lundi 25 mai 2020

Le Canon de la messe

Je ne veux pas enfermer le premier Memento dans la théologie de la quête à laquelle nous avons fait allusion dans le dernier post. On admirera le réalisme ecclésiastique qui fait une part à la nécessité financière  et à la nécessité des espèces sonnantes et trébuchantes. Il y a beaucoup plus beau, ce sont les lignes qui viennent, lignes décisives dans la théologie du sacrifice de la messe, où l'on envisage une autre quête, la quête de Dieu : "Nous vous offrons pour eux, ou ils  vous offrent eux-mêmes ce sacrifice de louange, pour eux, pour tous les leurs, pour la rédemption de leur âme, pour l'espérance de salut et  de santé, a vous ils rendent leurs hommages Dieu éternel, vivant et vrai".

Première remarque : ce "ou' : Nous vous offronss ou ils vous offrent. En latin on distingue un "ou" alternatif, "aut... aut", que l'on peut  rendre en français par "ou bien... ou bien"; il y a aussi un ou cumulatif, qui signifie plutôt "ou encore" : vel est très proche de la conjonction "et". C'est ce deuxième emploi, l'emploi du vel cumulatif, que l'on trouve ici. Ces offrandes les uns pour les autres ne sont pas exclusives. Ce n'est pas parce que l'on offre sa prière pour Marc que l'on ne l'offre pas pour Auriane ou simplement pour soi. On peut se tromper d'intention de prière, ne pas comprendre qui a le plus besoin de nos offrandes, le Seigneur fait avec. Pas une de nos prière ne s'élève en vain, m^me si Dieu en cours de route, en change l'intention avouée.

Offrir la prière, c'est de cela qu'il s'agit lorsque l'on parle du sacrifice de louange. Nous l'avons dit ce pouvoir d'offrir la prière est ce qui fait le peuple de prêtres, le peuple célébrant le sacrifice de louange. .A la messe, nous sommes tous des offrants et non pas seulement durant le temps de l'offertoire mais ici, plus tard dans l'action sacrée, dans le texte sacré du canon. Cette manière de situer la prière pour autrui au coeur de l'action sacrée n'a pas toujours fait l'unanimité. C'est le pape Innocent Ier, pape entre 401 et 417, qui a ordonné que les dyptiques soient mis au coeur de l'action sacrée, que la prière de demande ne soit jamais évacué. Certains voyaient mieux les dyptiques (ces intentions de prière) pendant l'offertoire, la consécration tout entière ne devant être qu'une prière d'adoration, ce qu'elle est bien sûr mais pas uniquement, pas exclusivement. Le Seigneur vient au milieu de nous comme un vraie chrétien, il est plein de charité, il s'occupe des pauvres que nous sommes, il a égard à nos demandes pour les uns et les autres, il ne vient pas au milieu de nous sans satisfaire ce qu'il peut satisfaire selon sa Providence indicible.

Le chrétien (et pas seulement le prêtre) est toujours acteur du sacrifice de louange, pas seulement à l'offertoire mais durant tout le saint sacrifice, nous le verrons à nouveau plus tard.et pas seulement acteur à l'offertoire, mais acteur jusque dans la sainte consécration, où les prières de l'homme se mélangent intimement à la prière du Christ, en sorte que notre louange soit la louange du Christ à son Père et que la louange du Christ religieux de Dieu soit finalement la nôtre, en donnant à nos cris une valeur divine. Voilà, nous l'avons vu, ce que saint Paul appelait déjà le mystère de la piété,, cet entremêlement sacré entre la prière du Christ et la nôtre, qui fait toute la valeur unique de la sainte messe.

Ainsi nos demandes, pour le pape et les évêques mais aussi pour nos amis et pour les gens qui nous sont chers prennent leur place, toute leur place, et leur dimension surnaturelle dans le canon de la messe, dans la règle liturgique, qui est infrangible parce qu'elle est divine. Gloire à Innocent Ier de l'avoir compris ! Ainsi, à aucun moment de la sainte liturgie nous ne sommes de simples spectateurs du rite sacré.Nous sommes ontologiquement impliqués dans tous les moments de la prière. Nous ne venons pas à la messe dans une posture passive, uniquement pour recevoir, ou bien comme au catéchisme de notre enfance pour signer je ne sais quel certificat de présence, qui se transformerait, au cas où, en une autorisation d'absence à faire parapher par les parents. La messe n'est pas une simple représentation, un théâtre sacré comme certains se sont plus à le dire. Pas seulement. La messe déploie la réalité de notre destinée surnaturelle, elle nous fait devenir, l'espace d'une heure, ce que nous sommes déjà sans le savoir vraiment encore, au delà du temps physique, dans l'Eternité divine. A travers les dyptiques, ces modestes prières pour les autres que nous offrons, que nous présentons au Seigneur, Agneau sacrifié et Agneau divinisateur, dans la communion des saints, nous devenons à chaque messe des Christs, des médiateurs de la Présence divine.

L'assistance à la messe est une obligation certes,c'est une obligation qui n'est pas légale mais ontologique : à la messe nous sommes ce que nous serons dans le Ciel. Et si nous ne le sommes pas, si nous ne prenons pas notre place au Banquet sacramentel, nous ne serons pas au Banquet éternel : "Celui qui mange ma chairr et boit mon sang possède la vie éternelle et moi je le ressusciterai au dernier jour"; "Comment cet homme peut-il donner sa chair à manger" demandent les gens. "Si vous ne mangez pas ma chair et ne buvez pas mon sang, vous n'aurez pas la vie en vous" (Jean 6) répond le Seigneur.

C'est en ce sens que le canon de la messe est la règle de la prière, de toute prière. V : elle nous marque notre place au banquet de l'Agneau divin. Voilà d'ailleurs la raison pour laquelle il est mauvais de transformer cette règle, ce canon, en plusieurs prières eucharistiques, qui ne sont pas des règles (kanones) ne serait-ce que parce qu'elles sont multiples. Prières eucharistiques pour les enfants, prières eucharistiques pour la réconciliation, en plus des quatre prières eucharistiques classiques, elles sont  des narrations possibles, s'enrichissant les unes les autres, tout en restant hélas à la périphérie du Mystère, en une constante et trop humaine approximation narrative.

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