vendredi 2 septembre 2011

Vatican II, Oxbridge et moi

Oxbridge m'a récemment repris sur le fait que j'ai osé dire (voir : Le choc des JMJ) que durant les Journées Mondiales de la jeunesse, on découvrait un autre aspect du concile Vatican II, devenu sans crier gare un concile de contre-réforme catholique. Oui, je sais, j'ai poussé le bouchon un peu loin.

Voici la remarque que me fait Oxbridge :
"L'abbé de Tanoüarn ou l'art de tout mélanger... pour le meilleur ou pour le pire. Qu'est-ce que Vatican II vient faire dans l'évocation de la veillée d'adoration des JMJ ? Vatican II, que je le sache, est un concile qui s'est tenu de 1962 à 1965 ; on peut le réinterpréter si on veut, mais pas faire comme si c'était une amtière encore vivante en perpétuelle évolution, un palimpseste sur lequel on peut écrire à nouveau à l'infini. Certes, il a produit ses effets, le plus souvent délétères, bien après sa conclusion, mais doit-on pour autant résumer à "Vatican II" tout ce qui se passe dans l'Eglise depuis ? En agissant ainsi, monsieur l'abbé, ne faites-vous pas une erreur parallèle à celle des modernistes qui ont voulu faire du Concile une vache sacrée intouchable, à quoi se résumait toute l'histoire de l'Eglise, alpha et omega de la foi, plus que le Christ lui-même ? Benoît XVI peut bien essayer de corriger les conséquences désastreuses de "l'esprit du Concile", ça ne change rien à la réalité objective de ce que fut ce Concile. Surtout, on voit mal, en l'occurrence, en quoi cette veillée d'adoration prendrait ses racines, en quoi que ce soit, en Vatican II ; si elle a à voir avec le Concile, ce ne peut que contre son fameux esprit. En l'occurrence, il me semble qu'en revalorisant de telles cérémonies, Benoît XVI met plutôt le Concile entre parenthèses qu'il ne lui est fidèle. Il me semble que vous seriez bien inspiré, à son exemple, de mettre en veilleuse votre obsession du Concile...".
Il y a les questions sur Vatican II, directes.

Première vague : Vatican II est-il une matière en perpétuelle évolution ?

Deuxième vague : Vatican II est-il un palimpseste, c'est-à-dire un papyrus utilisé une première fois et réutilisé après "gommage" ?

Troisième vague : Vatican II est-il une vache sacrée ? Je dirais : un totem qui inspirerait tout ce qui se passe actuellement dans l'Eglise ou plus exactement encore qui devrait inspirer toutes choses. Pour l'image du totem, par laquelle je ne pense pas trahir la pensée d'Oxbridge, voyez le chat de Baudelaire : "Il règne, il préside, il inspire toutes choses en son empire". Il y a chez les poètes parfois des résurgences de la pensée primitive... Et chez les curés ? Vatican II est partout, comme le totem d'une nouvelle Eglise, le cardinal Ratzinger disait : un super-dogme, et vous, Oxbridge, vous critiquez ceux qui en font "l'alpha et l'oméga de la foi".

Il y a le rôle de Benoît XVI : peut-il faire autre chose que de corriger l'esprit du Concile ?

Il y a les JMJ : en quoi ont-elles à voir avec le Concile ? Elles constituent une mise entre parenthèses du Concile.

Et puis ma pomme : la fermer ? - Oui je la ferme comme dirait Coluche. Tu prends un verre ?

J'ai répondu pour l'instant uniquement à cette dernière instance. Mais le reste...

Vatican II, question épineuse. C'est un grand événement dans l'histoire de l'Eglise 2000 évêques qui se réunissent trois mois par ans à Rome pendant quatre ans. Quand j'ai écrit Vatican II et l'Evangile (2003), je pensais qu'il suffirait peut-être d'"oublier Vatican II". C'était le titre de mon introduction. Exemple de cette attitude : les JMJ marchent du feu de Dieu, c'est bien : Vatican II est très loin de tout ça.

Reprenons. Que faire de Vatican II, concile inoubliable ? Grosse question.

On peut penser, comme je l'écrivais à l'époque que c'est un Concile caractéristique de la mauvaise conscience qui fleurit durant les 30 Glorieuses. Ce texte assez flou qu'est Gaudium et spes par exemple apparaît comme dépassé parce qu'il correspond à un univers sans crise, sans échéance, sans histoire. La post-histoire qu'aimait tant Philippe Muray, je crois vraiment que nous en sommes sortis, il y a bientôt dix ans, un certain 11 septembre.
Tout cela se défend, mais cette analyse (qui fut la mienne) ne suffit pas, étant donné la solennité de l'événement.

Le cardinal Ratzinger, suite d'ailleurs à un certain Marcel Lefebvre, qui citait lui-même... Jean-Paul II, parle de l'herméneutique de Vatican II : il faut lire le Concile à la lumière de la Tradition. Ou l'on voit toute la différence qui est faite entre Vatican II et... Trente par exemple. Trente et Vatican I SONT la Tradition. Vatican II lui en dépend. Il est tellement long et tellement flou qu'il faut un critère d'interprétation supérieur à sa lettre. L'idée est révolutionnaire puisqu'elle ôte toute autorité propre à Vatican II et ne lui accorde qu'une autorité conjointe.
Et en même temps l'idée ne peut pas être mise en cause par les théologiens les plus "avancés" (Christoph Theobald ou Joseph Moingt) puisque pour eux tout document magistériel, même le concile de Nicée, et tout document scripturaire, même l'Evangile doivent être interprétés. Le thème de l'herméneutique de Vatican II est d'abord une grande habileté stratégique chez Benoît XVI (puisqu'il utilise le langage et les concepts de la théologie "avancée") et ensuite une extraordinaire manière de relativiser tout ce que l'on présentait jusque là comme superdogme.
Dans cette perspective, dans laquelle Vatican II n'est pas normatif mais normé, il me semble parfaitement vrai de dire que le texte du Concile est une matière à laquelle la tradition donne forme, ce qui peut donner l'impression du palimpseste. On s'est, un moment, trompé dans l'interprétation. Gommons et interprétons autrement : c'est le sens de ce coup de gong dans un ciel dit serein qu'est le discours de Benoît XVI le 22 décembre, devant la Curie.
Il me semble que cette perspective est parfaitement cohérente et qu'elle se trouve littéralement dans le discours de Benoît XVI avant et après son élection.

Ai-je tendance à faire de Vatican II une vache sacrée (un totem) inévitable ? il me semble, comme je l'ai dit plus haut, que l'événement Vatican II est inévitable aujourd'hui. On ne peut pas l'oublier. Celui qui évite d'en parler se met en position d'avoir tort. la question n'est pas de savoir s'il faut en parler ou non, mais : comment en parler. Benoît XVI a donné une réponse très explicite, comme nous venons de le voir.

Il est vrai (l'image de la matière qui se cherche une forme le laisse entendre) que l'on peut corriger Vatican II, puisque c'est un Concile normé par la tradition et non pas normatif de la Tradition (comme Trente et Vatican I). Le cardinal Ratzinger ne s'en est pas privé depuis - au moins - 1991 avec le document de sa Congrégation sur le concept de l'Eglise communion, réinterprétant Lumen gentium 23. Il y a d'autres exemples : Dominus Jesus (2000) sur Lumen gentium 7 : L'Eglise catholique subsiste dans l'Eglise du Christ.
Je parle ici de la lettre du Concile. Quant à l'esprit, d'après Benoît XVI ce qu'on a appelé l'esprit du Concile il faut le rejeter et non le corriger. Il le dit explicitement le 22 décembre 2005.

Quant aux JMJ... j'y arrive, next time.

7 commentaires:

  1. bravo l'abbé, vous revenez un fils de Feu MGR Lefebvre.

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  2. J'attends donc votre "next time" pour réagir. Juste une remarque ; "la question n'est pas de savoir s'il faut en parler ou non, mais : comment en parler", écrivez-vous. Bien d'accord avec vous, cher monsieur l'abbé. Je n'ai jamais prétendu qu'il fallait cesser de parler de Vatican II, événement considérable qui, comme je le disais dans le commentaire que vous me faites l'honneur de relever, continue de produire ses effets délétères. La question que je voulais poser est seulement celle-ci : faut-il en parler TOUJOURS, sans cesse, à propos de tout ce qui se passe dans l'Eglise et donc, concrètement, réduire la vie de l'Eglise d'aujourd'hui à une relecture perpétuelle de Vatican II ? C'est ce qui me paraît excessif, et que je voulais souligner.

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  3. "Vatican II, question épineuse. C'est un grand événement dans l'histoire de l'Eglise 2000 évêques qui se réunissent trois mois par ans à Rome pendant quatre ans." En fait, si mes souvenirs sont exacts, Vatican II a duré tout juste un peu moins que trois ans et demi.

    "Je parle ici de la lettre du Concile. Quant à l'esprit, d'après Benoît XVI ce qu'on a appelé l'esprit du Concile il faut le rejeter et non le corriger. Il le dit explicitement le 22 décembre 2005." Oui, cela étant, je ne pense pas que ce discours soit dogmatique. Personnellement, je défendrais plutôt l'opinion diamétralement opposée : garder ce que l'on peut de l'esprit de Vatican II : le dialogue, l'ouverture, une certaine tolérance, ... mais rejeter sans état d'âme le texte qui même lorsqu'il semble modéré (il s'agit bien sûr d'un texte de compromis, je crois que je n'étonnerai personne en disant cela) voire lorsqu'il tient des propos en eux-mêmes acceptables leur donne un sens nouveau en fonction du contexte (c'est ce qu'on pourrait appeler la consignification, il semble d'ailleurs que le mot existe, au moins en anglais : "connotative or contextual meaning").

    Par exemple une phrase, peut-être susceptible de choquer certains intégroïdes, reste toutefois en elle-même tout-à-fait acceptable, mais l'ensemble du texte dans lequel elle est insérée lui fait dire beaucoup plus que ce qu'elle signifierait prise séparément. Par exemple (je pense personnellement que la réduction de Vatican II à la liberté religieuse est une grave erreur, mais ce thème permet de donner des exemples simples) dans Dignitatis Humanae 4, un texte insiste sur le fait que toutes les communautés religieuses doivent pouvoir montrer leur éminente capacité à vivifier la société civile toute entière. On pourrait y voir l'importance des communautés religieuses (jésuites, franciscains, ...) dans le domaine de l'éducation, de la culture, ou encore de l'action sociale. Mais vu le contexte, les "communautés religieuses" sont évidemment les religions non-chrétiennes.

    Du reste, on voit mal comment ce texte peut s'accorder avec le libéralisme affiché par Vatican II (je ne crois pas que les femmes, par exemple, jouissent de beaucoup de libertés, dans les pays où es religions non-chrétiennes "vivifient" avec le plus d'intensité la société civile ; on parle beaucoup de l'islam sur cette question, mais je pense que celui-ci est loin de constituer une exception en la matière) mais il est certain que son insertion dans un texte du magistère pose tout autant problème d'un point de vue purement catholique. En même temps, cela ne veut pas dire qu'il faille que les civilisations non-chrétiennes adoptent une législation libérale (et il est étonnant voire paradoxal que le texte du concile sur la liberté religieuse semble justement les en dissuader : il s'agit là de l'un des aspects dialectique du Concile), mais le fait de valoriser de cette manière l'influence sociale des religions non-chrétiennes dans un texte magistériel est assez étonnant à une époque on l'on prétend à tout propos éviter le relativisme. (à suivre)

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  4. (suite) Pour conclure sur ce thème : De fait, une religion non-chrétienne, bien que fausse, peut avoir dans certains cas et sur certains points, une influence au moins en partie positive sur le plan social. "Le diable porte pierre", comme on dit. Pour autant, le fait de valoriser cette influence de manière aussi absolue dans un texte magistériel, et dans le contexte d'un Concile qui n'émet par ailleurs guère de réserves sur les aspects profondément erronés des différentes religions non-chrétiennes tend à insinuer dans l'esprit des fidèles une forme de relativisme, comme si toutes les "communautés religieuses" avaient en quelque manière raison, puisqu'elles sont appelées à "vivifier la société civile toute entière" (je cite de mémoire).

    Notons encore que ce paragraphe, bien qu'inséré dans "Dignitatis Humanae", est profondément antilibéral. Il n'en est pas moins fort problématique d'un point de vue catholique, je dirais même d'un point de vue chrétien en général, ou simplement du point de vue du bon sens. On voit là, me semble-t-il, que le libéralisme est loin d'être le seul problème soulevé par Vatican II. Il est vrai, cependant, que le contexte libéral dans lequel s'est déroulé le Concile aide à donner un caractère relativiste à l’œcuménisme et au dialogue inter-religieux qu'il prône, alors que (au moins dans le cas de l’œcuménisme) ceux-ci pourraient peut-être se prendre de manière positive. Pour autant, et malgré certains textes qui vont dans le bon sens, mais sont noyés dans la masse, même indépendamment du libéralisme, une grande partie des textes du Concile sont grandement problématiques, souvent (mais pas toujours) en raison de la consignification qui fait qu'une phrase signifie en fonction du paragraphe ou du groupe de paragraphes dans lequel elle est insérée (les hommes politiques le savent bien, qui évitent de tenir des propos susceptibles d'être détournés de leur sens, en étant cité en dehors de leur contexte). D'où l'utilité de lire les textes du Concile directement (je crois qu'un jésuite avait fait la même remarque à propos de Blondel : il disait que si ses livres sur le sujet ne convainquaient pas toujours, c'était que ses lecteurs ne prenaient pas toujours la peine de se procurer les livres de Blondel pour se faire une idée par eux-mêmes).

    Cela ne signifie pas que la consignification soit à éviter : d'une part, elle est inévitable, d'autre part, elle permet parfois d'éviter certaines lourdeurs. Elle était appelée d'une certaine manière par le souhait des pères du Concile d'éviter tout langage dogmatique. Cependant, en pratique, elle tourne très souvent dans les textes conciliaires dans le sens d'une certaine forme de relativisme : lequel ne se réduit pas, contrairement à ce que l'on pense parfois, au libéralisme (même si celui-ci peut y conduire) : au contraire, il me semble d'expérience les partisans (conscients ou non) du relativisme les plus indéracinables dans leurs convictions sont en général ceux qui sont hostiles au libéralisme (surtout dans les cas où cette opposition au libéralisme s'exprime sous des formes particulièrement caricaturales, notamment sur le plan des opinions politiques). Par ailleurs, au risque de déplaire à certains, je ne pense pas que le libéralisme pris en lui-même soit forcément une erreur si grave. Pour autant, il est bien certain que dans le cas du Concile, ces tendances vers le relativisme sont en général insérés à la faveur d'idées qui sont le plus souvent d'inspirations nettement libéral (il me semble même que je suis en train, disant cela, d'enfoncer des portes ouvertes ;-)).

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  5. Dîtes-moi si je me trompe mais il me semble que notre Anonyme et premier intervenant de 07h51, ce matin, a commis un lapsus et voulait écrire: "bravo l'abbé, vous reDEvenez un fils de Feu MGR Lefebvre" (et non pas "vous revenez..." ou alors au sens du fils prodigue...)
    Mais bon, je n'y connais rien!

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  6. Cher Monsieur l'abbé,

    Vatican II est tellement votre antitotem (pas votre tabou, bien au contraire), que vous voulez le normer par la Tradition, votre totem. Le moment de l'histoire où vous écrivez vous donne raison, mais qui peut présager de l'avenir ?

    Je crois au mouvement de l'histoire, pas au sens de l'histoire. Le mouvement de l'histoire a étéadmirablement décrit par Bergson dans "Les deux sources de la morale et de la religion", véritable contre-hégélianisme. Grosso modo, le mouvement de l'histoire se caractérise par de brusques soulèvement des masses et des retombées des mêmes dans l'inertie, en particulier pendant les moments de crise. Durant les crises, les masses (et les individus) revoient leurs ambitions à la baisse, les rétrécissent. C'est ce qui se passe sous le pontificat de Benoît 13 et 3 (pardonnez-moi, c'était irrésistible).

    Tandis que, dans le monde et depuis 1968, la bourgeoisie restrictive et conservatrice a perdu la bataille du verbe, dans l'Eglise, la réaction des traditionalistes a été entendue. Pour le moment et globalement. Mais à l'avenir dont nul ne peut décider, qui sait si ce ne seront pas les prêtres autrichiens qui militent pour le mariage des prêtres et le sacerdoce des femmes? Je ne dis pas que je le souhaite, mais je l'envisage. Et tout ceci dans le cadre, non d'une herméneutique (ou d'une interprétation) du concile, mais de l'évolution de l'Eglise. Il n'y a pas de "fin de l'histoire". La fin de l'histoire ne viendra qu'avec la fin du monde.

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  7. Mes anciens camarades (cathos de gauche) se plaignent que l'histoire de l'Eglise ne leur accorde pas assez de place( sic !!!)
    Les tradis que je "croise" (car ils ne sont guère fréquentables , vu d'où je viens) nous considèrent comme une génération sacrifiée . (sic).
    Les conciliaires ont "ouvert" à tous vents.
    Bien des tradis susurent dans leur sacristie.
    Le spectacle(JMJ,Assise, ordinations,concélébrations) marche à tout va, sur le terrain, rien ne se passe ...
    A quand un vrai travail ( dans le sens de "je travaille toujours et mon père aussi travaille" (ou l'iverse). Il n'a pas dit " je parle toujours"...quoique Verbe ...

    le silence des Plaies de Jésus est un excellent lieu de méditation pour le sacrifié bancal que je suis.
    Le courant dynamique de Son Sang Surabondant m'entraînera je l'espère, aussi loin que possible des querelles byzantines :
    les gens crèvent, mes amis, et vous , vous bordez ou brodez leurs linceuls de vos gloses serpentines..

    Supplions

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