mercredi 4 juin 2008

Magnifique conférence de Pierre Magnard

ce soir au Centre Saint Paul. En l'écoutant nous parler avec feu des sept derniers livres du De Trinitate de saint Augustin, je prolongeai en moi-même le message précédent sur Rome et la chair. Saint Augustin, docteur romain de la Trinité, a voulu inscrire la Trinité dans la chair humaine elle-même - dans l'être humain. Le Père est mémoire, c'est-à-dire identité. Le Fils est Verbe, c'est-à-dire expression et pensée. Le Saint Esprit est l'amour qui ne manque pas de s'établir entre l'Identité et sa Pensée, entre la mémoire et ce qu'elle exprime d'elle-même.

Lorsque Dieu dit (Gen. I, 29) dans un pluriel mystérieux, Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, il nous enseigne que chaque homme est Trinité.

Il y a un jeu de miroir extraordinaire entre le mystère de Dieu et le mystère de l'homme. La Trinité ne signifie pas trois dieux, ou trois personnes au sens de trois sujets divins, mais trois relations parfaites, trois relations subsistantes, la relation d'identité qui se manifeste comme mémoire de soi, la relation de connaissance qui se constitue comme Verbe et la relation d'amour qui récapitule les deux autres. Ces relations existent (c'est ce que l'on appelle la vie intérieure) dans chaque sujet humain. Cela nous permet de comprendre comment le Dieu qui dans le Buisson ardent dit à Moïse : Je suis, est justement le Dieu Trinité, non pas trois sujets mais trois relations subsistantes, comme il y a en chacun de nous mémoire intelligence et amour.

Refuser cette vie en Dieu, c'est refuser la personne humaine dans son jaillissement de substance spirituelle se réalisant sans cesse. Mais... c'est finalement aussi refuser de considérer Dieu comme une personne...

Là j'ai conscience de pousser le bouchon un peu loin, mais réfléchissez.

Si Dieu n'est pas trois Personnes, il n'est pas un Dieu personnel, le Dieu qui dit JE à Moïse (Exode 3, 14). Si Dieu n'est pas trois personne, il est non seulement le Dieu unique, mais un Dieu solitaire et glacé, un vieux célibataire qui nous regarde du haut de son éternité, mais qui, comme Allah, refuse d'être vu, même dans son paradis (où par ailleurs Allah, le dieu célibataire a prévu du spectacle pour ses protégés, éphèbes quand les houris ne font plus d'effet).

Si Dieu n'est pas trois personnes, il est un Dieu solitaire et cela est impossible. C'est ce qu'a compris saint Augustin. Mais d'une certaine façon, quand Aristote dit au livre lambda de la Métaphysique que le Premier Moteur est aussi Pensée de la pensée et Joie parfaite, il entrevoie le même problème, trois siècles avant l'Evangile.

Notre Dieu est unique, mais il n'est pas seul. Il est jaillissement de vie, jaillissement d'esprit et fournaise de charité. Pour que notre Dieu unique (ce Dieu qui dit Je dans le Buisson ; ce Dieu qui dit Je suis dans l'Evangile : avant qu'Abraham fut, Je suis) ne soit pas un dieu fou et célibataire, il fallait qu'il soit trois personnes.

Le problème ? C'est que le mot personne, comme Cajétan a (seul ?) le courage de le souligner, ne s'emploie pas dans le même sens lorsque l'on parle de Dieu trinité de personnes et lorsque l'on parle des personnes humaines ou de la personne de Jésus Christ. Dans un cas, on désigne des relations subsistantes (c'est la notion de personne dans sa perfection) ; dans l'autre, on désigne des sujets ontologiquement distincts (c'est la notion de personne dans son analogicité - j'allais dire, ultime provocation : le Christ, vous, et pourquoi pas votre chat, suppôt ou sujet irréductible à tout autre sujet). Dans un cas, on est dans l'ordre de la relation ; dans l'autre on est dans l'ordre de ce qu'Aristote appelle la substance. En Dieu, comprenez-le, il n'y a pas trois substances, mais trois relations subsistantes.

Pour ceux qui pensent que je pinaille, je répèterai ce mot de Tertullien :"La propriété des noms est le salut des substances". la propriété du nom substance ou du nom personne est... une question de vie ou de mort spirituel. Si on confond la personne divine et la substance divine, on n'a plus qu'à vénérer un dieu solitaire, que nécessairement, depuis l'éternité que cela dure, sa solitude a rendu fou.

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