Monsieur l'abbé, je n'ai pas l'honneur de vous connaître personnellement mais j'ai lu votre prise de position sur le Forum catholique, à propos de la pièce Sur le concept de visage du Christ. Vous avez tenu à vous démarquer des catholiques qui condamnent ce spectacle. Pour vous, on ne peut condamner que ce que l'on a vu, et après avoir vu cette pièce, vous la trouvez utile à la réflexion et même favorisant une attention au christianisme.
Il faut tout de même souligner que la pièce que vous avez vue est une pièce expurgée par son auteur. Toute la deuxième partie du spectacle au cours de laquelle des enfants lancent des grenades sur le visage du Christ, n'est pas reprise aujourd'hui. Elle n'est pas présente - et pour cause - dans le Compte rendu qu'en fait Myriam Picard. Trop agressive, trop ouvertement antichrétienne a dû penser l'auteur, Roméo Castellucci, qui, par ailleurs, se répand sur France info en expliquant avec la plus parfaite hypocrisie qu'il n'est en rien hostile au christiansme. Cette correction subreptice indique bien et la tendance profonde de son auteur et l'intention qui a dominé la rédaction de la pièce. cette intention est clairement blasphématoire.
Ce blasphème subjectif est-il suffisant pour interdire cette pièce ou faire en sorte qu'elle ne soit pas représentée ? Je ne le pense pas. Les chrétiens n'ont pas intérêt à faire régner une quelconque police de la pensée ou à prétendre rétablir la censure à leur profit. Du reste, l'Evangile est formel sur ce point : "Tout péché et tout blasphème sera remis aux hommes" (Matth. 12, 31) et encore : "Quiconque dira une parole contre le Fils de l'homme, il lui sera pardonné" (Luc 12, 10). Il faut souligner l'extraordinaire liberté que manifestent ces paroles du Christ. Pour être chrétien, pour avoir la foi, il faut jouir de cette liberté intérieure. Pas de grâce divine, sans liberté humaine. Je ne dis pas d'ailleurs que la liberté humaine soit nécessaire à la grâce comme un préalable (ce disant je serais excessivement moliniste) mais je dis que la grâce produit la liberté, là même où règne les addictions et l'esclavage intérieur. La grâce est cette puissance mystérieuse qui libère l'animal humain des divers conditionnements et addictions dont il est victime.
Le blasphème n'est pas un bien, mais il est pardonnable. La grâce peut toujours surabonder là où le péché abonde comme le dit saint Paul aux Romains. Mais qu'est-ce qui est impardonnable ? Qu'est-ce qui doit être interdit ? C'est le mépris des choses sacrées, c'est la tendance à considérer comme équivalent à ce qui est absolument vile tout ce qu'il y a de plus grand dans l'homme. En l'occurrence dans cette pièce, c'est l'équivalence agressive établie entre la merde et le Visage du Christ. Dieu sait, c'est le cas de l'écrire si l'art d'Antonello da Messina est éloquent ! Dieu sait si ses visages de Christ sont expressifs ! Eh bien, c'est justement ce Christ, le plus expressif qui soit, que l'on choisit pour l'imprégner de merde...
"Tout blasphème est une forme de prière" dit Castellucci quelque part pour se justifier. mais il y a dans cette pièce bien plus qu'un blasphème. il y a le refus méthodique de toute forme de sacré, de toute manifestation transcendante à l'ici et au maintenant, au caprice du moment ou à la pulsion de l'instant. Castellucci n'est pas seulement l'homme d'une négation : cela ne serait pas grave. Dieu sait si les négations ou les dénégations ne nous font pas peur à nous chrétiens, elles sont toujours des formes de déni, nous le savons. Ici, il y a bien plus : la juxtaposition et l'équivalence établie entre la merde et la beauté. Une sorte de barbarie apprivoisée que l'on devrait considérer comme fatale, et qui, bientôt peut-être, pourra devenir obligatoire au nom de la correctness.
A cet égard, la fin, l'ambiguïté entre "Tu es mon Pasteur" et "Tu n'es pas mon Pasteur" est significative : de toutes façons, nous dit l'auteur, les deux expressions se valent, car ce Pasteur, c'est... de la merde... Je vous l'ai fait voir en direct. Il ne s'agit pas seulement d'un jugement de valeur ou d'un simple blasphème. Pour Castellucci, c'est un jugement de fait. La victoire du vieillard est un fait ; la leçon que nous administre le "père" égrotant et sordide, c'est qu'il aura toujours raison de la générosité du fils putatif (ce fils qui, dans la pièce veut l'aider); Si ses organes internes, fatigués d'avoir trop merdé, ne produisent plus rien, la merde, le vieillard la répandra par bidons entiers. Le vieillard qui arrose de la merde au bidon et les enfants qui lancent leurs grenades comme des étrons sont porteurs de la même "a-vérité fondamentale" : tout vaut tout; rien ne vaut rien. Il ne s'agit pas d'un simple blasphème. C'est le nihilisme à l'état pur.
Le blocage scatologique que l'on observe dans la pièce de Castellucci ne correspond pas chez lui à une réflexion sur ce qu'est le monde, réflexion qui se serait achevée en blasphème, mais plutôt à une volonté délibérée d'inverser toutes les valeurs. Cette pièce, dans son néant psychologique, est l'apologie du sacrilège. Elle est l'expression ultime du nihilisme européen, stigmatisé par Nietzsche déjà. Son message est clair : rien n'est sacré, ni le Christ, ni la paternité du père, ni la filiation du fils. La paternité du père n'est pas sacrée parce qu'elle est dégueulasse ; la filiation du fils n'est pas sacrée parce qu'elle est impuissante. Le fils a les mains purs mais il n'a pas de mains. Il est lui-même l'image du Christ qu'il embrasse. Il ne vaut pas plus que le père et sa merde, puisqu'il ne s'impose pas à lui.
Je crois que l'on touche avec Castellucci à la vérité profonde de la célèbre formule de Hermann Hesse : "La culture sans le culte est un déchet". Si la culture n'est pas animée par un véritable culte de ce qui est sacré (indépendamment d'ailleurs de toute foi explicite), elle se détruit elle-même et devient un déchet. Elle est la grande machine à tout égaliser et à tout confondre, elle est la première pourvoyeuse de bouillie mentale à l'usage des pervers et apprentis pervers.
Je conçois, cher M. l'abbé, que ce spectacle de l'abjection et cette représentation du triomphe des déjections vous ait fait réfléchir, vous. Je conçois que ce confusionnisme puisse par réaction rappeler même aux plus matérialistes que le matérialisme est absurde et qu'à un moment ou à un autre, il se niera lui-même. Preuve qu'il ne faut pas désespérer de l'homme ! Il y a toujours un travail du négatif, comme dirait Hegel. Mais il est clair que ce dont souffre toute une génération de jeunes déculturés, ce n'est pas de telle ou telle négation, c'est de cette absence de limites dans l'universelle indifférenciation. L'idée même d'un jugement - pour ou contre - devient une idée impossible, voire absurde, comme vous le montrez vous-même malgré vous.
Il faut tout de même souligner que la pièce que vous avez vue est une pièce expurgée par son auteur. Toute la deuxième partie du spectacle au cours de laquelle des enfants lancent des grenades sur le visage du Christ, n'est pas reprise aujourd'hui. Elle n'est pas présente - et pour cause - dans le Compte rendu qu'en fait Myriam Picard. Trop agressive, trop ouvertement antichrétienne a dû penser l'auteur, Roméo Castellucci, qui, par ailleurs, se répand sur France info en expliquant avec la plus parfaite hypocrisie qu'il n'est en rien hostile au christiansme. Cette correction subreptice indique bien et la tendance profonde de son auteur et l'intention qui a dominé la rédaction de la pièce. cette intention est clairement blasphématoire.
Ce blasphème subjectif est-il suffisant pour interdire cette pièce ou faire en sorte qu'elle ne soit pas représentée ? Je ne le pense pas. Les chrétiens n'ont pas intérêt à faire régner une quelconque police de la pensée ou à prétendre rétablir la censure à leur profit. Du reste, l'Evangile est formel sur ce point : "Tout péché et tout blasphème sera remis aux hommes" (Matth. 12, 31) et encore : "Quiconque dira une parole contre le Fils de l'homme, il lui sera pardonné" (Luc 12, 10). Il faut souligner l'extraordinaire liberté que manifestent ces paroles du Christ. Pour être chrétien, pour avoir la foi, il faut jouir de cette liberté intérieure. Pas de grâce divine, sans liberté humaine. Je ne dis pas d'ailleurs que la liberté humaine soit nécessaire à la grâce comme un préalable (ce disant je serais excessivement moliniste) mais je dis que la grâce produit la liberté, là même où règne les addictions et l'esclavage intérieur. La grâce est cette puissance mystérieuse qui libère l'animal humain des divers conditionnements et addictions dont il est victime.
Le blasphème n'est pas un bien, mais il est pardonnable. La grâce peut toujours surabonder là où le péché abonde comme le dit saint Paul aux Romains. Mais qu'est-ce qui est impardonnable ? Qu'est-ce qui doit être interdit ? C'est le mépris des choses sacrées, c'est la tendance à considérer comme équivalent à ce qui est absolument vile tout ce qu'il y a de plus grand dans l'homme. En l'occurrence dans cette pièce, c'est l'équivalence agressive établie entre la merde et le Visage du Christ. Dieu sait, c'est le cas de l'écrire si l'art d'Antonello da Messina est éloquent ! Dieu sait si ses visages de Christ sont expressifs ! Eh bien, c'est justement ce Christ, le plus expressif qui soit, que l'on choisit pour l'imprégner de merde...
"Tout blasphème est une forme de prière" dit Castellucci quelque part pour se justifier. mais il y a dans cette pièce bien plus qu'un blasphème. il y a le refus méthodique de toute forme de sacré, de toute manifestation transcendante à l'ici et au maintenant, au caprice du moment ou à la pulsion de l'instant. Castellucci n'est pas seulement l'homme d'une négation : cela ne serait pas grave. Dieu sait si les négations ou les dénégations ne nous font pas peur à nous chrétiens, elles sont toujours des formes de déni, nous le savons. Ici, il y a bien plus : la juxtaposition et l'équivalence établie entre la merde et la beauté. Une sorte de barbarie apprivoisée que l'on devrait considérer comme fatale, et qui, bientôt peut-être, pourra devenir obligatoire au nom de la correctness.
A cet égard, la fin, l'ambiguïté entre "Tu es mon Pasteur" et "Tu n'es pas mon Pasteur" est significative : de toutes façons, nous dit l'auteur, les deux expressions se valent, car ce Pasteur, c'est... de la merde... Je vous l'ai fait voir en direct. Il ne s'agit pas seulement d'un jugement de valeur ou d'un simple blasphème. Pour Castellucci, c'est un jugement de fait. La victoire du vieillard est un fait ; la leçon que nous administre le "père" égrotant et sordide, c'est qu'il aura toujours raison de la générosité du fils putatif (ce fils qui, dans la pièce veut l'aider); Si ses organes internes, fatigués d'avoir trop merdé, ne produisent plus rien, la merde, le vieillard la répandra par bidons entiers. Le vieillard qui arrose de la merde au bidon et les enfants qui lancent leurs grenades comme des étrons sont porteurs de la même "a-vérité fondamentale" : tout vaut tout; rien ne vaut rien. Il ne s'agit pas d'un simple blasphème. C'est le nihilisme à l'état pur.
Le blocage scatologique que l'on observe dans la pièce de Castellucci ne correspond pas chez lui à une réflexion sur ce qu'est le monde, réflexion qui se serait achevée en blasphème, mais plutôt à une volonté délibérée d'inverser toutes les valeurs. Cette pièce, dans son néant psychologique, est l'apologie du sacrilège. Elle est l'expression ultime du nihilisme européen, stigmatisé par Nietzsche déjà. Son message est clair : rien n'est sacré, ni le Christ, ni la paternité du père, ni la filiation du fils. La paternité du père n'est pas sacrée parce qu'elle est dégueulasse ; la filiation du fils n'est pas sacrée parce qu'elle est impuissante. Le fils a les mains purs mais il n'a pas de mains. Il est lui-même l'image du Christ qu'il embrasse. Il ne vaut pas plus que le père et sa merde, puisqu'il ne s'impose pas à lui.
Je crois que l'on touche avec Castellucci à la vérité profonde de la célèbre formule de Hermann Hesse : "La culture sans le culte est un déchet". Si la culture n'est pas animée par un véritable culte de ce qui est sacré (indépendamment d'ailleurs de toute foi explicite), elle se détruit elle-même et devient un déchet. Elle est la grande machine à tout égaliser et à tout confondre, elle est la première pourvoyeuse de bouillie mentale à l'usage des pervers et apprentis pervers.
Je conçois, cher M. l'abbé, que ce spectacle de l'abjection et cette représentation du triomphe des déjections vous ait fait réfléchir, vous. Je conçois que ce confusionnisme puisse par réaction rappeler même aux plus matérialistes que le matérialisme est absurde et qu'à un moment ou à un autre, il se niera lui-même. Preuve qu'il ne faut pas désespérer de l'homme ! Il y a toujours un travail du négatif, comme dirait Hegel. Mais il est clair que ce dont souffre toute une génération de jeunes déculturés, ce n'est pas de telle ou telle négation, c'est de cette absence de limites dans l'universelle indifférenciation. L'idée même d'un jugement - pour ou contre - devient une idée impossible, voire absurde, comme vous le montrez vous-même malgré vous.