samedi 16 avril 2011

Comment pouvez-vous rester traditionaliste (suite)

J'ai promis une suite à Julien sur ce sujet brûlant (voir post précédent). Mais j'ai un peu tardé à m'acquitter de ma promesse. Mieux vaut tard que jamais ! Ce matin, en discutant avec deux jeunes amis (mais oui... je suis vieux !), je réfléchissais à ce paradoxe de la liberté que nous donne la Tradition catholique.

Je vais vous faire une confession. Quand on me demandait il y a 20 ans : Mais pourquoi êtes vous à Ecône (où j'ai passé cinq ans avec difficulté et passion) ? Pourquoi êtes vous à Saint Nicolas du Chardonnet (où j'ai passé 15 ans avec enthousiasme) ? Horresco referens ! Je répondais : "parce que c'est là que je me sens le plus libre".

"Je me sens"... C'était une expérience. Une certitude expérimentale, pas une thèse de théologie. D'où venait cette impression profonde de liberté ? Eh bien ! Je crois, Julien, des formes liturgiques, théologiques voire vestimentaires que j'endossais avec joie. Non pas parce que ces formes auraient été un carcan et parce que j'aurais été masochiste. Je ne crois pas que ce genre de travers me guette. Mais ces formes permettent la liberté au lieu de l'interdire. Elle donne consistance à la vie de manière objective, ce qui autorise la subjectivité à ne pas se livrer à ce travail de formalisation, épuisant, lassant.

Si c'est le Je qui donne forme au Moi, comme dans toutes les ambiances libéralo-libertaires, on rencontre très vite deux obstacles majeurs : le bon vieux narcissisme n'est pas loin (on se prétend l'auteur de soi-même). Et puis, chaque fois que l'on touche à vos certitudes, vous vous sentez personnellement impliqué... Vous êtes fragile, vous avez peur de l'édifice que vous avez construit vous-même.

Construire soi-même son identité ? Voilà un travail de Sisyphe ! Voilà de quoi recevoir mille fois sur le coin de la figure le rocher que l'on ahane à pousser en avant sur la colline. C'est à ce travail fou que s'attelle l'analysant sur son divan.

Il y a deux manières de se dispenser de ce travail épuisant, anxiogène et littéralement interminable, comme la thérapie. La première, c'est de s'accepter soi-même tel que l'on s'est reçu, de son éducation, des événements que l'on a traversés des rencontres que l'on a faites. Ce n'est pas très enthousiasmant, parce que le résultat des courses en tous sens que l'existence nous a imposées reste parfaitement arbitraire ! On risque aujourd'hui de devenir simplement un bon bobo sans état d'âme, dont l'unique mot d'ordre sera : "Profite ! Reste connecté !".

La seconde manière de s'épargner ce travail de Sisyphe, c'est de choisir et de faire confiance à des formes qui vous modèlent une sorte de caparaçon, à travers lequel le monde ne sera plus subi mais agi. Ce peut être un cadre familial fort. Ce peut être un métier auquel on se consacre. Ce peut être une vocation religieuse, au sein de laquelle on découvre l'armature sans laquelle on est comme le personnage kafkaïen de La Métamorphose, un monstrueux insecte, invertébré, c'est-à-dire incapable du moindre élan.

Je sais les armatures n'ont pas bonne presse aujourd'hui. Mais elles ne sont pas moins nécessaire qu'hier. Je dirai même : elles le sont davantage. Hier, il existait des structures sociales porteuses, au sein desquelles, à défaut de réussir votre vie, vous vous trouviez toujours une fonction, un rôle. Aujourd'hui nous sommes tous des individus lâchés dans la nature, avec pour seul viatique le credo consumériste : "Profite ! Reste connecté !". Les formes choisies sont donc plus que jamais nécessaires : elle nous rendent libres, comme la vérité dont parle le Christ, ce salut qui nous transforme. Les formes traditionnelles - liturgiques, théologiques et pour les prêtres vestimentaires - ont l'immense avantage de ne pas être issues ce calculs stratégiques humains, trop humains. Elles sont matricielles et donc seules dont on soit sûr qu'elles portent l'avenir.

Le domaine psychologique et le domaine spirituel sont sans doute trop chauds pour qu'on en parle sans passion. Prenons le domaine intellectuel - le monde du froid. Il est nécessaire pour progresser d'avoir des grilles de lecture, un langage, des références toujours les mêmes, des citations-étendards etc. Si chaque nouvel apport signifie une nouvelle façon de se poser, de voir le monde, de le sentir... on aboutit non seulement à l'inefficacité la plus totale, mais à l'absence de tout progrès personnel. Ce qui fait la puissance d'un esprit, au bout de quelques années, ce n'est pas son acuité perçant les nuées de façon toujours nouvelle : à ce jeu on s'épuise et au bout de quelques années, l'on n'est plus qu'un virtuose, un acrobate désarticulé, un vieux beau aux yeux bleus azur, la citation ad hoc au bout des lèvres (vous voyez à qui je pense ?) pas un être capable de pensée. La pensée a besoin de formes pour être parfaitement souple et ne pas céder aux figures imposées par tel ou tel objet. Eh bien ! La vie, c'est la même chose. Être un catholique libre, c'est choisir les formes que la Tradition nous apporte sur un plateau - et à travers lesquelles on construit une liberté qui ne naît pas de je ne sais quelle stratégie moderne ou postmoderne, conciliaire ou postconciliaire, mais qui prend racine dans le temps - qui nous enracine dans l'histoire, comme on me le disait ce matin.

Avec les racines, on a le point fixe d'Archimède (celui qui permet de soulever les mondes) ; avec les racines, on a le point de vue autour duquel s'organise et s'accroît l'expérience de l'esprit : ce que l'on appelle la liberté.

9 commentaires:

  1. Mon père,
    Je suis entièrement d'accord avec vous sur le sentiment de liberté que l'on doit avoir quand on est "tradi", c'est à dire pas abandonné à l'à peu près, au flou artistique. Il doit falloir beaucoup de talent et d'intelligence pour s'en sortir sans médiocrité quand on est prêtre "ordinaire" (petit clin d'œil à la liturgie éponyme). Loin de moi l'idée que vous ne soyez pas talentueux et intelligent, rassurez-vous. Mais vous pouvez utiliser votre talent et votre intelligence à d'autres choses. C'est ce que vous faite, d'ailleurs. Un cadre éprouvé est à la fois rassurant et le meilleur garant de réussite. J'ai rendu visite, il y a quelques semaines, à un ami bénédictin à Sainte Madeleine du Barroux. Et bien, il a l'air équilibré et son esprit est vif. Je le crois libre dans ce "carcan" tradi.
    On pourrait établir un parallèle avec un enseignement strict qui cadre les enfants alors que les autres se perdent, se cherchent etc.
    Clément d'Aubier (modeste blogueur amateur)

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  2. Tout le monde peut en faire l'expérience: prenez 10 bonshommes et demandez leurs d'écrire une poésie libre. Ils bloqueront, et les 10 vous enverront paître.

    Maintenant, prenez 10 bonshommes et demandez-leur d'écrire un quatrain. La moitié se prêtera au jeu, avec des vers un peu boiteux, mais pas tant que ca.

    Enfin, prenez 10 bonshommes et demandez-leur d'écrire un quatrain dont vous leur fournissez le 1er et le dernier mot. Tout le monde vous produira quelque chose, et peut-être même d'assez chouette.

    Vous pouvez essayez dans d'autres domaines: "dessiner une personne" qui est simplifié en "dessiner une personne sans lever son stylo du papier", etc etc.

    Pourquoi? parce que la contrainte est porteuse.

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  3. Quand je lis vos commentaires, Monsieur l'Abbé, que je les compare à notre chance de vous avoir comme prêtre tradi, je mesure le prix que vous soyiez encore tradi tellement vous argumentez ce qui me parait si évident!Une liturgie si belle, un enseignement de la vraie charité (cf tous vos derniers billets de carême), une religion qui relie à Dieu et non aux hommes, n'est-ce pas suffisant et nécessaire pour démontrer la richesse de la Tradition et par là l'échec du catholicisme moderne? La liberté se trouve partout. Elle n'explique rien. Elle commence dans la liberté de croire ou de ne pas croire en ce Dieu unique en trois personnes.

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  4. OUi c'est bien beau mais l'Eglise en Belgique vit ses dernières heures parce que le Vatican s'obstine à ne pas condamner les curés pédophiles et l'ancien evêque de Bruges qui coule des jours tranquilles en France.

    Ici nous sommes tous écoeurés.

    Plus de Belgique et plus d'Eglise ; ça fait quand même beaucoup.

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  5. Cher Monsieur l'abbé,

    En somme, vous nous dites deux choses. La première est connue, presque classique: c'est qu'"il n'y a de liberté que dans la contrainte"! La seconde est que vous voulez peut-être vous économiser d'un travail "épuisant", harrassant, "interminable", où vous craignez que "le je (ne) donne sa forme au moi", harrassant, mais peut-être nécessaire, d'une nécessité imposée par le verbe. Car le verbe a fait votre "je" qui doit trouver l'articulation de votre "moi !" N'est-ce pas même ce que vous appelez, dans d'autres termes que les miens, la traduction de l'histoire destinale et personnelle de chacun? Cela posé, j'ai deux choses à vous accorder (formule à entendre au sens de: "il y a deux de vos remarques avec lesquelles je puis être en pleine communion avec vous): tout d'abord, "la mode n'est pas aux armatures" et notre foi en a besoin: "le casque du salut, la ceinture de la vérité..." Nous avons même besoin, non seulement d'un caparaçon, mais de nous carapaçonner. La "tunique de peau" est peut-être une tunique d'os: nous ne pouvons plus demeurer transparents, maintenant que nous avons appris la cruauté. Et puis, les racines sont nécessaires. Nous sommes enracinés par le même verbe qui nous veut créatifs de nous-mêmes. Nous pouvons très bien nous considérer, tels des arbres que le vent fait se déployer en ayant, grâce à leurs racines, des kilomètres d'envergure.

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  6. Il s'agit de Jean d'Ormesson, évidemment. Bien vu !

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  7. Freud disait: "Toute contrainte mène à la névrose." C'est le contraire qui est vrai.

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  8. Anne Marie
    Ce commentaire semble vouloir démontrer la lourdeur de l'Eglise quand même dans Sa Tradition Pour ma part je compose entre cette Eglise que j'aime et qui représente mes racines familiales et une extension plus dynamique dans le Renouveau charismatique et je trouve que les 2 se complètent Mais à mon avis il serait temps d'envisager un autre Concile pour un revoir quelques rites fastidieux pour les jeunes Ce matin messe des Rameaux 3/4 de personnes agees , limite 65 ans !! ou sont les jeunes de Jean Paul II ? ...chez les évangéliques pour beaucoup ,de quoi se poser les bonnes questions Un moine a reçu un appel mais pour les laics ce n'est pas évident et il faut une foi bien ancrée dans un monde ou tout bouge

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  9. Ce matin,messe des Rameaux,chapelle desservie Fr.St Pierre.3/4dejeunes et de familles nombreuses avec beaucoup de petits enfants,tous debout pendant le long et admirable récit chanté de la Passion...

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