mardi 15 décembre 2009

Identité

Il est clair, quand on y réfléchit une minute, que la question de l'identité est la question qui marque notre époque, la question dont il n'était pas (ou pratiquement pas) question dans les années Quatre-vingt, la question qui spécifiquement nous concerne, au début de ce millénaire post-christique. Le Président Sarkozy a donc raison d'en faire l'objet d'un débat national, mais il me semble que les termes de ce débat sont habituellement mal posés.

On veut nous faire croire que l'identité de la France, c'est la devise républicaine, liberté, égalité, fraternité. Fort bien. Mais alors, si c'est le cas, qui peut raisonnablement s'opposer à cette devise réalisée ? "Liberté, égalité, fraternité", c'est au nom de ces trois mots qu'il y eut à la fin du XVIIIème siècle une préfecture à Hambourg et que les volontaires et autres victimes du tout nouveau Service militaire ont expliqué aux peuples de l'Europe que l'avenir, c'était la liberté ou la mort. La France a emm. toute l'Europe avec sa révolution, justement parce que le nationalisme révolutionnaire (ô l'amour sacré de la patri-i-e) était en même temps un internationalisme.

Et ce que nous vivons aujourd'hui me semble bien être du même ordre. La France, que l'on appelle souvent en Europe "la grande nation" et qu'Hannah Arendt n'hésite pas à appeler quelque part "la nation par excellence", a depuis longtemps une velléité impériale. La défaite de François Ier à Pavie vient de là, tout comme les Guerre d'Italie, destinées à faire triompher un axe Rome Paris (plutôt que Rome... Cologne). Aujourd'hui, Paris continue à éprouver cette velléité d'empire, en se pensant comme... les États Unis d'Europe, avec une population ouverte à la diversité comme... les États Unis d'Amérique.

Il est clair que le fameux pacte républicain, si nationaliste soit-il en première apparence, n'est pas une réponse suffisante à la question de l'identité française, à moins de considérer que la France (telle la grenouille) veut s'étendre aux dimensions morales du monde... Le Pacte républicain est par essence un pacte international, ou comme le dit Kant lui-même cosmopolitique.

Nous cédons à cette tentation réductionniste ("l'identité française n'est rien d'autre que l'identité républicaine") parce que nous confondons deux choses : l'identité de la France et l'identité des Français. Ce sont pourtant deux choses qui ont toujours été bien différentes. La France a toujours été beaucoup plus grande que les Français (d'où la petitesse du régime louis-philippard, Louis Philippe se voulant roi des Français). De Gaulle n'avait pas tort à tout prendre de mettre l'idée de la France au dessus des Français qu'ils comparait, on le sait, à de jeunes ruminants immatures. De Gaulle - est-ce un hasard ? - ne s'est jamais laissé convaincre par l'orléanisme du Comte de Paris. Il mettait la France au dessus de ses convictions personnellement monarchistes.

Il me semble que dans le débat sur l'identité française, au lieu de se laisser arrêter par la diversité des Français de souche ou de papiers, il faut se poser la question de la France. Fernand Braudel, le Lorrain, ou à sa manière Pierre Nora dans ses Lieux de Mémoire se sont posés la question de l'identité française. Non pas de l'identité des Français, mais de ce qu'a été ou de ce qu'est la France. La France ? Ou plutôt aujourd'hui la francité comme le soulignait Pierre Nora. Qu'est-ce que la francité ? Quel est ce patrimoine commun à tous les Français ? Depuis notre empire colonial, nous savons bien que ce ne peut être la race. Au grand scandale d'Antoine, qui pourtant est un rurbain, j'ai parlé ici des pierres, des paysages et de la langue. Ajoutons-y le christianisme comme culture et, avec tout cela, nous aurons une identité.

Si nous étions capables d'exorciser une bonne fois l'idée d'empire français ou plutôt d'internationalisme français qui, depuis le XVIème siècle au moins court dans notre histoire, si nous étions capables, face à la mondialisation, comme l'indiquait Maurras dans Kiel et Tanger, comme le pensait De Gaulle, de promouvoir une vision résolument nationiste (diversifiée) du monde, si nous nous faisions les champions de cette diversité des nations (opposée au Melting pot nationalitariste à l'américaine), nous serions la nation analogique par excellence, sans annexionnisme et sans melting pot, la nation dont on peut vraiment dire : "Tout homme a deux patrie la sienne et la France".

On parle de vocation des nations ? N'est-ce pas la vocation de la France de porter un grand projet ?

Il me semble que dans le grand débat sur l'identité française, nous devrions faire observer, à tout le moins que ce que nous cherchons à définir, ce n'est pas l'identité française (impossible à décrire en vérité), mais plutôt l'identité de la France. Et alors, il arriverait sans doute aux politiques ce qui arrive à nos évêques lorsqu'ils cherchent à définir l'identité catholique et qu'ils sont bien obligés de souligner que l'identité catholique est la même avant et après Vatican II (quels que soient entre temps les états d'âme des catholiques).

Qu'on le veuille ou non, cette question de l'identité, vraiment posée, conduit toujours à se demander : qu'est-ce qui reste identique et fait notre identité, au-delà de nos états d'âme.

Parler d'identité française, comme on le fait couramment aujourd'hui, c'est faire comme si c'était les Français qui faisaient l'identité de la France. Historiquement, concrètement, cela a toujours été l'inverse : c'est la France qui fait l'identité française des Français. Ce qui ne nous empêche pas, rassurez-vous d'avoir chacun notre identité bien personnelle, mais ce qui ajoute à cette identité des références, une langue et une pensée - une culture - qui nous dépasse et qui nous enrichit. Là dessus, je le répète, Freysinger est très bon dans son discours de Savièse le 1er août 2007, en consultation libre sur ce Blog.

Il parle bien sûr lui de l'identité suisse, mais qu'importe : la question de l'identité est par excellence la question de l'analogie,elle est analogue en Suisse et en France.

Mais pourquoi parler d'analogie à propos de l'identité politique ? La question de l'analogie est la question qu'Aristote a mise au coeur de la politique comme l'image même de la justice générale (cf. Ethique à Nicomaque L. V) et qu'il résolvait ainsi dans sa Métaphysique au livre Lambda : est analogue ce qui est identique tout en étant autre. - Comment cela est-il possible ? direz-vous. - L'analogue (ici c'est l'identité) est le même, mais il est "autre dans les choses autres" selon la formule d'Aristote (Métaphysique Lambda chap. 5). C'est à cette image de la diversité dans l'identité que, personnellement, je suis attaché. L'identité est la même pour tous, mais elle est autre dans des gens autres. Ce qui nous importe dans le débat sur l'identité nationale, ce n'est pas ce en quoi elle diffère (l'identité des Français ou ce que l'on nomme en ce moment l'identité française) mais ce en quoi elle est la même (l'identité de la France est la même - ou doit être la même - pour tous les Français).

Sans l'analogie (c'est-à-dire la fonction différentielle qui permet de calculer l'identité), on peut dire que le débat sur l'identité est menacé soit de disparaître dans l'insignifiance, soit de se transformer en une apologie du nationalitarisme et de la communauté nationale comme horizon de la vie humaine, qui ne serait vraiment plus de saison. Ne pensons pas qu'il faille exclure ce nationalitarisme. Quand on en est à dire aux gens comment ils doivent ou ne doivent pas s'habiller, niqab ou pas niqab par exemple, ce risque ne doit pas être sous estimé. La règlementation sera d'autant plus tatillonne que la loi commune aura eu tendance à disparaître. C'est la loi commune que nous cherchons à (re)préciser pour l'instant. En espérant qu'il ne soit pas trop tard.

10 commentaires:

  1. Je me disais aussi: «le GDIN (Grand Débat sur l’Identité Nationale) est lancé, et on n’a pas encore entendu l’abbé de Tanoüarn» - voici qui est fait, on dit «débat»? L'abbé accourt. Permettez quelques considérations en vrac.

    Avez-vous fait l’expérience d’une piste de danse quand y évolue un couple de danseurs émérites? Les autres se poussent ne pouvant soutenir la comparaison. C’est mon premier réflexe face à Henri Antoine et Peter, dans la partie commentaires du présent blog. Réflexe que je dépasse, et donc…

    De quelle nature est ce Grand Débat que lance le gouvernement? Est-ce un débat politique? il aurait du se dérouler à l’Assemblée. Y sont représentés deux partis, et leurs petits satellites (et encore: dans la mesure où ils se tiennent en orbite basse). Prenez les résultats de l’élection de 2007, additionnez les électeurs qui se sont portés sur Bayrou, Le Pen, Besancenot, et tant d’autres candidats qui à force d’être petits représentent la moitié des voix. Combien de députés? Aucun - ou presque. Exit la possibilité d’un débat. Est-ce un débat sociétal? ce n’est pas aux Préfets de l’encadrer, de l’animer, ni de le recadrer.

    Ensuite – On nous définit l’identité nationale. Bien. Le président parle d'interdire le niqab... «Ni putes ni soumises», la nouvelle injonction? Allons, allons! Qui croira que la force publique saura la faire respecter? C'est pareil avec l'identité nationale, les valeurs républicaines, liberté, laïcité, fraternité, tout ça quoi. Si vous êtes contre, on fait quoi? On vous confisque votre carte? Grotesque.

    Aussi – Nous parlons en France et peut-être ailleurs entre deux falaises. Exemple: régulièrement un pédophile récidive et la discussion repart. Elle est cependant très encadrée, vous n'avez pas le droit de dire «allez zou, une petite piqûre et puis c'est tout», vous n'avez pas le droit de dire «la gamine n'est est pas morte et dans certaines cultures...» - ces opinions n'ont pas droit de cité ni même de pensée. Elles sont comme deux falaises, elles délimitent un espace infranchissable et somme tout fort réduit (oui, il doit aller en prison pour longtemps, plus c'est trop et moins pas assez) – dans ces conditions de quoi débattre? Il a va de même pour le débat sur l'identité. J'ai vu des extraits. Des messieurs contents d'avoir une tribune qui viennent lire leur petit papier, ils ont préparé quelques effets rhétoriques. Dans la salle personne ne rit. Il faudrait peut-être que j'y aille?

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  2. Le débat sur l'identité de la France est simplement sans intérêt parce la France n'est qu'un nom pour un espace géographique variable, peuplé par des gens de toute race, qui peuvent y faire ce qu'ils veulent dès qu'ils sont assez forts pour imposer leurs vues. L'identité de la France n'est qu'un moyen de s'assurer le vote des petits "Français de souche", tout en continuant de les remplacer par des étrangers plus rentables.

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  3. Identité de la France ou identité française, j'ai du mal à vous suivre, Monsieur l' Abbé. Je ne crois pas que nous vivions un avatar de l'expansionnisme national-révolutionnaire des années 1792 et suivantes.
    Le "béni-oui-ouisme" laxiste de nos dirigeants et de nos soi-disant penseurs, le lavage des cerveaux organisé notamment par les gauchistes del'Education Nationale depuis 1968, ont porté leurs fruits : méconnaissance de la langue, gommage de l'Histoire digne des trucages de photos de l'ex-U.R.S.S., exaltation de la licence des moeurs, flagellation continuelle du passé, destruction de la notion de patrie... En bref, désinformation et bourrage de crâne avec toute la puissance des médias.
    Vous dites que c'est la France qui fait l'identité française des Français et non l'inverse. Je ne suis pas d'accord. Ce sont des hommes et des femmes qui, depuis 1500 ans ont défriché, cultivé la terre, construit cathédrales et châteaux, développé une manière de vivre "à la française", écrit des livres et des symphonies.Nous sommes les héritiers de ces ancêtres qui sont allés jusqu'à sacrifier leurs vies (cf. 1914/1918) pour donner à leurs descendants leurs valeurs morales et leurs biens terrestres.Nous sommes leurs débiteurs et notre devoir est de transmettre à notre tour ce patrimoine à nos propres descendants.
    Les étrangers qui viennent en France doivent s'inscrire dans notre manière de vivre lorsque nous les accueillons et accepter cet héritage de nos ancêtres en le transmettant intact et si possible enrichi à leurs enfants. Celà a été le cas de Marie Curie, de Charpak, d'Apollinaire, de Soutine, d'Andréï Makine, etc...
    Je suis d'accord sur l'inanité du pacte républicain, l'outrecuidance de la devise"Liberté, Egalité, Fraternité"(j'ai failli écrire "Choucroute" en paraphrasant Jean Yann).
    Etre Français se perçoit charnellement; ce ne sont ni des mots,ni des formules qui l'expliquent.
    WILCO

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  4. Intéressante démonstration, M. l'abbé, pour nous exposer enfin l'enrichissante notion d'analogie. Il faudra que vous développiez à l'occasion de façon à ce que nous en percevions mieux la profondeur...

    Votre analyse partait mal (à mes yeux !), je ne voyais pas trop où vous vouliez en venir, on avait l'impression d'entendre du Maurras (cité !...) et du plus mauvais d'ailleurs : celui des incantations stériles que l'on retrouve parfois dans les commentaires ! Celui du sentimentalisme aussi inutile qu'il est grandiloquent, qui s'imagine construire l'avenir en détruisant le présent, mais qui ne fait qu'invoquer le passé avec des soupirs vides, creux et désespérants... Car n'avoir le christianisme que "comme culture" je pense que vous mesurez tout ce qu'il y a de contre-sens pour un catholique dans cette expression...

    Alors l'analogie (au sens philo) entre le Français et la France, il fallait y penser et c'est brillant ! Effectivement, au premier abord, "identifier" identité et analogie, cela semble tenir de la gageure oxymoresque ! Trouver les éléments qui fondent l'indentité d'une personne dans l'autre, c'est pour le moins paradoxale, si ce n'est ontologiquement impossible en apparence ! Pourtant, vous avez parfaitement raison, l'indentité, s'est s'identifier à quelque chose ou à qq'un... je n'avais jamais pensé à ça et c'est pourtant évident ! Mais alors vous auriez dû aller au bout des choses : pour un chrétien, l'identité n'est-elle pas avant tout de s'identifier à Jésus-Christ ? L'Homme parfait auquel nous devrions vouloir ressembler de toutes nos forces, en corps, en âme et en esprit, mais aussi le Dieu unique auquel Saint Paul nous autorise aussi à nous identifier... Quel destin... Encore un prodige de l'analogie ? Là encore, il faudrait que vous complétiez nos pauvres connaissances !

    Bref, n'est-ce pas cela que nous devrions apporter au débat national sur l'identité ? Ou du moins, si nous voulons y participer, c'est peut-être cete idée que nous devrions avoir en permanence en tête et cela changera notre façon d'aborder le débat, je le crois...

    Ainsi, (et au risque de vous choquer profondément !) plutôt que de vouloir indéfiniment revenir sur une vieille opposition entre la révolution et la contre-révolution, qui oblige à des acrobaties dans un impossible retour vers le futur incompréhensibles pour nos contemporains, si nous essayions une autre approche qui consiste à christianiser tout cela... Après tout, l'Eglise dans son approche réaliste et sans illusion sur la nature humaine a toujours abordé très politiquement les contextes auxquels elle était confrontée : quand Elle ne peut pas déraciner qq chose, elle le christianise, elle le greffe dans le Christ (instaurare in Christo...). Elle l'a fait avec l'empire romain et sa législation, elle l'a fait avec les cultes païens et leurs lieux, elle l'a fait avec l'autel du dieu inconnu à Athènes, etc... Et (je le dis tout bas car j'entends déjà le concert qui va suivre mes propos et les déchirements de vêtements !) Jean-Paul II a voulu le faire avec la fameuse devise "Liberté-Egalité-Fraternité" dans son discours au Bourget en juin 1980 (France souviens-toi de ton baptême) : "On sait la place que l'idée de liberté, d'égalité et de fraternité tient dans votre culture, dans votre histoire. Au fond, ce sont là des idées chrétiennes"...
    Liberté des enfants de Dieu, égalité dans la vocation à l'amour, fraternité dans le don... ça a une autre gueule quand c'est christianisé, et ça a vraiment de la gueule, non ?!...

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  5. PS : J'ai réagi sur les pierres (mais rien ne venant de vous ne me scandalisera jamais ;-)) car je regarde souvent les murets qui bordent les chemins, les terrasses qui soutiennent la terre et je pense à ceux qui les ont élevés, dans un élan de solidarité mais sans intellectualisation inutile : et si je commence par me lamenter sur leur disparition, la communion des saints m'amène à penser à tous ces paysans (qui m'ont précédé et qui ont fait ce travail) EN DIEU... Et je tente de me relier à eux par les valeurs qui les ont animés : l'amour du travail bien fait, la volonté de subvenir par amour aux besoins de leur famille, le respect de la Création, la solidarité fraternelle, etc. Et c'est Pourrat qui m'a appris cette attitude qui permet de donner une pérennité et une actualité à une foi, ce qui est beaucoup plus important que de respecter les vestiges par simple sentimentalisme (mais les 2 peuvent et doivent se compléter ! Malheureusement, je n'ai pas toujours cette impression quand j'analyse certaines réactions à vos posts...)

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  6. Notre identité est chrétienne et européenne, voire chrétienne et occidentale, voire chrétienne tout court, quoique plus difficile car on ne peut exclure le profane de l'identité d'un humain. Pour d'autre, ce sera une identité juive, musulmane, asiatique, africaine....etc, si la personne souhaite porter cette identité et y adhère.

    Les nationalismes n'ont jamais apporté rien de positif dans l'histoire de l'humanité, car en plus d'être sources de guerres, "identités nationales" ne peuvent être que sources d'aliénation : aliénation du présent et de l'avenir au passé, aliénation de l'individu au groupe (collectivisme), aliénation de l'humanité (bien toute créée par Dieu à son image) à ses "différences".

    L'identité d'une personne est ce qu'elle-même perçoit comme son identité, pas ce que les autres cherchent à lui imposer (eg on peut très bien ne point se reconnaître dans une culture, une religion, un nom, des prénoms, une mentalité, bien que né dedans ! Pensez seulement à Simone Weil la philosophe à qui on a "collé" de force l'identité juive, car était de sa naissaince, mais elle-même ne s'y retrouvait point; cette ingérence d'autrui dans la définition de son identité ,ici S.Weil, l'a même conduit à se donner la mort!)

    Coller des étiquettes, imposer d'office les identités aux gens, les assimilant avec le pur hasard du lieu de la naissance ou les papiers des parents est absurde, une identité c'est quelque chose où nous nous reconnaissons, qui correspond à notre être profond (eg le christianisme), qui se construit avec notre adhésion, on la choisit, on ne la subit pas. Or, hélas, la tendance de facilité est plutôt d'enfermer l'homme dans une case et ne pas le laisser s'en échapper à vie. Une prison.

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  7. Au risque d’empêcher de danser l’abbé Guillaume de Tanoüarn, que j’apprécie ! je voudrais répondre à Antoine sur un point particulier.
    Non Antoine, , un chrétien ne doit jamais, à mon sens s’identifier au Christ. Si vous lisez le merveilleux roman de Dostoïevski « l’idiot », le plus extraordinaire dans sa construction dramatique, vous verrez que c’est une impasse que de vouloir s’identifier à l’image du Christ, voie qu’il a exploré avec maestria ; Certes l’Idiot est comme un ange de douceur descendu du ciel, qui révèle à chacun sa part sombre, mais il lui manque la vertu essentielle d’un chrétien, de force , de cette virilité ou vertu de force qui n’a jamais manqué au Christ dont la douceur ne fut jamais impuissante, même au cœur de la Passion, puisqu’elle mène à la Résurrection ? Bref l’idiot, n’est pas vraiment incarné , il lui reste quelque chose d’angélique qui le fait dérailler et si émouvant soit il, laisse et sème un chapelet de catastrophes après lui, incapable par exemple de choisir entre deux femmes, les rendant toutes deux folles, de consoler le désespéré, de sauver Rogojine de son sombre nihilisme de débauché et de commettre ses crimes. .
    Certains, comme Alain Besançon, ont caricaturé Dostoïevski ont vu en lui un barde nationaliste russe, idolâtre. Quel contre sens ! On a donc conclu parfois hâtivement à un roman anti chrétien ou à une description de l’échec du christianisme, en interprétant à contre sens les fabuleuses explorations de Dostoïevski de l’âme humaine confondant , ce qui n’est pas très malin, l’auteur avec son œuvre et sa gestation sublime, et lui collant une légende noire absurde, venant de la lucidité de l’auteur des Démons sur les folle divagations de nihilistes, prophétisant notre modernité, thèse absurde qui a même influencé un temps ( il y a un temps ) jusqu’à un des plus talentueux chroniqueur de la presse catholique
    L’Idiot est, certes, une œuvre christique dans toutes ses fibres, éminemment touchante et géniale, en ce sens qu’elle fait résonner en nous la figure du Christ, mais elle montre aussi définitivement qu’il ne faut jamais s’identifier au Christ mais se contenter de le suivre, de nous laisse prendre par la main dans l’état où nous sommes, même si nous sommes déchus. C’est souvent les personnages déchus, ceux qui ne sont pas identifiés au Christ qui ont les cris les plus authentiquement chrétiens , Sonia la prostituée de Crime et Châtiment qui sauvera Raskalnikov de son désespoir dans le crime, Lebedev personnage visqueux de l’Idiot, qui prie pour le repos de l’âme de la Comtesse du Barry , car le premier il a compris que son cri devant l’échafaud, jugé sévèrement par les bien pensants de tout bord de l’époque, est en fait un cri demandant grâce, un instant de grâce, une part d’éternité devant une révolution qui ayant éradiqué Dieu et son paysage visible n’avait plus que l’homme à éradiquer. C’est d’ailleurs dit en toutes lettres dans l’évangile.. ;
    Ce roman révèle simplement l’impasse de l’angélisme chrétien avec le meilleurs intentions du monder, ( qui veut faire l’ange …) est d’une actualité brûlante quand on songe à la réaction de chrétiens sur l’affaire des minarets, voulant répondre par une belle figure qu’il offrirait sans prendre les moyens de répondre à l’agression dont leur foi est aussi victime ou en devenir de l’être et de l’affronter dans le respect … mutuel ! . Non bien sûr l’Idiot n’est ni ne révèle l’échec du christianisme ni du Christ, mais il prépare la réponse d’Aliocha dans les frères Kamarazov, Aliocha qui prend la mesure du monde, de son imperfection , de ses tentations mêmes sensuelles et charnelles, et de celle de l’athéisme, mais qui loin de faire l’ange dans un monde corrompu, s’engagera à réconcilier , à raccommoder ce qui a été brisé, voir son discours à l’enterrement de Kolia , le gamin martyrisé par ses compagnons, discours qui n’ a rien perdu de son actualité dans nos banlieues en déshérence de repères.
    A suivre

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  8. PS
    Je danse toujours !
    Antoine les pierres sont aussi vivantes et quand je vais à Tharoiseau ce village morvandiau de la France profonde, qui remonte au moins au 8 e siècle, je caresse avec volupté les pierres chaudes ou froide des murets de mon village pour me ressourcer. Elles reflètent une âme qui n’est pas morte. Bien sûr ces murets peuvent disparaître, comme l’église du village ou la Basilique de Vézelay, qui domine le paysage à 5km, et ma foi restera, substituera, mais dans ce cas elle aura besoin d’autres pierres pour s’incarner. Je n’ai pas Antoine de nostalgie du passé, seulement une nostalgie de l’avenir, mais le sensible du présent ne se construit pas en éradiquant celui du passé ou le considérant comme un vestige révolu ou sentimental, mais en le greffant, il incarne ma foi qui elle aussi se greffe sur celles des autres venant du passé, du présent ou de ceux ou celles à qui nous la transmettons. Le paysage d’hier, d’aujourd’hui ou de demain .; c’est l’environnement visible qui me relie aussi à l’invisible. Tous ont leur place et aucun n’est inutile ou à tenir pour rien.
    Antoine vous avez raison quand vous dîtes que les idées de la révolution sont chrétiennes. ; Chesterton l’a dit avant vous, mais il ajoute « devenues folles »,
    En effet, ces idées tournent en rond sur elle –mêmes, comme le diable de Pouchkine cité en exergue des démons de Dostoïevski, sans rien fonder. Les christianiser après coup demanderait à leurs concepteurs de faire retour sur eux-mêmes et de leur prétention à bâtir un homme délivré de la superstition religieuse. Sont- ils prêts ? N’oubliez pas que Jean – Paul II, , cette conversion , il la demandait implicitement, habilement , en disant qu’au fond elles étaient chrétiennes, il ne baptisait pas leur mode de formulation. ( Il a canonisé assez de Saints victimes de la révolution ! ) Benoit XVI avec plus d’insistance demande aussi une conversion Sans cette conversion, cette répudiation du relativisme, n’est il pas hasardeux et hasardé de le faire ? Il ne s’agit pas d’opposer la révolution et la contre révolution, il s’agit bien de s’incarner dans notre époque, oui, mais il s’agit aussi de pérenniser dans le cœur de l’homme ce qui le fonde en durée et ne l’expose pas à la tentation de son autodestruction ou du nihilisme.

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  9. Merci, Henri, de vos remarques.
    Mais je maintiens que la spiritualité chrétienne demande au chrétien de s'identifier au Christ. Cependant je vous accorde que je ne vais pas chercher les éléments de ma méditation spirituelle dans Dostoïesvski... Il me semble que nous ne manquons pas de saints qui peuvent nous faire avancer en ce domaine et St François d'Assise est un bon exemple d'identification au Christ par la souffrance, allant jusqu'à porter les mêmes stigmates que le Sauveur... Le Saint Père rappelle régulièrement aux chrétiens, et en particulier aux prêtres, l'importance de l'identification au Christ, principalement pour ces derniers appelés à agir in persona Christi... Dans les temps plus anciens, on parler de "conformer sa volonté à celle du Christ" et abdiquer sa volonté propre au profit de celle du Christ, c'est un agir d'dentification, je pense.

    Sur les pierres, vous me faites dire ce que je ne dis pas ! je n'oublie pas que tous les sacrements ont besoin d'un signe visible ou sensible... Simplement, ce que je voulais dire, c'est que magnifier nos sentiments autour de la beauté des pierres sans jamais parler des vertus qui animaient ceux qui les ont appareillées, c'est ne traiter que du signe visible en oubliant la grâce invisible... Et l'exaltation de la sensibilité sans évoquer jamais les réalités qu'elle sous-tend, ce n'est ni plus ni moins que de l'idéalisme philosophique, le même que celui de Hegel...

    Or dans ce débat, j'en entends bcp parler des vieilles pierres avec des trémolos dans la voix, mais aucun n'a, jusqu'à présent, évoqué les réalités actuelles qu'elle portent et cela me semble plus important que la pierre, qu'elle soit chaude ou froide...

    Enfin, pourquoi christianiser les idées de la révolution consisterait à demander qq chose à leurs concepteurs (qui sont morts, d'ailleurs) ? Pourquoi la vie du chrétien consisterait-elle à demander aux autres de faire qq chose, de faire des efforts, de se convertir ?? C'est un transfert que vous êtes en train d'opérer alors que même la sagesse laïque la plus ancienne (connais-toi toi-même de Socrate) et à plus forte raison la spiritualité catholique, fonde le changement sur notre propre conversion ?
    Merci en tous cas d'avoir amené Chesterton dans mon camp ;-))

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  10. Petite précision, c'est à l'enterrement d'Ilioucha bien sûr et non pas de Kolia, qu'Aliocha prononce son beau discours donnant rendez vous aux gamins après la Résurrection
    J'avais commis un lapsus. Il fallait le corriger .

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