mercredi 6 avril 2011

Vingt-quatrième Billet de carême : Mercredi de la Quatrième semaine

"Je suis la Lumière du monde" Jean 9, 6 (cf. 8, 12)

Toutes mes excuses pour le retard avec lequel vous recevrez ce vingt-quatrième billet de Carême...

Cette affirmation solennelle de Jésus introduit au récit du miracle de la guérison de l'aveugle né, que nous lisons tout au long aujourd'hui. On peut dire qu'elle est comme un leit-motiv qui permet de comprendre le Miracle.

Jésus est la Lumière parce qu'il rend la vue à l'aveugle-né. Bien entendu ce miracle a aussi une portée symbolique. Nous-mêmes, nous sommes tous des aveugles-nés. Nous ne sommes pas des coupables de naissance ! C'est une mauvaise compréhension du dogme du Péché originel qui nous fait comprendre cela. L'aveugle né n'a aucune culpabilité et le Christ écarte l'idée que ce qui nous aveugle puisse provenir d'une forme quelconque de culpabilité : "- Qui a péché pour qu'il soit né aveugle, lui ou ses parents ? Ni lui ni ses parents, mais c'est pour qu'en lui soit manifestées les oeuvres de Dieu". Au commencement ce qui nous saisit, ce n'est pas le péché, c'est l'ignorance. Cela fait peut-être mal à entendre.

L'homme moderne croit tout savoir parce qu'il sait envoyer une fusée dans l'espace... Il connaît le mouvement des Planètes et il sait mettre en orbite ces micro-planètes que sont les satellites artificiels. L'homme moderne croit tout savoir parce qu'il connaît les sources de la vie animale et de la vie humaine et qu'il les maîtrise de mieux en mieux, au point que bientôt il imagine pouvoir dissocier totalement sexualité et reproduction humaine. Mais l'homme moderne qui sait tout ne sait rien. Il ne sait pas quel est son destin. Il se heurte à cette Parole que l'Eglise nous fait entendre chaque Mercredi des cendre : "Souviens toi homme que tu es poussière et que tu retourneras en poussière". Son destin est-il la Poussière ?

Jésus, Lumière du monde, nous renvoie à notre ignorance. Encore faut-il, cette ignorance, que nous la reconnaissions. Que savons-nous ? C'est la devise de Montaigne : que sais-je ?

Relisez ce chapitre 9 de saint Jean et vous verrez qu'il est entièrement construit sur un retour de chacune des parties en présence à ce qu'elle croit savoir. C'est très impressionnant. Nous aussi, nous devons nous interroger : que savons-nous ? Avec un instinct chrétien très sûr, Pascal dans son fameux Pari ne requiert qu'une chose des aventuriers métaphysiques que nous sommes : l'aveu de notre ignorance. "Incompréhensible que Dieu soit et incompréhensible qu'il ne soit pas ; Que l'âme soit avec le corps, que nous n'ayons pas d'âme ; Que le monde soit créé, qu'il ne le soit pas etc. Que le péché originel soit, et qu'il ne soit pas" (Br. 231).

Que savent les parties en présence ? Jésus, lumière du monde et jugement du monde, met à nu les âmes et les renvoie à ce qu'elles croient savoir. C'est par ce que chacun croit savoir qu'il se protège du Christ Lumière.

Relisons le texte. Il suffira de faire attention aux différents verbe : "Je sais". "Je ne sais pas".

C'est l'aveugle-né - guéri après avoir été baigné ses yeux enduits de boue à la Piscine de Siloé - qui, interrogé par les Juifs, dit, à propos de celui qui l'a envoyé se laver : "Je ne sais pas où il est" (9, 12), ce qui signifie aussi bien : "Je ne sais pas qui il est". Ne sachant pas, il ne prétend pas savoir. Il est dans cette ignorance qui... à la fin du texte lui donnera la foi.

Ce sont les parents de l'aveugle-né, qui... ne veulent rien savoir de cette affaire : "Nous savons que celui-là est notre fils et qu'il est né aveugle. Mais comment il voit maintenant, nous ne le savons pas ou bien qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas. Interrogez-le, il a l'âge". L'aveugle-né reconnaît ne pas savoir ce qu'il ne peut pas savoir... Les parents ne veulent pas savoir ce qui pourrait leur causer des ennuis : le nom de celui qui a sauvé leur fils. Ils entendent s'en tenir à un constat tout extérieur : "Qu'il y ait un monde ordonné, nous le savons, mais comment ce monde s'est mis en ordre ou bien qui l'a constitué dans cet ordre, nous ne le savons pas". L'ignorance des parents est stérile parce qu'elle est affectée.

Quant aux Pharisiens, que savent-ils ? "Nous savons, nous, que cet homme [Jésus] est un pécheur".

Pourquoi "un pécheur" ? D'où leur vient cette science ? Le texte nous apprend que si, pour les Pharisiens, Jésus est un pécheur, c'est parce qu'il a brisé le sabbat en guérissant cet aveugle avec de la boue et en lui enjoignant de dépasser les mille pas du sabbat en se rendant à la Piscine de Siloé pour s'y laver. Il a imposer à l'aveugle de briser la Loi de Moïse, qui oblige au repos du Sabbat. Bref c'est la Loi, l'observation minutieuse de la Loi, qui les empêche de VOIR ce qui se passe : "Nous savons, nous que Dieu a parlé à Moïse, mais celui-là [Jésus] nous ne savons pas d'où il est".

L'ex-aveugle-né leur met le nez sur la fausseté de ce savoir. Sans le vouloir, il est déjà apôtre, apôtre des Pharisiens : "C'est justement ce qu'il y a d'étonnant que vous ne sachiez pas, vous, d'où il est, alors qu'il m'a ouvert les yeux". Les Pharisiens qui sont "des Docteurs en Israël" devraient savoir ce que l'aveugle-né a reconnu ne pas savoir : "Où est Jésus". Il devrait savoir s'il est de la terre, des enfers ou du Ciel... Et ils disent qu'ils ne savent pas. Mais là encore, cette ignorance est affectée. Elle est fausse.

Et ensuite, l'ex-aveugle-né fait un bilan de ce qu'il peut savoir en tant que "vrai Israélite, sans dol ni ruse". Qu'est-ce que peut dire un coeur pur, au spectacle d'un miracle aussi indiscutable ? - je dirai, pour actualiser le propos : que peut dire un coeur pur, au spectacle d'un miracle aussi indiscutable que celui qui a été reconnu à Lourdes la semaine dernière (une page dans le Figaro) ?

Quel est le savoir humble de l'aveugle-né ? Quel est le savoir qui va lui permettre de s'écrier à la fin du texte : "je crois, Seigneur" ? Le voici : "Nous savons que Dieu n'exauce pas les pécheurs ; mais si quelqu'un est pieux et fait sa volonté, celui-à il l'exauce". L'aveugle-né a cette "foi naturelle" que l'on retrouve en dehors d'Israël (je pense, par exemple, au vieillard Céphale, mis en scène par Platon au Livre I de la République et qui attend le jugement de Dieu sur sa vie).

Pour reconnaître le Christ Lumière, il nous faut l'ignorance de l'aveugle-né qui a retrouvé Jésus, mais l'a perdu de vue, sans pour autant perdre son bon sens et sa "foi naturelle".

Mais le Christ pose sa lumière sur deux autres genres de personnes : ceux qui ne veulent pas de lui et qui s'abritent derrière leur science acquise pour l'exclure : les pharisiens hier, les sages et les savants d'aujourd'hui peut-être. Il y a les ignorants du troisième type, ceux qui prétendent avoir le droit imprescriptible de ne pas voir plus loin que le bout de leur nez : ce sont les parents de l'ex-aveugle.

Nous n'avons plus qu'à choisir à quelle catégorie de personnes nous entendons appartenir : nous sommes libres de choisir, mais - et ce pourrait être notre résolution concrète d'aujourd'hui - nous ne pouvons pas ne pas choisir. Ceux qui croient ne pas choisir font le choix de la troisième catégorie, le choix de la lâcheté.

Comme dit encore Pascal : "Nous sommes tous embarqués".

2 commentaires:

  1. Merci mon père,
    C'est otujours aussi profond.
    Clément d'Aubier (psuedo de rêverie)

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  2. Que vous faites bien de distinguer l'ordre de la foi de celui de la certitude! Combien terrible est "la foi des certains"! Dans la Révélation, tout se passe comme si Jésus, jamais ne nous avait refusé le merveilleux, mais toujours nous avait ménagé une marge d'incertitude pour que nous puissions choisir, rien de moins que de croire, de postuler l'existence de quelqu'un et la dimension salvatrice du même! J'aime aussi que vous souligniez que l'aveugle né, à peine vient-il de recouvrer la vue par le fait de Jésus, qu'il Le "perd de vue", de vue, sans en perdre le sentiment de ce qu'Il lui doit, de sorte que celui que vous appelez astucieusement "l'apôtre des pharisiens" (je voudrais bien être celui-là, clin d'oeil!) ne croit pas au point de chercher Jésus, mais reste disponible à se laisser trouver par Lui. Sa foi la plus communicative vient, comme vous le dites, d'un don naturel, et ce n'est que dans un second temps qu'il reçoit le don surnaturel de la foi, ce don qui le fait se prosterner devant le christ, prosternation qui nous laisse sans voix, comme si nous étions tout à coup les voyeurs de son intimité, tandis que dans la première partie de sa prédication, quand il fait part de son intime conviction, on ne peut que le suivre! Le risque de la foi, c'est qu'à force de certitude, elle nous rende taciturnes, autrement dit silencieux, et comme lésés du verbe après avoir reçu le don du verbe. Ce silence est un contresens.

    Quant à l'ignorance qui serait consécutive au péché originel bien plus que le sentiment de culpabilité, permettez-moi d'être plus réservé sur cet article ! D'abord parce que l'universalité du sentiment de culpabilité est le meilleur témoignage en faveur du péché originel. Mais aussi, il ne faudrait pas que le sentiment de notre ignorance aille jusqu'à nous faire effacer toutes ces réminiscences innées qui sont comme à l'origine du don naturel de la Foi! Je crois même qu'en un sens, si nous croyons à l'immortalité de l'âme, c'est parce que quelque chose nous prévient que nous avons participé à l'instant incoatif, l'instant de la création, comme si le Désir qu'éprouva Dieu de créer de l'autre avait comme animé, l'espace de le sentir, notre vie qui n'avait pas même encore accédé à l'être. Hypothèse origénienne frisant le steinerisme qui met en parallèle les principes d'immortalité et d'innatalité. Sans doute faut-il avancer prudemment sur ces sentiers glissants et quasi gnostiques. Toutefois, je ne me rappelle jamais sans émotion cette remarque que me fit mon meilleur ami ainsi qu'à ma compagne, pensant à cette nôtre participation à l'instant incoatif auprès de dieu, d'une manière ou d'une autre, soit que nous ayons été auprès de Dieu comme le verbe, soit que le Verbe nous l'ait rappelé a posteriori : "Sans doute, nous dit-il, nous n'avons pas eu de vie antérieure, mais nous avons connu une existence antérieure."

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