"Avant la fête de Pâques, sachant que l'heure était venue qu'il passe de ce monde au Père, comme il avait aimé les siens, qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'à la fin"
La Bible de François Amiot traduit, en s'éloignant de la littéralité du texte, mais en rejoignant bien l'une de ses significations : "Il mit le comble à son amour pour eux". En grec : "eis telos" : il les aima jusqu'à la fin, jusqu'au bout ou même encore et plutôt "jusqu'au but". Quel but?
La formule est extrêmement solennelle. il me semble qu'elle a une double fonction dans le texte. D'une part, elle contient en énigme ce but, nous allons le voir dans un instant. D'autre part, elle marque le commencement d'une sorte de Paroxysme du Mystère . Oui, tout le mystère de Pâques, depuis l'invention de l'eucharistie et le lavement des pieds, jusqu'à la Passion, la Résurrection et l'Ascension du Christ dans le Ciel marque une sorte de paroxysme. La mort de Jésus réalise ce paroxysme. Il aurait suffit d'une seule goutte de son sang ! Il aurait suffi qu'il lave les pieds de ses apôtres, comme il va le faire maintenant, pour marquer qu'à partir de dorénavant, lui qui est le Seigneur, il se met totalement à leur, à notre service. Il aurait suffi... Mais Jésus a voulu davantage, il a voulu tout. Comment tout donner ? Mourir : "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime". Voilà le paroxysme. Mais il faut le comprendre totalement. On ne l'a pas encore vraiment percé à jour.
Ce qu'il faut ajouter, c'est que la mort du Christ est une fête de Pâques réelle et non commémorative pour toute l'humanité. C'est annoncé par Jean en énigme dans cette longue phrase introductive. "Avant la fête de Pâque" : Jésus anticipe sur la Pâque juive, car il a une autre Pâque à faire valoir, la sienne. Pourquoi la sienne, plutôt que celle des juifs ? Parce que la Pâque du Christ représente le passage réel depuis le monde jusqu'au Père. La Pâque juive, elle, manifestait une commémoration du Passage des Hébreux de l'Egypte où ils étaient esclave vers le Désert dans lequel pendant quarante ans, ils seront libres d'aller et de venir derrière la colonne de feu et la colonne de nuée. La Pâque juive est une figure. Les Pâques chrétiennes réalise la figure, en lui conservant tout son symbolisme. Elles sont le passage effectif de la mortalité à l'immortalité.
In finem, eis telos, nous avons donné deux sens à ce mot énigmatique : le paroxysme amoureux ou la mort d'amour d'une part ; le passage de la figure à la réalité ou meux encore peut-être de l'essence judaïque de la révélation à l'existence chrétienne.
Mais l'énigme johannique n'a pas encore tout dit.
Il me semble que l'on peut encore ajouter que le Christ donne sa vie comme personne ne l'a donnée. Il la donne complètement et cela, nous allons le voir, à la fois dans sa manière de faire et dans le but qu'il poursuit.
Dans sa manière de faire. Le Christ donne sa vie. Il offre symboliquement, mais de manière bien réelle son corps et son sang, en une nouvelle alliance qui ne se contracte pas le Vendredi saint, mais dès le Jeudi saint, durant la sainte Cène, quand, par des paroles qui forcément réalisent ce qu'elles signifient, le Christ offre pour la première fois en public, le sacrifice de la Nouvelle alliance. Disons-le : Gethsémani, la sueur de sang au Jardin des Oliviers, c'est plus encore le contre-coup de la Cène, c'est-à-dire du premier accomplissement temporel de ce sacrifice, que le pressentiment de la Croix. Jésus s'est fait esclave. "Obéissant", il le sera "jusqu'à la mort", mais il l'est déjà. Il montre qu'il l'est en accomplissant le rite du Lavement des pieds, durant lequel il se fait esclave pour ses apôtres.
Quel Samouraï a jamais inventé le rite symbolique du don total, précédant le don effectif et l'accomplissant déjà totalement?
Et quel Samouraï a inventé un don plus total de lui-même ? Le Christ ne se contente pas de mourir, comme tant d'autres l'ont fait sur la terre, pour ceux qu'il aime. Il donne sa vie, il la communique, il la partage, sans la diminuer en aucun de ceux qui la reçoivent.
Il y a dans tout suicide quelque chose de morbide, et comme un culte rendu au néant. Il y a autre chose dans la mort héroïque pour une patrie par exemple : le souci de préserver la vie (ou la qualité de vie) des autres. On ne trouve pas ce nihilisme puisque ceux qui font don de leur vie offre à ceux pour lesquels ils consentent à ce sacrifice au moins l'espérance d'un mieux être d'une fidélité à soi etc. Depuis la Révolution française, on a beaucoup abusé du patriotisme en en faisant une sorte d'antireligion ou de substitut de religion : "la patrie ou la mort", "la liberté ou la mort". Le don que le Christ fait de sa vie n'est pas différent seulement d'une différence de degré, mais d'une différence de nature. Il donne sa vie et au moment où il la donne, dans la mesure où il la donne, il la communique.
Mais surtout, la donnant, cette vie, il ne la perd pas : "J'ai le pouvoir de la donner et le pouvoir de la reprendre" (Jean 10). Il nous montre ainsi quelle est la nouvelle "économie" du don non seulement en lui mais "en nous tous en lui". Oui, désormais, "par lui, avec lui et en lui", celui qui donne reçoit "le centuple" de ce qu'il donne - ou, si vous voulez il reçoit ce qu'il donne du temps en monnaie d'éternité. Voilà ce que signifie concrètement pour nous la résurrection du Christ.
Ainsi, nous sommes arrivés au but (telos) avec lui. Nous ne pouvons pas être aimés davantage parce que nous sommes aimés efficacement, d'une efficacité d'éternité. Nous devenons celui qui nous aime. En mourant, il a troqué sa vie pour la nôtre. C'est déjà la signification ultime de l'eucharistie, qui, dès le Jeudi Saint, accomplit tout le Mystère du Christ par signe en nous transformant en lui.
Voilà le telos ! Voilà la fin obtenue ! Voilà le but de la condition humaine : cette métamorphose ! Il ne s'agit pas seulement d'un paroxysme de l'amour personnel du Christ ; il ne s'agit pas seulement de dire que les promesses de salut s'accomplissent - existent - en lui. Il faut encore ajouter que c'est nous, désormais, qui existons en lui, qui prenons vie de sa vie de ressuscité. Non, "il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie - de cette façon - pour ses amis".
La Bible de François Amiot traduit, en s'éloignant de la littéralité du texte, mais en rejoignant bien l'une de ses significations : "Il mit le comble à son amour pour eux". En grec : "eis telos" : il les aima jusqu'à la fin, jusqu'au bout ou même encore et plutôt "jusqu'au but". Quel but?
La formule est extrêmement solennelle. il me semble qu'elle a une double fonction dans le texte. D'une part, elle contient en énigme ce but, nous allons le voir dans un instant. D'autre part, elle marque le commencement d'une sorte de Paroxysme du Mystère . Oui, tout le mystère de Pâques, depuis l'invention de l'eucharistie et le lavement des pieds, jusqu'à la Passion, la Résurrection et l'Ascension du Christ dans le Ciel marque une sorte de paroxysme. La mort de Jésus réalise ce paroxysme. Il aurait suffit d'une seule goutte de son sang ! Il aurait suffi qu'il lave les pieds de ses apôtres, comme il va le faire maintenant, pour marquer qu'à partir de dorénavant, lui qui est le Seigneur, il se met totalement à leur, à notre service. Il aurait suffi... Mais Jésus a voulu davantage, il a voulu tout. Comment tout donner ? Mourir : "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime". Voilà le paroxysme. Mais il faut le comprendre totalement. On ne l'a pas encore vraiment percé à jour.
Ce qu'il faut ajouter, c'est que la mort du Christ est une fête de Pâques réelle et non commémorative pour toute l'humanité. C'est annoncé par Jean en énigme dans cette longue phrase introductive. "Avant la fête de Pâque" : Jésus anticipe sur la Pâque juive, car il a une autre Pâque à faire valoir, la sienne. Pourquoi la sienne, plutôt que celle des juifs ? Parce que la Pâque du Christ représente le passage réel depuis le monde jusqu'au Père. La Pâque juive, elle, manifestait une commémoration du Passage des Hébreux de l'Egypte où ils étaient esclave vers le Désert dans lequel pendant quarante ans, ils seront libres d'aller et de venir derrière la colonne de feu et la colonne de nuée. La Pâque juive est une figure. Les Pâques chrétiennes réalise la figure, en lui conservant tout son symbolisme. Elles sont le passage effectif de la mortalité à l'immortalité.
In finem, eis telos, nous avons donné deux sens à ce mot énigmatique : le paroxysme amoureux ou la mort d'amour d'une part ; le passage de la figure à la réalité ou meux encore peut-être de l'essence judaïque de la révélation à l'existence chrétienne.
Mais l'énigme johannique n'a pas encore tout dit.
Il me semble que l'on peut encore ajouter que le Christ donne sa vie comme personne ne l'a donnée. Il la donne complètement et cela, nous allons le voir, à la fois dans sa manière de faire et dans le but qu'il poursuit.
Dans sa manière de faire. Le Christ donne sa vie. Il offre symboliquement, mais de manière bien réelle son corps et son sang, en une nouvelle alliance qui ne se contracte pas le Vendredi saint, mais dès le Jeudi saint, durant la sainte Cène, quand, par des paroles qui forcément réalisent ce qu'elles signifient, le Christ offre pour la première fois en public, le sacrifice de la Nouvelle alliance. Disons-le : Gethsémani, la sueur de sang au Jardin des Oliviers, c'est plus encore le contre-coup de la Cène, c'est-à-dire du premier accomplissement temporel de ce sacrifice, que le pressentiment de la Croix. Jésus s'est fait esclave. "Obéissant", il le sera "jusqu'à la mort", mais il l'est déjà. Il montre qu'il l'est en accomplissant le rite du Lavement des pieds, durant lequel il se fait esclave pour ses apôtres.
Quel Samouraï a jamais inventé le rite symbolique du don total, précédant le don effectif et l'accomplissant déjà totalement?
Et quel Samouraï a inventé un don plus total de lui-même ? Le Christ ne se contente pas de mourir, comme tant d'autres l'ont fait sur la terre, pour ceux qu'il aime. Il donne sa vie, il la communique, il la partage, sans la diminuer en aucun de ceux qui la reçoivent.
Il y a dans tout suicide quelque chose de morbide, et comme un culte rendu au néant. Il y a autre chose dans la mort héroïque pour une patrie par exemple : le souci de préserver la vie (ou la qualité de vie) des autres. On ne trouve pas ce nihilisme puisque ceux qui font don de leur vie offre à ceux pour lesquels ils consentent à ce sacrifice au moins l'espérance d'un mieux être d'une fidélité à soi etc. Depuis la Révolution française, on a beaucoup abusé du patriotisme en en faisant une sorte d'antireligion ou de substitut de religion : "la patrie ou la mort", "la liberté ou la mort". Le don que le Christ fait de sa vie n'est pas différent seulement d'une différence de degré, mais d'une différence de nature. Il donne sa vie et au moment où il la donne, dans la mesure où il la donne, il la communique.
Mais surtout, la donnant, cette vie, il ne la perd pas : "J'ai le pouvoir de la donner et le pouvoir de la reprendre" (Jean 10). Il nous montre ainsi quelle est la nouvelle "économie" du don non seulement en lui mais "en nous tous en lui". Oui, désormais, "par lui, avec lui et en lui", celui qui donne reçoit "le centuple" de ce qu'il donne - ou, si vous voulez il reçoit ce qu'il donne du temps en monnaie d'éternité. Voilà ce que signifie concrètement pour nous la résurrection du Christ.
Ainsi, nous sommes arrivés au but (telos) avec lui. Nous ne pouvons pas être aimés davantage parce que nous sommes aimés efficacement, d'une efficacité d'éternité. Nous devenons celui qui nous aime. En mourant, il a troqué sa vie pour la nôtre. C'est déjà la signification ultime de l'eucharistie, qui, dès le Jeudi Saint, accomplit tout le Mystère du Christ par signe en nous transformant en lui.
Voilà le telos ! Voilà la fin obtenue ! Voilà le but de la condition humaine : cette métamorphose ! Il ne s'agit pas seulement d'un paroxysme de l'amour personnel du Christ ; il ne s'agit pas seulement de dire que les promesses de salut s'accomplissent - existent - en lui. Il faut encore ajouter que c'est nous, désormais, qui existons en lui, qui prenons vie de sa vie de ressuscité. Non, "il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie - de cette façon - pour ses amis".
Merci monsieur l'abbé pour ce beau texte, même si je ne le découvre que samedi...
RépondreSupprimerIl est temps, en ce temps de Pâques, que nous vous remercions pour tout votre travail, ainsi que le webmestre.
Alors merci!
Clément d'Aubier