vendredi 16 décembre 2011

Pourquoi je ne crois pas en l'homme

"Son pays est rempli d'argent et d'or et il n'y a pas de limite à ses trésors ; son pays est rempli de chevaux et il n'y a pas de limite à ses chars. Son pays est rempli d'idoles : ils se prosterneront devant l'oeuvre de leurs mains. Les humains seront humiliés, l'homme sera abaissé" (Isaïe 2, 7-9). Pourquoi cet abaissement de l'homme ? Est-ce la haine de l'humain qui dirige le prophète ?

Ces textes sont-ils audibles, sont-ils lisibles aujourd'hui ? il est clair en tout cas que les prophètes ne sont pas des humanistes. Ils ne croient pas aux réalisations historiques des grandes puissances qui parviendraient à un statut enviable et indépassable, avec leur argent, leurs armes et leurs fausses croyances ou leurs idéologies. Les prophètes ne croient pas en l'homme tout simplement.

Lors du débat avec Riposte laïque au Centre Saint Paul, bientôt disponible ici, Christine Tasin a eu ce mot admirable de naïveté : Je crois... en l'homme. Elle n'a d'ailleurs aucune hostilité envers le christianisme, mais elle ne partage pas la foi en Dieu des chrétiens. Elle croit en l'homme. Cela m'a fait penser au Discours de Paul VI à l'Unesco : "Nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l'homme".

Je ne veux surtout pas refaire le match ici, mais j'ai été à la fois touché et navré de cette affirmation que personne ne lui demandait. Touché parce que cette foi en l'homme marque bien l'universalité de la vertu de foi (je parle de foi au sens le plus large, au sens naturel du terme, au sens où il me semble que l'on peut aussi bien parler d'une foi athée). Navré, parce que la foi en l'homme, cela vous a un petit air "années 60", un peu passé de mode. Paul VI avait des excuses, étant donné le progressisme ambiant. Nous n'en aurions plus aujourd'hui, nous chrétiens, à parler de foi en l'homme. Les Trente glorieuses sont bien finies ! Et de telles propositions sont datées.

En même temps, dans la bouche de Christine Tasin, ce culte de l'homme ne remonte pas à Emmanuel Mounier, au Père Teilhard de Chardin et aux progressiste de ce temps-là... Pour comprendre une telle assertion il faut, je crois, remonter à Rousseau (Jean-Jacques), car la formule, initialement est de lui, dans L'Emile. Ce sont d'abord les pédagogues et les pédagocrates qui croient en l'homme, comme nous le rappelle Jean de Viguerie dans un petit ouvrage paru tout récemment aux éditions du Cerf. C'est qu'au siècle des Lumières, on ne lisait pas les Prophètes. A la Bible, on préférait les philosophes (ceux qui s'autoproclamaient tels). Plus tard, le romantisme (le romantisme à travers les âges comme dit Philippe Muray) abonde lui aussi dans la religion du Bien. "Tout est bien", voilà la foi du XIXème siècle en trois mots.

Aujourd'hui, bien forcés, on a pris un peu de recul avec la production du siècle des Lumières et on ne croit plus aux foucades romantiques. la littérature contemporaine est marquée par la rémanence du problème du Mal. En 1948, Emmanuel Mounier, du haut de son progressisme dogmatique, traitait Auschwitz de "petite peur du XXème siècle" (qui n'entraverait pas le progrès inéluctable de l'humanité). Aujourd'hui, on revient à Auschwitz comme à une sorte d'apothéose d'un Mal qui existe toujours. C'est le sens des Bienveillantes de Jonathan Littell, prix Goncourt il y a trois ans. Mais Les âmes grises de Philippe Claudel (qui ont pour cadre non la Deuxième mais la première Guerre mondiale) ne constitue pas un roman moins pessimiste, sur l'homme et sa faculté de faire le bien. Tout le monde s'accorde à reconnaître "l'insoutenable légèreté de l'être" détectée par Milan Kundera, entre autres dans le roman qui porte ce titre. Encore l'écrivain franco-tchèque avait-il le courage de reconnaître que l'amour était le seul remède à cette insoutenable légèreté. l'idylle entre tomas et teresa qui clôt le livre, indique l'échappée belle encore possible. Ni Littell, ni même vraiment Philippe Claudel, malgré quelques bluettes cinématographiques, ne croient au remède.

Si je parle de littérature, c'est parce que je crois que ces oeuvres représentent un symptôme de l'air du temps. L'air du temps n'est pas à l'optimisme, sur fond de crise structurelle et de tsunamis radioactifs. Non, nous ne croyons plus en l'homme. Certains trouveront cela dommage et s'essaieront à réactiver le vieil optimisme progressiste (ou conciliaire). Mais la saison des cerises est bien finie. Faut-il s'en affliger ?

Revenons aux prophètes ! Ils n'ont pas cessé d'annoncer le malheur et de stigmatiser les péchés d'Israël. Je viens de vous citer Isaïe, dénonçant l'orgueil humain, le péché biblique par excellence. Mais Jérémie n'est pas plus optimiste : "Le péché de Judas est écrit avec un stylet de fer, gravé avec une pointe de diamant sur la tablette de leurs coeur et sur les cornes de leurs autels. Ainsi parle Yahvé : Malheur à l'homme qui se confie dans l'homme, qui met sa force dans la chair et qui s'écarte de Yahvé. Le coeur est compliqué plus que tout, il est incurable, qui peut le connaître" (Jer. 17, 1, 5 et 9).

La doctrine augustinienne (pascalienne) du péché originel est exposée ici plusieurs siècles avant le Christ de façon saisissante. Elle est toujours d'actualité ! On ne peut pas dire que c'est Isaïe qui serait pessimiste : Jérémie paraît encore plus précis : il envisage le mal comme quelque chose d'universel : "les mauvais penchants de leur coeur" (3, 17) ; "l'obstination de leur coeur mauvais les fait aller en arrière non en avant" (7, 24) ; "ils sont bêtes et insensés" (11, 8) ; "coeurs obstinés pour ne pas m'écouter" [dit Dieu] (16, 12). "Nous agirons chacun selon l'obstination de notre coeur mauvais" (18, 12). "Si le mal est invétéré, c'est que le centre des facultés spirituelles est perverti" commente le Père Ligier, après avoir donné cette liste impressionnante de textes (Péché d'Adam et péché du monde p. 107).

Mais reconnaître la prégnance du péché sur le coeur de l'homme, c'est déjà chercher d'où peut venir son salut. Si l'homme ne se sauve pas lui-même, qu'est-ce qui peut le sauver ? Pour conclure sa charge antihumaniste, Isaïe écrit : "Séparez-vous des hommes qui n'ont qu'un souffle dans les narines. Car combien peut-on les estimer ?" (2, 22). Le salut viendra à l'homme, non pas de l'homme mais de Dieu. C'est l'abc de la foi chrétienne et l'on n'ose plus le dire ou l'écrire de cette façon. Ce que j'aime entre autres dans les prophètes, c'est qu'ils n'avaient pas peur des mots !

5 commentaires:

  1. Vous n'aimerez pas ce que je vais écrire, mais tant pis!

    Musicien de messes "conciliaires", compositeur occasionnel, de messes des familles à de la musique plus sacrée, j'ai écri-composé un "credo" où je dis:

    "Je crois en un Dieu qui m'a dit:
    "crois en ton frère",
    je crois en un Dieu qui m'a dit de croire en moi."

    Bien sûr, si j'ai écrit cela, plus ou moins sous l'inspiration du saint-esprit, c'est parce qu'instinctivement, je crois en l'homme; mais j'y crois autant que c'est la foi de dieu en l'homme qui me donne l'élan de l'aimer, tout comme je crois en moi parce que c'est dieu qui me pousse à continuer à vivre, Lui qui désire mon salut plus que moi !

    Direz-vous que je confonds foi et amour, que ce n'est pas parce qu'Il croit en l'homme que le Verbe de vie vient s'incarner, mais parce qu'Il aime l'homme? Or on aime pour croire, et Amour et foi ont en commun le "vouloir foncier". Amour et foi ont en commun de vouloir le bien.
    Dieu vient à nous pour nous bénir et nous sauver. C'est fort de cette bénédiction de dieu Qui se meut jusqu'à vous et jusqu'à moi que j'aime et que je crois en l'homme, et que je m'efforce aussi de croire en moi, ce qui n'est pas le plus facile!

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  2. Surpris par le titre, mais le contenu affine et bien d'accord au final !
    Car croire ou ne pas croire en l'homme est trop court : croire ou ne pas croire en l'homme "tout seul" est le bon terme.
    L'abandon du sens du "péché originel" et du péché tout court par une part de l'Eglise (cf le post précédent) a complètement perverti le sens de la morale, devenue un vague cadre commun, et non plus la recherche active de notre insertion en Dieu, dans un plan que nous seuls (et Lui) connaissons, maitrisons en conscience. Et ne pas y oublier le sens de la "peine temporelle" du péché, cette cicatrice que nous laissons en nous et autour de nous par ces péchés pardonnés, mais irréversiblement faussant.
    Croire à l'homme "tout seul", i.e. ne pas "croire" au péché (et donc à la Rédemption) revient à un irénisme et une errance morale dont, sur le plan économique par exemple, on voit les conséquences (cf B16 : la crise éco est essentiellement morale).
    Bref, croire en l'homme tout court, noway, croire en l'homme sauvé par Jésus can be, à notre péché près de toutes façons...

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  3. Au soir de ma vie, il me semble pouvoir conclure qu'on peut croire en tel ou tel homme en particulier (sur les doigts d'une seule main...) dont les qualités (droiture, dévouement, etc...) ont été prouvées. Trop d'imperfections, de paradoxes, de cafouillages, de bafouillages,etc... entravent l'homme pour qu'il se sorte du péché originel qui l'accable sans l'aide (la grâce?) de Dieu.
    Willy

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  4. En tant que laïque fidèle, je crois dans les hommes de Dieu, les prêtres, pourvu que je vois les bons fruits qu'ils donnent à l'humanité pécheresse.
    Ce sont les grâces qui me guident pour savoir où porter mes pas, mes yeux, mes oreilles, mon esprit et mon âme.
    Les grâces répandues m'ont ainsi conduite vers les Tradi, et particulièrement vers l'I.B.P.

    Merci à vous de tout le bien que vous faites à nos pauvres âmes !

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  5. A Willy: "Avoir un ami est un trésor", comme le dit excellemment le livre de la sagesse.

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