lundi 19 septembre 2011

L'abbé Breuil et l'évolutionnisme

Saviez-vous que nous célébrons cette année le cinquantenaire d ela mort de l'abbé Breuil, mort en 1961 et surnommé "le pape de la Préhistoire". C'est un nom qui a bercé mon enfance, du temps où j'achetais chaque mois Archéologia et où je me passionnais pour l'archéologie. Je viens de m'enfiler sa biographie par Arnaud Hurel aux éditions du CNRS. Surprise ! On y apprend toutes sortes de choses passionantes sur le modernisme. L'abbé Breuil se sentait visé à chaque sanction. Il respira après la condamnation de l'Action Française : "Il semble que l'orage romain se soit écarté des affaires préhistoriques, et parti sur l'Action Française, ce qui sort de mon rayon. Il y a à penser que de ce côté-là il y a de l'occupation pour un moment !" C'est vrai que depuis 2000 ans, Rome est au centre, mais ce n'était pas une raison pour condamner et la droite et la gauche. il fallait faire un choix. Pie XI était au centre comme Paul VI était au centre. Ils ont l'un et l'autre choisi de taper à droite. Oscar Cullmann, théologien luthérien, en avait d'ailleurs fait la remarque respectueuse à Paul VI : "Sainteté, vous condamnez trop unilatéralement votre droite...".

Mais on apprend beaucoup de choses intéressantes dans ce livre. Arnaud Hurel renvoie par exemple à l'article Homme du Dictionnaire Apologétique de la Foi Catholique, rédigé par l'abbé Breuil et deux de ses amis prêtres et préhistoriens comme lui. Dans cet article, on considère les néanderthaliens comme une "race" d'homme. Employer le mot "race" pour distinguer des préhominiens, néanderthaliens juste capables de fracasser des cailloux pour s'en faire des outils, et des représentant de l'espèce homo sapiens, tels qu'on les a trouvés à Cro-Magnon, près de Dax... C'est un peu inquiétant sur l'usage que ces "scientifiques" font du mot race... Mais passons !

Je ne sais la part exacte que prit Breuil à la rédaction de cet article du DAFC que je suis immédiatement allé voir... Mais autant l'article est décevant, avec cet emploi dangereux du mot Race, autant il me semble que, pour ce qui est de l'abbé Breuil, sa vie de savant est consacrée toute entière à une défense et illustration de l'humanité de l'homme. Spécialiste du paléolithique supérieur, il découvre en Dordogne, près des Eyzies deux grottes : Les Combarelles et Font de Gaume, toutes deux ornées de magnifiques peintures. La communauté scientifique de l'époque réputait les peintures d'Altamira comme étant des faux. L'homme paléolithique se rattachait à l'âge Moustérien, ses productions, jusque là, étaient équiparées aux productions des Néanderthaliens. C'est l'abbé Breuil qui, au vu des chefs d'oeuvre de Font de Gaume et des Combarelles, fait triompher sa propre catégorisation, en l'imposant aux savants de son temps, souvent scandalisés de voir qu'un prêtre pouvait aussi parler au nom de la science. Breuil distingue donc du Moustérien ce qu'il appelle l'Aurignacien, un âge humain qui regroupe des productions qui sont celles d'Homo sapiens. Gabriel de Mortillet, son fils Adrien et son disciple Paul Girod reprochent à l'abbé avec un bel ensemble son "jésuitisme", autant dire : sa soutane (dont il ne se départit jamais). Mais ils vont perdre cette bataille.

La bataille de l'Aurignacien, comme on disait reste le symbole du passage non sans douleur d'un évolutionnisme matérialiste, qui n'apprécie pas l'espèce humaine dans sa spécificité, à un évolutionnisme spiritualiste, qui donne toute sa portée à ce que Teilhard, ami de Breuil appellera "le phénomène humain".

Breuil (comme saint Augustin dans le De Genesi ad litteram) est un évolutioniste sans complexe. Mais il défend la spécificité de l'homo sapiens dans la longue histoire du vivant. A Altamira, plusieurs préhistoriens chrétiens, dont Obermeier, prêtre comme lui, se sont réunis pour définir l'évolutionisme. Je cite ce texte que ressort opportunément Arnaud Hurel : "l'évolutionisme n'est ni une théorie [explicative] ni une hypothèse". C'est "une condition de la connaissance", car c'est "le principe même de la méthode scientifique elle-même, car il sonsiste à considérer les êtres et les choses dans leur ordre normal de succession, de manière à reconnaître qu'elles [sic] sont du moins partiellement, le résultat des événements et des êtres qui les ont précédés et préparés et sont (du moins partiellement) le principe de ce qui les suit".

Les raisons de Breuil sont épistémologiques, le postérieur dépendant de l'antérieur. les raisons d'Augustin sont métaphysiques, l'éternité, qui est toute en même temps, se développant dans la succession du temps. Mais ce sont d'une certaine façon des raisons semblables qui cernent de différents côtés un phénomène identique, celui du temps qui littéralement constitue notre être non rachetée par le Christ.

Il ne s'agit pas de prétendre que la matière aurait en elle-même la capacité de s'autoproduire en s'organisant d'elle-même. C'est bien l'esprit qui organise la matière. Mais il reste vrai que seul l'éternité échappe à l'histoire et seul l'infini est hors du temps.

Il faut être Baudelaire - un immense artiste - pour écrire : "Je hais le mouvement qui dépace les lignes". En tant qu'artiste, parfois, ses ailes de géant, même si elles l'empêchait de marcher, le portait à l'Infini. Et il pouvait, à partir de là, haïr le mouvement Mais nous... Nous ne pouvons pas haïr le mouvement puisque ce mouvement nous constitue. Le nier, c'est s'autodétruire.

Dans cette perspective ontologique et épistémologique, l'évolution ou l'évolutionnisme (il faudrait donner un sens à ces deux termes de manière plus précise que ne le fait Breuil), c'est l'histoire de la création, l'histoire du déploiement de l'Infini dans le fini. Pourquoi s'étonner si cela prend du temps, l'infini dans le fini ? C'est presque une tautologie que d'écrire cela. L'infini ne peut se déverser dans le fini que moyennant du temps. Beaucoup de temps. Il faudrait même dire : un temps infini si l'infini se déversait "tout entier" dans le fini. Mais c'est impossible. Le fini et l'Infini ne sont pas deux réalités du même ordre. En attendant le mouvement est la seule ressource que nous ayons pour nous mettre en marche vers l'Infini. Qu'est-ce qu'une conversion sinon une transformation radicale de nous-mêmes ? Le changement ultime, celui qui nous branche sur Dieu. En cela au moins, Teilhard n'avait sans doute pas tout à fait tort.

3 commentaires:

  1. Une "échelle de succession des êtres", cette recherche n'a pas commencé avec l'évolutionnisme, elle a couru depuis l'Antiquité et avec plus de densité tout au long du Moyen age, a changé l'ordre hiérarchique de ses objets avec les naturalistes, d'autant plus chère à la recherche chrétienne que la forme de "l'échelle" rappelait celle de l'arbre, au centre du premier jardin, sous les deux espèces de l'arbre de la connaissance et de l'arbre de vie (lire à ce propos l'ouvrage de Laura bossi, "Histoire naturelle de l'âme").

    Ce qui pose problème avec l'évolutionnisme, c'est que cette "ordre de succession" se fasse par voie d'élimination du plus faible et de sélection de l'être le plus adapté, en manière d'entérinement de la loi du plus fort,à quoi semble s'être toujours opposée la Grâce contrecarrant l'inclination naturelle et ne se contentant pas de se superposer à la nature.
    Les "échelles de succession" antérieures à l'évolution auraient plutôt désigné celle-ci comme une croissance. L'évolution, c'est une génération sans corruption, sans corrosion et sans usure, puisqu'elle jette ce qui est usé en ne se justifiant de faire ainsi que parce qu'elle "récapitule" la succession des espèces dans le "phénomène" humain au cerveau protubérant (tout est dans la tête). Cette récapitulation des espèces antérieures dans l'homme préfigure la Récapitulation intégrale du cosmos dans le Christ, à ce qu'envisageait Teilhard.

    "Pourquoi s'étonner" que "le déploiement de l'Infini dans le fini" "(prenne) du temps"? Je crois que cela tient à ce que nous confondons Dieu, Que vous désignez volontiers par l'Infini (en étant certainement conscient qu'Il excède l'infini) avec une conscience, laquelle est immédiate et se caractérise, si elle aime, par un besoin immédiat du Vis-A-vis. L'évolution diffère d'autant le moment de l'apparition de ce Vis-a-vis, et c'est ce qui nous apparaît émotionellement insurmontable. Mais peut-être faut-il mettre cette difficulté à supporter d'être des "tards venus" sur le compte du temps, qui nous ferait désirer l'immédiation du rachat qu'il empêche en l'enfermant dans la possessivité de son désir.

    Quant à la phrase de Baudelair disant qu'il "(haïssait) le mouvement qui dépasse les lignes", elle est peut-être, plus que l'énoncé d'un grand artiste, un effet de sa peur du devenir et un oubli narcissique de la possibilité à donner à l'amour d'être un "effet d'entraînement" qui fasse bouger nos lignes.

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  2. Bonjour,
    je ne sais pas si je suis assez qualifiée pour me risquer à de la haute philosophie, Mais "les êtres sont le résultat des évènements .. qui les ont préparé"...
    Si on observe la lignée des véhicules de déplacement, on constate une progression et une complexification . Le vélo se transforme-t-il en mobylette fonctionnelle sans une intervention du concepteur? Pourtant, il peut sortir d'une même usine, des vélos, bleus ou rouges, (ou défectueux), des variétés!
    Ne défendez-vous pas la Création façon "Genèse"?
    Qu'y voyez-vous d'anormal?Tout s'y défend très bien.

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  3. Je constate qu'il n'y a que notre cher Julien, qui a osé s'attaquer brillamment à ce topic, non moins brillamment ouvert par M. l'abbé.

    Pour ma part, malgré certains efforts, certainement trop faiblards, je n'ai toujours rien compris à cette question du Darwinisme et de ses enjeux, d'un point de vue catholique. Disons que j'ai une vague idée mais ça reste relativement obscur.

    Merci monsieur l'abbé, de nous avoir concocté ce texte, que je vais relire, ça va peut-être me faire progresser...C'est un peu comme toutes ces histoires de créationnisme, de gnose et j'en passe...

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