[Ce texte est paru dans Monde&Vie n°820 du 12 décembre 2009]
Nos évêques à Lourdes ont fait silence – officiellement – sur le problème des traditionalistes dans l’Eglise. Un silence qui contraste avec la manière ouverte dont Benoît XVI, à Lourdes déjà, l’année précédente, avait rappelé que « personne n’est de trop dans l’Eglise » en insistant sur l’accueil des traditionalistes. Si l’on cherche bien, on peut néanmoins déceler dans le rapport Dagens sur l’identité catholique, une volonté, chez Nos Seigneurs, de s’adresser à tous les catholiques et de prendre en compte – enfin – la problématique de l’identité – et des carences de l’identité – des catholiques dans la société française actuelle.
Oh! La réaction épiscopale est encore timide. On sent une pudeur de rosière dans ce communiqué, publié avant même l’Assemblée épiscopale : « Il nous appartiendra, lors de nos échanges à Lourdes, de décider de quelle manière ce document de travail mérite d’être édité et diffusé, en vue de susciter le même discernement spirituel que nous aurons tenté de réaliser entre nous »…
Un mois après la clôture des travaux, rien n’était fait pour la diffusion de ce document qui semble faire mal à certains. C’est Golias qui, une fois de plus, rompt l’omerta, dans un article de Christian Terras, daté du 4 décembre dernier. « L’ayant lu, déclare le directeur de Golias, nous ne pouvions que le partager avec vous. Question de visibilité d’un message dont toute l’Eglise est responsable! » Pour une fois que Golias fait du bon travail, ne boudons pas notre plaisir! Sans doute y aura-t-il des passages importants que l’on ne nous aura pas donnés à lire. Ce texte de 44 pages, qui se veut « une sorte de relecture de l’histoire de l’Eglise depuis trois ou quatre décennies », ne nous livre pas tous ses secrets sous la plume de Christian Terras. Mais, relations dans l’épiscopat obligent, il nous en donne suffisamment pour nous mettre en appétit et pour hâter la publication du texte intégral.
Les évêques, par la voix d’un des plus éminents d’entre eux, Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême et membre de l’Académie française, ont souhaité affronter trois questions auxquelles ils se brûlent souvent les doigts : « l’indifférence religieuse, la visibilité de l’Eglise et l’évangélisation ».
La question de l’indifférence religieuse me paraît capitale. C’est cette indifférence qui a été constamment sous évaluée pendant et après le Concile – ce qui explique pour une large part l’échec des réformes conciliaires. Dans les années 60, on était parti de l’idée que si l’Eglise ne perçait pas davantage dans la société, c’était essentiellement à cause de ses fautes, pour lesquelles elle devait faire repentance – le concept de la repentance de l’Eglise se trouve à plusieurs reprises dans Gaudium et spes, un document conciliaire qui remonte à 1965. On voulait voir dans chaque homme un désir naturel de la vérité chrétienne, une sorte d’instinct chrétien contrarié par le scandale des clercs et l’inadaptation de leur discours. Aujourd’hui enfin on reconnaît que le problème principal n’est pas là et qu’il se trouve dans l’indifférence religieuse massive de nos contemporains. Il était temps!
Pour ébranler cette indifférence religieuse, il faut plus de visibilité de l’Eglise, dans sa prédication, qui doit être résolument non conformiste (n’est-ce pas saint Paul qui disait : Ne vous conformez pas à ce siècle! ») et plus de visibilité dans sa liturgie (qui doit retrouver les formes liturgiques que l’on a bien imprudemment envoyées aux orties dans les années soixante-dix). Nous devons « réhabiliter en nous-mêmes une attitude fondamentale : au lieu de chercher et de dénoncer des obstacles extérieurs, il est urgent d’oser manifester la nouveauté chrétienne, l’identité chrétienne de l’intérieur même de ce qui nous est donné par Dieu ».
Mgr Dagens, dans plusieurs entretiens donnés ici et là, parle des « exigences durables de notre foi ». Ce mot « durable » vaut à lui seul tout un poème. Il y avait le développement durable. Il y a maintenant les exigences durables de la foi. Pourquoi ne pas parler de Tradition? C’est bien cela, que je sache, l’exigence durable? Cette exigence, dit encore Mgr Dagens est « une exigence de vérité » sur laquelle chacun doit s’examiner et demeurer vigilant. Certes! Le mot vérité ici n’est pas de trop. Mais cette vérité n’est pas purement intérieure ou purement spirituelle, sinon il n’y a pas moyen de la transmettre. Cette vérité est celle des « formes durables » à travers lesquelles se transmet ordinairement la foi chrétienne. C’est cela aussi que signifie « la réalité essentiellement sacramentelle » de l’Eglise, sur laquelle insiste paraît-il le Rapport Dagens. Qu’est-ce qu’un sacrement? La visibilisation d’une grâce invisible à travers une forme cultuelle. Comment l’Eglise sacrement pourrait-elle oublier les formes qui l’ont fait vivre pendant des siècles?
Il y a dans ce texte de Mgr Dagens comme un commencement d’autocritique, qui me paraît particulièrement émouvant et qui explique peut-être le retard de la publication : « nous ne pouvons apporter toutes les réponses avant d’avoir écouté les questions. Nous ne pouvons pas seulement écouter les questions pour lesquelles nous avons des réponses ». Écouter les questions! Un tel mot d’ordre peut mener une Institution à des États généraux. Les « synodes diocésains », organisés dans la plupart des diocèses, ont souvent ressemblé à des embryons d’Etats généraux, avec Cahiers de doléance. Mais ils étaient sans doute trop corsetés, surveillés, les participants trop triés sur le volet, leur discours trop souvent relus avant d’être prononcés pour que « les vraies questions » puissent émerger. Et puis, les États généraux, en France, on le sait, ça se termine mal. Les questions dont parle Mgr Dagens, c’est la presse catholique qui doit en faire l’inventaire, c’est Internet qui doit les faire circuler (une question justement : avez-vous été surfer sur le site de Monde et Vie?)
Cette autocritique se poursuit, pour la plus grande joie de Golias, n’hésitant pas à montrer les évêques souvent en décalage avec le peuple de Dieu : « lorsque l’Eglise est implicitement identifiée à sa hiérarchie, au pape et aux évêques, la totalité de l’Eglise est alors perçue à travers les déclarations et les silences de cette hiérarchie, elle-même conçue comme séparée de l’ensemble du Corps ecclésial, voire opposée à ce Corps ». Golias prend ça pour lui, mais où sont les catholiques progressistes aujourd’hui? Quelle est leur moyenne d’âge? La vérité c’est que cette coupure entre les évêques et le corps de l’Eglise, c’est la coupure qui existe trop souvent entre un appareil sans entrailles et la demande humble et insistante de beaucoup de fidèles, trop souvent encore méprisés par leurs pasteurs. Une autre formule me paraît particulièrement touchante : « Nous avons nous-mêmes [il s’agit des évêques] beaucoup à progresser pour comprendre que la visibilité de l’Eglise est celle d’un Corps vivant dont la source est Dieu, dans le mystère du Christ, et qui passe par nous, les membres de ce Corps, dans la diversité de charisme reçu de Dieu. » Nous savions bien que les évêques n’étaient que des intermédiaires et pas les propriétaires de l’Eglise. Mais que l’un d’entre eux le dise, avec cette foi dans le Corps mystique du Christ, il faut bien reconnaître que cela paraît particulièrement roboratif pour tout le monde. Il ne s’agit pas que dix clampins ici et trente gus là s’écrient : « Nous sommes l’Eglise ». Une telle attitude relève d’un spontanéisme démocratique caractéristique de l’ultra-gauche mais qui (désolé pour Golias) n’a pas grand-chose à voir avec le Corps mystique du Christ. Ce qu’écrit Mgr Dagens dans son Rapport, cité par Golias, c’est que le Corps mystique du Christ, avec sa prière et sa foi, peut se trouver « séparé » de sa hiérarchie, à cause de sa « diversité ». « n’ayons pas peur de la diversité dans l’Eglise » disait aussi Mgr Barbarin dans un entretien au Progrès de Lyon, peu après la libéralisation de la messe traditionnelle. Il ne s’agit pas que, dans l’Eglise, les uns perdent et les autres gagnent. Il s’agit de reconnaître la diversité des vocations, même lorsque l’on s’en sent « séparé ».
Terrible débat à engager dans l’Eglise de France! « Sans doute serait-il utile et même nécessaire que les paroisses, dans la période actuelle de réorganisation qu’elles connaissent souvent, s’interrogent sur la place à accorder à des moments et des lieux de dialogues véritables »! souhaite Mgr Dagens. Mais peut-il y avoir dialogue lorsque l’on se contente de répéter ce que l’on a entendu au 20 heures? le dialogue n’est pas possible sans que l’on se ressaisisse enfin d’une culture chrétienne, passée par pertes et profits dans le grand chambardement soixante-huitard. Il n’y a pas de dialogue sans compétence, sans une véritable connaissance de la tradition chrétienne. C’est le cas de Mgr Dagens. Quiconque a lu son blog sent qu’il se passionne pour saint Paul qu’il cite sans cesse. Il retrouve ainsi ce que Benoît XVI, dans Spe salvi, a appelé « les racines de la foi chrétienne » (n° 19) et il rend possible l’autocritique des chrétiens dont parlait le Saint Père.
Mais la lenteur avec laquelle on rend public (on rend visible) son document sur… la visibilité des chrétiens montre que, malgré certaines prises de conscience, la machine est encore grippée et que, dans l’Eglise de France, les vraies questions ont bien du mal à émerger.
Joël Prieur
Entre temps, le rapport Dagens (44 pages) a été mis en ligne sur le site de Golias. GDB.
RépondreSupprimerCertes, le premier pas pour secouer cette indifférence religieuse de la population est la visibilité chrétienne. Mais cette visibilité ne passe point uniquement par la "Tradition" (dans le sens "les tradis" et leurs façons)
RépondreSupprimerNous pouvons être plus visibles à deux niveau : celui de l'Eglise institution et notre modeste niveau personnel.
Au niveau de l'Eglise: les processions publiques comme celles du Vendredi Saint sur les Champs-Elysées ou celles du Corpus Christi (très vivantes dans certains pays d'Europe), les messes médiatisées pour des occasions officielles eg obsèques d'une célébrité (état, art, spectacle...) pour montrer la présence incontournable de l'Eglise dans cette étape du parcours de l'homme, plus de communication sur la messe et pélérinage des parlementaires pour rendre visible la présence de l'Eglise dans la vie publique etc etc, il y a sûrement beaucoup d'autres idées en plus de ce qui se fait déjà.
Au niveau particulier et c'est peut-être là le propos de mon post : des petits signes comme la présence d'un ichtus à l'arrière de la voiture (oblige en plus à se contrôler davantage par rapport aux autres automobilistes pour ne pas donner de mauvaise image d'un chrétien ! --> donc nous fait progresser dans les valeurs chrétiennes), porter une petite croix ou une médaille au travail sans l'enfouir sous la chemise ou le chemisier pour les dames (témoignage discret, mais présent!), oser souhaiter publiquement un Joyeux Noël au bureau et en réunions externes, plutôt que cet horrible "bonnes fêtes de fin d'année" (!!), idem mettre Joyeux Noël dans notre message d'absence dans le mail, ensuite, envoyer à quelques collègues non chrétiens ou athées (mais tout de même de confiance, il n'est pas tout de suite nécessaire de provoquer, surtout que l'on peut nous reprocher l'abus du matériel pro) une courte et belle méditation du chemin de Croix le vendredi Saint etc etc; petits témoignages au quotidien, mais qui montrent la foi intégrée dans notre vie et une vie selon la foi, au moins dans ses manifestations non dissimulées de tous les jours.
Et là aussi, encore une fois, ce témoignage public si modeste soit-il, nous aidera à travailler sur nos attitudes et comportement, donc progresser sur le Chemin, car le christianisme affiché oblige.
Juste une petite réflexion sur cette idée de procession sur les Champs Elysées: c'est vaste, et en-dessous de 200.000 personnes on s'y sent un peu perdu. Il n'est déjà pas facile de remplir la rue des Bernardins sur toute sa largeur, alors les Champs...
RépondreSupprimerPour ce qui est de la méditation du Vendredi Saint aux collègues païens, attention: c'est placer d'emblée la barre un peu haut. Il faut s'en tenir au basique.
N'empêche que je comprends votre préoccupation. Mieux: je la partage.