En disant les deux premiers mots de cette prière, le prêtre étend les mains sur les oblats (le pain et le vin), selon, un geste dont l'invention est tardive : il remonterait au XVIème siècle. Mais, si tardif soit-il, il serait repris de l'Ancien Testament : "Tu poseras la main sur la tête de la victime et celle-ci sera agréé pour que l'on fasse sur elle le rite de l'expiation" (Lév. 1, 4 cf. Ex. 29, 10). Ce geste marque ainsi le début du sacrifice proprement dit. Les deux premiers mots peuvent être dits à voix claire. Et le servant de messe marque d'un coup de sonnette ce commencement de l'offrande la plus sacrée, non pas le sacrifiice de l'homme dont nous avons abondamment parlé, mais le sacrifice de la victime divine, celle qui récapitule en elle tous les sacrifices. Le chant du Sanctus est achevé (ou sera achevé après la consécration). Pour l'instant le célébrant s'enferme dans le silence.
Le prêtre demande à nouveau que "soit reçue cette offrande", qui est, dit-il, celle de sa propre servitude en tant que prêtre et celle de toute la famille de Dieu. Avec cette offrande de la famille de Dieu tout entière (cunctae), nous aurions un nouvel indice en faveur d'un sacerdoce des fidèles qui ne s'oppose pas (comme on le croit aujourd'hui) au sacerdoce des prêtres ordonnés mais qui en dépend, comme la vertu d'offrande s'alimente à l'offrande et naît finalement, quelle que soit son intention, de celui qui peut offrir le sacrifice. L'offrande est en premier lieu offerte par la servitude du ministre à sa fonction de sacrificateur, fonction si grande et si noble qu'elle aspire et qu'elle inspire toute sa vie.
La servitude du prêtre, dont il est question dans cette prière, n'a rien à voir avec le "voeu de servitude" à Marie et à Jésus qu'avait imaginé pour les oratoriens français et pour les carmélites le cardinal de Bérulle. La perspective de Bérullle en 1615, est celle de la passivité mystique, qui sera celle de Laurent de la Résurrection et de Fénelon à la fin du 17ème siècle. Il s'agit de ne faire obstacle en rien à la volonté de Dieu sur chaque être qu'il a créé. Le cardinal de Bérulle résume cela parfaitement, il s'agit d'avoir accès à une liberté divine par la passivité qui laisse Dieu agir sur ma vie : "Je supplie la Très sainte Vierge, je supplie l'âme sainte et déifiée de Jésus de daigner prendre par elle-même la puissance sur moi que je ne me peux donner et qu'elle me rende son esclave en la manière qu'elle connaît et que je ne connais pas". Une telle spiritualité, qui sera celle de l'Ecole française est une spiritualité magnifique pour les prêtres. Pas question d'en critiquer le caractère mystique, comme le fit Jacques Maritain dans Approches sans entraves.
Mais l'esclavage dont il est question, juste avant la consécration, ne renvoie pas à une attitude mystique, à cette passivité mystique, qui fait naître dans le coeur la vérité. Servitudinis nostrae : ces deux mots, avec le pronom possessif pluriel, marquent la manière dont doit être vécue la fonction du sacerdoce par le sacrificateur. Il ne s'agit pas pour lui de s'occuper de son "moi", ni de trouver une méthode passive à travers laquelle il pourra se découvrir lui-même en même temps qu'il découvrira la volonté de Dieu sur lui. Ca c'est la spiritualité carme et la spiritualité bérullienne (pas si éloignées l'une de l'autre). Le prêtre agit dans le sacrifice du Christ in persona Christi. Il n'est qu'un instrument s'il veut être un continuateur de Jésus Christ. Il est au service de son propre pouvoir, c'est là le fond de l'enseignement de l'Hanc igitur sur le sacerdoce.
Dans ma jeunesse , j'entendais les prêtres qui nous catéchisaient répéter gravement ce qu'on leur avait enseigné : "Le prêtre n'est pas un distributeur de sacrement". Ah bon ? Mais alors il, est quoi ? Un gentil organisateur de pélerinages ? Un remueur de foules ? Un journaliste ? Un psychologue sans diplomes ? Une assistante sociale sans réseau ? Non le premier rôle, la première fonction du prêtre, c'est de donner les sacrements à travers lesquels passe, mieux qu'à travers tous les discours, la grâce de Dieu. Le prêtre doit être l'esclave de cette fonction, qui est à la fois la plus honorable et la plus discrète, celle d'un instrument (voilà toute la discrétion) et celle d'un continuateur du Christ (voilà l'honneur), ce Christ qui a institué les sacrements et en particulier,- de quelle façon ! - l'eucharistie.
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