Magnifique exposition sur Fra Angelico et les Maîtres de la lumière au Musée Jacquemart-André (158 bd Haussmann à Paris). Si vous aimez la peinture italienne vous avez déjà dû errer dans les salles italiennes du Musée, avec, en particulier le célèbre Saint Georges terrassant le Dragon de Uccello. On retrouve ce tableau dans l'exposition, car ce ne sont pas seulement des oeuvres de Fra Angelico que l'on nous montre, mais l'élan de toute une époque - le Quatrocento - vers la lumière.
De cet élan, Fra Angelico apparaît comme l'initiateur et le symbole. Né en 1400 à Florence, il meurt en 1455 à Rome. Il est dominicain, c'est-à-dire, surtout à l'époque, membre d'un ordre prestigieux, dont l'analogue pourrait être les jésuites... ou l'Opus Dei, si l'on cherche dans le contemporain. Un ordre symbole de la catholicité de son temps : "Qu'y a-t-il de plus furieux que ces Moines ?" demandait Erasme vers 1520, s'inquiétant du schisme luthérien et du fanatisme des Catharin, Prieras etc. qui multipliaient les condamnations. C'est frappant : il disait cela comme d'autres aurait dit : quoi de plus fou qu'une jésuitière ?
Seulement voilà : tous les dominicains ne se ressemblent pas ; il y a dominicains et dominicoquins... Savonarole (à la fin du Quatrocento) est un furieux, quand il prend le pouvoir et organise à Florence des "bûchers de vanités" où les femmes sont invitées à brûler ce qui fait leur gloire... Fra Angelico, lui, n'a rien à voir avec son terrible confrère. C'est un homme d'émotions. Vasari dans sa Vie des peintres, sculpteurs et architectes, dit qu'il ne pouvait pas peindre le Christ en croix sans pleurer.
Je pense que sa peinture n'était pas l'expression de cette émotion ni non plus son dérivatif, mais d'abord une manière pour lui d'y résister... en lui donnant forme et contour. Dans le christianisme, ce qui frappe l'Angélico, c'est avant tout les formes justement et les couleurs. Tout se passe comme si la vocation du christianisme était de donner sa couleur au monde.. Il y a les ors, les rouges, les bleus, autant de couleurs bien tranchées qui manifestent la beauté du monde et surtout la beauté des personnes, la beauté des saints qui sont dans le monde. Beauté qui n'est ni celle des visages ni celles des corps, mais celle des attitudes, empreintes de douceur, de réceptivité, de charité. C'est la vie - je veux dire la vie chrétienne - qui est belle pour Fa Angelico, et en particulier la vie monastique dans ces deux beaux tableaux de la Thébaïdes que l'on voit en début d'exposition. On a l'impression, souvent, à contempler ses tableaux, que les personnes s'estompent dans ce qui feraient leur singularité ou leur puissance individuelle... Ce qui reste, c'est leurs attitudes, c'est-à-dire leur coeur. Typique d'une telle reductio ad cor [qui nous change de la trop fameuse reductio ad Hitlerum], le beau saint Thomas d'Aquin que je ne connaissais pas : On dirait... un moine de Lagrasse...
Cette abstraction-là me semble typiquement chrétienne, elle est d'un saint, ou plus exactement d'un Bienheureux, car Fra Angelico a été déclaré bienheureux par le pape Jean Paul II. Toutes proportions gardées, je pense à l'art d'Albert Gérard, au Barroux. Il aime peindre la même abstraction, sans parvenir néanmoins à saisir le secret de la douceur des personnages de l'Angelico. N'était-ce pas l'ambition picturale d'Henri Charlier, si altière qu'elle peut inquiéter ?
J'avoue que tout en me laissant transporter par l'élan de l'Angélique vers la lumière, je préfère parfois tel de ses contemporains, disciples ou continuateurs immédiats. Vous me direz des nouvelles par exemple de la pièce n°32, la Vierge à l'Enfant de Giovanni di Francesco da Ravezzano : quelle personnalité cachée ! J'ai aimé aussi la force du Saint Françpis recevant les stigmates de Gentile da Fabriano (pièce n°15). Vous pourrez le comparer avec un tableau de l'Angélico sur le même thème (n°18). Il me semble que la palme va incontestablement à Gentile...
Suis-je iconoclaste ? Je ne le crois pas. J'aime trop les images. Mais je voulais souligner l'importance des continuateurs et suiveurs du Bienheureux, qui, ayant reçu du dominicain la lumière, y ajoutent une expressivité qui n'est pas monastique...
Dernier point : vous ferez attention, dans la dernière des huit salles au Christ bénissant, avec calice et patène. Cette oeuvre très abimée est de Fra Angelico. Elle montre combien la théologie catholique la plus profonde, la théologie sacramentelle en l'occurrence, n'est jamais loin des grandes réalisations du peintre. Représenter le Christ avec un calice et une patène, c'est affirmer que de manière invisible, la messe, chaque messe, est bien une continuité du Ministère du Christ. Et rien de moins.
De cet élan, Fra Angelico apparaît comme l'initiateur et le symbole. Né en 1400 à Florence, il meurt en 1455 à Rome. Il est dominicain, c'est-à-dire, surtout à l'époque, membre d'un ordre prestigieux, dont l'analogue pourrait être les jésuites... ou l'Opus Dei, si l'on cherche dans le contemporain. Un ordre symbole de la catholicité de son temps : "Qu'y a-t-il de plus furieux que ces Moines ?" demandait Erasme vers 1520, s'inquiétant du schisme luthérien et du fanatisme des Catharin, Prieras etc. qui multipliaient les condamnations. C'est frappant : il disait cela comme d'autres aurait dit : quoi de plus fou qu'une jésuitière ?
Seulement voilà : tous les dominicains ne se ressemblent pas ; il y a dominicains et dominicoquins... Savonarole (à la fin du Quatrocento) est un furieux, quand il prend le pouvoir et organise à Florence des "bûchers de vanités" où les femmes sont invitées à brûler ce qui fait leur gloire... Fra Angelico, lui, n'a rien à voir avec son terrible confrère. C'est un homme d'émotions. Vasari dans sa Vie des peintres, sculpteurs et architectes, dit qu'il ne pouvait pas peindre le Christ en croix sans pleurer.
Je pense que sa peinture n'était pas l'expression de cette émotion ni non plus son dérivatif, mais d'abord une manière pour lui d'y résister... en lui donnant forme et contour. Dans le christianisme, ce qui frappe l'Angélico, c'est avant tout les formes justement et les couleurs. Tout se passe comme si la vocation du christianisme était de donner sa couleur au monde.. Il y a les ors, les rouges, les bleus, autant de couleurs bien tranchées qui manifestent la beauté du monde et surtout la beauté des personnes, la beauté des saints qui sont dans le monde. Beauté qui n'est ni celle des visages ni celles des corps, mais celle des attitudes, empreintes de douceur, de réceptivité, de charité. C'est la vie - je veux dire la vie chrétienne - qui est belle pour Fa Angelico, et en particulier la vie monastique dans ces deux beaux tableaux de la Thébaïdes que l'on voit en début d'exposition. On a l'impression, souvent, à contempler ses tableaux, que les personnes s'estompent dans ce qui feraient leur singularité ou leur puissance individuelle... Ce qui reste, c'est leurs attitudes, c'est-à-dire leur coeur. Typique d'une telle reductio ad cor [qui nous change de la trop fameuse reductio ad Hitlerum], le beau saint Thomas d'Aquin que je ne connaissais pas : On dirait... un moine de Lagrasse...
Cette abstraction-là me semble typiquement chrétienne, elle est d'un saint, ou plus exactement d'un Bienheureux, car Fra Angelico a été déclaré bienheureux par le pape Jean Paul II. Toutes proportions gardées, je pense à l'art d'Albert Gérard, au Barroux. Il aime peindre la même abstraction, sans parvenir néanmoins à saisir le secret de la douceur des personnages de l'Angelico. N'était-ce pas l'ambition picturale d'Henri Charlier, si altière qu'elle peut inquiéter ?
J'avoue que tout en me laissant transporter par l'élan de l'Angélique vers la lumière, je préfère parfois tel de ses contemporains, disciples ou continuateurs immédiats. Vous me direz des nouvelles par exemple de la pièce n°32, la Vierge à l'Enfant de Giovanni di Francesco da Ravezzano : quelle personnalité cachée ! J'ai aimé aussi la force du Saint Françpis recevant les stigmates de Gentile da Fabriano (pièce n°15). Vous pourrez le comparer avec un tableau de l'Angélico sur le même thème (n°18). Il me semble que la palme va incontestablement à Gentile...
Suis-je iconoclaste ? Je ne le crois pas. J'aime trop les images. Mais je voulais souligner l'importance des continuateurs et suiveurs du Bienheureux, qui, ayant reçu du dominicain la lumière, y ajoutent une expressivité qui n'est pas monastique...
Dernier point : vous ferez attention, dans la dernière des huit salles au Christ bénissant, avec calice et patène. Cette oeuvre très abimée est de Fra Angelico. Elle montre combien la théologie catholique la plus profonde, la théologie sacramentelle en l'occurrence, n'est jamais loin des grandes réalisations du peintre. Représenter le Christ avec un calice et une patène, c'est affirmer que de manière invisible, la messe, chaque messe, est bien une continuité du Ministère du Christ. Et rien de moins.
Bonsoir et merci, Monsieur l'Abbé, pourriez-vous , lors d'une prochaine visite de musée, exposition, nous convoquer avec vous et nous faire profiter sur place de vos réflexions. Ainsi nous apprendrions à trouver le meilleur , le plus beau, le plus vrai des oeuvres et de leur auteur. Merci encore et compliments pour vos commentaires.
RépondreSupprimerMadame Dujol Marie-Louise