mercredi 14 décembre 2011

Isaïe et notre histoire

"Ils forgeront leurs épées en socs de charrue et leur lances en faucilles. Les peuples n'élèveront pas l'épée l'un contre l'autre et ils n'apprendront plus la guerre. Maison de Jacob, venez, marchons à la lumière de Yahvé". Ce texte d'Isaïe, je l'ai longtemps pris pour le texte caractéristique de l'hyperbole prophétique, me disant qu'il ne signifiait rien qu'un avenir utopique de l'humanité, sans lien avec l'histoire réelle.

C'est René Girard qui m'a fait changer d'avis. Selon l'auteur de La violence et le sacré, le christianisme est établi dans le monde pour remettre en cause le règne de la violence. En sublimant les victimes, le christianisme donne un autre sens à la spirale mimétique, en exerçant concrètement dans l'histoire une sorte de magistère de la Miséricorde et de l'Amour, qui va finir par éteindre, si cela est possible, cette génération spontanée de la violence à laquelle on a toujours, jusqu'au Christ, obscurément reconnu le dernier mot. Face à ce mécanisme triomphant de la violence, il y a la Révolution chrétienne, qui passe par une révélation, par la connaissance nouvelle d'un recours contre la violence, qui est l'amour. "Le texte biblique qui va le plus loin dans cette Révélation est celui d'Isaïe 2" écrit Girard (Les origines de la culture p. 120, avec un problème - évoqué pudiquement en note - pour identifier ce à quoi Girard se réfère). L'un des objectifs d'Isaïe, prophète, est d'évoquer et d'annoncer ce nouvel âge d'or qui est... la chrétienté. Non pas la chrétienté comme communautarisme opposé à d'autres communautarisme, mais ce que j'appellerai la chrétienté comme espérance. Je pense aux tableaux de Lucas Cranach sur l'Age d'or. De cet âge d'or, on trouve trace dans Platon (Le Politique) mais il est d'abord annoncé, trois siècles plus tôt, par Isaïe. On peut d'ailleurs évoquer aussi la vision idyllique du chapitre 11, qui sort du monde des hommes, mais nous dit substantiellement la même espérance d'une Paix triomphante : "Le loup habitera avec l'agneau, la panthère se couchera avec le chevreau etc." (Is. 11, 6)....

Cette paix triomphante, elle commence à Noël son règne sur le monde. Il ne s'agit pas pour elle d'éliminer la guerre : trop facile. La paix qui commence à Noël semble immédiatement démentie par le sang des Innocents tués à Bethléem par ordre d'Hérode. Le chant des anges : Paix sur la terre aux hommes qu'Il a choisi, est interrompu par un terrible ululement : "C'est Rachel qui pleure ses enfants, car ils ne sont plus" écrit saint Matthieu, en se référant à l'Ancien Testament.

Quelle est donc cette déclaration de paix, interrompue par le chant des pleureuses ? Il ne s'agit pas de dire que le mal et la mort ont disparu, que la guerre est désormais "hors la loi" selon une formule prétentieuse. mais il faut reconnaître que plus on avance dans l'ère chrétienne, plus on reconnaît que la violence n'est pas "l'ultima ratio". il y a une raison plus forte que la violence, il y a une Puissance plus grande que celle que l'on découvre dans les habituels rapports de force. Quel est son nom ? Isaïe parle de "justice" : ce n'est évidemment pas celle qui provient d'arbitrages humains... C'est celle qui vient de "la lumière de Yahvé" à laquelle, désormais, nous sommes invités à marcher. Qui ne marche pas "à la lumière de Yahvé" retrouvera tôt ou tard le terrible pouvoir de la violence.

Mais face à la violence et à son règne, Pascal l'a vu et l'a magnifiquement dit, il y a la vérité : "C'est une étrange et longue guerre que celle où la violence essaie d'opprimer la vérité. Tous les efforts de la violence ne peuvent affaiblir la vérité et ne servent qu'à la relever d'avantage. (...) La vérité subsiste éternellement et triomphe enfin de ses ennemis, parce qu'elle est éternelle et puissante comme Dieu même" (12ème provinciale). Allez voir le texte intégral ! Pascal ici vaut bien Isaïe !

5 commentaires:

  1. Merci, monsieur l'abbé, pour ces fraiches paroles matinales qui nous confortent dans la voie du chrétien. Merci aussi de nous montrer les perles de lumière qui habitent ce si obscur Ancien Testament.
    Gérard

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  2. Voilà qui vaut début de réponse à cette question d'enfant qui nous agite:

    "Mais, Père, si Jésus, ton fils, notre Seigneur, Est Mort une fois pour toutes, pourquoi y a-t-il encore besoin d'autres martyres, à ce point, non seulement que "le sang des martyres (serait) semence de chrétiens", mais encore que ton fils, le vainqueur de la mort et de la violence, nn'était pas plus tôt né qu'eut lieu, tandis que tu l'y soustrayais à la garde de Saint-Joseph, le massacre des innocents!"

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  3. Bonjour,
    Je ne trouve pas votre commentaire sur la conférence de P. d'Hugues à propos de Jeanne d'Arc au cinéma... La page reste vide quand on veut l'ouvrir ! Pouvez-vous l'éditer à nouveau sur votre site ?

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  4. rené Girard dit aussi que le désir est la cause de la mauvaise violence.Car il peut y avoir de bonne violence comme la colère de dieu.C'est le désir qu'il faut combattre et qui est diabolique: la mimesis est dionysiaque ,le dieu du theatre.Jésus contre Dionysos voila le combat.Jésus nous dit aussi qu'il faut l'imiter mais non pas le mimer:imiter c'est "faire"comme le Christ,mimer c'est "etre"comme Dionysos.C'est pourquoi l'Eglise s'oppose au theatre.

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  5. Monsieur l'abbé,
    Aucun lien avec votre texte ci-dessus, mais je n'ai pas trouvé meilleur moyen pour vous contacter.
    Vous aviez publié à cette même période l'an passé un texte court mais fort percutant sur nos chères "fêtes de fin d'année"...
    Auriez vous la possibilité de le rediffuser à nouveau? Une piqure de rappel ne peut faire de mal, et je me ferais un plaisir de le diffuser à certains de mes proches! Je vous remercie,
    Un lecteur du metablog!

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