jeudi 30 avril 2020

Le silence liturgique

Le silence liturgique est une énorme question que j'aurais pu aborder dès le début de cette initiation à la sainte messe, tant ce recueillement dans l'action sacrée est une condition fondamentale pour une liturgie réussie. La messe traditionnelle n'est pas "la messe en latin", c'est une messe que l'on peut traduire en français sans la dénaturer, mais à la condition impérative de respecter le silence de l'offertoire, de la consécration et de la communion. La consigne de silence me semble remonter à la primitive Eglise tant il apparaît comme une attitude proprement chrétienne, d'adoration et d'amour, face au divin. Nous avons en tout cas en 574 le témoignage de saint Germain de Paris, auquel est dédiée la magnifique église Saint-Germain-des-Prés. Dans l'une des deux lettres que les mauristes nous ont conservées, il s'exprime ainsi : "Pour deux raisons le diacre proclame le silence : bien sûr pour que le peuple silencieux entende mieux la parole de Dieu, mais aussi pour que notre coeur, faisant taire les pensées triviales, reçoive le mieux possible en lui-même le Verbe de Dieu".

Les paroles, prononcées à haute voix, parviennent mal à dire l'émerveillement de l'âme face à cette invitation qui lui est lancée de participer au sacrifice du Christ, c'est-à-dire, nous l'avons vu, de partager la divinité de celui qui a daigné prendre notre humanité. Le silence est la meilleure attitude pour que chacun puisse participer à sa manière à l'action sacrée, recevoir selon sa compréhension les dons de Dieu et se donner lui-même selon sa capacité. Autant dans la première partie de la messe, que l'on nomme aujourd'hui "liturgie de la parole" le silence est simplement une question de plus ou moins grande concentration, pour pouvoir entendre l'enseignement divin dans de bonnes conditions, autant dans la seconde partie, le mystère de l'eucharistie, la communion à l'action sacrée s'effectue dans le silence.

Ce silence-là n'est pas seulement une discipline collective, comme dans la liturgie de la Parole, c'est un silence personnel, c'est le silence intérieur que chacun peut offrir à Dieu en signe de vénération. Saint Germain de Paris le fait remarquer, il y a deux silences liturgiques, celui qui correspond à la discipline collective et celui qui fait ressortir le sacrifice intérieur propre à chacun. Ce deuxième silence est une des fins humaines de l'action sacrée : elle crée le silence à l'intérieur de nous - pas seulement une absence de bruits extérieurs - mais une réceptivité spirituelle particulière.

Attention ! Ce silence n'est pas une fuite ! Il ne s'agit pas, comme le Vicaire savoyard, de se perdre dans un sentiment intérieur incommunicable que l'on serait juste capable d'éprouver sans jamais parvenir à le décrire, et qui enfermerait chacun dans sa singularité, quelle horreur ! Le silence, au contraire, le vrai silence, celui que nous cherchons,  est ouverture à l'invisible Ressemblance, qui est au-delà de toute parole. Le silence est l'expression d'un retrait naturel de la créature devant la présence de Dieu. Le silence est la manifestation la plus spontanée de l'adoration, qui, du point de vue de l'homme, représente l'action sacrée par excellence : que faire d'autre face à Dieu ? Aujourd'hui on a perdu cette expérience de l'adoration, que sainte Catherine de Sienne (c'est sa fête aujourd'hui) formulait avec sa passion habituelle, Dieu prenant la parole et nous disant dans ce livre mémorable qu'elle a appelé simplement Le dialogue : "Je suis celui qui est, tu es celui ou celle qui n'est pas". C'est l'effacement dans le silence de l'adoration. Je me souviens avoir célébré une messe pour trois de mes tantes, toutes très pratiquantes, toutes de la génération du Concile Vatican II, toutes habituées à chanter pour accompagner la messe et toutes fort déçue par ce silence, qui ne leur apportait manifestement que peu de choses, faute de pratique.

A l'opposé, certaines grand-messes célébrées selon le rite traditionnel, sont souvent à contre emploi, faute à ceux qui célèbrent. Alors que le rite en lui-même est fait pour porter au silence, à l'intégrité du silence, on ajoute tellement de chants que le silence devient impossible. Le chant de l'Offertoire est trop long et ne laisse pas une minute au recueillement, l'organiste veut jouer tout son saoul,  et après la consécration, c'est la chorale qui a un motet à proposer. Certes le silence intégral de la messe basse n'est pas adapté aux assemblées nombreuses, il demande peut-être trop d'effort au simple fidèle, qui a besoin de la musique de la messe chantée pour mieux se concentrer, c'est possible ; mais, ce faisant, il n'atteint jamais que la première qualité de silence fixée plus haut par saint Germain de Paris, et manque le silence essentiel, celui qui couvre de son voile l'action sacrée, en la rendant communicative. L'essentiel, c'est le silence intérieur.

Il ne faut pas oublier que la liturgie est une oeuvre d'art. Mais le résultat liturgique ne doit pas être jugé d'après des critères esthétisants, du type : je n'aime pas la musique populaire de la deuxième moitié du XXème siècle, je trouve cela ringard. Vous avez le droit de trouver ringard le fameux Joe Akepsimas, auteur de Pour quelle fête chantons nous ? Mais le critère d'une liturgie réussie n'est pas esthétisant. Une liturgie réussie est une liturgie qui utilise la forme du sacrement et toutes les musiques imaginables, mais pour conduire chacun à son silence intérieur, ou, ce qui revient au même, à son identité spirituelle. Si je sors d'une messe sans avoir connu ce silence de l'offrande et de l'adoration, qui se déroule selon une tonalité propre à chacun, alors l'oeuvre liturgique est manquée et l'art liturgique que l'on a voulu déployer parfaitement vain. Du point de vue de l'art liturgique, une messe se juge toujours selon la qualité de silence qu'elle a pu produire chez les assistants comme chez le célébrant.

Ce jugement artistique dépendant de la qualité du silence ne préjuge absolument pas de la qualité surnaturelle de la messe, qui est d'un autre ordre - proprement divin.

mercredi 29 avril 2020

Précisions sur le sacerdoce des laïcs

Après l'offrande du pain (voir texte L'offertoire de la messe traditionnelle), l'offrande du vin se fait de la façon suivante. Le prêtre offre le calice où la goutte d'eau a été mêlée au vin, en l'élevant à hauteur de sa poitrine, pour signifier qu'il accepte de servir d'instrument pour l'offrande sacramentelle durant la consécration. En même temps qu'il fait ce geste de l'offrande, il dit :

"Nous t'offrons Seigneur le calice du Salutaire en implorant ta clémence, pour qu'en présence de ta divine majesté, pour notre salut et celui du monde entier, avec une odeur de suavité, il monte (vers toi)"

Cette prière n'est plus à la première personne du singulier, comme la prière de l'offrande du pain, mais à la première personne du pluriel. Le Je partagé devient un nous collectif. Elle concerne donc clairement tous les offrants de ce "peuple de prêtres" qui est celui de la nouvelle alliance d'après saint Pierre (I Petr. 2, 5) : "Vous mêmes comme pierres vivantes, prêtez-vous à l'édification d'un édifice spirituel pour un sacerdoce saint, en vue d'offrir des sacrifices spirituels agréables à Dieu par Jésus-Christ".

On sait que ce texte a été invoqué par les protestants au XVIème siècle pour détruire le sacerdoce ministériel, en imposant l'idée que le sacerdoce est le partage de tous les chrétiens. Résultat : avec le sacerdoce, l'idée d'un sacrifice liturgique a été détruite, et ni l’Épître aux Hébreux ni l'Apocalypse ne sont plus explicables. Et pourtant cette idée est juste : tous les chrétiens sont prêtres, c'est ce que l'on appelle aujourd'hui le sacerdoce commun ou sacerdoce des baptisés ; on en trouve trace également dans l'Apocalypse, ce livre de la liturgie céleste, dans lequel dès les premiers versets, il est fait mention du sacerdoce des fidèles : "Tu as fait de nous un royaume et des prêtres"(Apoc. 1, 9), verset où l'on retrouve le "nous" qui est aussi dans cette prière d'offertoire, le nous exultant des sauvés, le nous qui construit dès cette terre (avec quelles difficultés !) le peuple de Dieu, le Royaume des Cieux.

Le problème du protestantisme historique, c'est qu'au XVIème siècle, ce protestantisme réformateur est un intégrisme chrétien, qui fonctionne en base 2 : blanc ou noir, vrai ou faux. Obnubilé par ce qu'ils ont (re) découvert, les Luther, les Calvin, les Zwingli sont incapables de s'élever à la vérité contraire dont parlera si bien le janséniste Pascal. Il y a un sacerdoce des fidèles : en droit sinon toujours en fait, ils participent tous à la liturgie d'une "participation active" comme l'avait dit le pape saint Pie X (1903), bien avant Vatican II et bien avant la constitution Sacrosanctum concilium.

Mais il y a aussi un sacerdoce ministériel, qui est au service du précédent et qui est constitué des "anciens" (presbuteroi) et des episcopes dont il est question dans la Première de Pierre et dans les épîtres pastorales de saint Paul. D'après Cajétan, dans son IIIème Jentaculum (que l'on peut traduire : IIIème Apéritif déjeunatoire ou troisième... brunch), il faut distinguer le sacerdoce comme officium et le sacerdoce comme virtus. Le sacerdoce comme officium concerne ceux qui se sont portés candidats à devenir ministres ou instruments du Christ dans les sacrements, en grec ou en latin hellénisé presbuteroi. Quant à la virtus, elle concerne l'ensemble des chrétiens, qui offrent à Dieu des sacrifices spirituels, comme dit saint Pierre cité plus haut. "Le disciple n'est pas au dessus du maître" : si le maître s'est offert lui-même en sacrifice, il faut que tous nous soyons capables de nous offrir, dans un sacrifice qui soit assez spirituel pour rejoindre le sacrifice du Christ lui-même.

C'est ce que nous propose la prière de l'offrande du vin : "Nous vous offrons Seigneur le calice du Salutaire". Non pas le calice du salut ; du reste le mot salut est utilisé ailleurs dans cette même prière. Le salutaire, c'est celui qui porte le salut, c'est le Christ, si l'on prend le génitif salutaris au masculin. Mais ce peut être plus largement tout ce qui porte le salut, si l'on préfère prendre l'adjectif salutaris au génitif neutre. Le calice du salutaire, c'est littéralement le calice du Christ que nous demandons tous avec audace de pouvoir prendre, de pouvoir offrir pour offrir en même temps "ce qui manque à la Passion du Christ" comme dit saint Paul (Col. 1, 24). Et il ajoutait, pour expliquer son audace : "Cela je le souffre dans ma chair". Il faut ici prendre le mot chair au sens le plus large "humanité de l'homme" : ce ne sont pas seulement des souffrances physique mais des souffrances morales et spirituelles de saint Paul dont il est question.

Ce sont ces souffrances qui remplissent le calice du Salutaire, ces souffrances salutaires, parce qu'additionnées aux souffrances du Christ (qui elles aussi je le rappelle ne sont pas purement physique mais psychologiques (à Gethsémani) et spirituelles ("Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m'as-tu abandonné ?").

Si l'on ne se laisse pas faire par les mots qui la portent, cette prière est énigmatique : qu'est-ce qui est offert ? Non pas la victime sacramentelle, mais, de manière encore informelle, tout ce qui se rapporte à notre salut et au salut du monde entier (pro totius mundi salute).

Cette prière, lue de près, est parfaitement ajustée à la prière d'offrande du pain : Suscipe sancte Pater pro innumerabilibus peccatis : on cherche d'abord à faire disparaître les obstacles à l'offrande, obstacles que je mets personnellement avec mes innombrables péchés offenses et négligences. Ces obstacles eux-mêmes, ces péchés se trouveront offerts avec le sacrifice, nous y reviendrons.

Dans la prière d'offrande du vin, il n'est plus question des obstacles que forment les péchés des hommes, c'est avec audace, l'homme lui-même, l'homme formant une communauté à la première personne du pluriel, qui offre son sacrifice à Dieu, "en implorant sa clémence", pour qu'en présence de sa majesté s'élève cette coupe en une odeur de suavité". Nous tenons là une nouvelle allusion à l'autel des parfums (cf. post précédent sur l'autel des parfums et l'autel du sacrifice) : il était dans le Temple de Jérusalem ; il n'existe plus, les parfums désormais sont offerts avant le sacrifice sur un même autel et, nous l'avons vu, à la gloire de cet autel, à la gloire du Fils de Dieu, qui a inventé ce Sacrifice divino-humain.

On vérifie dans la prière d'offrande du vin la théologie du Père Guérard sur les deux sacrifices, le sacrifice de l'homme et le sacrifice de Dieu. Il y a deux sacrifices comme il y a deux sacerdoces : le sacerdoce commun des fidèles, celui de l'Offertoire où nous offrons tous le calice du Salutaire et le sacerdoce ministériel au cours duquel le prêtre, accomplissant l'officium pour quoi il a été ordonné au nom de l'Eglise, sert d'instrument et, agissant in persona Christi, visibilise seul l'offrande parfaite du Fils de Dieu à son Père, offrande qui, dit Cajétan, accomplit tous les autres sacrifices, symbolisés dans l'offertoire. Dans cette perspective, on peut dire que l'offertoire, tout en promesses, ne s'accomplit que dans la consécration et que le sacerdoce commun des fidèles a besoin des sacrements du Seigneur, a besoin du sacerdoce ministériel pour exister.

Loin que les laïcs doivent reprendre au prêtre des privilèges dont il jouirait injustement parce qu'il s'en serait emparé indûment au cours de l'histoire (comme nous l'enseigne une vulgate menteuse), c'est au contraire par la célébration de la sainte messe, qui est l'office du presbuteros, que le sacerdoce des baptisés peut se manifester dans toute sa force à chaque offertoire.

Mais comment se manifeste-t-il ? Avant tout dans le silence sacré de l'offrande liturgique.

mardi 28 avril 2020

Le plan divin

Voici une traduction littérale de cette prière de l'offertoire dont nous évoquions la structure dans le post précédent :

O Dieu, qui avez créé la dignité de la substance humaine de manière admirable et qui l'avez reformée d'une manière plus admirable encore, donnez-nous par le mystère de cette eau et de ce vin,  d'être rendus semblables à la divinité de celui qui a daigné devenir participant de notre humanité, Jésus Christ votre Fils notre Seigneur, qui avec vous, vit et règne dans l'unité de l'Esprit saint par tous les siècles des siècles Amen


Dignité de la substance humaine ? On dirait que cette vieille prière de l'Offertoire, à la syntaxe latine impeccable, a été écrite pour notre époque, toujours prompte à revendiquer les droits de l'homme. Attention ! Pour un Latin, le jus (droit) est quelque chose de concret, un rapport une relation entre un homme et une chose, ou entre un homme et un autre homme, relation qui peut être universelle, au nom de la loi (lex) ou qui est particulière, relevant d'une loi privée (privilège). Le droit de chacun, renvoyant à la justice générale, décrit un ordre social.


C'est depuis le XVIIIème siècle que le droit est devenu abstrait, se référant exclusivement au sujet humain quel que soit son sexe, sa classe sociale, ses talents, son état de vie etc. Ce droit-là rien ne peut vraiment le satisfaire, il est indéfini. Question d'imagination quelque fois ! Le droit humain, qui n'est pas un droit de l'homme concret mais un droit de tous les hommes, un droit abstrait, finit par coïncider avec le désir de l'homme, Dernièrement par exemple avec le désir d'enfants des couples homosexuels, qui auront le droit d'éliminer le géniteur(je n'ose pas dire le père) pour mieux profiter, toutes deux, de leur enfant... Pourquoi ? Parce que c'est leur droit. En réalité, c'est avant tout leur désir. Mais, au nom de l'Homme majusculaire, leur désir devient un droit, sanctionné par la loi.

Telle n'est pas la dignitas. La dignité, en latin, c'est la qualité de l'homme accompli, de la matrone qui a construit sa famille, Pour un synonyme au qualificatif "digne" on pourrait penser à "noble". C'est ainsi me semble-t-il que l'on peut traduire le Vere dignum et justum est de la Préface où l'on retrouve cette idée de dignité : il est noble et il est juste..... Dans un fameux sermon de Noël qui résonne dans la nuit, pendant l'office des Matines, le pape saint Léon le Grand s'écrie : "Agnosce o christiane, dignitatem tuam", Reconnais chrétien ta dignité. Quelle est la dignité du chrétien ? De se savoir aimé de Dieu et de l'aimer à son tour.

Voilà quel est la dignité de l'homme, une dignité qu'il peut perdre par le péché grave, pensez aux faits de pédophilie par exemple : "Malheur a celui qui scandalisera un seul de ces petits ; il serait préférable que soit suspendue à son cou une meule que tournent les ânes et d'être engloutis en pleine mer... " (Matth. 18, 6). Jamais, dans évangile le Christ n'est aussi sévère que contre les pédophiles !

Cette dignité est celle de la substance humaine et pas de l'essence humaine. Pour Aristote, dans les Catégories transmises en Occident par Boèce, la substance c'est le sujet singulier, ce qu'Aristote appelle la substance première. On emploie aujourd'hui un mot qui a été long à faire son chemin : la personne humaine. "Substance individuelle de nature rationnelle" écrit Boèce à propos de la personne, dans son De duabus naturis. Ce qui est digne, ce n'est pas l'essence ou l'idée d'homme abstrait, c'est le sujet personnel qui agit avec justesse. On peut donc préciser la traduction et invoquer Dieu qui crée la dignité de la personne humaine de manière admirable, et qui la reforme de manière plus admirable encore... 

Que s'est-il passé entre création et reformation ? Le péché originel, c'est-à-dire l'histoire cahotante de l'humain (de l'essence humaine) et la foi, envers et contre tout, d'un petit nombre, contrastant avec l'insouciance du grand nombre. En son chapitre 11, l'épître aux Hébreux donne une liste heureusement non exhaustive de ces hommes de foi envers et contre tout, malgré le désordre du monde. Non l'humanité n'est pas détruite par le péché, beaucoup ont combattu pour ne pas se laisser engloutir par le mal, mais, dans son ensemble, l'humanité s'est laissée "déformer" par le péché (le péché est une deformatio dit saint Thomas IaIIae Q71). Cette deformatio appelait une reformatio, un retour à la forme, qui n'est pas donné à l'humanité de manière autoritaire, mais par grâce, à travers un appel à la liberté de chacun..

L'humanité n'est pas la même avec ou sans la grâce. La nature humaine ne peut à elle toute seule se porter jusqu'à son principe. Chaque personne reçoit une aide pour accomplir divinement sa destinée, pour exaucer sa liberté, pour diviniser sa vie en l'arrachant à la précarité. La première création avait été un don gratuit de Dieu à des créatures qui certes n'avaient rien demandé et pour cause : on ne peut pas être avant d'être, mais qui avait été reçu en partage, comme une image de Dieu dans leur cœur, la liberté. Simplement la liberté était un risque, cette création a été saccagée par le péché. Par cette reformatio, Dieu nous redonne une chance, en son Fils Jésus Christ, premier né de toutes créatures.

La création était admirable parce qu'elle était gratuite, Dieu n'ayant rien à y gagner. La recréation est plus admirable encore car ce Dieu qui n'avait rien à y gagner s'investit dans le salut de l'humanité au point de le gagner en son nom, s'étant fait homme. Le Tout puissant respecte notre liberté et notre dignité, au point qu'il remet notre salut dans nos propres mains d'hommes, par le Christ qui montre à toute l'humanité l'unique chemin qu'elle peut emprunter pour se sauver, celui de l'amour.

L'amour seul nous associe à Dieu, l'amour seul crée la communication entre le fini et l'infini. C'est l'amour qui égalise la condition humaine avec la condition divine. Aucune autre justice que celle engendrée par l'amour ne peut faire en sorte que l'homme devienne "partageant le sort de la divinité", comme Dieu a voulu participer à notre humanité en Jésus Christ.. L'amour c'est l'union de ceux qui s'aiment; Entre Dieu et l'homme par grâce l'union est parfaite, puisque Dieu s'est fait homme et que l'homme devient Dieu. Le Christ prend la nature humaine, étant Dieu et les hommes reçoivent une participation à la divinité qui les arrache au temps dont ils sont issus et les rend éternels.

Comme dit saint Pierre dans sa Deuxième épître : "les précieuses, les plus grandes promesses nous ont été données [à nous apôtres] afin que vous [fidèles] deveniez participants de la nature divine, vous étant arrachés à la corruption qui est dans le monde, dans la convoitise" (II Petr.1, 4). Et il continue en mettant au sommet de la transformation spirituelle, l'amour fraternel et la charité, c'est-à-dire l'union entre l'homme et Dieu, réalisée dans le Christ : "Pour cette raison [de votre divinisation] apportez encore tout votre zèle à joindre à votre foi la vertu, à la vertu la connaissance (gnosis), à la connaissance la tempérance, à la tempérance la constance, à la constance la piété, à la piétél'amour fraternel, à l'amour fraternel la charité" (II Petr. 1, 5-6).

La divinisation qui est notre destinée librement recherchée au dessus de notre nature, est faite de vertu et de connaissance. La connaissance ne remplace pas tout comme dans le gnosticisme, mais elle est nécessaire à la foi, comme la tempérance et la constance qui gardent notre stabilité dans le bien que nous avons choisi en connaissance de cause, et la vertu, la connaissance, la tempérance et la constance militent pour la charité, dans ses deux formes inséparables, l'amour du prochain et l'amour de Dieu. Notre prière liturgique de l'Offertoire est moins développée mais elle fait une très claire allusion à ce passage de la Deuxième de Pierre, qui peut donc lui servir de commentaire.

Une spiritualité de l'Amen

Après cette mise au point sur les différents sens du mot "mystère", il est temps d'analyser cette prière que le prêtre dit en bénissant l'eau et en en ajoutant une goutte dans le vin de l'offertoire. Dans certains rites (le rite dominicain par exemple ou le rite romain rénovée et appliqué hors de ses rubriques) l'eau et le vin ont été mélangés avant la messe et sont déjà dans le calice. Cela nous prive de la belle prière que nous allons analyser. Et cela prive l'offertoire de son sens mystique ou mystérique ; chacun s'offre lui-même à travers l'offrande du pain, du vin... et de la goutte d'eau solennellement ajoutée, qui nous représente tous, fondus dans la Divinité du Christ notre frère, comme la goutte d'eau est perdue dans le vin.

La structure de cette prière est classique : elle s'adresse à Dieu, c'est-à-dire à Dieu Père, qui a fait ceci et cela, pour le supplier : donne nous de participer à la divinité de celui qui a daigné prendre notre humanité, le Médiateur Jésus-Christ dans l'unité du Saint Esprit. Cette structure représente proprement la forme de la prière caractéristique de la liturgie romaine, au Père par le Fils dans l'Esprit saint. Elle se termine par un AMEN qui montre l'origine hébraïque du culte divin et signifie quelque chose comme : En vérité. On trouve déjà cet Amen dans la bouche du Christ. Dans saint Jean il est doublé : "En vérité en vérité je vous le dis...".

Saint Paul utilise le terme AMEN dans la deuxième épître aux Corinthien, de manière quasi liturgique, en se souvenant vraisemblablement de la structure de l'oraison que nous avons indiquée : "Toutes les promesses de Dieu ont en effet leur OUI en Jésus-Christ. Aussi bien est-ce par lui (per ipsum) que nous disons l'Amen à Dieu pour sa gloire" (II Co. 1, 20) : nous disons AMEN par le Christ Notre Seigneur, notre Sauveur, celui qui nous rend capables de la prière que nous formulons. Voilà pour la liturgie.

S'exprimant plutôt en théologien qu'en liturgiste, saint Jean dans l'Apocalypse va plus loin, avec cet Amen. Il appelle le Christ "l'Amen, le témoin fidèle et vrai, le principe de la création de Dieu" (Apoc. 3, 14). Le Christ est l'Amen de Dieu parce qu'il est celui en qui la volonté de Dieu s'accomplit, celui sur lequel se construit le nouvel ordre des siècles initié par l'Apocalypse.

La traduction française du mot hébraïque AMEN par Ainsi soit-il, expression qui indique le vœu ou le souhait, est une traduction faible. A propos de la traduction de Dominus vobiscum par "Le Seigneur SOIT avec vous" j'ai déjà noté dans un post antérieur combien cette spiritualité de l'optatif paraissait dérisoire. Le Seigneur est avec vous : liturgiquement ce n'est pas un vœu, c'est un constat. Si à la messe le Seigneur n'était pas avec nous, la messe servirait à quoi, je vous le demande ! Le mot AMEN, En vérité pose le même genre de constat que l'expression Dominus vobiscum. Il exclut les vœux et les souhaits caractéristiques de l'optatif. Nous ne sommes pas dans un conte de fée. Remettons l'expression au mode du réel qui est l'indicatif. Non pas  : ainsi soit-il mais bien : que ça plaise ou non, ainsi est-il. Le plus simple est de garder l'Amen hébraïque comme l'a fait la liturgie latine et comme l'ont fait aussi les premiers traducteurs latins du Nouveau Testament : Amen amen dico vobis dit le Seigneur dans un latin mâtiné d'hébreu, et cela que ce soit dans la Vetus latina ou dans la Vulgate... Pourquoi n'en est-il pas de même en français : Amen, amen, je vous le dis.

La foi n'est pas un conte pour endormir les enfants que nous sommes et leur faire oublier qu'ils ont mal. Ça, c'est le conte de fée de la fiction transhumaniste qui s'en charge : vous vivrez jusqu'à 150 ans dit M. Jacques Attali. Et dans ce cas là on peut répondre Ainsi soit-il. Et puis il suffit que survienne une petite pandémie pour qu'apparaisse l’inanité de ce rêve d'immortalité que nous a concocté une science qui se tient aux limites de la fiction pure et de l'optatif : Si seulement...

La foi véritable est toujours la quête d'un point fixe. Un point fixe et je soulèverait le monde dit Archimède. Ce point fixe, c'est l'AMEN qui nous l'indique. Essayez : vous verrez. Cela change tout.

dimanche 26 avril 2020

Le "mystère" de l'eau et du vin

Au départ le mélange de l'eau et du vin était sans doute purement pratique. Les vins méditerranéens se buvaient 'mouillés', ne serait-ce que parce qu'avant l'invention du bouchon de liège (pour transporter les vins de bordeaux en Angleterre dans de bonnes conditions), le vin pur était souvent piqué ou "madérisé" et l'on ne pouvait le boire que mélangé d'eau. Aujourd'hui, bien sûr, le mélange de l'eau et du vin n'est plus nécessaire, mais il a pris, de longtemps, une signification mystique ou plutôt mystérique : "per hujus aquae et vini mysterium : par le mystère de cette eau et de ce vin dit notre offertoire.

Précisons que dans les deux principales variantes rituelles qu'il présente, ancienne et nouvelles formes romaines, ce rite du mélange est présent. Le mot mystère n'est employé que dans l'ancien rite ; son omission dans le nouveau est significative de l'état d'esprit rationalisant dont il procède. Il est vrai que le mot "mystère" a plusieurs sens en grec et en latin, et qu'il peut prêter à confusion en français.

Le mélange de l'eau et du vin n'est pas un mystère en soi, c'est un mystère au sens où, dans la métaphysique chrétienne, toute chose créée porte en elle l'empreinte du Dieu Créateur. A la fin de sa IVème lettre à Mademoiselle de Roannez, Pascal le dit magnifiquement : "Toutes choses couvrent quelque mystère, toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu". C'est en ce sens précis que l'on peut parler ici du mystère de cette eau qui se mêle au vin. Au sens où les Grecs parlaient de "cultes à mystère" au sein desquels des réalités sensibles comme l'eau ou la lumière renvoyaient à des réalités invisibles. De même, la vie humaine était l'image d'une vie immortelle. Ces cultes à mystères ont préparé l'hellénisme à recevoir les sacrements de l'Eglise.

Les sacrements (que l'on appelle musteria en grec) ne contredisent pas la grande idée platonicienne de transposition du visible à l'invisible, qui est présente dans les cultes à mystère, mais ils ajoutent à cette idée grecque de "mystères" ou de réalités cachées, l'intervention sacramentelle de la toute puissance du Dieu créateur, Cette toute puissance qui s'est révélée aux Hébreux. Ainsi naît un deuxième sens, le sens chrétien du mot mystère, que l'on traduit en français par 'sacrement'. Ce n'est pas le sens utilisé dans l'offertoire, mais on le retrouve en revanche, un peu plus loin dans la cérémonie, comme constituant la formule consécratoire du vin au sang du Seigneur.

Le mode d'être sacramentel, qu'utilise habituellement l'Eglise catholique dans sa pastorale, ne correspond pas seulement à un savoir purement philosophique ou gnostique de la transposition entre le visible et l'invisible. Cet exercice symbolique est possible bien sûr. Il est même recommandé explicitement par saint Paul, qui souligne que tout le monde est capable d'aller des choses visibles au choses invisibles, que tout le monde peut reconnaître l'invisible dans le visible (Rom. 1, 20).

Mais la transposition sacramentelle n'est pas purement symbolique. Elle devient en même temps un véritable rendez-vous avec le Christ, le lieu et l'occasion (kairos) où se manifeste la Toute puissance de Dieu, par laquelle se réalise ce qui est signifié  : la transformation du pain en corps du Christ et du vin en son sang. Les mystères, au sens de sacrements, manifestent pour ceux qui la cherchent avec un coeur pur la Toute puissance transformante de Dieu, qui, transformant le pain au corps et le vin au sang du Christ, nous transforme aussi, nous, vivants encore sur la terre, en des êtres spirituels, dont "la préoccupation est au Ciel", parce qu'ils ont faim et soif de Dieu. "Tous nous serons transformés" dit saint Paul aux Corinthiens (15, 45). "Celui qui mange ma chair et boit mon sang possède la vie éternelle" (Jean 6).

Notons qu'à l'offertoire, le mélange de l'eau et du vin n'est pas un mystère au sens chrétien de sacrement, au sens où cela constituerait en soi un sacrement efficace de la présence de Dieu. Ce mélange est lu par la liturgie, comme une transposition du visible à l'invisible, le vin signifiant Dieu et l'eau signifiant l'homme, et le mélange de l'eau et du vin signifiant la destinée éternelle de l'homme. A travers cet ordre symbolique, nous sommes invité à partir de deux réalité sensibles en les dépassant, non pas du point de vue du réel pur, mais du point de vue du signe, du point de vue de ce qui fait signe vers l'invisible dans le visible. Etienne Gilson, en quête de la métaphysique chrétienne dans L'esprit de la philosophie médiévale (rééd. Vrin), parle magnifiquement de cet exercice métaphysique, qui renvoie du signifiant au signifié, de la chose à ce qui fait signe en elle vers l'invisible. C'est ainsi qu'il cite saint Bonaventure, dans son Commentaire des Sentences : "Les créatures peuvent être considérées comme des réalités (res) ou comme des signes (signa)" (I Sent. 3, 3, ad 2m).

Le mot mystère est utilisé à deux reprises dans le commun de la messe traditionnelle : une première fois durant l'offertoire pour désigner le mélange de l'eau et du vin. Nous pensons avoir montré que, durant l'offertoire, l'on parle de "mystère", au sens d'une transposition symbolique du visible à l'invisible, au sens donc qui fut celui du culte grec des religions à mystères  et, qui plus tard, retrouvé par la philosophie chrétienne du signe et de la ressemblance, sera génialement rencontrée par Pascal. Saint Bonaventure serait, en l'espèce, le plus éloquent des porte-parole de cette philosophie du signe et de la ressemblance.

Mais, plus loin dans la célébration, au moment crucial de la consécration, le mot "mystère" est utilisé aussi en un autre sens, celui du sacrement chrétien : dans la formule consécratoire du sang du Christ, consécration qui représente le mystère même de la foi, dans sa puissance opérative, qui ne peut être que divine. Nous reviendrons sur ce second sens, qui renvoie à la perspective paulinienne de la métamorphose, l'homme devenant Dieu en consommant le corps et le sang du Christ sous les apparences du pain et du vin.

Les deux sens du mot mystère décrivent bien le passage du culte à mystère païen aux sacrements chrétiens, du sacrifice de l'homme au sacrifice divin, de l'offertoire à la consécration.

samedi 25 avril 2020

Le péché : attention ça glisse

Pro innumerabilibus peccatis... A quoi sert le sacrifice ? Que compense ce don sacré ? Aujourd'hui on estime qu'il n'y a rien à compenser que Dieu sera toujours assez bon pour nous prendre tels que nous sommes, qu'il pardonne nécessairement et qu'en un mot, comme chantait Polnareff, on ira tous au paradis. Et on oublie qu'étymologiquement, d'après la vieille sagesse de la langue, il n'y a pas de miséricorde pour qui ne reconnaît pas sa misère. Dostoïevsky était ému de cette bonté divine, qui ne nous demande que de reconnaître nos fautes comme des fautes, pour nous les pardonner (voir entretien d'Aliocha avec le staretz Zossime).

Problème : nous ne sommes pas parfaitement conscients de toutes nos fautes. Nous ne pouvons pas les dénombrer. Elles sont innombrables, non seulement parce qu'elles sont très nombreuses mais surtout parce qu'elles ne se comptent plus ; c'est notre nature, qui malgré un bon fond, est portée vers le mal. Se laisser vivre, c'est nécessairement pécher. Le péché n'est pas seulement cette erreur de guidage qui interviendrait de temps en temps, il est une tendance lourde de notre être , à travers l'égoïsme, l'égocentrisme, la paresse, la luxure etc. nous pouvons connaître chacun l'endurcissement dans le mal.

Ce péché (peccatum) est une offense (offensio) à Dieu, une manière (il y en a des milliers possibles) de se réaliser comme créature en dehors de lui, une réalisation aberrante de notre liberté. Pourquoi le péché est-il grave ? Parce qu'il nous pousse à rechercher l'infini pour lequel nous sommes faits en dehors de l'Infini divin. Ainsi nous laissant aller à cette logique de l'infini en dehors de l'Infini divin, nous sommes tous capables du pire, devenus esclaves de l'Indéfini, de l'indéfinissable, de l'innommable même parfois : le péché est une réalité glissante ! C'est ce qu'indique bien la formule de l'offertoire, qui ajoute aux péchés (peccatis : l'erreur de guidage) et aux offenses (faites à Dieu) les "négligences". Pour nous qui sommes marqués par le péché originel, mal sortis de l'animalité, la négligence, c'est peut-être ce qu'il y a de pire car c'est la porte ouverte à tous péchés. Il suffit de se laisser être, de se "négliger", pour être dans le péché jusqu'au cou.

La prière sacrificielle de l'offertoire ne concerne pas seulement le prêtre, pas seulement non plus les bons élèves de la classe, ceux qui s'exercent à prier avec dévotion, il concerne tout le monde et d'abord l'ensemble de l'assemblée (pro omnibus circumstantibus : ceux qui sont debout à l'entour) et plus largement encore tous les chrétiens, tous les baptisés (par l'eau ou par le désir) qui reconnaissent leur foi dans cette cérémonie christique : c'est ici le dogme de la communion des saints, de la solidarité entre tous ceux qui cherchent Dieu, d'un côté ou de l'autre du voile des apparences : le sacrifice a de droit une portée universelle : pour moi et pour tous les autres, les vivants et les morts.

Que pour moi et pour eux, ce sacrifice nous fasse progresser vers le salut dans la vie éternelle. L'essentiel de la messe, de ce sacrifice de l'homme provoqué par le sacrifice divin, c'est cette divine métamorphose par laquelle non pas seulement nous devenons immortels mais nous entrons dans la vie éternelle, nous changeons de biotope, nous nous familiarisons avec le milieu divin, "Celui qui mange ma chair et boit mon sang possède la vie éternelle".

vendredi 24 avril 2020

"Cette hostie sans tache"

Recevez Père saint Dieu tout puissant et éternel, cette offrande immaculée, hanc immaculatam hostiam. Le mot hostia ne signifie pas que le prêtre puisse offrir ici par anticipation l'hostie consacrée. Consacrée, elle ne l'est pas. Le mot "immaculata" sans tache ne renvoie pas à un qualificatif divin, mais surement à l'agneau sans tache que les Hébreux devaient offrir, pour la Pâque, non sans avoir peint une croix avec son sang à l'entrée de leur maison, pour que l'ange exterminateur, celui qui constitue la dixième plaie d'Egypte ne pénètre pas et ne tue pas les premiers nés dans cette maison, marquée du sang de l'agneau.

L'hostie, la victime, c'est l'agneau sans tache, que les Hébreux offrent pour la Pâque, en le mangeant debout, comme en voyage, préparé avec des herbes amères. Nous n'avons pas trace de ce rite au cours de la dernière Cène, mais les artistes l'ont souvent représenté, et pas pour rien. Il eut été invraisemblable que le Christ n'ait pas "mangé la Pâque" avec ses apôtres. On ne nous parle plus de l'agneau pascal parce que rétrospectivement, c'est le Christ qui est devenu l'Agneau de Dieu, au corps livré et au sang versé. Mais certainement l'offrande de l'agneau pascal a eu lieu, le second testament ne supprime pas le premier mais l'accomplit (Matth. 5. Héb. 7). Bien sûr, à la fin du repas, l'agneau pascal, cela est clair pour tout le monde, c'est le Christ, "l'agneau de Dieu" désigné par Jean Baptiste au début du quatrième Evangile. Mais la cérémonie juive sert d'offertoire en cette première messe. C'est pourquoi d'ailleurs la nouvelle liturgie a choisi un bénédicité juif comme formule d'offertoire. Malheureusement cela a ôté toute dimension sacrificielle à l'offertoire, comme nous le disions dans le post précédent. Mais ce choix n'est pas sans une belle signification historique.

Cette hostie immaculée dont il est question au début de notre offertoire, c'est l'agneau sans tache et c'est plus largement toute offrande pure, cela concerne depuis Abel (que nous retrouverons dans le Canon de la messe) tout offrant qui offre sa vie ou quelque chose de sa vie à Dieu avec un coeur pur. Mais qu'est-ce qui fait que l'homme, que tout homme (Abel, l'enfant d'Adam et Eve après le péché originel) peut ainsi offrir un sacrifice immaculé au Seigneur ? Tout homme est pécheur. Mais la pureté de son coeur le rend agréable au Seigneur : moi, ton indigne serviteur, je peux te faire mon offrande sans crainte, car tu es mon Dieu, le Dieu vivant et vrai, qui accueille toute vie et toute vérité. La formule célèbre de saint Paul aux Philippiens résonne avec force en chaque offertoire, évoquant l'offrande sans tache de l'homme à Dieu. "Enfin frère, tout ce qu'il y a de vrai, de noble, de juste, de pur, d'aimable, d'honorable, tout ce qu'il peut y avoir de bon dans la vertu et la louange humaine, voilà ce qui doit vous préoccuper" (Phil. 4, 8).

Le ton de saint Paul tranche certes avec l'humilité du célébrant dans l'Offertoire (indignus famulus tuus). Au moins nous rappelle-t-il que les valeurs de l'homme naturel, prises en elles-mêmes, ne sont pas contradictoires avec les oeuvres surnaturelles, mais les représentent dans l'ordre fini. On pourrait hasarder l'idée (avec Teilhard) que, à chaque offertoire, l'Eglise "experte en humanité" offre ce qui est beau dans la nature humaine, demeurée intègre malgré le péché originel. Ce sacrifice est certes  toujours imparfait ; il est donc incomplet. Il en appelle au sacrifice parfait "hostiam puram, hostiam sanctam, hostiam immaculatam", le sacrifice du Christ, "pain saint de la vie éternelle et calice du salut définitif".

jeudi 23 avril 2020

L'offertoire de la messe traditionnelle

L'offertoire de la messe traditionnelle a été au coeur des polémiques qui, arbitrées par le pape Paul VI, ont donné naissance, en quelques année, à la forme rénovée du rite romain. Avec cet offertoire, nous entrons dans le coeur de la liturgie latine, mais nous y entrons, semble-t-il, sur un malentendu à propos de la nature de cette prière. Pourquoi ce malentendu : c'est une longue histoire...

Disons d'abord que cet offertoire est fait de prières plus récentes que le vénérable canon, dont les prières centrales sont traçables jusqu'au IV ème siècle (le De sacramentis de saint Ambroise) et, pour certains remonteraient au début du IIème siècle. L'offertoire, lui, est "récent" ; dans le langage de l'Eglise, cela signifie qu'il renvoie à des "séries d'oraison", remontant au IXème ou au Xème, avec une maturation de plusieurs siècles jusqu'au coeur du Moyen âge.

Les experts, dans les années 60, au moment où est né le "nouveau" rite, ont semblé découvrir le caractère tardif de cette prière. Ils se sont montrés défavorablement impressionnés par cette "nouveauté médiévale" et ont cherché à revenir à l'antique, c'est-à-dire à la "secrète", prière qui aujourd'hui conclut l'offertoire. Voilà ce qui est vraiment antique, remontant pour le moins au pape saint Grégoire le Grand (mort en 610). Voilà qui exprime la présentation des dons : ça on sait ce que c'est. On sait avec quelle solennité, dans certaines liturgies anciennes, cette présentation des dons est opérée au cours d'une procession que marque le chant de l'offertoire. La nouvelle liturgie entend retrouver cet esprit de la présentation des dons : dans les meilleures paroisses, on porte les paniers de quêtes en triomphe jusqu'au choeur...

Le choix liturgique de l'Eglise romaine avait été tout autre. Pour elle, l'offertoire ne renvoie pas à une artificielle présentation des dons (ce que l'on appelle aujourd'hui le pain, fruit de la terre et du travail des hommes, le vin fruit de la vigne et du même travail des hommes), mais à une offrande de soi-même, dans la perspective du renouvellement du sacrifice du Christ : c'est à nouveau à la première personne du singulier (ce que nous avons appelé déjà : "le sujet partagé" le "moi distributif") que le prêtre, à voix basse - accompagné à sa manière par chaque fidèle, qui peut lire les oraisons ou trouver tel autre mode personnel de prière, ne serait-ce que ce silence liturgique sur lequel nous allons revenir - dit son propre sacrifice intérieur et la manière dont il l'offre à Dieu pour ses innombrables péchés : "Recevez Père saint, Dieu Tout puissant et éternel, cette hostie immaculée que moi votre indigne serviteur, je vous noffre à vous mon Dieu, vivant et vrai pour mes innombrables péchés et offenses et négligences...".

Moi et Vous : quelle beauté, cette relation à Dieu sur un pied d'égalité, j'oserais dire comme le Christ parlant à son Père dans la prière sacerdotale (Jean XVII) ! Certains érudits parlent d'une anticipation sacrificielle ; le mot me semble mal choisi. Rien n'est "anticipé" dans ce dialogue, entre moi (le prêtre c'est-à-dire ici aussi le baptisé) et Vous mon Dieu vivant et vrai. Avant d'offrir le sacrifice du Seigneur selon son commandement explicite ("vous ferez cela en mémoire de moi") le prêtre  s'offre lui-même et se purifie par le rite du lavabo. Il va prendre dans ses mains indignes le corps et le sang du Seigneur. De façon absolument opportune et non anticipée, il se purifie au préalable, en offranr son propre sacrifice, comme tous ceux qui offrent le sacrifice d'eux-mêmes avec lui, avant qu'ils ne communient au sacrifice du Seigneur...

C'est le grand changement opéré dans la liturgie post-conciliaire par des experts qui avaient une vision archaïsante et historiciste de la liturgie. Au lieu d'accueillir la tradition vivante de leur Eglise romaine, et ces magnifiques oraisons sacrificielles, ils ne les ont pas comprises, ils ont en ce point sciemment rompu avec cette tradition vivante et ils ont été chercher d'autres liturgies, plus anciennes, en l'occurrence antérieures au christianisme, et théologiquement forcément moins expressives, que la liturgie romaine traditionnelle, quitte à créer de toutes pièces les paroles du Nouvel offertoire, reconstitution purement moderne d'un rite de bénédiction, la berakoth juive

Pour faire bonne mesure dans la disqualification de l'ancien offertoire, beaucoup de savants auto-proclamés, répétant des augures comme le Père Josef Andreas Jungmann, ont accusé ce texte de faire double-emploi. L'offertoire pour eux est un doublon de la consécration. Pourquoi ? Parce qu'il est sacrificiel comme elle. Dans les années 60, des revues liturgiques comme La Maison Dieu utilisent à longueur de temps ces expressions, absurdes, comme nous venons de le voir, mais qui légitimaient la grande aspiration à la réforme, c'est-à-dire à tout changer. Je me souviens du moment où j'ai redécouvert la messe traditionnelle, et où, lisant le Père Roguet et son best seller (à l'époque) sur la messe, dans lequel je découvrais ce mauvais procès fait à l'offertoire traditionnel, je me disais simplement en moi même : mais justement je les aime beaucoup moi ces prières qui font doublon... - Pourquoi ? -Parce qu'elles ne font pas doublon justement.

C'est en mémoire de cette mauvaise polémique que Mgr Guérard des Lauriers, revenant sur ce mauvais procès fait à l'offertoire traditionnel, écrivit dans Itinéraires, le bel article sur les deux sacrifices : le sacrifice de l'homme, pleurant ses péchés "innombrables" rencontre le sacrifice du Fils de l'homme. Deux sacrifices, celui de l'Offertoire est le sacrifice de l'homme et celui de la consécration est le sacrifice divin. Offrant sa vie pour les péchés des homme, le Christ inclut toutes les offrandes humaines, forcément imparfaites, dans son offrande : hostiam puram, hostiam sanctam, hostiam immaculatam.

J'en entends certains dire : mais cette histoire de deux sacrifices est propre au Père Guérard. Elle n'est pas traditionnelle. Je ne peux m'empêcher de penser que cette critique d'un théologien de classe internationale, par des théologiens qui n'ont d'autre argument que leur érudition (authentique), mérite la formule cinglante du Père Michel de Certeau, dénonçant de manière tout à fait générale, bien au-delà de notre affaire, "le terrorisme qu'exerce l'érudition sur la théologie". "A la messe, il y a deux sacrifices" : cette formule du Père Guérard des Lauriers n'a en effet aucun antécédent dans la tradition. Mais elle s'inscrit dans une réflexion sur le sacrifice, dont je trace le trait de Cajétan à Joseph de Maistre, en passant par le Père de Condren et l'Ecole française.

Depuis le sacrifice d'Abel le juste, depuis l'origine de l'humanité, Dieu accepte tout sacrifice que l'homme offre avec son coeur, malgré l'imperfection, malgré la vacuité apparente de ces sacrifices de la créature au créateur. La question n'est pas seulement historique, elle nous concerne personnellement : combien nos offrandes au Seigneur peuvent être apparemment vides, de peu de poids, quelques dizaines de chapelet par exemple ! Mais elles constituent un offertoire existentiel, qui est transformé, qui est assimilé dans l'Offrande unique du Christ, dont Cajétan dit qu'elle est "perfectivum omnium sacrificiorum" : accomplissante de tous les sacrifices.

A la sainte messe, se fondent dans le sacrifice du Christ tous les sacrifices de l'homme. Il ne s'y joue rien de moins ! C'est cela que le Père Teilhard appelait, utilisant un registre de vocabulaire différent, "la messe sur le monde".  Mais pour que ces ébauches humaines de sacrifices puissent se fondre dans le sacrifice du Christ, il faut bien qu'elles aient eu leur lieu, non seulement que ces ébauches sacrificielles aient eu lieu dans l'espace-temps (de cela personne ne peut douter : les hommes prient Dieu, naturellement), mais qu'elles aient eu lieu dans l'action sacramentelle, qui sans cette étape, serait incomplète.

 Sans l'offertoire, le signe eucharistique serait incomplet, serait défaillant, parce que l'humble offrande humaine, qui va devenir le corps et le sang du Christ, ne serait pas sacramentellement jouée.

dimanche 19 avril 2020

Le Credo par quelle autorité ?

Quelle est la différence entre la foi naturelle et la foi surnaturelle ? C'est une question de qualité d'adhésion, disions-nous dans le précédent post. La foi surnaturelle vient de Dieu, c'est Dieu qui nous l'enseigne, elle nous ramène à lui, elle nous mène en lui. La foi naturelle, elle, vient de l'homme, elle nous propose une manière de "bien faire l'homme" comme dirait Montaigne. Elle n'atteint d'elle-même qu'à une certaine image de Dieu, la plus vraisemblable ou la moins invraisemblable humainement, qui n'est pas celle que Dieu a voulu donner de lui-même dans l'Evangile à travers le Christ.

Mais l'Evangile suffit-il à nous donner la foi surnaturelle ?, L'autorité de l'Evangile suffit-elle ? On sait bien que non. Si chacun interprétait les quatre évangiles à sa guise, on se trouverait devant un beau bazar spéculatif. Si comme le dit le Pèree Congar, "la source elle-même est plurielle" et qu'il n'y ait rien d'autre que la pluralité de ces quatre évangiles, avec leurs paroles de feu, il faudrait renoncer à toute norme de la foi ; il faudrait renoncer à ce que saint Paul appelle "l'obéissance de la foi" (Rom. 1, 5 et Rom. 16, 26). C'est le drame de tous les fidéisme, en particulier de celui de Luther, à l'enseigne de la foi seule. Le Christ lui-même a confié la foi à l'Eglise, en disant aux apôtres cette parole formidable : "Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans les cieux ; tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans les cieux"(Matth. 18-18). Cette infaillibilité des apôtre "sur la terre comme au ciel' a quelque chose de divin, dans les mots mêmes que trouve le Christ pour la définir. Elle n'est possible elle-même que si elle est confié à un hommme, seul responsabkle de la transmission de la foi devant Dieu : "Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise et les portes de l'enfer ne l'emporteront pas contre elle. Je te donnerai les clés du Royaume de Dieu. Tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux" (Matth. 16, 16).

Personne ne peut rien contre ces deux textes qui prouvent à eux tous seuls que l'Eglise a été fondée par le Christ et qu'on ne peut pas séparer l'Eglise et l'Evangile. Si l'on imagine "l'Eglise seule" on arrive assez vite au fascisme spoirituel qui caractérise le grand inquisiteur dans les Frères Karamazov de Dostoïevski (le gransd inquisiteur finit par condamner à mort le Christ revenu au monde). Si l'on oppose à l'Eglise seule, l'Evangile seul, on fait abstraction de ces formules de l'Evangile, qui sont définitives et l'on se contredit soi-même. Le Credo de Nicée Constantinople est la parole d'autorité que porte l'Eglise pour guider notre interprétation de l'Evangile.

On connaît la longue recherche de saint Augustin : voulant à tout prix échapper aux soins trop attentifs de sa mère, il se rapprioche de cette hérésie chrétienne qu'est le manichéisme. Mais la secte, qui enseigne le dualisme entre l'esprit et la matière, n'est pas sans poser quelques questions au futur évêque d'Hippone. Il attend un ponte de la secte Faustus, qui doit répondre à toutes ses questions; Quand il le rencontre, il comprend que sa volonté de savoir ne sera pas rassasiée par les manichéens. Il abandonne alors momentanément son platonisme pour flirter avec le scepticisme et l'épicurisme. Mais en même temps, il s'inscrit à Milan parmi les catéchumènes de l'Eglise catholique. Encore en recherche pour longtemps, il découvre l'importance de l'autorité de l'Eglise. Il écrira plus tard dans une lettre cette parole qui résume l'objet de notre recherche : "Evangelio non crederem, nisi me catholicae ecclesae auctoritas commoveret". Je ne croirais pas à l'Evangile si l'autorité de l'Eglise catholique ne m'y poussait". Il ne s'agit pas d'être servile face à l'Eglise, mais de reconnaître que dans les temps de crise, c'est l'autorité de l'Eglise catholique qui dirime les questions. Roma locuta, causa finita" dit-il aux rigoristes de  Donat.

Le grand enjeu de la crise actuelle de l'Eglise est la préservation de son autorité comme criterium de la tradition et même, parce que les paroles du Christ sont formelles, de l'Eglise.: Je crois en l'Eglise une sainte catholique et apostolique, je confesse un seul baptême pour la rémission des péchés..."

samedi 18 avril 2020

Questions d'aujourd'hui sur le Credo de toujours

On accompagne les messes festives importantes ou les messes dominicales de la récitation du Credo après l'homélie. Il s'agit pour la communauté chrétienne, avant d'entrer dans le cœur du mystère, constitué par l'offertoire, la consécration et la communion, de réaffirmer ensemble le résumé en douze articles de notre foi commune, tel qu'il ressort des deux conciles de Nicée (325) et Constantinople (381).

Ce résumé indique ce que nous partageons, autour de la Trinité, de l'Incarnation et de la Rédemption. Ces trois mystères sont celui de Dieu en lui-même, celui du Dieu fait homme et celui du salut que nous recevons de Dieu, c'est-à-dire de la divinisation de l'homme, par le rachat de ses péchés. Ils forment la première partie de tout catéchisme digne de ce nom, résumant ce qu'il faut croire pour avoir la vie éternelle, avant de nous proposer ce qu'il faut faire et ne pas faire (à travers les commandements de Dieu) et enfin les moyens que nous mettons en oeuvre, en particulier la prière et les sept sacrements.

On peut résumer la foi catholique à travers cette expression souvent employée par les Pères de l'Eglise : "Dieu s'est fait homme afin que l'homme devienne Dieu". Cette simple formule nous donne tout l'esprit du Credo.

Remarquons que le Credo se récite à la première personne du singulier, parce que la foi nous vient avant tout de la relation personnelle que chacun entretient avec Dieu. Nous sommes responsables, individuellement de notre foi et en même temps, c'est à travers elle que nous appartenons au peuple de Dieu, qui est aussi appelé le corps mystique du Christ, puisque c'est dans le Christ que nous sommes sauvés, que notre mort est anéantie et que nous vivons pour toujours. Ce "Je" du Credo est le modèle de ce que nous avons déjà appelé ici le sujet partagé. La foi vient du fond de la personne,Elle représente l'accès volontaire et libre au plan de Dieu sur l'humanité.

Cet accès n'est pas une nécessité rationnelle ou un calcul ; elle est un engagement, elle comporte un risque parce que non seulement elle est foncièrement libre mais elle est en chaque homme ce qui qualifie sa liberté. C'est ce risque qui fait comprendre pourquoi la foi n'est pas un savoir, comme dit saint Thomas d'Aquin : croire et savoir sont deux choses différentes. La foi emporte avec elle un savoir (celui des dogmes qui la définissent). Mais ce savoir ne vient pas de la raison et ne lui est pas réductible. Il vient du fait que je crois.

Mais d'où vient la foi ? Elle répond à d'autres questions que celles qui seraient purement liées au savoir rationnel.

Face au Mystère de l'univers, vers quoi je m'oriente ? vers quoi je me dirige ? qu'est-ce que j'aime ? qu'est-ce que je choisis ? Moi-même ? Ou bien la source mystérieuse de l'Ordre universel ? Ce dilemme fondamental, on peut dire qu'il crucifie littéralement la condition humaine. Aucun individu normalement constitué n'y échappe. Je crois en l'ordre, comme parle Malebranche, ou je crois en moi. Je crois en des choses qui me dépassent : la beauté, la bonté, la justice, la vérité. Ou je crois en moi et je cherche avant tout et par tous les moyens ma satisfaction.

Le siècle des Lumières a voulu nous faire croire que la raison pouvait résoudre ce dilemme et le transformer en un calcul. Les utilitaristes anglais ont expliqué qu'il fallait forcément rechercher le plus de plaisir, le plus de bonheur, le plus d'argent possible, qu'il n'y avait aucun dilemme et que tout ce qui ne tombait pas sous l'empire du calcul n'avait aucun intérêt. Ces grands calculateurs ne se sont pas aperçus tout de suite que leurs calculs, au nom desquels ils pensaient prouver la morale, en réalité anéantissait toute morale, détruisait tout engagement réel pour le bien, tout risque, tout choix, toute liberté, parce qu'il refusait de compter avec la foi.

A quoi riment toutes ces questions ? A nous faire comprendre que la foi est la condition de tout bien humain, que ce soit au plan naturel ou au plan surnaturel. La foi est ce qui révèle l'homme à lui-même.

Quelle différence y a-t-il entre le naturel et le surnaturel ? Le Credo nous en indique une dans la syntaxe du verbe croire : au plan naturel on croit à... Je crois à la justice de mon pays. Je crois à un avenir écologique du monde etc. Mais quand on atteint le plan surnaturel, celui où Dieu se donne lui-même à connaître et à aimer, on ne croit plus à quelque chose qui pourrait nous rester totalement extérieur, on s'investit totalement, on croit en Dieu, au point que comme le disait naguère le Pseudo Denys, repris par saint Thomas d'Aquin, la foi est une certaine situation de l'esprit en Dieu, en latin chez saint Thomas ; aliqua collocatio mentis in Deum. Voilà ce que l'on dit lorsque l'on déclare : Je crois en Dieu; Je me situe en Dieu. Je vois toutes choses par rapport à Dieu. Ce que ma raison ne pourrait pas envisager ou calculer, je l'atteins par la foi. La foi seule me donne l'incalculable.


Qu'est-ce qu'une bonne homélie ?

Il n'y a pas grand chose à dire de l'homélie, sinon qu'elle doit faire partie, à sa manière, de l'action liturgique, en apparaissant comme un commentaire de telle ou telle partie du propre ou du commun de la messe.

Les sermons magistraux des Bossuet et des Bourdaloue, comme plus tard les célèbres conférences de Notre-Dame n'avaient pas lieu durant la messe, mais à l'attention d'un public qui revenait spécialement le dimanche après-midi pour écouter le prédicateur. Madame de Sévigné aimait "aller en Bourdaloue" comme elle disait, Bourdaloue qu'elle préférait à Bossuet à cause de sa grande clarté. Bossuet faisait du beau. Bourdaloue de l'utilisable.

Dans la vieille chrétienté, on avait trop conscience de la grandeur de la liturgie pour mêler le sermon, parole humaine, et la messe, parole divino-humaine. Du XVIème au XIXème siècle, les curés faisaient des prônes, lisant l'Evangile en français, annonçant les baptêmes, les mariages et les enterrements et donnant lecture des édits épiscopaux, royaux ou impériaux sans oublier les nouvelles d'intérêt général (les dates de la moisson par exemple). Le prône était le miroir de la communauté. Mais ce n'était qu'un prône.

Il ne faudrait pas que le sermon soit le miroir du prédicateur. Et pourtant tout prédicateur est accessible à cette tentation du miroir.

Prône ou pas prône, la prédication a toujours existé, En saint Jean-Baptiste, elle est même antérieure à la mission du Christ dont Jean est le précurseur : "il n'était pas la lumière mais pour rendre témoignage à la lumière". Le Christ est seul la lumière des nations... L'insistance de l'évangéliste est lourde à l'égard du premier des prédicateur : lui disait simplement à son propre propos qu'il n'était que "la lampe de la Lumière" (Jean 3)

On connaît également le texte de saint Paul sur la prédication - simplement admirable et que je cite ici bien au long : pourtant, le début est difficile à interpréter, l'apôtre évoque la sagesse de la raison, insuffisante, mais non pas mauvaise en elle-même et il la compare à "la folie de la prédication" : "Puisque dans la sagesse [créatrice] de Dieu le monde n'a point connu Dieu par la sagesse, il a plu à Dieu de sauver ceux qui croient par la folie de la prédication: Et tandis que les Juifs demandent des signes, et que les Grecs cherchent la sagesse, nous, nous prêchons le Christ crucifié, scandale pour les Juifs, et folie pour les païens ; mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, puissance de Dieu et sagesse de Dieu.

La prédication est l'instrument de toutes les conversions, la première, la deuxième, la troisième. Elle mène à la voie purgative (à la pénitence) à la voie illuminative (à la lumière) et à la voie unitive dans son Mystère insondable. Mais pour tout cela, disons-le une bonne fois, la prédication est un instrument disproportionné, le prédicateur doit avoir conscience de cette disproportion folle, entre une parole humaine et la volonté divine de salut que cette parole est censée porter aux hommes. La folie de la prédication est tout entière dans la conscience que l'on doit prendre de cette disproportion. Saint Paul ne pousse pas les prédicateur à la folie rhétorique, verbale ou verbeuse. Lui-même d'ailleurs ne semble pas avoir été un orateur de première force (cf. II Co 10) Il ne demande pas forcément aux presbuteroi qu'il ordonne de trouver les accents du télévangéliste américain. Il faut prêcher la vérité du Christ, la vérité qui suffit à tout, qui est féconde par elle-même : "Ce qu'en fin de compte on demande à des intendants, c'est qu'ils soient trouvés fidèles" (I Co, 4, 2).

Qu'est-ce qu'être fidèle pour un prédicateur ? Avant tout avoir conscience du décalage entre le moyen naturel de la prédication et l'effet surnaturel ou divin (la conversion) qui est recherché. Ensuite savoir qu'en chaque homme et en chaque femme c'est le maître intérieur dont parle saint Augustin qui transforme les pauvres paroles du prédicateur en paroles de salut : occasions humaines d'une prise de conscience divine. Saint Augustin a merveilleusement compris qu'à l'occasion de la parole extérieure, c'est le maître intérieur qui nous parle,à chacun en son intimité : "C'est le maître intérieur qui instruit, c'est le Christ qui instruit, c'est son inspiration qui instruit. Là où ne sont pas son inspiration et son onction, c'est en vain qu'au dehors retentissent les paroles" (In Jo Ep. 3, 13 in SC 75 pp. 210-211). La foi n'est rien d'autre que la prise de conscience du Saint Esprit en nous. Dans cette perspective, le prédicateur n'est que l'allume feu.

La bonne homélie celle qui pour tel ou tel peut devenir l'allume feu, sans forcément que le prédicateur y ait compris grand chose à ce qui se passe dans la tête et dans le coeur de celui qui l'écoute. Combien de fois ai-je fait cette expérience : "Votre sermon était très beau - Qu'est-ce qui vous a plu ?" La réponse est souvent déroutante. Il ne s'agit pas forcément d'un thème ou d'une idée que j'avais voulu développer, parfois c'est juste un accent, une allusion, un mot qui rappelle à l'auditeur un problème qu'il se pose depuis longtemps.. Disons que dans le meilleur des cas le prédicateur n'y voit que du feu : le feu du Saint Esprit, clair pour chacun, obscure pour celui qui n'est pas touché de cette manière.

mercredi 15 avril 2020

L'Evangile : un des deux sommets de la liturgie

La lecture liturgique de l'Evangile est une véritable manifestation de la présence de Dieu au milieu de nous. La parole de Dieu, c'est Dieu. C'était déjà vrai dans l'Ancien Testament où l'Arche d'alliance contenant les dix paroles, les dix commandements de Dieu, manifestait aux Hébreux la présence permanente de Dieu au milieu d'eux. Les dix commandements gravés sur des tablettes, conservées dans cette sorte de coffre que l'on a appelé l'arche d'alliance, manifestaient une sorte de présence réelle avant l'heure.

Dans son livre de synthèse La Bible et l'Evangile, le théologien Louis Bouyer insiste sur la parentée des schémas entre l'Eglise et le Temple. Cette présence sacrée Dieu l'avait offert à un peuple, sous le signe de la circoncision. Le Saint des saints, dans le Temple à Jérusalem était le lieu de cette Présence. Un grand prêtre, tiré au sort, y entrait une fois par an. Et aujourd'hui, dans toutes les églises du monde, sous le signe du baptême, est gardée la Présence de Dieu, présence réelle et substantielle sous l'appparence du pain. Les églises chrétiennes ne sont pas des synagogues, de simples salles de prières. Elles constituent autant d'écrins d'une présence qui s'approche, qui devient si proche qu'elle se matérialise et se laisse à la merci des passants, Dieu, se laissant à l'apparence du pain et du vin, par le Testament du Christ. Dieu qui vient dans son Temple à travers sa parole : "Ceci est mon Corps, ceci est mon sang".

Il est temps de répéter l'Apocalypse : "Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes. Il habitera avec eux, et ils seront son peuple et Dieu lui-même sera avec eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu" (Apoc. 21, 3-4). Comment Dieu fait-il sa demeure avec les hommes ? Il y a deux présences de Dieu parmi les hommes : celle de sa parole et celle du sacrement qu'il a expressément institué, une présence intentionnelle et une présence substantielle. La liturgie n'est pas autre chose que l'introduction à ces deux présence, l'initiation au divin : "Celui qui croit en moi, même s'il est mort, vivra". Cette vie nouvelle, il lui faut la parole et l'eucharistie pour prospérer, il lui faut la parole et l'eucharistie pour qu'elle vérifie cet élan lyrique de l'apocalypse : 'Il n'y aura plus ni deuil ni douleur, car les premières choses ont disparu" : prima abierunt, les premières choses s'en sont allés.

L'Evangile, tel qu'il est lu à la messe, n'est pas une matière qu'il faudrait bûcher, une leçon qu'il importerait d'entendre ou d'apprendre... L'Evangile à la messe rend présente la Parole de Dieu. Elle est le premier sommet de l'Office, sommet nécessaire, car on ne peut pas s'introduire dans le mystère de la présence substantielle, de la présence eucharistique, si l'on n'a pas le culte de la Parole de Dieu. Le Christ est présent dans l'eucharistie parce qu'il nous a donné sa parole qu'il y serait. Pour s'introduire dans le Mystère de la présence substantielle, il faut passer par la parole de Dieu, qui réalise ce qu'elle signifie.

"Catéchumènes sortez !" Voilà ce que l'on entendait avant le début de l'Offertoire. Les catéchumènes, futurs baptisés, en sont au premier mode de la Présence, la présence intentionnelle de la Parole de Dieu. Il faut qu'ils laissent longuement résonner cette parole en eux, avant d'être initiés (ne parle-t-on pas des sacrements de l'initiation chrétienne ?), par cette parole justement, au Mystère de la présence substantielle et finalement au mystère de la réactualisation du sacrifice du Christ, qui, parce que tout est lié comme dit notre bon pape, exige et réalise cette présence substantielle. Nous y reviendrons.

L'Evangéliaire (ou à défaut le missel) est encensé avant la lecture, comme tout à l'heure l'hostie sera encensée. Il sera embrassé à la fin de la lecture parce qu'il nous permet de faire résonner la parole de Dieu, de la faire résonner dans l'église, mais d'abord dans nos coeurs, en nous rapprochant du Seigneur. La ou les lectures qui précèdent l'Evangile ne sont toutes proposées que pour nous disposer à l'entendre, selon l'un des quatre évangélistes, Matthieu, Marc, Luc ou Jean, et selon l'Eglise épouse du Christ, qui a reçu mission de transmettre l'Evangile d'en témoigner pour notre temps comme pour tous les temps. 

Le rôle de l'Eglise ? Il ne s'agit pas pour elle de faire écran mais de témoigner de l'Evangile. On peut dire de l'Eglise, de ses prêtres ou des diacres qui lisent l'Evangile à la messe et peuvent prêcher à son sujet, ce que l'évangéliste dans son prologue dit de Jean le Baptiste : "Il n'était pas la lumière, mais il est venu pour rendre témoignage à la lumière". Gare à une Eglise qui se prendrait pour la lumière ! Elle n'existe que pour en témoigner. Nous y revenons dans le post suivant sur l'homélie.

mardi 14 avril 2020

Graduel, traict, alleluia; séquence

La lecture de l’Évangile est précédée d'un, et même la plupart du temps, de plusieurs chants, tirés des psaumes et le plus souvent accompagnés d'alleluia. Dans la liturgie tout est fait pour solenniser cette lecture de l’Évangile, parole de Dieu, parole de science,  parole de salut, parole efficace, loi nouvelle pour l'homme dans ses ultimes transformations culturelles et spirituelles, dont l’Évangile constitue en quelque manière le code génétique.

Le calendrier liturgique permet à chacun de ceux qui le pratiquent (à chaque pratiquant), de vivre la naissance l'enfance, la prédication,, la mort, la résurrection du Christ et l'envoi du Saint Esprit après son Ascension. Selon les périodes - joyeuses ou pénitentielles - on chante ou non l'alleluia : il n'est présent qu'aux fêtes (pas les jours de féries c'est-à-dire pas les jours sans). Les fêtes peuvent relever du temporal (c'est-à-dire de la grande histoire du salut synthétisée les dimanches et fêtes particulières au cours de l'année) ou du sanctoral (fêtes de saints répandues sur tous les jours de l'année). Il y a un alleluia pour chaque jour de fête ou temporal et du sanctoral, partie gauche et partie droite du Missel, pour peu que ces fêtes ne soient pas célébrées durant le Carême, temps où l'alleluia disparaît.

Au temps de Pâques, au contraire, les alleluia se multiplient, dans l'introït, l'offertoire, la communion, et même, pendant la semaine de Pâques, après l'Ite missa est. A ce moment là, de Pâques à la Trinité, soit pendant 50 jours,  avant la lecture de l'Evangile, l'alleluia - répons et verset - est redoublé ; le graduel et le traict sont supprimés, nous revenons dans un instant sur ce dont il s'agit.

Tous ces alleluia représentent la étymologiquement la "louange à Dieu" : verbe hébreu hallel accompagné de Ya, forme brève pour Yahvé. Significativement, c'est sur cette dernière syllabe que se concentrent les mélismes musicaux. C'est bien à Dieu seul que revient la gloire, pour cette résurrection d'un animal humain, Jésus, le Fils de Dieu, le Verbe fait chair, prémisses de toutes les résurrections, qui communique la vie éternelle à tous ceux qui la lui demanderont vraiment, comme il l'a fait pour le bon Larron, premier sauvé (Lc 23, 43) : "Je te le dis, ce soir tu seras avec moi en Paradis".

Au départ, l'alleluia était même réservé au temps pascal. C'est le pape Grégoire qui officiellement l'a étendu à tout le calendrier des fêtes, avant l’Évangile, pour insister sur un point : quand Dieu donne sa propre parole, il se donne déjà lui-même : ce don déclenche comme évidemment notre louange. Cette louange évidente, c'est l'alleluia.

Mais la lecture de l'Evangile peut être précédée d'autres chants : le graduel est ainsi nommé parce que le verset du graduel était chanté sur les degrés de l'autel par quelques chantres, Le plus souvent il est constitué d'extraits de psaumes. Le traict, psalmodie ornée, selon des mélismes qui reviennent d'un dimanche à l'autre, remplace l'alleluia en temps de Carême. Il fait comme "un trait" entre l'épître et l'Evangile. Le premier dimanche de Carême, c'est le psaume 90, psaume de la confiance en Dieu, qui est chanté entièrement au cours du traict. Le dimanche des Rameaux, le psaume 21 est chanté tout entier, dans un long traict. Alors que le Christ entre dans le temps de sa Passion, et que nous y entrons avec lui,  c'est, par excellence le psaume du serviteur souffrant, exalté pour sa patience. Inutile de préciser que voilà deux psaumes dont la lecture privée est particulièrement fructueuse. Attention, les psaumes sont ici donnés selon la numération gréco-latine, que les Bibles contemporaines abandonnent ou mettent entre parenthèses au bénéfice de la numération massorétique.

Nous avons déjà évoqué la séquence (grégorienne) ou la prose (en plain chant plus tardif) qui accompagnaient les grandes fêtes. La plus poétique est celle du commun de la dédicace d'une Eglise au propre de Paris ; Jerusalem et Sion Filiae ; La plus terrible pour la messe des morts : le Dies irae;  qui n'a pas son pareil pour évoquer la disproportion entre la nature humaine et sa destinée. La plus précise est rédigée par saint Thomas d'Aquin : Lauda Sion. Elle exprime notre foi en la présence réelle du Christ dans l'hostie, avec toutes les conséquences de ce dogme. Les quatre dernières strophes sont les plus mystiques.  La plus belle des séquences à mon goût reste la prière au Saint Esprit que l'on chante après les deux alleluia de la Pentecôte : je parle du Veni Sancte Spiritus, dont chacun peut faire une prière, quand il veut trouver les mots et qu'il a besoin, pour cela, de l'inspiration du Saint Esprit. Mais la plus éloquente, avec son dialogue musical entre les fidèles et Marie Magdeleine est le Victimae pascali laudes que l'on chante à Pâques. Les séquences sont des compositions poétiques, leurs textes ne sont pas empruntées directement à l'Ecriture sainte. Dans le propre de chaque diocèse dorment des chefs d'oeuvre qu'il faut redécouvrir. Qui connaît la prose de Saint Bénigne patron du diocèse de Dijon ? A Paris, on chante encore occasionnellement la séquence à saint Denis (9 octobre) : Sub securi stat securus : sous la hache du bourreau il demeure impavide. ou à sainte Geneviève (3 janvier), pièce rédigée par Adam de Saint Victor au XIIème siècle. Les mélodies sont souvent difficiles.

lundi 13 avril 2020

L'Ancien Testament, périmé ?

Dans les lectures de la messe traditionnelle, le nouveau Testament est beaucoup plus représenté que l'Ancien. On découvre ce dernier dans certaines lectures du commun des saints et surtout presque tous les jours durant la période de Carême. Mais incontestablement les lectures tirées du Nouveau Testament sont les plus nombreuses.

Pourquoi y a-t-il deux testaments et quelles sont les relations entrer l'un et l'autre ? Sujet littéralement interminable que saint Augustin a tranché avec son autorité habituelle : "Le nouveau Testament est caché dans l'Ancien. L'Ancien Testament apparaît dans le nouveau". Il y a bien une rupture entre l'Ancien Testament, fondé sur la loi et le Nouveau fondé sur l'amour. Mais attention : il serait stupide de dire qu'il n'y a pas d'amour dans l'Ancien Testament (il suffit de lire Isaïe : Si une mère pouvait oublier son enfant, moi je ne t'oublierai pas dit le Seigneur), superficiel de conclure qu'il n'y a pas de loi dans le nouveau (Celui qui violera le plus petit de ces commandements et enseignera aux hommes à faire de même sera appelé le plus petit dans le Royaume des cieux" Matth. 5).

Ainsi les deux testaments s'enrichissent-ils l'un l'autre d'abord parce que le Nouveau Testament réalise l'Ancien et que l'Ancien Testament annonce le Nouveau. Voyez par exemple ces lignes de Jérémie sur la nouvelle alliance par exemple : "Je conclurai avec la Maison d'Israël et la Maison de Juda une alliance nouvelle. Non pas comme l'Alliance que j'ai conclu avec leurs Pères, le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d'Egypte (...) Voici l'alliance que je conclurai avec la maison d'Israël en ces jours là, oracle de Yahvé. Je mettrai ma loi au fond de leur être et je l'écrirai sur leur coeur. Alors je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. Ils n'auront plus à instruire chacun son prochain, chacun son frère en disant : ayez la connaissance de Yahvé. Car tous me connaîtront du plus petit au plus grand parce que je vais pardonner leurs crimes et ne plus me souvenir de leurs péchés" (Jérémie 31, 31-34).Ces lignes ont tellement eu vieilli qu'elles nous disent encore quelque chose de l'avenir du christianisme.

Voilà la nouvelle alliance décrite par un prophète de l'Ancienne... Que signifie l'alliance ?  C'est un peuple nouveau dont les péchés sont pardonnés. Le peuple qui se réunit à chaque messe, lorsque le prêtre répète les paroles mêmes du Christ : "Ceci est le calice de mon sang, le sang de l'allaince nouvelle et éternelle, le mystère de la foi qui sera versé pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés" Nous comprenons qu'il n'est pas suffisant de dire qu'à la messe, nous sommes passés à la nouvellle alliance. La messe EST la nouvelle alliance dans le sang du Christ, "parce que je vais pardonner leur crime et ne plus me souvenir de leurs péchés". Il ne s'agit donc pas de faire une place à un message de l'Ancien Testament en lui-même, mais à travers l'Ancien Testament, de porter le message de la nouvelle alliance, qui demeure seule : "Ainsi [par le prêtre éternel selon l'ordre de Melchisedech] se trouve abrogée la prescription antérieure, en raison de sa faiblesse et de son inutilité et introduite une espérance meilleure par laquelle nous approchons de Dieu" (Hébr. 7, 19 sq.).

Nous parlions dans le post précédent de la messe acte par opposition à la messe textes. Eh bien ! Voilà de quel acte il s'agit. A chaque messe se donne une espérance meilleure, à chaque messe, se réalise le mystère du pardon des péchés. Chaque messe nous fait entrer dans la sainteté de Dieu. Chaque messe nous rend dignes du Royaume. "Si vous ne mangez pas ma chair et ne buvez pas mon sang, vous n'aurez pas la vie en vous" (Jean 6).


dimanche 12 avril 2020

Lectures : contre la messe-textes

La plupart du temps, dans la liturgie traditionnelle, il n'y a qu'une seule lecture avant l'évangile., lecture que l'on peut appeler épître, si, comme la plupart du temps, il s'agit d'une lettre de saint Paul, de saint Pierre, de saint Jacques ou de saint Jean (la lettre de saint Jude n'est pas utilisée à ma connaissance), lecture que l'on rattache simplement au livre dont elle est tirée (Actes des apôtres, Apocalypse ou encore tel livre de l'Ancien Testament) s'il ne s'agit pas d'une épître. Il n'est pas possible, à la place de la lecture (qui est déterminée par la liturgie) de choisir un texte profane, si beau soit-il. Dans la liturgie de l'Eglise, chaque enseignement doit être divin, extrait donc de la liste des ouvrages dits canoniques de l'Ancien ou du Nouveau Testament. Même les chants (introït,, graaduel, alleluia etc.) sont la plupart du temps tirés du livre des psaumes.

Rares sont les compositions ecclésiastiques, qui si elles sont présentes (introït de la Pentecôte par exemple) se rapprochent du style des psaumes et ont été éprouvées par le temps. On peut aussi dire que certains poème ont été admis dans la liturgie, mais en supplément : ce sont les séquences, après le chant de l'alleluia, nombreuses dans le rituel gallican, mais dont il ne reste, dans le rituel romain qui est le nôtre, que celle de Pâques (Victimae paschali), celle de la Pentecôte (Veni Sancte Spiritus) et celle du Saint Sacrement (Lauda Sion). On peut ajouter le rituel gallican reçu dans tel diocèse : à Paris, séquence pour la fête de saint Denis le 9 octobre ou de sainte Geneviève le 3 janvier. , ou pour la dédicace de l'Eglise cathédrale le 2 juillet, ce magnifique morceau de plain chant mesuré, dont on a fait un cantique français ; Jerusalem et Sion filiae. Précisons que saint Denis et sainte Geneviève sont les patrons du diocèse.

On a beaucoup reproché à la forme traditionnelle du rite romain d'être pauvre en textes de l'Ancien Testament et de façon générale d'offrir moins de textes, des textes moins longs et toujours les mêmes. Cette pauvreté est pédagogique. Dans la forme rénovée du rite romain,la préoccupation de connaître et de faire connaître les textes saute aux yeux comme saute aux yeux le souci des réformateurs de faire lire la Bible. D'où la multiplication des textes sur l'année A, l'année B ou l'année C,  et d'où les deux lectures avant l'évangile, à savoir systématiquement une de l'Ancien et une du Nouveau Testament. Nos ancêtres dans la foi n'avaient pourtant aucune réticence devant l'Ancien Testament 'comme le montre la fréquence des textes de l'Ancien Testament chaque jour du Carême. En revanche, ils ne pensaient pas que l'une des fins de la liturgie soit une connaissance plus précise de la Bible, comme on s'est mis à le croire à la fin du XXème siècle. La liturgie, c'est toujours (évangile ou eucharistie) une question de présence, pas une entreprise cognitive ou culturelle, si louable que soit l'élargissement (scripturaire, philosophique ou théologique) de la culture chrétienne. La liturgie ce n'est pas l'école du dimanche et heureusement : c'est plutôt le lieu d'une expérience spirituelle commune, c'est le lieu et le temps où se révèle la présence de Dieu dans le monde.

L'une des grandes fragilités du nouveau lectionnaire, c'est justement ce trop plein de textes, quand ce n'est pas le moment d'en prendre connaissance. Quand j'étais plus jeune et que j'avais encore présent à la mémoire mon expérience du rite rénové, j'aimais bien distinguer la messe-textes (la nouvelle) et la messe acte (l'ancienne). On nous dit : le lectionnaire de l'ancienne messe est vraiment trop pauvre : en particulier, dans les fêtes de saints en semaine on rabâche le commun des confesseurs ou le commun des vierges, en répétant les mêmes paraboles et pour la lecture les mêmes textes sapientiaux. C'est vrai qu'il est relativement pauvre. C'est vrai que l'on pourrait ajouter des textes au commun des saints dans l'ancien rite. Pourquoi pas. Mais est-ce bien nécessaire ? Les connaissances bibliques, c'est à l'école du dimanche, durant des cours ou des conférences qu'il faut les développer. Pas pendant la sainte liturgie parce que ce n'en est pas l'objet.

La messe n'est pas le lieu où l'on développe ses connaissances mais plutôt l'endroit où l'on ouvre son coeur à la présence de Dieu, ou l'on offre le sacrifice spirituel qui résume son existence devant Dieu, où l'on sort de soi pour adorer Dieu vraiment présent dans l'eucharistie. Bref c'est un acte spirituel qui requiert non le développement de la mémoire mais l'amplification du coeur, qui est l'organe de la foi en nous. La liturgie de Paul VI s'est beaucoup intellectualisée à cause de la richesse et de la longueur (optionnelle d'ailleurs parfois) de ses textes. Dans la liturgie traditionnelle, on avait non pas le souci d'être exhaustif et copieux, mais plutôt la préoccupation d'aller à l'essentiel dans l'annonce des mystères du salut.

C'est ainsi que certaines fêtes jouissent de textes particulièrement courts, par exemple, justement aujourd'hui la fête de Pâques, avec cette épître tiré des Corinthiens, courte, mais dont nous avons gardé la mise en musique magnifique dans ce que l'on appellle son ton fleuri. Quant aux textes courts, pensons aussi aux fêtes de la Vierge (un évangile d'une ligne et demie), de la circoncision (le 1er janvier), pareil : on s'en est débarrassé un peu vite dans la nouvelle liturgie ! Ajoutons encore le commun des défunt (lecture de l'Apocalypse : une ligne et demi), la fête de la Trinité (quelques lignes). Est-ce par incapacité à trouver plus long ? Non c'est par souci, quand c'est possible, de ne pas alourdir la célébration des mystères, avec des textes qui ralentissent l'action sacrée, ou qui font que l'action sacrificielle est de moins en moins une action et de plus en plus un partage de connaissances religieuses, un cours de catéchisme, suppléant d'ailleurs à ceux qui n'avaient pas été donnés aux enfants.

samedi 11 avril 2020

Collecte

Après le chant du Gloria, le célébrant embrasse l'autel et chante ou dit de nouveau Dominus vobiscum. Nous avons déjà consacré un article à sa traduction (voir plus haut). Je n'y reviendrai plus d'autant que si je compte bien, au cours d'une seule messe, cet échange entre le prêtre et l'assemblée a lieu huit fois. Chaque fois il s'agit d'avertir qu'il va se produire un rite liturgique important, à travers lequel, d'une manière ou d'une autre le Seigneur est présent : le Seigneur est avec nous.

Oremus : Prions. Cette prière, qu'élève le prêtre en langue latine, est celle de tous, elle est prononcée dans la langue de catholiques. En général elle résume efficacement l'esprit de la fête célébrée d'où son nom de "collecte" : elle rassemble toutes les prières de tous, chaque jour, raison pour laquelle elle est reprise dans la liturgie des heures, tout au long de chaque journée. Ces oraisons, ces prières sont typiques de la liturgie romaine. Certaines remontent très haut dans le temps de l'Eglise. Elles mettent en oeuvre assez souvent un rythme binaire qui se présente comme le gage de l'efficacité des orants. Les prières romaines ne sont pas sentimentales (ou rarement) elles sont impératives, ce sont les prières de l'Eglise, l'Epouse du Christ qui est toujours exaucée car sa prière, sans mélo, est juste. Elle s'adapte au temps de l'année où elle est prononcée, en exprimant le coeur de l'Eglise.

Comme pour l'introït, je vais commenter spécialement la collecte du jour de Pâques, qui est un bon exemple de cette prière, par sa concision d'abord, mais aussi par son caractère oratoire. Il existe en latin un vieux mot pour dire la prière le mot prex (au pluriel preces). Les chrétiens ont toujours préféré le mot oratio, qui signifie d'abord prise de parole. La collecte, prière chrétienne, est aussi une prière oratoire, une oratio, une prise de parole rhétorique. Quand on s'adresse à Dieu, on trouve les mots, on les enchaîne les uns aux autres, on en fait un discours fort, un discourt gagnant, car Dieu se laisse fléchir par nos supplications, comme dit Jésus dans l'Evangile. Cette force rhétorique, censée agir sur le coeur même de Dieu, renforce la foi de chacun. Elle est typique de la tradition latine. Je l'écris donc d'abord en latin, je la traduis ensuite, en restant proche du mot à mot.

"Deus, qui hodierna die, per Unigenitum tuum, aeternitatis nobis aditum, devicta morte reserasti, 
vota nostra, quae  praeveniendo aspiras, etiam ajuvando prosequere"



"Dieu, aujourd'hui, par ton Unique engendré, la mort ayant été vaincue, tu nous as ouvert l'accès à l'éternité, nos voeux, dont, par ta grâce prévenante, tu as fait un souffle en nous, accompagne-les aussi par ton aide".


La traduction n'est pas à la hauteur de l'original. On constate néanmoins trois choses : l'impératif "prosequere", qui signifie accompagne, remplace avantageusement les tournures et les postures au subjonctif : fasse le ciel que... S'il pouvait n'y avoir plus de pauvre [contradiction flagrante avec l'Evangile de Jean chapitre 12 : "Des morts vous en aurez toujours avec vous !"], ces formules sirupeuses qui expriment trop souvent nos prières et les trahissent par leur jus pieux, au lieu de les exprimer..

Deuxième chose : l'ordre de la prière. Il y a trois personnes dans la sainte Trinité, égales entre elles et distinctes par leurs relations d'origine, pourtant, il y a une seule manière de les prier, c'est de toujours s'adresser au Père, par le Fils dans le Saint Esprit. Au moins dans les oraisons qui ne sont pas trop récentes, c'est ainsi que l'on s'adresse toujours au Père d'abord, par le Fils ensuite dans le Saint Esprit enfin. Dans cette optique spirituelle, il serait absurde de croire qu'il vaut mieux prier le Saint Esprit pour être exaucé que se contenter du Père. Aller chercher dans le Saint Esprit ce que l'on ne trouverait pas dans le Père ou dans le Fils, c'est une tendance qui existe depuis le Moyen âge, depuis Joachim de Flore prophétisant l'advenue d'un âge du Saint Esprit. Dans l'encyclique Divinum illud munus, Léon XIII refuse d'instituer une fête du Saint Esprit, c'est-à-dire qu'il refuse l'idée que l'on puisse, au motif que l'on se sentirait négligé par le Père, aller chercher du côté du Fils ou du côté du Saint-Esprit. Le christianisme est un monothéisme, ne l'oublions pas ! Et pratiquons, comme dans la prière publique de l'Eglise, cet ordre dans la prière qui est capital et qui se retrouve non seulement, comme ici dans le texte de la prière, mais dans la closule ;."Per Dominum nostrum JESUM CHRISTUM qui TECUM  [avec Toi, avec le Père] vivit et regnat,  IN  UNITATE SPIRITUS SANCTI, Deus [ce vocatif récapitule les trois personnes divines]...

Troisième chose : les sonorités se répondent et leur rythme est un appel à la prière, particulièrement sensible pour le prêtre, mais aussi pour l'assemblée pour peu que la prière soit correctement prononcée et rythmée. Les collectes sont de vraies poèmes en prose, collectées justement par Grégoire le Grand, qui a fait un livre de cette collecte des collectes, elles ne donne vraiment leur jus, leur rythme, leur puissance intimative - et non pas seulement optative - que dans la langue latine. S'il y a un texte à la messe qu'il ne faut pas traduire en public, c'est la collecte ! On attend un nouveau Grégoire le Grand pour donner à la prière, dans les langues vulgaires, ce rythme et ce parallélisme qu'il sait lui imprimer avec bonheur. La foi doit s'exprimer avec autorité, ou alors on la tait, mais comme disait Pascal "Jamais les saints ne se sont tus". Pour la collecte donc, mieux vaut parler latin et ne pas être tout à fait compris d'un public qui reconnaît simplement un mot ici ou là (mais c'est déjà ça, reconnaître le mot misericordia par exemple) que de faire du jus pieux sous prétexte de traduction, en déshonorant la prière publique de l'Eglise, ce chef d'oeuvre.

vendredi 10 avril 2020

Expliquer la divinité du Christ

Le Gloria se présente comme une doxologie : Gloire au Père, au Fils et au Saint Esprit... La mention du Saint Esprit pour conclure est sûrement plus tardive. Le Gloria est trinitaire mais c'est avant tout une hymne au Père et au Fils, ce qui montre bien son antiquité.On se trouve à l'heure des grande querelles christologiques et l'on n'hésite pas à mettre le Christ (et pas seulement le Verbe de Dieu, mais le Verbe fait chair) au même niveau dans la louange : Tu solus sanctus, tu solus Dominus, Tu solus altissimus Jesu Christe...

Il suffit de peser ces paroles : dire que Jésus, le Christ est seul saint, qu'il est seul Seigneur, qu'il est le seul Très Haut, c'est dire qu'il est Dieu. Non pas seulement divin, mais Dieu, créateur et sauveur indissolublement.

Pour affirmer cette chose simple, le premier christianisme a dû affronter l'hérésie arienne. Arius, prêtre bourré de dons, qui écrivait des chansons pour les dockers de Byzance, avait eu une idée très simple : faire de l'inculturation chrétienne, montrer que entre le christianisme et le paganisme grecque les différences n'étaient pas si importantes. Pour lui, le Christ n'est pas Dieu, mais il est une sorte de surhomme, un personnage divin, comme Orphée, revenu du séjour des morts, ou comme Hercule avec ses exploits extraordinaires. Ainsi le Christ est aussi plus qu'un homme, c'est l'équivalent d'un personnage mythologique : en tant que Grec, une telle affirmation ne gênait pas Arius. Au contraire, elle lui paraissait sans doute plus facile à croire. Au fond il faisait de l'inculturation sans le savoir. Il hellénisait le christianisme.

Le christianisme s'est très vite défendu contre cette hellénisation indue qu'offrait l'arianisme. Il s'est souvenu de ses origines juives. "Il n'y a pas d'autre Dieu que Dieu" affirme le premier commandement. "Ecoute Israël le Seigneur est ton Dieu, le Seigneur est un" lit-on dans le Deutéronome. Si Jésus est un personnage divin, il est Dieu, il est le Dieu créateur du ciel et de la terre, ou alors c'est de l'idolâtrie. Tout ce qui est divin est... Dieu. Telle est la fidélité radicale des premiers chrétiens au code génétique juif qui est le leur. Seigneur Dieu roi du Ciel Dieu le Père tout puissant, Seigneur Fils unique engendré Jésus Christ, le Père et le Fils reçoivent même adoration et même gloire" comme dit le Credo.

Dieu est unique, Père Fils et Saint Esprit. C'est ce Mystère de Dieu qui établit sa vérité. "Si tu l'as compris, dit saint Augustin, ce n'est pas Dieu que tu as compris" : si comprehendisti non est Deus.