Texte repris de Monde&Vie
Un film sur Jeanne d’Arc après celui de Luc Besson et celui de Robert Bresson, l’un saturant le genre « western médiéval » et l’autre remportant la palme dans la catégorie œuvre d’art, c’est possible. Philippe Ramos l’a fait. Jeanne captive est dans les salles obscures depuis hier.
Le titre anglais The silence of Joan donne une idée de l’exigence du réalisateur. Il est vrai que Clémence Poésy, qui a le rôle titre, passe toute la première partie du film dans un mutisme absolu, après son évasion manquée de la Tour de Beaurevoir où elle avait tenté le Grand saut. Pourquoi ce silence de Jeanne ? Parce que ses voix ne la visitent plus. Elle a enfreint leur ordre. Elle a sauté malgré tout. Elle est comme abandonnée. Abandonnée des hommes, et d’abord de son roi Charles VII qui semble ravi qu’elle se tienne tranquille dans la geôle de Jean de Luxembourg. Abandonnée de Dieu aussi. Ce double abandon ressenti comme le drame le plus absolu la contraint en quelque sorte au silence.
L’actrice est à la hauteur de ce défi. Par ce silence, elle exprime vraiment la puissance de l’esprit. Son corps est entravé. Sa vie est mise à prix (elle sera racheté par les Anglais au prix que vaut un grand Capitaine). Mais elle veut montrer qu’elle ne regrette rien, qu’elle ne cherche plus rien, qu’elle attend. Qui? Charles VII? Je crois qu’elle n’y pense même pas. Elle a fait son travail en lui frayant la voie du sacre. C’est Dieu qu’elle attend. Et cet agnostique proclamé qu’est Philippe Ramos nous fait entendre, à nous qui sommes dans la salle, le retour de Dieu dans la vie de Jeanne. Dès lors tout est possible. Elle sera prête.
On sent que le réalisateur n’a pas voulu marcher sur les brisées, encore si fraiches malgré le temps qui passe, de Robert Bresson. Il lui emprunte quelques images, il lui fait quelques clins d’œil cinématographiques, mais le procès est éludé dans ce récit de la captivité de Jeanne.
Ce qui importe à Ramos, décidément, c’est le silence de Jeanne, sa vie spirituelle, sa force intérieure, d’autant plus belle qu’elle se manifeste dans une fragilité revendiquée. On retrouve le sujet de son film précédent, Capitaine Achab, qui met en scène pour partie Moby Dick d’Hermann Melville. Peut-on filmer l’intérieur d’un homme ou d’une femme ? Peut-on rendre visible la contention de l’esprit, en lutte face à l’événement ? Je crois que Philippe Ramos y parvient.
Mais ce n’est pas tout. Ses personnages ne sont pas des stoïciens, ni des stoïques. Ce sont des êtres de foi. Dans Jeanne captive, il montre que la mort de Jeanne a une efficacité spirituelle. Les images paradisiaques qui hantent la fin du film ont ce sens profond : il y a ceux qui collaborent en silence à la mort de Jeanne (nous sommes introduit chez le menuisier qui a fabriqué le Bûcher, «un grand bûcher pour qu’il ne reste rien»). Et il y a ceux que cette mort terrifie et purifie, en les faisant toucher à une sorte d’Eden.
Ce film n’est pas un film catholique, certes. Mais c’est un film authentiquement spirituel, tourné par un agnostique dans un grand respect de son personnage. On peut reprocher au réalisateur des scènes de nudité. Rien de violent ni même de vraiment charnel. Il s’agissait pour lui de montrer le regard des hommes sur Jeanne, leur incrédulité devant cette pureté aux mains sales, leur lâcheté contrastant avec ce courage silencieux. On pourrait mettre dans la bouche de Jeanne captive ce mot de l’Infante dans La Reine morte de Montherlant : «Lâcheté, c’est un mot qui m’évoque irrésistiblement les hommes».
Philippe Ramos fait des films exigeants. Trop peut-être. mais on sent que de son exigence pourrait bien naître un jour un chef d'oeuvre.
Un film sur Jeanne d’Arc après celui de Luc Besson et celui de Robert Bresson, l’un saturant le genre « western médiéval » et l’autre remportant la palme dans la catégorie œuvre d’art, c’est possible. Philippe Ramos l’a fait. Jeanne captive est dans les salles obscures depuis hier.
Le titre anglais The silence of Joan donne une idée de l’exigence du réalisateur. Il est vrai que Clémence Poésy, qui a le rôle titre, passe toute la première partie du film dans un mutisme absolu, après son évasion manquée de la Tour de Beaurevoir où elle avait tenté le Grand saut. Pourquoi ce silence de Jeanne ? Parce que ses voix ne la visitent plus. Elle a enfreint leur ordre. Elle a sauté malgré tout. Elle est comme abandonnée. Abandonnée des hommes, et d’abord de son roi Charles VII qui semble ravi qu’elle se tienne tranquille dans la geôle de Jean de Luxembourg. Abandonnée de Dieu aussi. Ce double abandon ressenti comme le drame le plus absolu la contraint en quelque sorte au silence.
L’actrice est à la hauteur de ce défi. Par ce silence, elle exprime vraiment la puissance de l’esprit. Son corps est entravé. Sa vie est mise à prix (elle sera racheté par les Anglais au prix que vaut un grand Capitaine). Mais elle veut montrer qu’elle ne regrette rien, qu’elle ne cherche plus rien, qu’elle attend. Qui? Charles VII? Je crois qu’elle n’y pense même pas. Elle a fait son travail en lui frayant la voie du sacre. C’est Dieu qu’elle attend. Et cet agnostique proclamé qu’est Philippe Ramos nous fait entendre, à nous qui sommes dans la salle, le retour de Dieu dans la vie de Jeanne. Dès lors tout est possible. Elle sera prête.
On sent que le réalisateur n’a pas voulu marcher sur les brisées, encore si fraiches malgré le temps qui passe, de Robert Bresson. Il lui emprunte quelques images, il lui fait quelques clins d’œil cinématographiques, mais le procès est éludé dans ce récit de la captivité de Jeanne.
Ce qui importe à Ramos, décidément, c’est le silence de Jeanne, sa vie spirituelle, sa force intérieure, d’autant plus belle qu’elle se manifeste dans une fragilité revendiquée. On retrouve le sujet de son film précédent, Capitaine Achab, qui met en scène pour partie Moby Dick d’Hermann Melville. Peut-on filmer l’intérieur d’un homme ou d’une femme ? Peut-on rendre visible la contention de l’esprit, en lutte face à l’événement ? Je crois que Philippe Ramos y parvient.
Mais ce n’est pas tout. Ses personnages ne sont pas des stoïciens, ni des stoïques. Ce sont des êtres de foi. Dans Jeanne captive, il montre que la mort de Jeanne a une efficacité spirituelle. Les images paradisiaques qui hantent la fin du film ont ce sens profond : il y a ceux qui collaborent en silence à la mort de Jeanne (nous sommes introduit chez le menuisier qui a fabriqué le Bûcher, «un grand bûcher pour qu’il ne reste rien»). Et il y a ceux que cette mort terrifie et purifie, en les faisant toucher à une sorte d’Eden.
Ce film n’est pas un film catholique, certes. Mais c’est un film authentiquement spirituel, tourné par un agnostique dans un grand respect de son personnage. On peut reprocher au réalisateur des scènes de nudité. Rien de violent ni même de vraiment charnel. Il s’agissait pour lui de montrer le regard des hommes sur Jeanne, leur incrédulité devant cette pureté aux mains sales, leur lâcheté contrastant avec ce courage silencieux. On pourrait mettre dans la bouche de Jeanne captive ce mot de l’Infante dans La Reine morte de Montherlant : «Lâcheté, c’est un mot qui m’évoque irrésistiblement les hommes».
Philippe Ramos fait des films exigeants. Trop peut-être. mais on sent que de son exigence pourrait bien naître un jour un chef d'oeuvre.
Merci de votre critique éclairée.
RépondreSupprimerJ'irai donc voir ce film.
Le Canard Enchaîné a fait à ce film une critique très chaleureuse. Chose curieuse, le volatile anticlérical rejoint tout à fait le point de vue de l'abbé de Tanouarn en insistant sur le caractère mystique du personnage de Jeanne.
RépondreSupprimerBref un autre motif pour courir voir ce film qui réconciliera tout le monde au tour d'une grande figure.
Oui, Père vous avez raison : "ce qui importe c’est le silence de Jeanne, sa vie spirituelle, sa force intérieure, d’autant plus belle qu’elle se manifeste dans une fragilité revendiquée."
Cela laisse loin derrière la pièce de George Bernard Shaw car selon TS Eliot (A Commentary", The Criterion 3 (October 1924), 1-5)
"his Joan of Arc is perhaps the greatest sacrilege of all Joans: for instead of the saint or the strumpet of the legends to which he objects, he has turned her into a great middle-class reformer, and her place is a little higher than Mrs. Pankhurst" (une suffragette et féministe britannique qui eut son heure de gloire dans les débuts du 20ème siècle et mourut en 1928).
On a trop parlé de Jeanne d'Arc comme d'un chef de guerre, ou une résitante avant la lettre alors que ce qui est primordial c'est sa qualité spirituelle de grande mystique.
J'ai trouvé votre blog en cherchant des articles sur ce film.
RépondreSupprimerToute la critique que vous citez est de Monde et Vie ? pouvez vous me donner une référence (date et/ou numéro) ? Merci d'avance.