à son Père et sanctifie ainsi avant que nous ne nous en saisissions.
Il nous faut ici méditer sur la formule bien connue de M. Olier, le fondateur de l'ordre de Saint Sulpice, qui fut longtemps curé de cette paroisse : "Le Christ est le religieux de Dieu". Il n'y a vrai sacrifice de louange que lorsque nous nous attachons à considérer le Christ comme le religieux de Dieu, le seul modèle de notre louange. Notre religion, notre relation à Dieu n'a de grandeur et de vérité que parce qu'"agissant en mémoire de lui" nous construisons le mémorial du sacrifice du Christ, lequel Christ est "toujours vivant pour intercéder en notre faveur" (Hébr. 7, 25). "C'est pour cela, ajoute l'auteur de l'Epître aux Hébreux, qu'il peut sauver parfaitement ceux qui s'approche de Dieu par lui".
Tel est "le mystère de la piété" auquel il est fait allusion aussi en I Tim 3, 16 : notre piété chrétienne puise à une réalité surnaturelle, divine, qui est manifestée ici-bas de différentes manières, dans l'incarnation du Verbe de Dieu d'abord : "Il a été manifesté dans la chair" poursuit saint Paul exprimant ce mystère du Dieu-homme.
Dans sa résurrection ensuite : "il a été justifié par l'Esprit", lui qui fut pendu au bois et que l'on estimait pour cela maudit de Dieu..
Dans la manifestation universelle de cette incarnation : il a été "vu des anges" comme nous le rappelons ici : la première annonce du mystère de la piété a eu lieu parmi les anges.
Il a été "proclamé chez les païens" par le ministère des apôtres, "cru dans le monde" et cette foi en lui, qui naît partout est le résultat tangible du ministère des apôtres.
Enfin il a été "enlevé dans la gloire" où ce mystère de la piété trouve son lieu véritable dans un sanctuaire non fait de mains d'hommes" (Hébr. 8, 2 ; 9, 11 et 9, 24) au long d'un culte éternel dont le culte terrestre n'est que la réactualisation spatio-temporelle.
Ce mystère de la piété est partagé par les hommes et par les anges, mais les anges "qui voient Dieu" ont une bonne longueur d'avance sur nous. C'est pour cela qu'on les invoque avant d'entrée dans le mystère de la consécration, parce qu'en Jésus-Christ ressuscité et assis à la droite de Dieu, les anges célèbrent déjà le véritable culte, le culte en esprit et en vérité, dont le Temple est le corps du Christ comme dit le Christ lui-même en saint Jean, corps dans lequel trouvent place toutes nos louanges, corps offert à Dieu dans la gloire de sa résurrection.
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