lundi 4 avril 2011

Billet de Carême Lundi de la Quatrième semaine

"détruisez ce temple et en trois jours je le rebâtirai"

L'Evangéliste ajoute pour expliquer cette phrase : "Il parlait du temple de son corps". Et nous comprenons que ce corps sera tué et que Jésus ressuscitera le trisième jour, donc en trois jours il sera rebâti. Cette phrase est typique de la manière de s'exprimer en énigme qu'utilise Jésus a maintes reprises. Et cette fois, nous n'aurions pas le secours de l'auteur de l'Evangile, nous aurions certainement du mal à suivre.

En quoi Jésus peut-il appeler le Temple de Jérusalem son corps ?

Il y a plusieurs chaînes interprétatives qui se construisent à partir de cette formule en énigme. On peut dire qu'elle contient en résumé tout l'Evangile.

Pour comprendre la première chaîne, il faut remonter très loin dans l'Ancien Testament, comme le fait le Père Louis Bouyer dans un livre formidable et facile à trouver : La Bible et l'Evangile. Dieu a toujours voulu être au milieu de son peuple. On le voit dès le livre de la Genèse, dans l'épisode que l'on a appelé le songe de Jacob. Le Patriarche rêve et il voit des anges qui montent et qui descendent entre ce lieu et le Ciel de Dieu. "Et voici Yahvé, dressé près de lui". Et Yahvé lui refait les promesses qu'Il avait fait à son grand père Abraham. Et Jacob en se réveillant a cette réaction, qui anticipe de deux millénaires sur l'Incarnation : "En vérité, Yahvé est en ce lieu et je ne le savais pas". Puis, nous dit le texte de la Genèse 28, 17, il eut peur : "Que ce lieu est redoutable ! Ce n'est rien d'autre que la maison de Dieu et la porte du ciel". Jacob se leva de bon matin, prit la pierre qu'il avait mise à son chevet, la dressa comme stèle et mit de l'huile à son sommet". Présence réelle de Dieu en un point de l'espace, c'est comme le premier pressentiment de l'Incarnation du Verbe.

Il faudrait avoir le temps de souligner que Jésus se compare à Jacob quand il dit à ses futurs disciples qui lui demandent : "Où demeures-tu ?" - "Venez et voyez ! Le Fils de l'homme n'a pas une pierre où reposer sa tête". Le Fils de l'Homme ne se fera jamais construire une Maison de pierre : "l'heure vient où les vrais adorateurs adoreront en esprit et en vérité" dit Jésus à la Samaritaine, et donc ni sur cette Montagne (le Mont Garizim en Samarie, pâle copie du Mont Sion) ni à Jérusalem. Le Fils de l'Homme ne se repose pas sur des murs de pierre... La formule de Jésus à ses disciples était encore un exemple de ces expressions en énigme que l'on sonde des siècles plus tard, sans se lasser.

Si le Fils de l'Homme ne se fera jamais construire une Maison de pierre, pour susciter les passions, comme, encore aujourd'hui, après 3000 ans, l'esplanade du temple de Jérusalem, où a été construite la Mosquée d'Omar, suscite toutes les passions, en revanche il veut demeurer au milieu de son peuple, réellement présent, comem Yahvé a été présent dans la Nuée lumineuse qui guidait les hébreux au désert, dans la Tente du rendez-vous, où Moïse se rendait pour prier et qui contenait l'arche d'alliance, ce coffre en bois renfermant les 10 paroles, les 10 commandements de Dieu. L'arche d'alliance a suscité la construction du Temple. Elle a été mise dans le Saint des Saints, où un Prêtre, tiré au sort, entrait une fois par an, pour rendre un culte à Yahvé (cf. Zacharie : il est dans le Saint des Saints lorsqu'il apprend de yahvé la conception de jean Baptiste). On sait qu'à la mort de Jésus sur la Croix, le rideau du Temple, qui séparait le Sanctuaire du Saint des Saints s'est déchiré depuis le haut jusqu'en bas, marquant la fin de la Présence de Dieu dans son Temple.

A la place du Temple, le Christ nous a donné son Corps eucharistique, autour duquel se construisent des millions de nouveaux Temples de pierre. Ce qui est sacré, après l'Incarnation du Verbe de Dieu, ce n'est plus un lieu, un espace géographique abstrait (encore aujourd'hui les Juifs vénèrent le Mur des lamentations), c'est le Corps, dans le Tabernacle. Partout où se trouve un Tabernacle, là on trouve Dieu, comme autrefois Moïse a entendu Yahvé dans le Buisson ardent et comme il a pu le voir "de dos" (Ex. 33) sur le Mont Sinaï.

Petit fait raconté par Yves Chiron dans sa Vie de Roger Schütz, le co-fondateur de Taizé. Mère Teresa lui a demandé deux choses qu'il a observées scrupuleusement : porter un habit religieux en permanence et emporter avec lui un Tabernacle (qu'elle lui a fait confectionner) pour qe la présence de Jésus ne le quitte jamais et que sa prière s'accroche toujours au don que Dieu nous fait ainsi de Lui-même.

Autre petit fait, que j'ai entendu en suivant par hasard un cours d'Histoire de l'Eglise ancienne au Collège de France : les premiers chrétiens emportaient souvent l'hostie chez eux et ils communiaient avant le repas. On connaît ces faits car de telles circonstances ont souvent fait l'objet de dénonciations de la part des esclaves dans les grandes maisons romaines. C'est ainsi aussi qu'est née, très tôt, au témoignage de Celse, l'accusation d'anthropophagie...

Mais revenons à cette thématique du Corps-Temple...

Sur le Chemin de Damas, si Saül se convertit, c'est qu'il entend une voix lui dire :"- Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? - Qui es-tu Seigneur ? - Je suis Jésus que tu persécutes" (Ac. 9). Dans ce dialogue on trouve toute la doctrine paulinienne dite du corps mystique du Christ. Persécutant les juifs devenus chrétiens, c'est-à-dire, comme on disait à l'époque, fidèles de la Voie, Saul le Pharisien, sans le savoir, sans le vouloir, persécutait Jésus lui-même, ce Jésus dont il avait croisé l'ombre quelques années auparavant dans les rues de Jérusalem. Les chrétiens sont ainsi des membres du Corps du Christ (I Cor. 12 etc.). Ce corps du Christ - qui est l'Eglise - "n'est pas une réalité politique, mais une réalité biologique" (Cajétan).

A travers cette doctrine du corps mystique du Christ, qui est le Temple de Dieu, on devine qu'il y a un nouveau pas, une nouvelle étape dans le raisonnement théologique qui se prépare. Où est désormais le Temple du Seigneur ? Autour du Corps eucharistique du Christ, mais aussi en chaque chrétien, puisque chaque chrétien est un membre du Corps du Christ. Vos corps sont les temples du Saint Esprit dit saint Paul rappelant aux Corinthiens l'interdit de la fornication et de la prostitution (I Cor. 6). On peut trouver difficile la morale chrétienne. Une chose est sûre : elle ne procède pas d'un mépris du corps, mais d'un immense respect pour le corps, que saint Paul appelle "temples du Saint Esprit".

De même que le Corps du Christ est le seul Temple de l'Esprit de Dieu, de même le corps du chrétien, aimé de Dieu, est un Temple de l'Esprit saint - ce qui implique deux choses immédiatement : le respect de ce corps, qui participe à la gloire du ressuscité (Détruisez ce temple et en trois jours je le rebâtirai) et le respect de chaque individu ("même le plus petit d'entre les miens" dit le Christ), car chaque individu est un Christ, susceptible de recevoir l'Esprit de Dieu. Saint Vincent de Paul passait sans transition de l'amour pour Notre Seigneur Jésus Christ à la charité pour "Nos seigneurs les pauvres".

Résolution pour aujourd'hui ? non pas seulement, comme on l'entend ici et là "se former", comme si les chrétiens étaient des militants. Je dirais plutôt : aimer l'esprit du Christ et chercher à s'en imprégner. Le christianisme n'est pas un système, mais un immense organisme analogique, où tout se comprend par ressemblances, c'est-à-dire où, comme dirait Pascal, "tout est figure" exceptée la charité.

5 commentaires:

  1. Est-ce qu'on reste à l'image et à la ressemblance dans cet immense organisme analogique (c'est déjà fou et admirable) ou est-ce qu'on passe à plus profond encore ? et alors on ne parle plus seulement du corps mais de la Chair ? d'où...Charité ?
    Et tout n'est plus seulement figure.
    Le corps, quels en sont les contours? il se construit mentalement, schéma corporel, parfois flou, parfois menaçant, parfois à apprivoiser, investir, ré-investir, parfois rejeté. A unifier.
    La chair palpite et vit. Christ venu dans notre chair. La chair "manifestation de l'Esprit" st Paul. La chair ressuscitée.

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  2. On demeure émerveillé par la pédagogie divine qui parle à travers ces correspondances que vous appelez analogies.
    En évoquant trop vite la Chair précédemment, j'ai failli à cette sagesse et à cette science. Car ce que vous rappelez de cette pierre levée et ointe par Jacob, par exemple, est extrêmement éclairant et mérite infiniment qu'on s'y arrête. Ainsi également du passage où le Christ "n'a pas une pierre où reposer la tête"...
    Comme Dieu prend le temps avec nous!
    Le temps de nous extirper de la terre, puis de l'esprit magique (qui demeure toutefois notre humaine condition); Le temps de nous faire passer des sacrifices humains à ceux d'animaux (Abraham) puis de ceux-ci au sacrifice spirituel.
    Comme il prend le temps de nous faire passer de la Loi à l'Amour, de la pierre investie et sur-investie au coeur de la personne (et pendant ce temps-là, les Juifs continuent à se frapper le front contre les pierres d'un mur, de façon quasi autistique. Attention, ce n'est pas une critique mais une constatation).
    Ce Dieu pédagogue qui "a créé l'homme psychique et l'a sauvé homme spirituel" comme dit saint Paul.
    "En l'Espérance -dit-il encore- nous avons pour l'âme comme une ancre sûre et solide qui "pénètre par-delà le voile"(Ex 25-26) là où Jésus, devenu grand prêtre "à jamais selon l'ordre de Melchisédech"(Mt 27-51) est entré comme notre avant-coureur" [Héb 6, 19]

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  3. 1. Vous interprétez la déchirure du rideau du temple comme le retrait de la Présence de dieu du temple de Jérusalem. Ne peut-on pas aussi l'interpréter en sens inverse: non pas perrennisation de cette Présence en ce temple-ci, la preuve que non, ce temple a été détruit; mais déchirure de l'infrangibilité de l'espace, que dis-je? De l'espace, de la frontière hors-lieu, hors-temps, hors de toute proportion qui rendait réciproquement l'homme et Dieu incommunicables l'un à l'autre, ou plus exactement inhabitables l'un dans l'autre.

    2. Dieu ayant toujours voulu manifester sa Présence au milieu de son peuple, il y a des temples figuratifs de nos personnes que figurent des pierres. Au coeur de ces édifices est placé dans un tabernacle, nouveau saint des saints, la Présence du Corps eucharistique. Mais pourquoi avoir idolâtré ces lieux, non pas certes jusqu'à les dédier, ce qui est nécessaire, mais la bénédiction des cloches est une caricature de cette idolâtrie, favorisant par avance toutes les querelles de clocher! Incidemment, les musulmans estiment comme nous que le fait de se rendre à la mosquée est facultatif pour prier convenablement. Et pourtant, il n'est pas un culte en ce monde qui ne réclame des lieux, revendication qui devient un objet de litige et de dissensions chaque fois que ledit culte est minoritaire dans un pays donné. De même, dans l'absolu, pour les Juifs, il n'y a pas d'espace sacré. Et pourtant, les juifs vivent dans la nostalgie du temple, et dans l'attente du "troisième temple", dont le culte synagogal n'est qu'une image affadie!

    3. Toutes ces contradictions: fin des temples et sacralisations des temples jusqu'à ce que ceux-ci deviennent une revendication communautaire, me paraît reproduire, par analogie si vous voulez, le conflit entre personnes est figures. Etymologiquement, la personne vient de la figure, du visage que l'on montre, du masque qui déguise notre véritable réalité. Il n'est pas jusqu'au Christ qui ne soit assimilé par Saint-Paul à une "figure", à une "icône du dieu invisible". Votre définition de l'Eglise comme un "organisme analogique" donne la même idée. Seulement voilà. Le "soi" personnel, si peu soit-il au regard de l'infini, supporte mal d'être seulement figuratif et analogique. A quoi bon, dès lors, réaliser cette figure, un peu comme un acrobate, un funambule qui réussit à ne pas tomber, mais qui n'a, ce faisant, accompli qu'un exploit, sans avoir accédé à son accomplissement interne, à sa signification ultime. Pour nous en faire découvrir quelque chose, il faudrait que vous parveniez, sinon à résoudre l'antagonisme que nous percevons intuitivement bien que probablement par erreur, entre la figure et la personne, ce qui semble être une gageure; mais au moins que vous nous expliquiez le second terme de l'analogie. Moi, le christ, l'eglise, nous sommes analogiques de quoi?

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  4. Monsieur l'Abbé je pense que vous avez commis une petite erreur. C'était uniquement le Grand Prêtre qui avait le droit d'entrer seul dans le Saint des Saints le jour de Kippour (ce que rappelle l'auteur de la lettre aux Hébreux en assimilant le Christ au Grand Prêtre).

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  5. A Auzon, village de Haute-Loire, on conserve jalousement -peu de gens la visitent ou le savent- dans la sacristie (une vieille dame garde la clé aussi "âgée" qu'elle) un merveilleux petit coffret du 7è s, donc mérovingien, en os de baleine (vous voyez pourquoi, n'est-ce pas ?) contenant encore du "Pain de la dernière Cène". Il est en parfait état et la dame le maintient fermé avec...un élastique!
    Il fut découvert dans le dos d'un très grand Christ en croix roman (12è), typiquement reliquaire (il y en a 2 similaires au Louvre et au musée du M.A.Cluny, provenant bien sûr aussi de Haute-Loire) que l'on peut admirer dans cette église, petite collégiale romane magnifique.
    C'est à tomber à genoux devant. Ce que j'ai fait.
    Ce genre de petit coffret orné de cercles, de rosaces géométriques, avec anneaux sur les côtés, servait à emporter avec soi (les prêtres sans doute) la réserve eucharistique, peut-être lors des invasions?

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