Tout à l'heure, avec deux camarades qui se reconnaîtront, je croise un cycliste qui me hèle. Nous avons un commencement de discussion... sur la traduction du Notre Père et la formule "Ne nous soumets pas à la tentation"... Et je lui donne mon adresse Mail, en lui laissant entendre qu'hélas, comme on dit dans les opéras, le devoir m'appelle...
Je reçois à l'instant ce texte, où ce jeune homme se présente et explicite non seulement la difficulté de la traduction, mais le doute que cette traduction fait planer sur l'Institution qui la cautionne.
Je ne me livre pas au bidonnage d'un journaliste médiocre, je vous fais simplement partager mon émotion... Voici ce texte.
Sur le sujet que vous abordez, je n'aurais pas su mieux dire. Je publie votre lettre, dont je précise que l'original n'est pas anonyme, à l'attention des hommes d'Eglise qui lisent ce Blog, pour qu'ils comprennent que le problème soulevé par vous et par moi, à propos du Notre Père, n'est pas un problème qui doit recevoir des solutions partisanes, mais que c'est un problème de vérité pour les fidèles (notre confluence inattendue en témoigne) et de crédibilité pour l'institution qui couvre des traductions erratiques.
Je vous dis à très bientôt, cher AEB, pour que nous évoquions le rapport que vous énoncez entre les romans de cape et d'épée et le christianisme. Sachez que sainte Thérèse d'Avila, une des plus grandes mystiques que l'Église revendique, avait lu elle aussi des romans de cape et d'épées dans sa jeunesse et qu'elle leur attribue dans sa Vie écrite par elle-même une influence sur ses choix d'adulte.
Chers amis liseurs, juste une remarque pour finir : sans ma soutane, dont la masse noire se voit de loin, une telle rencontre était impossible.
Je reçois à l'instant ce texte, où ce jeune homme se présente et explicite non seulement la difficulté de la traduction, mais le doute que cette traduction fait planer sur l'Institution qui la cautionne.
Je ne me livre pas au bidonnage d'un journaliste médiocre, je vous fais simplement partager mon émotion... Voici ce texte.
Bonjour,Cher AEB, qui vous définissez vous-même comme un chrétien de cape et d'épée, c'est notre rencontre qui est magique.
Je vous ai croisé à vélo quand vous rentriez dans votre voiture en ce début d'après midi.
Pour me présenter en deux mots: j'habite Paris 15ème, je suis métissé et issu de l'union d'un père malien musulman et d'une mère française athée. Je me définis plutôt chrétien influencé par les films de capes et d'épée vue à la télévision africaine lorsque j'étais enfant. Je suis croyant mais ne pratique pas.
J'ai partagé avec vous mon interrogation sur la justesse de sens dans la prière du "Notre Père ..." qui, lorsqu'elle est récitée, présente un passage prononcé communément de la façon suivante " ne nous soumet pas à la tentation" or les personnes ne devraient-ils pas plutôt dire "ne nous laisse pas succomber", puisque lorsque l'on succombe cela relève de notre libre arbitre de potentiel pêcheur et l'aide demandée à Dieu de nous aider à résister à nos démons prend tout son sens, alors que lorsque l'on est soumis il n'y a plus de libre arbitre et cela supposerait une emprise par Dieu sur les hommes et les femmes qui lui vouent leur prétendu foi avec en prime la volonté de Dieu de vous imposer la tentation en permanence?
Or je trouve cela dérangeant par rapport à l'exercice de Foi qu'est la prière. C'est à se demander Qui prie t'on exactement?
En effet, je vois bien Dieu exiger des hommes et des femmes qu'ils fassent un don de soi jusqu'au sacrifice de soi en référence à l'Amour de soi et des autres, mais de là à ce que celui-ci vous soumette littéralement à la tentation, je trouve cela choquant.
Je suis étonné que des milliers de personnes qui prononcent cette prière à l'église en France n'aient pas conscience de cela alors que leur prière prend un tout autre sens à cause de ce détail.
Je me dis, avec humour, que l'expression américaine qui dit que le diable se cache dans les détails, brille dans toute sa splendeur et que ce dernier arrive à faire un beau pied de nez à Dieu sous son propre toit dans les églises qui servent de lieu de prière. Comme dirait mon neveu de 5 ans "c'est pas rigolo!" mais ça me fait tout de même sourire...
Je voulais vous remercier de m'avoir confirmé que ma remarque était pertinente à vos yeux, car je vous avoue que cela faisait un moment que je m'interrogeais sur ce détail.
Bon courage dans votre profession car il y a franchement du boulot ... et j'ajouterai même au sein de l'église qui arrive à laisser leurs fidèles dans l'erreur par on ne sait quel tour de magie.
Sincères Salutations.
A. E. B.
Sur le sujet que vous abordez, je n'aurais pas su mieux dire. Je publie votre lettre, dont je précise que l'original n'est pas anonyme, à l'attention des hommes d'Eglise qui lisent ce Blog, pour qu'ils comprennent que le problème soulevé par vous et par moi, à propos du Notre Père, n'est pas un problème qui doit recevoir des solutions partisanes, mais que c'est un problème de vérité pour les fidèles (notre confluence inattendue en témoigne) et de crédibilité pour l'institution qui couvre des traductions erratiques.
Je vous dis à très bientôt, cher AEB, pour que nous évoquions le rapport que vous énoncez entre les romans de cape et d'épée et le christianisme. Sachez que sainte Thérèse d'Avila, une des plus grandes mystiques que l'Église revendique, avait lu elle aussi des romans de cape et d'épées dans sa jeunesse et qu'elle leur attribue dans sa Vie écrite par elle-même une influence sur ses choix d'adulte.
Chers amis liseurs, juste une remarque pour finir : sans ma soutane, dont la masse noire se voit de loin, une telle rencontre était impossible.
Cher M. l'Abbé (et cher AEB)
RépondreSupprimerJ'aime bien votre impulsivité qui vous rend si vivant et j'aime bien votre blog qui pose des pb récurents du petit monde tradi. Comme j'ai moi aussi été élevé dans cette réaction qui consistait à dire que le "nouveau Notre Père" dans sa formulation "ne nous soumets pas" insultait Dieu et était donc hérétique, je suis content que vous nous donniez ainsi l'occasion de progresser tous ensemble dans la magique communion des saints !
Ainsi, j'ai revu totalement cette analyse à l'emporte-pièce en lisant le Jésus de Nazareth de Benoît XVI qui revoit d'ailleurs sur ce point à Cyprien de Carthage. Ebranlé dans mes "convictions", je suis allé lire le catéchisme de Saint Pie V (improprement dénommé du Concile de Trente) et la conclusion est sans appel : nous avions tort sur ce point (comme sur beaucoup d'autres d'ailleurs !) et l'édifice tradi d'opposition aux évolutions "modernistes" s'effondre un peu plus, ou du moins cela prouve que nous réagissons en partisans (comme vous le dénoncez d'ailleurs justement de la FSSPX au dessus) et non en catholiques, avec une théologie bien défaillante qui ne trompe que nous...
Saint Cyprien dit "Lorsque nous demandons : ne nous soumettez pas à la tentation, nous exprimons notre conscience que l'ennemi ne peut rien contre nous si Dieu ne l'a pas d'abord permis. Ainsi nous devons mettre entre les mains de Dieu nos craintes, nos espérances, nos résolutions, puisque le démon ne peut nous tenter qu'autant que Dieu lui en donne le pouvoir"
On voit ainsi que le "ne nous soumettez pas" comporte à la fois la prière de ne pas être soumis à la tentation, mais aussi d'avoir la force de ne pas succomber dans les tentations... Donc c'est une formulation plus riche que celle à laquelle vous voudriez la réduire...
Ensuite, il faut plonger dans le catéchisme tridentin pour se rendre compte que si Jésus-Christ nous a demandé d'utiliser cette formulation c'est qu'Il avait de vraies raisons ! Et ne nos inducas : ne nous induisez pas en tentation, traduit le catéchisme publié par Itinéraires, qu'on ne pourra pas accuser de modernisme échevelé (et formulation qui a la même signification sémantique que le "ne nous soumettez pas") ! Mais il n'y a pas moyen de le traduire autrement si l'on ne veut pas se trouver en parfaite incohérence avec les développements des Pères catéchistes ! Or ces Pères consacrent plus de 10 pages à ce sujet que l'on ne peut donc régler d'un simple post. Et même s'ils font le lien entre 'induire' et 'succomber' ils démontrent par leurs explications que limiter la parole du Christ au seul 'succomber' serait totalement impropre et je leur laisse donc la parole :
(suite)
RépondreSupprimer"Etre induit en tentation, c'est succomber à la tentation. Or nous y sommes induits de deux manières : premièrement lorsque, renversés par le choc, nous tombons dans le mal où veut nous jeter le tentateur. En ce sens Dieu ne tente et n'a jamais tenté personne car il n'est l'Auteur du péché pour personne, au contraire 'Il déteste tous ceux qui commettent l'iniquité.' (Ps 5.7) aussi bien dit l'Apôtre St Jacques (1.13) 'que personne ne dise quand il est tenté que c'est Dieu qui le tente ; car Dieu n'est point tentateur pour le mal'.
On dit en second lieu que nous sommes induits en tentation par qq'un qui, sans nous tenter lui-même, sans même contribuer à nous tenter, passe cependant pour nous éprouver réellement car il n'empêche ni la tentation ni la victoire de la tentation sur nous, bien qu'il le puisse. C'est de cette manière que Dieu permet que les bons et les justes soient tentés ; mais alors Il les soutient de sa grâce et ne les abandonne pas (...) On dit aussi que Dieu nous induit en tentation lorsque nous abusons pour notre malheur de ses bienfaits (...)
MAIS IL EST UN USAGE DE LA SAINTE ECRITURE QU'IL FAUT SIGNALER AVEC SOIN : POUR EXPRIMER CE QUI N'EST QU'UNE PERMISSION DE DIEU, ELLE EMPLOIE QUELQUES FOIS DES TERMES QUI, PRIS A LA LETTRE, DESIGNERAIENT UNE ACTION (...) OR IL NE S'AGIT PAS D'UNE ACTION POSITIVE DE DIEU MAIS D'UNE SIMPLE PERMISSION.
Ainsi, il n'est pas difficile de savoir ce que nous devons demander à Dieu dans cette sixième demande de l'oraison dominicale. Nous ne demandons point de n'être jamais tentés car la vie de l'homme sur terre n'est que tentation. Et il est utile et avantageux qu'il en soit ainsi. (...) Nous demandons d'être toujours assistés du secours divin afin de ne pas consentir à la tentation et de ne point être séduit par elle et de n'y point non plus céder par faiblesse. Et si nos forces venaient à nous manquer, nous demandons que la Grâce de Dieu soit toujours avec nous pour les réparer et les ranimer immédiatement."
Je pense qu'il est inutile de rajouter aux propos des Pères : ils sont assez explicites et s'ils ont cru nécessaire de préciser que "induire" pouvait équivaloir à "succomber" c'est que le terme proposé par NSJC n'est pas "succomber" mais "induire" et qu'Il l'a fait à dessein pour éprouver notre capacité de méditation et de réflexion ! Et s'il faut 10 pages au catéchisme, avec des citations des Ecritures pour nous l'exposer, c'est que ce n'est pas un sujet simple qu'il faudrait traiter de façon simpliste.
L'épître de saint Jacques Apôtre, chapitre I, verset 13, confirme l'intuituion d'A. E. B. :
RépondreSupprimer* "Que nul, quand il est tenté, ne dise : 'Ma tentation vient de Dieu'. Car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et NE tente personne'....
* Et dans l'Ancien Testament, le Siracide, chapitre 15, versets 14 et 20 : "(Le Seigneur) ... l'a laissé (l'homme) à son propre conseil. ... Il n'a prescrit à personne d'être impie, il n'a accordé à personne licence de pécher"... (=condamnation de la soit-disant "liberté de conscience" interprétée comme une liberté de pécher devant Dieu).
Si Dieu permet à l'Adversaire de nous tenter, Dieu n'est pas Lui-même Celui qui nous soumet à la tentation. La traduction dans le Notre Père, "ne soumet pas à la tentation", comme si notre tentation venait de Dieu.. est donc pour le moins malvenue.. voire blasphématoire.
Cher Antoine Lisez plutôt les commentaires du Père Carmignac qui a approfondi cette question de la traduction "moderne",qu'il juge désastreuse,et... il a raison.Bonne année.
RépondreSupprimerC'est curieux que la version latine ne pose pas de problème aux détracteurs du "ne nous soumets pas..." ??
RépondreSupprimer"ne nos inducas in..." exprime bien l'action de Dieu (sous-entend son "consentement"), comme "ne nous soumets pas".
Dans "ne nous laissez pas succomber..." le sens latin n'est pas rendu fidèlement (du point de vu sémantique), bien que cette formulation semble de prime abord plus simple à comprendre pour un fidèle lambda.
Par ailleurs il ne s'agit que du français et de l'espagnol (dejar caer), car les allemands ûtilisent führen (conduire = proche de inducar), les anglais lead = idem, les polonais wodz = induire/mener = inducar texto etc.
Si l'on essayait déjà de vivre selon les commandements de Dieu, ce serait une meilleure arme pour éviter le péché et respecter ce que Jésus nous transmet dans Sa prière adressée au Père, plutôt que de nous diviser encore sur une formulation exprimée d'une manière ou d'une autre dans des langues différentes.