dimanche 11 novembre 2012

[Claire Thomas - Abbé Ph. Laguérie - Monde&Vie] L’abbé Laguérie : un pari audacieux

SOURCE - Monde & Vie - Abbé Ph. Laguérie - Propos recueillis par Claire Thomas - 20 octobre 2012

L’abbé Laguérie, ancien curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet pour la Fraternité SaintPie-X, fondateur il y a six ans à Rome de l’Institut du Bon Pasteur et exerçant en ce moment par la volonté de la Commission Ecclesia Dei au Vatican la charge de supérieur général par Interim de cet Institut, est bien connu pour son franc Nous lui avons demandé si les problèmes que rencontre son Institut aujourd’hui ne sont pas révélateurs d’un malaise diffus dans le monde traditionaliste.
Claire Thomas: M. l’abbé, l’IBP est aujourd’hui un Institut divisé. Comment expliquez-vous ces secousses?
Abbé Philippe Laguérie: L’institut que j’ai fondé il y a six ans (8 septembre 2006) avec quatre confrères repose sur deux fondements, qu’on n’avait jamais conciliés jusque-là : une reconnaissance romaine explicite (avec les exigences de respect et de fidélité qu’elle entraîne avec soi) et une fidélité exhaustive à la Tradition dogmatique et liturgique de l’Eglise romaine. Le pari était audacieux, surtout si l’on songe que le discours du pape du 22 juillet 2005 à la Curie venait à peine d’être prononcé et que nous avons même anticipé le Motu Proprio Summorum Pontificum d’une année. Il n’empêche que, comme partout dans la situation actuelle de ceux qu’on a baptisés « traditionalistes » (comme si tout chrétien ne l’était pas, la Tradition étant l’une des deux sources de la Foi) il se produit un tiraillement entre la dose de romanité et celle de tradition qu’on met dans son cocktail ! Mon pari de 2006, c’est qu’il n’y a plus à choisir. Il faut tenir les deux bouts de la chaîne, comme entre la grâce efficace et la liberté humaine! Ce pari dit justement que c’est possible et je le mènerai jusqu’au bout.
C. T. : On connaît les difficultés – moins graves mais préoccupantes – que traverse la Fraternité Saint Pie-X, alors que quelques prêtres ont cru bon de refonder une autre «Fraternité Saint-Pie-X », pour pouvoir continuer sous le même pavillon en cas d’accord avec Rome. Vous semble-t-il que le mouvement traditionaliste est atteint d’un syndrome diviseur?
Abbé Ph. L. : Même si le paquebot FSSPX est bien plus considérable que la nacelle IBP, et partant moins soumis aux caprices des flots, la question y est encore plus poignante que chez nous! Dans une SVA (Société de Vie Apostolique) de droit pontifical, il est aisé de comprendre, sauf folie incurable, que le respect de Rome y est, non pas important, mais constitutif. Tandis que la Fraternité saint Pie-X devrait connaître autant de divisions qu’il y a de sensibilités en son sein, tant que tous n’auront pas compris que la Tradition est romaine ou n’est pas. L’actuel syndrome du groupuscule « Chazal » (qui annonce sa rupture dès la signature d’un accord) est caractéristique. Jusqu’à présent, avaient quitté la Fraternité par vagues successives les seuls sédévacantistes. Aujourd’hui, la seule perspective d’une reconnaissance romaine dresse ces prêtres contre l’autorité reconnue de Mgr Fellay. Il est à craindre chez eux des vagues répétitives. Oui, les traditionalistes, toutes tendances confondues, doivent intégrer le respect de Rome, au plus vite, sous peine de disparition sectaire.
C. T. : Que préconisez-vous pour votre Institut? Vous êtes aujourd’hui candidat à votre propre succession, lors d’un chapitre général à organiser… Avez-vous un programme?
Abbé Ph. L . : La tradition est assez forte aujourd’hui et Rome suffisamment bienveillante pour que s’établisse une sainte harmonie. J’ai la conviction, sans laquelle je ne serais pas monté à Rome en 2006, que jamais depuis le concile, nous n’avons possédé une telle liberté « de nous mouvoir dans le bien ». Nous avons une marge de manoeuvre considérable et qui va grandir encore. Tout est négociable. En matière liturgique, par exemple, j’ai quelques (trop) jeunes confrères qui ignorent que le rite « propre » ou exclusif c’est la même chose. Ils ont dû faire un peu vite, ou pas du tout, leur logique matérielle! Qu’ils ouvrent donc le dictionnaire: ils y apprendront que le propre est « Ce qui appartient de manière exclusive à (…) un groupe » (Robert).
C. T. : On dit que la polémique ne vous fait pas peur… Quelles limites mettez-vous au-delà de laquelle une polémique paraît stérile?
Abbé Ph. L. : Ma position de supérieur général de l’IBP a sérieusement modulé ma capacité en ce domaine… Mais je souhaite à mes ennemis de ne pas me rendre cette liberté ! Bien sûr qu’une polémique devient stérile quand elle sort des sentiers de la Vérité au profit du moi, haïssable. Encore doit-elle faire rire, sous peine d’écorcher la plus grande des vertus. Partisane et triste, voila les deux écueils de la polémique, qui la rendent immorale. Vraie et drôle, il en faut.
C. T. : Que souhaiteriez-vous aujourd’hui aux prêtres de la Fraternité Saint Pie-X?
Abbé Ph. L. : Aux prêtres de la Fraternité je dis qu’il faut une metanoia radicale. L’ostracisme dans lequel ils tiennent, sous ordre hiérarchique, tous leurs confrères n’est pas catholique. Il est urgent qu’ils s’acclimatent à la distinction entre le personnel et les errances dudit personnel. Nombre d’entre eux souffrent de cet état de chose, mais le consensus collectif est si fort qu’à vouloir le briser… on briserait la Fraternité. On fait gorges chaudes du conseil que j’ai donné un jour, sur le quai de la gare Montparnasse, à M. l’abbé de Cacqueray de ne pas signer avec Rome. Qu’on me comprenne bien: il s’agissait de procéder avant à la conversion (morale) de la Fraternité et non point d’exiger la conversion (dogmatique) de Rome.
C. T. : 50 ans après beaucoup de jeunes ont oublié qu’il y a eu un Concile. Que représente Vatican II pour vous?
Abbé Ph. L. : Vatican II ? J’attends sa réception, à commencer par la mienne. Dès qu’on m’aura expliqué, authentiquement de préférence, si les chapitres I (L’Eglise Catholique) et 2 (Le peuple de Dieu) de Lumen Gentium sont adéquats; ou encore ce que peut bien vouloir dire le chapitre I de Dignitatis Humanae, on en reparle, promis. La vingtaine des évêques que j’ai personnellement interrogés ne savait pas. Alors, si vous permettez… Les jeunes ignorent le bonheur qu’il y a parfois d’ignorer.

5 commentaires:

  1. Tout cela est bel et bon, mais comment dire? et surtout comment le dire délicatement, de la part d'un observateur extérieur à ce mouvement? Recourons à la vieille formule de Staline:

    "La tradition, combien de divisions?"
    Et, partant de cette question assortie du critère de discernement évangélique qu'on doit juger l'arbre à ses fruits, n'est-on pas fondé à poser une autre question, carrément polémique et pas drôle:

    "Si la Tradition est tellement divisée, n'est-ce pas la signature du diviseur? En d'autres mots, la tradition n'est-elle pas l'oeuvre du diviseur?"

    J'espère que non, croyez-le bien. Mais je m'interroge : de la part de prêtres qui tiennent à ce point le "moi" pour "haïssable", que de personnalisation et que d'errances de ce "personnel" éclésiaastique! Que de postures successives, qui font l'épopée de la tradition, plus qu'elles ne construisent un rassemblement dans l'unique eglise du christ! La geste traditionaliste n'est tout de même pas destinée à transmettre sa propre histoire, ou bien?

    Une autre chose m'étonne dans le mouvement traditionaliste : c'est que, comme l'indique cet épithète, il fait grand cas d'un des piliers de la transmission de la foi, la Tradition, le magistère, Vatican II etc., mais développe une connaissance et un approfondissement scripturaire assez faibles. Jusque dans les sermons qui, comme leur étymologie l'indique, relèvent plus de conversations, d'entretiens sur la société ou sur l'eglise, qu'ils ne sont des commentaires de l'ecriture, des textes du dimanche, contrairement aux homélies de la forme ordinaire, auxquelles les traditionalistes reprochent souvent d'être humanitaristes, alors que la majorité d'entre elles relève du commentaire exégétique mis à la portée des fidèles (je ne crois pas fréquenter des églises spécialement huppées ou favorisées). Cette insistance exagérée sur l'un des piliers de la transmission de la foi est l'erreur protestante inversée. Le "sola scriptura" s'est renversé en "solum magisterium". Dans les deux cas, on loupe un coche, mais dans la vie, par les errements de la condition humaine et pécheresse, on loupe souvent quelque chose, pour ne pas dire qu'on se loupe toujours (je ne voudrais pas être gagné par "la tentation du désespoir").

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  2. @ Julien
    On ne peut pas généraliser aussi simplement les sermons. Vous parlez de votre expérience, laquelle n’est peut-être pas assez complète en ce qui concerne la Tradition. Mon expérience personnelle à ce sujet recoupe une logique extrêmement simple : Les prêtres formés dans des séminaires traditionnalistes sont incomparablement mieux formés que les autres. Non seulement au point de vue de la théorie : théologie, philosophie, langues anciennes etc. mais aussi sur le sens du sacré. Si vous ajoutez à cela une perméabilité à l’Esprit cela donne des sermons magnifiques qui nous élèvent. Les autres prêtres avec moins de formation, peuvent être tout aussi disponibles à cet Esprit et peuvent bénéficier d’un certain charisme. Mais lorsqu’ils en sont dépourvus, on se retrouve vite devant une platitude déconcertante. Mon nouveau curé (communauté St martin, qui célèbre pourtant uniquement la messe de P.VI) me disait récemment qu’il avait l’impression que les anciens prêtres modernistes dont il a hérité dans la paroisse ne semblent pas avoir la même religion que lui. Cette anecdote reflète bien le clivage amorcé par V.II.
    La Foi semble bien avoir changé.
    A ce propos, je m’aperçois qu’après 50 ans d’herméneutique absolument personnelle et partisane de la part des 2 côtés (tradis et conciliaires), un autre voie commence à s’ouvrir, plus humble celle-ci, qui avoue ne pas « savoir ». Car au delà des textes, il y a tout de même un mystère : Si Dieu a permis Vat.II, il faudrait tout de même le recevoir avec humilité et non avec arrogance et orgueil.
    Le sermon de Mgr Fellay à St Nicolas m’a terriblement choqué lorsqu’il parle de la validité des messes noires. Celles-ci sont un sacrilège qui entraine directement leurs acteurs dans la damnation, rien d’autre ! Mais insinuer, sans en avoir l’air, que le messe de P.VI est valide au même titre que cette dernière, c’est vraiment pousser le bouchon un peu loin. En effet qu’en restera t’il dans la tête des paroissiens ? C’est purement et simplement de la manipulation idéologique et ça ne peut pas être guidé par l’Esprit Saint !
    Benoîte

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  3. En effet, benoîte, mon expérience des messes de forme extraordinaire est très limitée et votre curé issu de la communauté Saint-Martin pose bien le problème de la persistance et de la permanence de la foi après le concile vatican II qui, objectivement, semble avoir introduit "le libre examen" dans l'eglise catholique bien que, ce faisant, il ait renouvelé l'optimisme catholique, qui manquait cruellement, moins sur la nature humaine que sur la beauté de l'aventure de la vie, qui doit donner à l'homme des muscles pour faire des raids dans le désert et des ailes à sa charité pour "développer" le monde, y compris dans des ONG, si on ne peut pas directement escalader les structures, comme je ne sais plus qui escalada la tour Heiffell.

    Quant au sermon de mgr fellay que j'ai lu par curiosité hier, non seulement il entre dans la catégorie des sermons que j'ai décrits, mais c'est un vrai galimatias prononcé par un enfant devant un public d'adultes, et qui a accès au pape et aux cardinaux qui l'entourent sans mesurer la gravité que devrait lui inspirer une telle audience. Non seulement il semble ne pas avoir de ligne directrice envers rome, mais il n'hésite pas à livrer à ses fidèles le verbatim de certaines lettres du pape, comme un enfant, je le redis, qui serait tout heureux de leur montrer que le pape s'intéresse à lui et le prend au sérieux. Evidemment, sa comparaison entre les "messes noires" et les messes de Paul VI constitue le point le plus choquant de son sermon. Mais, là où brille la constance du pape n'ayant cessé de rappeler qu'on ne peut faire l'économie de "recevoir le concile" même si cette réception nécessite une "critique constructive", éclate l'inconstance de mgr fellay, qui n'hésite pas à croire que le pape veut "dégrader le concile" pour "reconnaître la Fraternité" et qui, tantôt reconnaît la messe de Paul VI, tantôt prétend qu'il ne cesse de dire à Rome qu'"elle est mauvaise".
    "Malheur à la ville dont le prince est un enfant!"
    N'en continuons pas moins à prier pour lui!

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  4. Il s'agirait de savoir, torrentiel. Si votre expérience des messes est très limitée, comment pouvez-vous vous présenter ailleurs comme un soutien indéfectible de l'IBP? Quant à Mgr Fellay, je préfère ses explications claires et convaincantes à votre insupportable galimatias
    NB : l'ingénieur Eiffel a conçu et réalisé, outre la tour parisienne qui porte son nom, le viaduc de Garabit, l'ascenseur de Lisbonne, et bien d'autres choses

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  5. Cher Marek,

    Je me présente ici et ailleurs, non pas come un "soutien indéfectible", mais comme un ami de l'IBP parce que j'ai de la considération pour l'abbé de tanoüarn, tout simplement.

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