mercredi 30 novembre 2011

Vu sur le Net: Guénois, La Vie, Golias... et Tanoüarn.

Jean-Marie Guénois est journaliste au Figaro, en charge des questions religieuses: le plus souvent catholiques. Il a une vraie sensibilité envers son sujet, une connaissance "de l'intérieur" qui ces dernières années est devenue assez rare parmi ses confrères. Monsieur Guénois dispose également d'un blog, qui lui permet d'aller plus loin (d'aller plus fin) que dans ses articles. Il n'est besoin pous s'en convaincre que de lire son commentaire d'aujourd'hui de l'interview de Mgr Fellay:
Beaucoup estiment que ce désaccord dont l'interview de Mgr Fellay donne une image précise représente un point de rupture alors qu'il représente pour Rome un point de départ. C'est en connaissance de cause, sur la base de ce désaccord que le « préambule théologique » a été proposé à Mgr Fellay.
La Vie se penche aussi sur cet entretien. Pour Natalia Trouiller, l'évêque suisse est à la manœuvre. Il s'agirait pour lui de reprendre la main suite aux 'fuites' de ces dernières semaines (lettre à Mgr Williamson, lettres des abbés Morgan et Bouchacourt par exemple):
Minoritaire dès le départ, Mgr Fellay apparaît dans cette interview soucieux de montrer à ses troupes qu'il ne négociera pas la Tradition au rabais. 
Le sujet a été traité un peu partout, de manière plus ou moins sérieuse. La semaine passée Golias pensait pouvoir annoncer le rejet d'un accord par la Fraternité Saint Pie X:
A Rome, l’annonce a véritablement fait l’annonce d’une douche froide. C’est une nouvelle qui s’étale sur tous les sites intégristes. 98% de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X rejetterait tout accord avec Rome.
D'où vient ce surprenant "98%"? Golias lit Virgo Maria, un site sédévacantiste régulièrement burlesque. La thèse de son rédacteur, c'est qu'une dizaine de prêtres noyauteraient la Fraternité Saint Pie X et pousseraient à un accord - leurs confrères étant réputés contre. Or la FSSPX compte 500 prêtres - quand on ôte la fameuse "dizaine", on obtient bien "98%". Vous vous demanderez pourquoi je vous parle de choses aussi idiotes? C'est que Golias compte. Quand l'accord sera signé, c'est auprès de sources comme celles-là que TF1 et L'Express iront solliciter des réactions.

Le web c'est aussi le MetaBlog - sur lequel vous lirez chaque jour de l'Avent un commentaire de l'abbé de Tanoüarn. Je les regroupe sous ce lien.

"Apprenez à faire le bien !" (Isaïe 1, 17)

Quelle est donc cette science qui nous manque et dont nous sommes ignorants ? C'est une science toute pratique, la science du bien. Mais qu'est-ce que la science du bien ? Non pas une explication interminable sur les différentes manières de faire le bien, comme il y avait au XIXème siècle des Manuels de civilité, où l'on apprenait comment répondre à la Maîtresse de maison ou comment tenir sa tasse de thé. Pour les prophètes d'Israël - comme pour nous chrétiens, en particulier lorsque nous écoutons la grande voix de saint Augustin - faire le bien signifie deux choses : aimer Dieu par dessus tout et vivre selon sa volonté.

Isaïe exprime avec beaucoup de force, mais de manière figurative dans les premier versets de son livre cette idée que le bien de l'homme est indissociablement en Dieu et en lui-même et que le malheur dans lequel il se débat est autant d'ordre "théologique" comme nous dirions aujourd'hui que d'ordre moral : « Le bœuf connaît son propriétaire et l’âne la mangeoire qui appartient à son Maître. Israël ne sait pas. Mon peuple ne comprend pas » (Is. 1 3). Mon cher Cajétan commente : « Ayant manifesté le crime d’Israël, la cause de sa révolte est ainsi découverte : ne pas avoir connu Dieu et ne pas avoir compris son bien propre ». Cajétan, comme Augustin, unit la science de Dieu et la connaissance de soi et de « son bien propre ». Il souligne clairement qu’à l’origine de cette rébellion qu’est le péché, on trouve un problème mental, une ignorance, une indifférence, des illusions. Le nerf de notre révolte est d’ordre intellectuel, renvoyant à une privation, à une absence de connaissance. Nous ne connaissons ni Dieu ni nous-mêmes.

Pour Cajétan commentateur d’Isaïe, ce qu’il appelle notre bien propre est très clairement évoqué dans l’image de la mangeoire que l’âne sait reconnaître parce qu’il connaît ses besoins, mais que l’homme ne sait pas reconnaître, parce qu’il ne se connaît pas lui-même. Quant à notre ignorance de Dieu, elle est figurée, toujours selon Cajétan lecteur d’Isaïe, par la métaphore du bœuf. Cet animal reconnaît le pas de celui qui doit le conduire, lui et sa charrue. Nous ne reconnaissons pas celui auquel il nous faut faire confiance et nous donnons notre confiance à faux. Nous sommes pires que les bêtes brutes, écrit Cajétan dans l’élan d’Isaïe. « Je suis devenu comme un animal domestique devant toi » dit le Psaume. L’image fait penser à ce passage d’Isaïe, mais le Prophète est encore plus pessimiste que le Psalmiste. Nous ne sommes pas, nous autres hommes, comme les animaux domestiques, mais pires qu’eux, parce que eux au moins connaissent et leurs besoin et et celui qui les mène. Et per haec insinuatur rudior brutis populus Israël conclut Cajétan. Je traduis : cette double métaphore insinue que le peuple d'Israël (il s'agit de l'Israël de Dieu et de tous ceux qui en font partie) est plus mal dégrossi que les animaux".

- L'expression est excessive ? Cajétan, dans ce jugement, rajoute de la poésie à la poésie au point que l'on ne voit plus rien ? - Ce n'est pas son genre ! En réalité, il met le doigt sur une idée fondamentale, qui nous fait comprendre ce qu'est en train de devenir la société d'aujourd'hui : il n'existe pas dans l'homme un désir naturel de Dieu. Nous avons le désir naturel de manger pour vivre et parfois - paraphrasons Molière - celui de vivre pour manger. Nous avons le désir de nous reproduire et nous déclinons l'instinct génésique de mille manières. Mais nous n'avons pas le désir naturel de Dieu. C'est toute la portée - métaphysique et religieuse - de l'Apologue maurrassien du petit poussin. "Le petit poussin sort de sa coquille. Peu de choses lui manquent pour dire : je suis libre. Mais au petit d'homme ? Au petit d'homme il manque tout". L'âne, le boeuf, le petit poussin, tout ce bestiaire est convoqué pour manifester la faiblesse fondamentale de l'animal humain, qui ne sait pas s'orienter tout seul, qui ne sait pas faire le bien par lui-même.

Notre première, notre fondamentale expérience religieuse est celle de cette ignorance naturelle de Dieu, de cette incapacité où nous sommes à nous orienter dans le Maquis de notre existence par nos propres forces. Nous avons une conscience qui nous guide, mais reste bien velléitaire, bien théorique. C'est dans et par la connaissance de Dieu que nous apprenons à faire le bien avec efficacité et vérité. Nous verrons comment demain.

lundi 28 novembre 2011

"Israël ne sait pas. Mon peuple ne comprend pas" Isaïe 1, 2

Je vous ai promis de vous emmener dans Isaïe méditer la beauté de la Parole de Dieu et reconnaître chez ce Grand Prophète des accents qui sont déjà ceux de l'Evangile. Vous trouverez en sus une poésie vigoureuse, qui prend son inspiration dans le drame politique que vit Israël (le Royaume du nord). Nous sommes autour de 750 avant Jésus-Christ. Le pays est coincé entre deux empires prédateurs, l'Assyrie de Téglat-Phalasar III, de Sargon II et de Sénnachérib et Babylone, puissance montante qui s'affirmera au siècle suivant. Les sages et les politiques n'ont rien trouvé de mieux que de s'allier à l'Egypte pour essayer de faire face. ce faisant, ils se signale à l'attention de leur puissant voisin, qui n'en fera qu'une bouchée, sans que l'Egypte, puissance déclinante, ne bouge une oreille pour protéger son allié.

Ce qui est extraordinaire avec Isaïe, c'est que, certes, il annonce des catastrophes (qui se produiront d'ailleurs), mais ce n'est pas un exalté. Sa voix est celle de la raison politique. C'est un notable, ami des rois successifs (enfin : de certains au moins). Il n'a que suspicion pour la caste des prophètes, ces irresponsables qui glapissent leur vaticination. Il ne se gêne pas avec ses "confrères" en prophétie : "Yahvé a coupé la tête et la queue, la palme et le jonc, en un seul jour. L'ancien et l'homme respecté, c'est la tête. Le prophète, maître d emensonge, c'est la queue" (9, 13-14). Inutile de vous dire qu'il se place lui-même du côté de l'ancien et de l'homme respecté ! Isaïe croit trop aux valeurs de sa race pour jouer la carte de la démocratie prophétique... N'abordez pas Isaïe avec à l'esprit le cliché romantique du Prophète. Vous ne comprendriez pas son texte !

Le relisant, je suis tombé en arrêt sur le deuxième verset, avec son emploi intransitif du verbe savoir : "Israël ne sait pas. Mon peuple ne comprend pas". Isaïe est tellement peu romantique, que malgré la puissance des images poétiques dont il se sert, ce qu'il nous apporte avant tout c'est une science, ou un savoir si vous voulez, et ce qu'il déplore, c'est notre ignorance. Ne serait-ce qu'en cela, Isaïe est en plein dans notre effort d'Avent, effort de concentration, d'appréhension des réalités spirituelles, de connaissance.

Mais de quelle connaissance s'agit-il ? Le temps est loin où les hommes d'Eglise jouissaient du quasi-monopole de la science, où Copernic était chanoine et Galilée ami personnel du pape. De toutes façons, dans Isaïe, il ne s'agit pas de cette connaissance-là. Aujourd'hui, les sciences se multiplient, les techniques sont toujours plus performantes selon une loi d'accumulation des savoirs qui entraîne un progrès automatique dans la maîtrise de l'Univers, dans la connaissance de son histoire. Ce n'est bien sûr pas de ces sciences là que nous entretient Isaïe. Ce n'est pas cette ignorance-là qu'il songe à déplorer.

La science dans laquelle les intellectuels sont souvent encore moins forts que les autres, c'est la science de la vie, la connaissance de notre destinée. Nous n'avons pas de vrai savoir concernant ce que nous avons à faire, ce pour quoi nous sommes là, ce qui est bien, ce qui est mal. Comment sortir de notre ignorance congénitale ? Comment franchir "le voile d'Ignorance" qui limite notre destin ? Cette science ne vient pas de nous-mêmes. Elle ne se découvre pas par je ne sais quelle introspection. Elle se reçoit de Dieu.

Mais de quelle façon ? Faut-il attendre que Dieu me tape sur l'épaule ? Faut-il une bonne discussion préalable avec mon ange gardien ? Pas du tout. Cette science qui nous est donné, sans que nous soyons capables de l'acquérir par nous-mêmes, c'est la parole de Dieu : "Le Seigneur a envoyé une parole en Jacob, elle est tombée en Israël. Tout le peuple saura" (9, 7-8). Manifestement, neuf chapitres plus tard, Isaïe, écrivant devant Dieu, se répond à lui-même. Cette ignorance native de l'homme, seul Dieu peut y mettre fin, il le fait par sa Parole. Il faut la scruter. il faut en vivre. il faut lire et relire l'Evangile d'abord et tout ce qui dans la Bible nous parle du salut apporté par Jésus-Christ. C'est cela qui nous protègera de l'ignorance abyssale dans laquelle nous sommes, cela seulement. C'est cette parole donnée par Dieu qui permet au Prophète d'écrire : "On ne fera pas de mal, on ne détruira pas sur toute ma sainte Montagne [Jérusalem], car le Pays sera rempli de la connaissance de Yahvé, comme les eaux recouvrent la surface de la mer" (11, 9).

"Travailler à bien penser, telle est la source de la morale" disait Pascal. Il est du même avis qu'Isaïe ! Nous avons fait de la pensée une ressource purement intellectuelle. Nous avons oublié que c'était d'abord l'intelligence de la vie. Il faut que nous nous ressaisissions, que nous retrouvions cette intelligence de notre propre vie, que nous la retrouvions dans la méditation de la Parole de Dieu, rien de moins. Et nous nous rendrons compte qu'en définitive, nous attendions cette science comme "la surface de la mer" attend la mer, pour prolonger la métaphore d'Isaïe.

Loin de se plaquer sur nos vie de l'extérieur, à la manière des idéologies, qui sont autant de lits de Procuste pour nos existence, la connaissance de Dieu et de son dessein de salut nous fera rentrer dans notre propre existence en y introduisant la lumière. Nous verrons cela... demain mercredi.

Méditation pour l'Avent

Je commence avec ce texte les méditations quotidiennes pour le temps de l'Avent que j'ai l'intention de vous offrir cette année. Nous passerons le reste de la semaine avec le prophète Isaïe.
« Là où croît le danger croit aussi ce qui sauve ». Ce vers de Hölderlin, souvent cité par Heidegger, est comme une définition de l’espérance surnaturelle. Il me semble que l’Evangile du Premier dimanche explique parfaitement cela. « Les Puissances des cieux seront ébranlées » avertit Notre Seigneur. « Les hommes sècheront de frayeur ». Et à ce moment là que faut-il faire ? « Levez-vous ! Redressez la tête, car elle approche votre délivrance ».

Nous sommes si souvent prisonniers de nos peurs et nous ne savons pas scruter l’envers du miroir. Nous sommes si souvent prisonniers de nos désirs et nous ne savons pas voir la vérité, telle qu’elle se donne, dans le cours de l’événement. Je reviens toujours à cette formule de Péguy : « Les événements, dit Dieu, c’est moi, c’est moi qui vous aime ». Nous ne tirons pas de leçons de nos échecs, de notre myopie. La parabole tirée du figuier ne semble pas pour nous. Nous ne savons pas qu’en faire. Nous sommes trop souvent prisonnier de l’instant, sans recul, sans projet, sans vision. Et si nous faisons des calculs, ce sont de ces calculs matériels, qui nous rendent – du moins nous le croyons – parfaitement autosuffisants. Terriblement suffisants en réalité et prêts à tous les esclavages, parce qu’ « il faut bien vivre ».

L’Avent, commencement de l’année liturgique, est le temps où nous pouvons et où nous devons prendre de la distance, faire notre examen de conscience, comprendre notre vie, voir ce qui ne va pas, ce qui peut être amélioré et cesser de vivre le nez sur le guidon sans jamais se remettre en question. Levez vous ! Redressez la tête ! Car elle approche votre délivrance.

Dans une vie, nous faisons très peu de choix : le choix de notre foi, de notre compagne, telle ou telle embranchement professionnel ou familial. Il faut qu’en prenant de la distance, nous apprenions à faire ces choix (ça c’est la phase 1) et à aimer les choix que nous avons fait (phase 2), à les confirmer, à les raffermir, à en être fiers, à les pénétrer de la charité du Seigneur, qui est bien la forme de toutes nos vertus. Vis-à-vis de ces choix essentiels, ne tolérons jamais de notre part aucune distance, aucun recul, car nous y avons engagé toute notre vie et notre liberté. Vis-à-vis du reste, en revanche, les petites choses de la vie qui polarisent indûment notre attention, il faut que nous soyons capables de dire, comme saint François Xavier : « Qu’est-ce que cela en comparaison avec l’éternité ? ». Les passionnés sont passionnés de tout. Les blasés, eux, sont revenus de tout. Le chrétien fait des choix et s’y tient. Pour le reste, il demeure à distance.

Cette distance n’est pas de la froideur si l’on sait aussi s’ancrer dans nos choix. J’aime beaucoup ce symbole de l’ancre, que les Premiers chrétiens dessinaient dans les catacombes. Le Christ – vrai Dieu et vrai homme, pont entre le fini et l’Infini – est l’ancre de notre espérance. J’ai dit qu’il fallait aimer et raviver nos choix : c’est la première tâche que nous pouvons nous donner en ce début d'Avent.

samedi 26 novembre 2011

[conf'] Vendée : mais où est donc passé le devoir de mémoire? - Reynald Secher

Conférence le mardi 29 novembre 2011 à 20H15 au Centre St Paul - L'auteur dédicacera son ouvrage. - PAF: 5 euros. Étudiants, chômeurs : 2 euros. - La conférence est suivie du verre de l'amitié.

Reynald Secher a naguère soutenu une thèse, dont l’intitulé même paraissait insoutenable : Vendée, le génocide franco-français. Ce génocide vendéen, il l’a prouvé. Il a montré que l’on parlait à l’époque dans l’entourage de Carrier ou de Turreau de populicide et de régénération d’une terre par le sang d’un peuple, sciemment sacrifié. Secher a fait aujourd’hui de nouvelles découvertes d’archives. Il a identifié les petits papiers signés par Robespierre et ses acolytes parisiens. Il a découvert toute la chaîne de commande. Sa thèse, pour désagréable qu’elle soit, s’impose désormais aux intellectuels les plus frileux. Stéphane Courtois, instigateur du Livre noir du communisme, a accueilli le dernier livre de Reynald Secher, Du génocide au mémoricide, dans sa collection sur l’histoire des totalitarismes. A l’origine des totalitarismes il faut se résigner à placer Jean-Jacques Rousseau et pas Joseph Staline.

jeudi 24 novembre 2011

Pour vivre notre Avent comme un avant

L’Avent n’est pas un Carême un peu moins dur. Encore moins un Carême bis. Pas de pénitence particulière chez les catholiques romains, mais une plus grande intensité spirituelle. L’Avent n’est pas le temps de la pénitence mais le temps du désir et de l’attente. La fête de Noël, à laquelle l’Avent doit nous préparer, est devenue trop souvent une fête de la consommation. Nos désirs sont limités à la recherche de satisfactions gastronomiques ou de menus compensations narcissiques aux mille blessures de la vie quotidienne. Cette année, nous voulons sortir de ces routines. Nous aspirons à un autre Noël. Un Avent plein d’esprit. Un désir différent. Une autre attente.

C’est possible si nous nous plongeons dans l’enseignement divin. C’est possible si nous recevons avec nous, durant ce mois de décembre, les grands personnages de l’Avent, et d’abord Isaïe le prophète, ensuite Jean-Baptiste le Précurseur, puis la Vierge Marie, celle qui a attendu Jésus et l’a donné au monde. Enfin Jésus lui-même, mais Jésus enfant, Jésus qui attend son heure et qui voit se profiler sa Mission.

Chaque dimanche, avant Noël, au Centre Saint Paul, entre 18 H et 19 H, je vous présenterai l’un de ces quatre grands personnages. Et, si vous le voulez, chaque jour, sur Métablog, nous méditerons ensemble. Le désir de Dieu n’est pas quelque chose de spontané en nous. Il naît, il grandit, il s’épanouit en possession spirituelle si nous progressons dans notre connaissance du Mystère divin.

Connaissance ? Non pas une de ces connaissances rationnelles que l’on a jadis essayé d’apprendre à l’école, mais plutôt une méditation qui nous fasse petit à petit le cœur intelligent. Nous avons flirté avec toutes sortes de sciences. L’Avent nous plonge dans cette science unique qui est la science de la Vie.

GT

  • Dimanche 27 novembre : Isaïe, le prophète de la vie nouvelle
    17 H : En union avec le pape Benoît XVI, une heure d’adoration pour la vie naissante
    18 H : Abbé G. de Tanoüarn, Isaïe, prophète de la Vie nouvelle
    Isaïe est sans conteste le plus grand des quatre grands prophètes que nous présente l’Ancien Testament. Il est d’une façon spéciale celui qui annonce l’Enfant divin : « On l’appellera Dieu fort et Prince de la Paix ». Si cet enfant renouvelle le monde, il nous bouleverse au plus profond. Cette prémonition magnifique d’Isaïe fait aussi de lui un magnifique professeur d’énergie vitale, un vrai coach pour notre foi. Bref, sa parole impérieuse peut encore aujourd’hui nous faire donner le meilleur de nous-mêmes.
  • Dimanche 4 décembre : Jean-Baptiste, les failles d’un géant spirituel (18 H)
  • Dimanche 11 décembre : Marie, chrétienne avant le Christ : son combat avec l’ange
  • Dimanche 18 décembre : Jésus enfant, entre le désir de Dieu et l’obéissance

lundi 21 novembre 2011

Philippe Ramos : le choix de Jeanne

Ma critique très bienveillante du film de Philippe Ramos Jeanne captive n'a pas fait que des heureux. Je ne sais pas, du reste, ce que pense du film un spécialiste comme Philippe d'Hugues et ce qu'il en dira au cours de sa conférence demain mardi à 20H15, au Centre Saint Paul. Je n'aurai aucune autorité à faire valoir face à son avis, alors.. je n'attends pas pour donner ma version, celle d'un profane en matière cinématographique, mais qui croit au sacré par toutes ses fibres.

Il paraît que qui aime bien châtie bien. Je me suis répété ce vieux proverbe, lorsqu'Oxbridge m'a dit : "Je ne suis d'accord avec rien de ce que vous écrivez". Dans le même ordre d'idée, j'ai reçu par mail une véritable volée de bois vert de la part de Dominique M. qui avait eu l'imprudence d'aller voir le film après avoir lu mon texte sur metablog. Voici ce que ça donne :
"...Très mauvaise critique de Jeanne captive. Je viens d'aller voir le film, c'est une catastrophe : Brouillon, mal joué, ennuyeux... et historiquement faux est-ce la peine de le dire. On flirte avec le grotesque de la première à la dernière scène.

Quant à Jeanne, pendant toute la première partie du film elle fait l'effet d'une véritable tête à claque, gamine insupportable et capricieuse, murée dans un silence arrogant et qui, parce qu'elle n'entend plus ses voix, casse la vaisselle. On croit avoir touché le fond. Hélas... quand ses voix se manifestent à nouveau : yeux hagards, rictus hystérique, on se surprend à supplier le ciel que les voix se taisent pour toujours".
Bien envoyé, non ?

Dominique a sans doute raison sur le fond, certaine outrance en moins. Il est vrai que l'on ne s'attache pas à la Jeanne de Philippe Ramos (Clémence Poésy). Ses moues d'enfant boudeur semblent en dessous du sujet. Mais il faut le reconnaître d'un autre côté : ce n'est pas commode de représenter Jeanne d'Arc quand on est agnostique. Pas commode quand on est agnostique de respecter le surnaturel. Encore moins d'essayer d'en exprimer quelque chose. "Parce qu'elle n'entend plus ses voix, Jeanne casse la vaisselle". C'est vrai qu'on ne l'imagine pas ainsi d'après les témoins de son temps. Mais Jeanne qui casse la vaisselle, c'est Jeanne abandonnée par ses voix, après son saut périlleux de la Tour de Beaurevoir. D'une certaine façon, ça se comprend dans la perspective - toute spirituelle - de Ramos.

Oui, j'ai trouvé tout de même dans ce film deux atouts maîtres qui ont balayé mes réticences.

Présentant Jeanne déjà captive, Ramos ne nous entraîne pas sur les champs de bataille comme Rivette l'a fait avec Sandrine Bonnaire. Il se concentre, dans le silence du cachot - Jeanne étant chargé de chaînes - sur la vie spirituelle de notre héroïne. Je pensais à Epictète, vendu sur le marché aux esclaves et disant aux riches Romains qui avaient projet de l'acheter : "Je suis plus libre, moi qui suis dans les fers, que vous qui êtes des hommes libres". Platon aussi a connu le marché aux esclaves après sa folle tentative de Syracuse, en faveur de son ami Denys le Tyran. Jeanne c'est le cul de basse fosse, la prison, les chaînes. Quelle contenance! Chez les philosophes on en reste à des mots ou à une expérience. Mais je pense aussi à celle qui est l'une des voix de Jeanne, sainte Catherine d'Alexandrie, qui convertit au Christ l'Aréopage de philosophes chargés de la condamner, et termine sa vie suppliciée. Pourquoi ces références philosophico-hagiographiques? Parce que choisir la séquence "cachot", dans la vie de Jeanne, sans même parler du Procès, c'est tenter de représenter la liberté emprisonnée et le pouvoir de l'esprit. Ce que nous montre Ramos, c'est que Jeanne n'est pas une philosophe, qui trouverait en elle-même sa force. Elle a besoin de ses voix pour être capable de faire face et de se battre. Elle n'est pas seulement dans le spirituel, comme les philosophes, elle est dans le surnaturel.

Chez Ramos, il y a impasse sur le Procès (comment refaire ce qui a été si bien fait par Bresson?). Dans son film, en revanche, il n'hésite pas à ajouter des épisodes imaginaires ou à surinterpréter de façon partielle et simplificatrice les événements de la vie de Jeanne (en particulier ce qu'il dit de sa relapse : ce n'est pas vraiment Jeanne qui se ressaisit, elle est contrainte, par les Anglais qui la gardent, à porter des vêtements d'homme ou à rester nue). Il perçoit, chez Jeanne, une volonté de disparaître aux yeux des hommes, mission accomplie. C'est son interprétation.

Cette interprétation, elle n'est pas absurde, surtout si l'on regarde ce qui s'est passé après le sacre de Reims et la manière dont ni le roi ni les hommes de guerre (à part ceux avec lesquels elle a vraiment guerroyé) ne la soutiennent ni ne la supportent. Au fond, après Reims, Jeanne n'a plus qu'à disparaître et elle le sait puisqu'elle s'est donnée à elle même "moins d'un an". Pour Régine Pernoud, notons-le, Jeanne aurait été trahie par son propre camp. Le chef de la Place de Compiègne, Guillaume de Flavy, fait lever le Pont Levis, empêchant la Pucelle de revenir à l'intérieur des remparts: cela ressemble effectivement à une trahison, la trahison d'un homme qui en avait assez de recevoir des leçons de la part d'une jeune fille qui ne se contentait pas d'avoir la langue bien pendue mais accumulait les faits d'armes. Jeanne l'avait compris au moment du sacre, alors que son étoile semblait à son zénith : "Elle disait qu'elle ne craignait rien si ce n'est la trahison" déclare un certain Gérardin d'Epinal, pays de Jeanne qui s'est déplacé à Reims, qui a discuté avec elle et qui témoignera au procès de réhabilitation.

Cette interprétation n'est pas absurde, mais elle ne s'impose pas. Le robuste optimisme dont Jeanne fait montre en toutes circonstances, cette espèce de santé viscérale, envers et contre tout, contre tous, qui est la sienne, tout cela milite contre la volonté de disparaître que Philippe Ramos croit pouvoir diagnostiquer.

Pourquoi Ramos nous présente une fille si peu robuste, au mépris de la vérité historique ? Il se concentre sur la vie spirituelle de Jeanne et - deuxième atout - cette vie spirituelle, il la présente comme vraiment surnaturelle. Jeanne sans ses voix n'est rien qu'une petite fille boudeuse. Voilà ce qu'il a voulu montrer. Jeanne sans l'aide divine n'est pas Jeanne. Pas mal pour un agnostique.

D'après la réalité historique, pourtant, Jeannette est avant tout une fille saine et sans la moindre trace d'hystérie. Les enquêteurs qui cherchent à faire son procès à charge ne trouvent rien contre elle dans son village... Pas une calomnie à son encontre. De retour à Rouen, il se font engueuler par Pierre Cauchon, l'évêque juge. Là encore donc le film de Ramos tombe à faux.

Ce qui m'a intéressé, cependant, c'est la recherche de langages cinématographiques pour exprimer le surnaturel. On peut rester sceptique sur le croisement des deux moines qui se passent le témoin (Matthieu Amalric brillant dans le rôle du moine déjanté et fidèle à Jeanne). On peut trouver que le couple édénique, qui semble naître des cendres de Jeanne répandues dans la Seine, à la fin du film, a quelque chose d'un peu forcé, trop sur-réel, trop moderne. Mais Jeanne est toujours vivante comme disait Jean Anouilh. Il s'agit pour Ramos de montrer qu'au delà de tous les collabos qui ont oublié leur âme pour servir l'envahisseur anglais (on disait à l'époque : "les Français reniés"), il y a dans la geste de Jeanne une vertu purificatrice et rédemptice, qui s'adresse à la jeunesse, vierge de compromission et qui, à travers elle, renaît à elle-même - et, on peut le penser, Ramos ne le dit pas - renaîtra à la France et à Dieu, dans une vraie cure de jouvence.

- La mise en scène "fait" new age dans cette dernière partie du film... m'objecte-t-on aussi. Mais pourquoi Terence Malick pourrait se permettre cette iconographie New age et Philippe Ramos non ? Le problème est de trouver des langages iconographiques exprimant le surnaturel. J'avais été frappé par la manière dont, dans The tree of life, Malick y était parvenu. L'essai de Philippe Ramos est encore balbutiant, mais il est de bon augure.

Philippe Ramos a entrepris de filmer l'essentiel, ce qui est invisible pour les yeux mais qui devient visible, grâce au réalisateur, pour l'oeil de la caméra... Il veut saisir la vie intérieure, et la saisir d'emblée dans sa double dimension humaine (parfois trop humaine : c'est le sens du début du film) et surnaturelle. C'est je crois ce qui explique chez lui le choix de Jeanne. A-t-on le droit de se faire la main sur une telle icône? C'est une vraie question.

samedi 19 novembre 2011

Caramba, encore raté… pas facile de blasphémer

L’écrivain Witold Gombrowicz n’aimait pas les poèmes, il l’a dit fréquemment, il a même écrit un essai sur le sujet: «les vers me déplaisent et même m'ennuient un peu»! «le rythme et la rime m'endorment»! Il l’a fait dire à ses personnages – par exemple dans Ferdydurke, la scène où le professeur enseigne que «nous aimons Juliusz Slowacki et sommes enthousiasmés…» mais l’élève proteste: «Je ne suis pas du tout enthousiasmé! Je ne peux pas en lire plus de deux strophes…». Hélas à chaque fois il y avait des gens pour expliquer que bien plus sûrement Gombrowicz visait la mauvaise poésie. Il protestait, mettait les points sur les ‘i’… rien n’y faisait. C’est que ne pas s’émouvoir des grands poètes nationaux eut été un blasphème – la solution était donc de croire que Gombrowicz les aimait, fut-ce à son insu, et peu importe qu’il écrive que «la messe poétique a lieu dans le vide le plus complet».

Nous voyons un peu la même chose ces temps-ci. Quoi qu’un artiste fasse, et quoiqu’il puisse éventuellement revendiquer, il se trouvera une ‘bonne âme’ pour l’interpréter dans un sens autre, par exemple… christique. Il y avait eu quelques soutiens pour Piss Christ. Il y a eu le soutien de Mgr d’Ornellas au ‘Concept du Visage…’ de Castelucci («une telle œuvre ne peut être jugée blasphématoire», d'autant qu'elle est l’occasion d’«entendre monter dans son cœur les paroles mêmes des Écritures»). Bien, laissons Castelucci faire. Tout de même on pouvait penser qu’avec Golgota Picnic on atteignait la limite («l’avis est unanime»), le Cardinal Vingt-Trois lui-même estimant que ce spectacle «insulte la personne du Christ en croix».

Eh bien non. C’était compter sans les explications de La Croix, le journal officieusement officiel de la Conférence des Évêques de France. J’y apprends que Golgota Picnic peut certes «heurter, choquer», mais enfin seule une «poignée de manifestants» l’estime blasphématoire – et encore: «sans l’avoir vue» (et pan sur les intégroïdes!) Il s’agit bien plutôt, nous dit La Croix, d’«un Christ et [d’] une Passion regardés sur le mode de la protestation et de la dénonciation». Une remise en cause par exemple de la ‘consommation’, qui se termine en un grand «moment de paix et, pourquoi pas, de méditation». Consommatum est? Bigre. J’imagine la stupeur de l’artiste qui voudrait blasphémer, voir son désarroi. Qu’il pisse qu’il chie ou qu’il vomisse Jésus: rien n’y fait.

Quelques nouvelles de l'abbé Berche

Voici quelques nouvelles de Monsieur l'abbé Berche concernant l'opération du bras gauche (enlèvement des broches mises au moment de son accident) : Arrivé Mercredi 16 Novembre à 14h à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, l'abbé Berche n'est passé sur la table d'opération que vers 23h, nous dit sa Maman. Après avoir opéré l'épaule gauche, ils se sont aperçus qu'ils n'avaient pas le scanner du coude... et donc il faudra que l'abbé y retourne dans quelque temps - lorsque le scanner aura été fait - pour se faire opérer du coude ! Heureusement, l'opération de l'épaule s'est bien passée ! Deo gratias !

Nous pouvons espérer qu'ensuite il souffrira moins et retrouvera peut-être une meilleure mobilité. Aussi, nous vous demandons de bien vouloir redoubler vos prières pour la réussite de ces opérations, et de sa rééducation. Merci.

Fourest et quelques autres: plus spécialisés que spécialistes

Imaginez la scène: on a convié le docteur en sa qualité d’expert, à venir éclairer notre lanterne. Il arrive, il s’avance vers le sujet, le jauge du regard, puis… lui donne deux taloches, l’insulte, le tord le nez. Voilà, la consultation est finie! Vous pensez que c’est un gag, même pas drôle? Vous avez raison : c’est un gag, il n’est pas drôle, et cependant les médias le servent un peu souvent – à nos dépens. Voyons qui sont ces ‘docteurs’ pas très réglos, à la fois juge et partie. Plus exactement: présentés comme juges, quand il ne sont que partie.

Il y a Caroline Fourest, souvent invitée au micro ou face à la caméra. Elle y défend son point de vue, et c’est bien naturel. Hélas! elle n’est pas présentée comme la militante laïciste qu’elle est, mais comme spécialiste. «Spécialiste de l’intégrisme» nous disent Le Point, L’Express, ou France Culture. A partir de là, il n’y a plus deux adversaires, dont chacun ferait valoir ses arguments – la discussion est biaisée avec une partie accusée de vilénie par l’autre, qui a forcément raison puisque qu'on la bombardée spécialiste de cette vilénie-la.

Il y a Christian Terras, reconnu comme spécialiste controversé, mais spécialiste pourtant. La technique de Terras/Golias, c’est de reprendre une info qui traine sur internet et de la reformuler à sa sauce. Avec parfois un peu de casse, par exemple quand Terras reprend une info du Salon Beige (Mgr Bernard Fellay accueilli par la CEF) et s’en énerve – sans même voir qu’il s’agit d’un poisson d’avril. Autre perle, toute petite mais qui m’amuse: le site QIEN que Terras attribue à la Fraternité Saint Pie X. Peu importe – dans les débats il apparaît régulièrement, au même niveau par exemple qu’un cardinal.

Il y a Odon Vallet: Sciences Po, ENA, et deux fois docteur pour de vrai. Je ne lui reproche pas d’écrire (ou de laisser placer sous sa plume) Saint-Nicolas-du-Chardonnay avec «ay», ou «traditionnaliste» avec deux ‘n’ – même si ça la fiche un peu mal de la part d’un «spécialiste» du sujet. Par contre son distinguo entre traditionalistes («tenant de la Tradition catholique») et intégristes («les disciples de feu Mgr Lefebvre») me semble peu pertinent. J’en propose un autre, qui rend mieux compte de l’emploi médiatique de ces termes :
les ‘traditionalistes’, ce sont les ‘intégristes’ quand on les tolère.
Toute personne qui connaît un tant soit peu notre milieu constate qu’il y a entre les deux groupes l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette. C’est la même pratique, la même sociologie, et la frontière (faut-il qu’il y en ait une?) traverse les familles et même les individus. Dans ces conditions, réserver aux uns le beau nom (traditionaliste) et aux autres l’accusation infamante (intégriste), c’est reprendre à son compte une mauvaise manière partisane – et c’est très décevant de la part d’un «spécialiste».

Peut mieux faire!

jeudi 17 novembre 2011

Jeanne d'Arc est en salle

Texte repris de Monde&Vie

Un film sur Jeanne d’Arc après celui de Luc Besson et celui de Robert Bresson, l’un saturant le genre « western médiéval » et l’autre remportant la palme dans la catégorie œuvre d’art, c’est possible. Philippe Ramos l’a fait. Jeanne captive est dans les salles obscures depuis hier.

Le titre anglais The silence of Joan donne une idée de l’exigence du réalisateur. Il est vrai que Clémence Poésy, qui a le rôle titre, passe toute la première partie du film dans un mutisme absolu, après son évasion manquée de la Tour de Beaurevoir où elle avait tenté le Grand saut. Pourquoi ce silence de Jeanne ? Parce que ses voix ne la visitent plus. Elle a enfreint leur ordre. Elle a sauté malgré tout. Elle est comme abandonnée. Abandonnée des hommes, et d’abord de son roi Charles VII qui semble ravi qu’elle se tienne tranquille dans la geôle de Jean de Luxembourg. Abandonnée de Dieu aussi. Ce double abandon ressenti comme le drame le plus absolu la contraint en quelque sorte au silence.

L’actrice est à la hauteur de ce défi. Par ce silence, elle exprime vraiment la puissance de l’esprit. Son corps est entravé. Sa vie est mise à prix (elle sera racheté par les Anglais au prix que vaut un grand Capitaine). Mais elle veut montrer qu’elle ne regrette rien, qu’elle ne cherche plus rien, qu’elle attend. Qui? Charles VII? Je crois qu’elle n’y pense même pas. Elle a fait son travail en lui frayant la voie du sacre. C’est Dieu qu’elle attend. Et cet agnostique proclamé qu’est Philippe Ramos nous fait entendre, à nous qui sommes dans la salle, le retour de Dieu dans la vie de Jeanne. Dès lors tout est possible. Elle sera prête.

On sent que le réalisateur n’a pas voulu marcher sur les brisées, encore si fraiches malgré le temps qui passe, de Robert Bresson. Il lui emprunte quelques images, il lui fait quelques clins d’œil cinématographiques, mais le procès est éludé dans ce récit de la captivité de Jeanne.

Ce qui importe à Ramos, décidément, c’est le silence de Jeanne, sa vie spirituelle, sa force intérieure, d’autant plus belle qu’elle se manifeste dans une fragilité revendiquée. On retrouve le sujet de son film précédent, Capitaine Achab, qui met en scène pour partie Moby Dick d’Hermann Melville. Peut-on filmer l’intérieur d’un homme ou d’une femme ? Peut-on rendre visible la contention de l’esprit, en lutte face à l’événement ? Je crois que Philippe Ramos y parvient.

Mais ce n’est pas tout. Ses personnages ne sont pas des stoïciens, ni des stoïques. Ce sont des êtres de foi. Dans Jeanne captive, il montre que la mort de Jeanne a une efficacité spirituelle. Les images paradisiaques qui hantent la fin du film ont ce sens profond : il y a ceux qui collaborent en silence à la mort de Jeanne (nous sommes introduit chez le menuisier qui a fabriqué le Bûcher, «un grand bûcher pour qu’il ne reste rien»). Et il y a ceux que cette mort terrifie et purifie, en les faisant toucher à une sorte d’Eden.

Ce film n’est pas un film catholique, certes. Mais c’est un film authentiquement spirituel, tourné par un agnostique dans un grand respect de son personnage. On peut reprocher au réalisateur des scènes de nudité. Rien de violent ni même de vraiment charnel. Il s’agissait pour lui de montrer le regard des hommes sur Jeanne, leur incrédulité devant cette pureté aux mains sales, leur lâcheté contrastant avec ce courage silencieux. On pourrait mettre dans la bouche de Jeanne captive ce mot de l’Infante dans La Reine morte de Montherlant : «Lâcheté, c’est un mot qui m’évoque irrésistiblement les hommes».

Philippe Ramos fait des films exigeants. Trop peut-être. mais on sent que de son exigence pourrait bien naître un jour un chef d'oeuvre.

Golgota Picnic m’inquiète moins

Les ‘Padres’ du padreblog se penchent sur Golgota Picnic. Ils y voient «pour le coup», un spectacle condamnable. Ce «pour le coup» est la seule référence au spectacle précédent («Sur le concept du visage du fils de Dieu» de Castelucci) auquel l’abbé Grosjean en particulier avait décerné un brevet de respectabilité: il y avait vu une réflexion vraie, «sur la souffrance, sur la compassion» et même sur la «Compassion du Fils».

Mais Golgota Picnic, nous disent les Padres, c’est autre chose. Il s’agirait «de salir et d'insulter», il s’agirait d’«une provocation violente, malsaine et gratuite» - d’une attaque assumée et revendiquée (ce sont leurs termes). Pour ma part je reprends (cum grano salis) à mon compte la phrase de l’abbé Grosjean et donc «je [m’interdis] d'en parler sans l'avoir vue». A défaut de jugement donc, je vous livre un sentiment: Golgota Picnic m’inquiète franchement moins que le spectacle de Castelluci.

Pourquoi? parce que Golgota Picnic est une farce grotesque, une mascarade grossière, qui relève plus de la «fête des fous» que de la réflexion vraie. Qu’est-ce que la fête des fous? C’était au Moyen-Âge un jour de débordements déplorables, les prêtres se grimaient, chantaient dans le chœur des chansons paillardes, on mangeait du boudin sur l’autel, et… le lendemain, c’était fini. Attention, lecteur, je n’approuve pas l’extravagance de ce fol Picnic! j’observe juste que c’est une pièce sans ambiguïté. Lamentable, mais circonscrite.

Tel n’est pas le cas avec Castelucci. Je partage ce que Mgr Vingt-Trois appelle «le trouble de beaucoup devant des œuvres difficiles à interpréter». Je suis inquiet de cette œuvre dont l’auteur nous dit qu’elle peut être vue (pour qui le souhaite) comme une œuvre religieuse… ou pas, c’est selon – et c’est du coup bien plus pervers. Je suis inquiet parce que si tout est question d’interprétation, je peux aussi bien interpréter que le ver est dans la pomme (théâtrale). Je suis inquiet de voir un évêque tirer à hue quand l’autre tire à dia. Spectacle quasi-christique pour l'un, vilénie sans nom pour l'autre. Je suis inquiet parce que dans cette affaire, You Are (Not) My Shepherd, ou bien le contraire, ou autre chose encore?

C’est au fond la différence entre les films d’action et les films d’horreur. Dans un cas l’ennemi est identifié et on le combat (et c’est l’action) – dans l’autre il est tout aussi néfaste mais il n'est pas circonscrit (et c’est l’horreur). Le héros par exemple se bat pour sauver son père de créatures impalpables mais… qui le sauvera de son père?

Une fois que j'ai dit cela, je n'ai pas dit le plus important, qui est l'invitation du Cardinal Vingt-Trois - le padreblog s'en fait l'écho, et le MetaBlog aussi:
"Alors que le spectacle Gólgota Picnic, programmé à Paris à partir du 8 décembre prochain, insulte la personne du Christ en croix, le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, invite jeudi 8 décembre à 20h ceux qui le veulent à une veillée de prière à Notre-Dame de Paris au cours de laquelle seront proposées une méditation de la Passion du Christ et la vénération de la sainte couronne d’épines."
Nous vous en reparlerons.

Pour marquer leur réprobation de Golgota Picnic, les Padres proposent en plus de «déposer en silence une fleur blanche devant le Théâtre du Rond Point», ils estiment que «ce geste ... ne peut pas être caricaturé.» Penser cela, c’est sous-estimer gravement la créativité de notre époque, qui a su rendre des mots tels que pureté ou vertu ridicules, voir odieux. J'aime les Padres pour leur candeur, je les envie de ne pas comprendre qu'un siècle qui sait se foutre du rosaire, saurait aussi bien se moquer de leur rose.

mardi 15 novembre 2011

Roméo Castellucci et la merde

Article paru dans la revue Action Française 2000 n° 2827

«La merde est un problème théologique plus ardu que le mal» - Milan Kundera
Roméo Castellucci est Italien, comme son nom peut l’indiquer. Il a une parfaite connaissance du christianisme, comme le comprennent ceux qui collectionnent ses déclarations.

Et il vient de monter une pièce au nom surprenant : Sur le concept de visage du Fils de Dieu. Intello ? sans doute mais alors sans la plus élémentaire finesse…

C’est qu’il aime les matières fécales, Roméo Castellucci, sa pièce en déborde. Il aime l’odeur de la merde, Roméo Castellucci, le Théâtre de la Ville, après chaque représentation de sa pièce, pue la merde synthétique. On peut dire aussi qu’il aime mettre la merde. A Avignon sa pièce s’était terminée en pugilat. A Paris, ce sont des manifestations quotidiennes qui ponctuent les représentations, au point que l’auteur a été obligé d’expurger en cours de représentation sa propre pièce pour tenter de lui donner un sens acceptable. Et ce sont les jeunes d’Action Française qui ont donné le branle à ces protestations de cathos-indignés, trouvant d’ailleurs en face d’eux la réaction extrêmement violente de policiers qui avaient manifestement oublié le sens du mot «dérapage».

Comment expliquer la présence, parmi les contre-manifestants, de l’Action Française, mouvement résolument laïc depuis toujours, comme j’ai essayé de le montrer dans le récent Cahier de l’Herne Maurras?

Je crois que le slogan qu’ils avaient choisi est très explicatif de leur engagement : « La culture c’est sacré, on ne laissera rien passer ». Que l’on soit chrétien ou non, il faut bien reconnaître que le christianisme fait partie de notre culture, qu’il constitue pour nous une matrice. On ne s’en prend pas à sa matrice sans une sorte d’instinct suicidaire, celui qui flotte dans l’atmosphère nihiliste dans laquelle nous vivons. En expliquant qu’ils défendent le sacré et un sacré « culturel » qui dépasse même la dimension religieuse, il me semble, n’en déplaise à Jean Birnbaum qui se pose la question à la une du Monde, que les jeunes d’Action Française sont parfaitement dans leur rôle – fidèles en cela aussi à la pensée du Maître de Martigues. Et ce n’est pas la christophobie du jeune Maurras, alléguée par Birnabaum, qui change quoi que ce soit au problème. Maurras a un rapport personnel complexe avec la foi de son enfance. Il a été un blasphémateur compulsif. Plusieurs fois sa colère a débordé contre « le Galiléen » et « les quatre juifs obscurs ». Mais il a promis à sa mère de réciter chaque jour un Je vous salue Marie et, autant que l’on puisse en juger de l’extérieur, il s’est exercé à tenir cette promesse. Et, dans sa Poésie, il exprime sa quête religieuse, toujours recommencée. Bref c’est un drame personnel. Rien à voir avec la haine que voue Castellucci au visage du Christ, disparaissant sous les étrons ou se confondant avec eux, alors que des enfants (des enfants !) jetaient contre cette image de fausses grenades.

Païen ou chrétien selon le point d’où on le regarde, Maurras a un sens du sacré extraordinairement profond. Relisez Corps glorieux pour vous en convaincre ! Pius Maurras ! disait Jean Madiran. Il a le sens de la piété. Sa prose déborde naturellement en un lyrisme expansif et tout méridional devant ce qui est beau, ce qui est noble, ce qui est grand. Et s’il déteste le romantisme, c’est avant tout justement dans la mesure où les romantiques, cédant à une sorte de délire que Maurras nomme antiphysique, opposent et substituent à la sainteté et à la beauté du monde leurs très, leurs trop considérables états d’âme personnels. La quintessence du romantisme, vu par Maurras, n’est-elle pas… Castellucci, artiste contemporain, opérant fièrement la confusion de la Beauté et de la merde en une même bouillie mentale ?

Mais, au-delà du mal, au-delà des blasphèmes passionnels, toujours personnels, toujours subjectifs et dont le sens peut être effectivement transformé et converti par la Croix, il reste, objectivement, le sacrilège, cette colossale indifférence au Sacré, qui consiste à confondre les plus nobles réalisations de l’humanité avec le niveau de la merde… Ce sacrilège-là, ce sacrilège objectif et gratuit, ce confusionnisme volontaire a quelque chose du péché contre l’Esprit saint, celui qui ne sera jamais pardonné.

Milan Kundera est tout sauf un chrétien de première ligne. Dans cette perspective, très maurrassienne et remarquablement anti-castelluccienne, il avait laissé éclater sa colère contre le monde comme il ne va pas, en disant : le problème ce n’est pas le mal, le problème c’est la merde.

lundi 14 novembre 2011

Rendez à César... Rendez à Dieu...

L’Evangile du XXIIème dimanche, « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » est bien connu. On peut dire qu’il est au cœur de la Révolution culturelle que représente le christianisme pour le monde. Il y a bien deux domaines distincts et deux autorités distinctes dans le monde, l’autorité politique humaine et l’autorité divine. Cela nous paraît une banalité d’affirmer ces deux choses et pourtant on a l’impression que les chrétiens – et les autres – n’auront jamais fini de scruter cette formule du Christ qui résume les conditions d’un ordre possible sur la terre.

Notre religion n’a rien à voir avec ce que les anciens Romains appelaient déjà « une religion civile ». Rendons à César ce qui lui appartient nous dit le Christ. Et l’Apôtre Pierre, commentateur de son maître, insiste : « Soyez soumis à toute autorité, même pénible ». Saint Paul nous en donne la raison : « Tout pouvoir vient de Dieu » (Rom. 13, 1). « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en haut » dit Jésus à Pilate.

Quelle est la limite de ce pouvoir civil ? L’autorité de Dieu. Les Premiers chrétiens l’ont dit et répété, on trouve cela déjà dans les Actes des apôtres : « Il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes ». L’obéissance aux autorités politiques légitimes ne peut être véritable, ne peut être bonne que si elle n’empêche pas, que si elle n'interdit pas d’obéir à Dieu. Lorsque l’on a demandé à nos Pères dans la foi de rendre un culte à César comme à un Dieu, beaucoup ont préféré mourir plutôt que de mettre dans le Thuribulum les quelques grains d’encens qu’on leur demandait de faire brûler en l’honneur de César. Ils auraient pu faire de la casuistique et se justifier d’une faiblesse en se disant que ces grains d’encens n’avaient pas le même sens pour eux et pour ceux qui deviendront leurs persécuteurs. Ils auraient pu faire semblant de rendre un culte à César. L’ordre du Seigneur, son ordre formel les en a empêché : « rendez à César ce qui est à César ». Pas plus!

Il faut encore « rendre à Dieu ce qui est à Dieu »… Qu’est-ce que cela signifie ? Que Dieu ne veut pas nous contraindre à lui rendre hommage. C’est nous qui devons lui offrir la louange de notre piété. C’est nous qui devons « sanctifier son nom ». Terrible charge ! Immense responsabilité, qui constitue la sacralité chrétienne. Autrefois le sacré pouvait se trouver dans les choses. Aujourd’hui, par le Christ qui nous demande de « rendre à Dieu ce qui est à Dieu » le sacré se trouve avant tout dans cette injonction. Mais sommes nous capables de rendre à Dieu ce qui est à Dieu ? Sommes nous capables de reconnaître son autorité sur nous ? Sommes nous capables de nous reconnaître des devoirs envers lui?

Aujourd’hui tout est humain, trop humain et Dieu même n’est plus perçu que comme un moyen de satisfaire l’homme. Dieu doit permettre l’épanouissement personnel, comme un produit de consommation un peu haut de gamme… Nous lui rendons un culte ? C’est pour nous et non pas pour lui. Il faut que nous soyons capable d’inverser cette perspective qui est devenu la perspective naturelle du petit consommateur du XXIème siècle. Il faut que nous soyons capables de « sanctifier le nom de Dieu », de reconnaître son droit sur nous – et son autorité sur notre vie.

Cette autorité est bonne, elle est bénéfique, elle nous permet de donner le meilleur de nous-mêmes : « Pour moi, dit le Psalmiste, m’attacher à Dieu, c’est un bien ». Mais il ne faut pas se leurrer : cette autorité bénéfique, on ne triche pas avec elle. Parce qu’elle est absolue, elle nous demande un amour absolu. Parce qu’elle s’est donnée à nous en Jésus dans un amour absolu, elle nous demande de rendre amour pour amour et d’élever notre petite vie limitée aux dimensions d’un absolu de dévouement et de dévotion.

Le printemps arabe à l'heure du bilan

Les élections qui viennent d'avoir lieu en Tunisie ont sonné l'heure du bilan pour le fameux Printemps arabe. Qu'est-ce qui est sorti des urnes ? La démocratie contribuera-t-elle à mettre de l'ordre dans cette région. Un fait a été observé, qui est lourd de signification : il y a eu d'avantages de votants en faveur du candidat islamiste modéré de Ennahda parmi les Tunisiens résidant en France que parmi ceux qui vivent au Pays.

Pascal Hilout, membre de Riposte laïque d'origine marocaine, est de retour de Tunisie. Il nous offre une conférence exceptionnelle sur le Printemps arabe, pour nous montrer qu'il est en train de générer un nouveau modèle politique, non pas à l'imitation de la Turquie, comme on l'entend trop souvent, mais à travers un rapprochement structurel (et non pas effectif) entre les sunnites et les chiites. C'est un pouvoir spirituel islamique qui est en train de sortir des urnes. Un modèle exportable un peu partout.

Conférence au Centre Saint Paul, mardi prochain, 15 novembre à 20H15. Métro Grands Boulevards ou Sentier

samedi 12 novembre 2011

Mobiliser! Mais qui?

La critique théâtrale est un exercice difficile, surtout lorsqu’on se frotte à «des œuvres difficiles à interpréter» (Mgr Vingt-Trois). De là viennent sans doute les différences d’appréciation – sur la seule pièce de Castelluci, la réaction épiscopale est diverse. Voyez Mgr Centène (Vannes) qui encourage «tous ceux qui, en cohérence avec leur foi, n’hésitent pas à agir publiquement [et] manifestent, en toute justice, leur désapprobation face à des spectacles dont l’ignominie dépasse l’entendement même». Voyez a contrario Mgr d’Ornellas (Rennes) qui écrit: «Ne nous trompons donc pas de combat en luttant contre une christianophobie à laquelle on veut nous faire croire. Manifester contre Castelluci est une erreur de perspective

Mais voici un nouveau spectacle, «Golgota Picnic», plus difficile à interpréter positivement que le premier. C’est clairement «un spectacle qui blesse» dit Mgr Podvin (porte-parole de la CEF), qui annonce «notre réprobation est évidente». Réprobation d’autant plus nécessaire que les évêques ont perçu «un vif émoi parmi les chrétiens». Reste à savoir comment l’exprimer, et c’est là qu’est le problème. Envisageons quelques pistes.
Une dénonciation radicale? C’est ce qu’a déjà fait Civitas à Avignon, ou contre Castelluci, et Mgr Poidvin dénonce «cet amalgame intégriste». Il n’est pas interdit de penser que ce qu’il craint surtout c’est l’amalgame avec les intégristes. Les évêques ne peuvent raisonnablement se mettre à la remorque d’une petite association de laïcs auxquels ne les lie qu’une antipathie réciproque.

Le dialogue? L’abbé Grosjean et quelques autres ont posé cette piste. Mgr Vingt-Trois ne dit pas autre chose : «L'artiste doit expliquer son intention». Lui aussi s’interroge: «L'artiste […] ne doit-il pas aussi prêter attention à la foi des humbles, l'écouter et se laisser toucher?» Effectivement, ça serait bien, d’autant qu’un artiste qui se laisse toucher par la foi, ça donne tôt ou tard un artiste catholique. L’ennui c’est que les artistes sont à l’image de la société, or la société aujourd’hui voit la foi comme un carcan moral, une chape mentale dont «les humbles» seraient les victimes bien plus que les acteurs.

Une manifestation, une mobilisation? Soyons clairs: les tradis mobilisent 2.000 personnes. L’Eglise ‘ordinaire’ en mobiliserait à peine dix ou vingt fois plus. Trente mille personnes, c’est impressionnant vu de la sacristie. Vu des salles de rédactions, et au regard du million de la moindre Gay Pride, c’est groupusculaire. Mgr André Vingt-Trois le dit très clairement : il ne veut pas s’enfermer dans une situation dans laquelle l’«Eglise se défendrait elle-même comme un groupe minoritaire dans une société pluriculturelle ou même hostile».
Là est le malentendu entre tradis (nous) et évêques (eux). ‘Nous’ (les tradis) avons acquis depuis 40 ans une culture communautariste, ‘nous’ sommes habitués à être minoritaires et réprouvés, et ‘nous’ pensons que si les évêques marchaient devant, nous serions moins minoritaires – peut-être pas approuvés, mais moins lourdement réprouvés. --- Mais ‘eux’ (les évêques) ne se résignent pas à ce communautarisme – ils se perçoivent comme les pasteurs d’un peuple encore pétri de sa culture catholique, ils se voient en interlocuteurs spirituels dans le débat sociétal. Alors Mgr Vingt-Trois tente de secouer un peu la société, il interpelle : «Le Crucifié de Jérusalem a-t-il une parole à dire?» La réponse est bien évidemment oui. Tandis que la vraie question, qu’il se garde prudemment de poser, est «Cette parole, voulez-vous l’entendre?»

vendredi 11 novembre 2011

Retraites du Bon-Pasteur

L'abbé Laguérie annonce sur son blog le lancement de "retraites du Bon Pasteur" - il y a "les classiques et indispensables exercices de saint Ignace", il y a des formations sur le mariage, et surtout une nouvelle formule: le 'kit chrétien' c'est-à-dire "une session de formation intensive sur les fondamentaux de la vie chrétienne" dont le but est de "pallier en cinq jours, si possible, l’indigence mortelle des quarante dernières années de catéchèse". Les sessions se déroulent à  La Rivardière, près de Poitiers. Un tract est téléchargeable à retraites.ibp.free.fr - On notera que les retraites sont prêchées par des prêtres du Bon Pasteur, mais aussi  d'autres communautés (Fraternité Saint-Pierre, Fraternité Saint-Vincent-Ferrier), ce qui est un exemple encourageant de coopération traditionalisto-tradie.

mardi 8 novembre 2011

Attaque(s) de Charlie Hebdo : un point de vue sociologique

J’ai été intéressé pas le point de vue de Laurent Ozon, suite à l’incendie des locaux de Charlie Hebdo. Il y voit une réaction «de défense, de violence, bien sûr totalement inacceptable», qu’il entend justement «non pas justifier, mais au minimum comprendre, à partir du moment où l’on s’intéresse aux causes et aux effets». Je vous retranscris un extrait significatif de ce que dit Ozon, la vidéo étant accessible depuis son blog.
"[...] La ligne éditoriale de Charlie Hebdo, fondamentalement, c’est de s’en prendre aux subjectivités collectives de groupes qui ne sont pas le leur – c’est à dire de s’en prendre, fondamentalement, à ce que d’autres groupes (les musulmans ou d’autres, en raison de leurs appartenances politiques, idéologiques, ethniques, religieuses, etc) considèrent comme beau, comme noble, comme sacré. Et c’est cette campagne d’hostilité, de dénonciation, cette campagne avec un humour (un humour à la Bigard, pas à la Desproges, références scatologiques à l’appui) – eh bien cette forme d’humour là, cette liberté de pouvoir insulter qui bon leur semble, en quelque sorte, est une campagne de haine permanente, et il est très surprenant que l’on puisse s’étonner du fait que certaines communautés visées (là, en l’occurrence, les musulmans, qui sont visiblement un peu plus chatouilleux que les catholiques, qui font objet le plus souvent des attaques de Charlie Hebdo), on peut s’étonner que l’équipe de Charlie Hebdo, que l’oligarchie finalement soit surprise de cette attaque la. Ce qui est très surprenant c’est que ça n’ait pas eu lieu plus tôt.

[La ligne de Charlie Hebdo] est de s’en prendre, plus précisément, à tout ce qui permet l’existence du groupe. C’est à dire que derrière leurs attaques contre les subjectivités collectives, les normes, ce qui fait valeur pour un groupe ou pour un autre, ils s’en prennent finalement aux groupes constitués. Un groupe constitué ne tient que parce qu’il partage un certain nombre de présupposés, un certain nombres de valeurs, un certain nombre de subjectivités. On parle de subjectivités parce que précisément ces valeurs ne sont pas partagées par tous les groupes à la surface de la Terre – ce sont les leurs. On peut considérer que Mahomet n’est pas simplement un personnage de l’histoire, c’est aussi celui qui a porté la parole de Dieu, qui a écrit la loi de Dieu, et autour duquel s’organise la vie des musulmans, de leur naissance, de leur plus tendre enfance jusqu’à leur mort, depuis des générations et des générations. Alors on peut considérer, prendre tout cela à la rigolade, parce qu’on peut considérer que tout cela n’a pas grande importance, ou éventuellement avoir un regard critique sur l’islam – ce n’est pas un problème. Mais à partir de moment où, comme chez Charlie Hebdo, on se fait une spécialité de salir méthodiquement tout ce qui est tenu pour sacré par les autres, il ne faut pas s’étonner d’avoir des retours de violence. Et on sait très bien que quand ils le fond, ils ne le font pas pour défendre la liberté d’expression, ils le font fondamentalement parce que globalement ils ont pris cette communauté ou ce groupe-la pour cible, et ils ont décidé de s’en prendre aux subjectivités de ce groupe-la. Parce que ce qui les emmerde, fondamentalement, c’est qu’il existe encore des groupes, il existe encore des religions, il existe encore des communautés constituées. La guerre que livre Charlie Hebdo, la guerre que livre l’oligarchie, à laquelle appartiennent d’ailleurs les responsables de SOS Racisme, qui ne sont que des guignols et des pantins, la guerre que livrent ces gens-la aux communautés, c’est une guerre permanente. Et les colonnes de Charlie Hebdo ne sont que des déclarations d’agression manifeste, des insultes permanentes à l’égard de ce que croient juste, bon, louable et respectable d’autres groupes humains – qui ont la même valeur qu’eux. […]

La fin ? sans être complotiste : ces gens-la appartiennent à une sociologie, la sociologie de l’idéologie de la consommation, la sociologie de la nouvelle classe mondiale. La sociologie de la société open. Ces gens-là veulent des sociétés d’individus déracinés, libres entre guillemets, c’est à dire libres de consommer, et qui n’ont comme seule perspective de vie que la surveillance de leur compte en banque, et le suivi de leur portefeuille d’actions en bourse. Parce que tout ce qui fait communauté historique, communauté d’histoire, communauté de civilisation, fondamentalement, les emmerde. Je dirais que Charlie Hebdo, c’est le mirador du système concentrationnaire idéologique de la société de consommation, qui ne veut pas avoir à faire qu’à des individus. [...]

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Difficulté et grandeur du pardon

Deux sujets dans cette parabole, chapitre 18 de saint Matthieu, que nous avons lue dimanche dernier dans l'extraordinaire rite que j'ai la joie de célébrer : le pardon et la réciprocité entre Dieu et nous.

Le pardon ? c’est la chose la plus difficile du monde.

Difficile à faire : on croit pardonner et il reste toujours une cicatrice, qui peut se réveiller n’importe quand. Est-on sûr d’avoir vraiment pardonné à quelqu’un ? Il faut parfois être capable d’enfouir l’offense au plus profond de la justice de Dieu pour oublier VRAIMENT ce que l’on croit nous être dû.

Difficile à comprendre : que signifie pardonner ? beaucoup croient pratiquer le pardon, qui sont seulement indifférents à tout. Si rien n’a d’importance, il est facile de laisser passer telle ou telle offense, faite à soi-même, à ses proches, au Christ même… Tout vaut tout et rien ne vaut rien… Mais cette indifférence, très à la mode, n’a rien à voir avec le pardon, elle en est même l’exact opposé.

Regardons comment Notre Seigneur matérialise l’offense qui nous est faite, pour nous faire comprendre de quoi il s’agit. Il parle d’une dette. Et il montre que cette dette, que nous serions en droit de réclamer – au moins apparemment – il faut… nous asseoir dessus ! Ne pas la réclamer ! Laisser celui qui nous la doit libre de nous la rendre… ou pas ! On est bien au-delà de la simple justice. C’est cela qui rend le pardon si difficile à comprendre.

Voyez le Père du fils prodigue, qui accueille son enfant en tuant le veau gras. Il ne lui devait qu’un accueil du bout des lèvres. L’autre, après avoir mangé son héritage, revient la bouche en cœur, pour des motifs, il faut le dire, purement matériels : « un esclave dans la maison de mon père a plus à manger que moi ». Et son père ne lui demande rien et l’accueille comme si de rien n’était. Ce « comme si », c’est le pardon. Et cela indique bien la difficulté d’une telle attitude : il faut faire comme si de rien n’était…

Seul l’amour peut parvenir à une telle ingéniosité. Mais un amour qui serait redevenu vierge de l’offense. Contrairement à une idée reçue, le pardon est d’autant plus difficile à donner que la personne à laquelle on pardonne est plus proche ou plus aimée : un fils pour son père, un époux pour son épouse etc. Pardonner à un proche, c’est s’exposer à avoir sans cesse devant les yeux cette ingéniosité, ce « comme si… » dont il a fallu faire preuve pour lui pardonner… et garder le sourire et le souci de l’autre. C’est aussi signer un chèque en blanc sur l’avenir et croire que l’autre est capable de ne pas retomber dans les errements qui ont provoqué l’offense : le fils prodigue est-il devenu économe parce qu’il avait été pardonné ?

Pour nous aider à pardonner vraiment, le Christ, dans cette parabole, nous représente nous-mêmes, en face de Dieu. C’est ce que j’ai appelé la réciprocité, en commençant cette méditation. Nous l’avons offensé, nous lui sommes redevables de tout – de nous mêmes, de notre existence, de nos talents – nous l’avons ignoré, méprisé, et Il nous a pardonné. Il y a quelque chose d’infini dans ce pardon de Dieu. Dieu pardonne et en même temps qu’il pardonne, dans un acte de sa Puissance infinie, il recrée celui qui a eu recours à ce pardon, il lui permet de remettre les compteurs à zéro, de reprendre son chemin vers lui, non pas comme s’il ne s’était rien passé, mais avec, en plus, comme un moteur de surcroît, la reconnaissance due au pardon divin. C’est cette reconnaissance qui donne au chrétien une force à l’épreuve de l’usure du temps, une force qui a quelque chose d’infini parce qu’elle est à l’épreuve de l’usure du temps.

Je crois que sans cette force divine, il n’y a pas de pardon véritable.

Quand on regarde la composition de cette messe, on est surpris au premier abord par le texte de l’épître de saint Paul aux Ephésiens (ch. 6), où l’Apôtre nous exhorte à nous armer, « pour pouvoir résister aux manœuvres du diable ». Quelles sont ces armes ? Non pas celle du monde, la violence, l’égoïsme non-partageur, le mensonge etc. Les armes que saint Paul nous exhorte à revêtir sont « la vérité comme ceinture, la justice comme cuirasse, le bouclier de la foi »… Nous autres chrétiens nous avons des armes différentes. Nous ne sommes pas appelés à faire de la surenchère avec les armes du monde. Nous sommes appelés à faire usage de nos armes, celle que la foi nous met dans les mains. Le pardon, qui interrompt la spirale violente et coupe court aux surenchère, permet, s’il est donné avec force, de « reprendre la main ». « Heureux les doux car ils possèderont la terre » dit Jésus. Le vrai Pardon demande une force intérieure peu commune mais, pourquoi le nier ? il permet aussi une sorte de démonstration de cette force, la seule à laquelle finalement, rien ne résiste.

Sept des huit béatitudes promulguées par le Christ renvoient au Royaume des Cieux : « Heureux ceux qui pleurent car [dans le Royaume] ils seront consolés ». Seule la béatitude des doux, qui est celle de tous les pardonneurs, nous promet la terre en récompense…

Alors ? N'ayons pas peur de ce que l'on dira, de ce que l'on pensera autour de nous ! Osons pardonner ! C'est une première expérience pour vous ? Tant mieux ! Vous pourrez constater sa force.

lundi 7 novembre 2011

[Conf'] Droit au blasphème : la liberté d'expression mène-t-elle forcément au mépris ?

Conférence de Me Frédéric Pichon et de l'abbé de Tanoüarn
Mardi 8 novembre - 20H15 - Centre Saint Paul / Paris
Depuis l'affaire du Chevalier de la Barre qui n'avait pas enlevé son chapeau devant le Saint Sacrement, la question du droit au blasphème hante notre culture. C'était au XVIIIème siècle. Mais sommes-nous plus matures aujourd'hui ? Au nom du droit au blasphème, considéré comme un acquis, on est en train, ministre de la culture en tête, de faire passer un droit à l'insulte et à l'immondice, grâce à ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire Castellucci.
PAF : 5 euros. Étudiants, chômeurs : 2 euros.
La conférence est suivie du verre de l'amitié.

samedi 5 novembre 2011

Dialoguer! avec qui?

Sur FECIT, Ennemond écrit ces lignes que je veux partager avec vous :
«l'abbé Grosjean pense qu'on peut donner un meilleur témoignage, plus en phase avec le monde, sans violence, en parlant le langage du monde. C'est là la terrible illusion de l'abbé Grosjean. S'il n'y avait pas eu de mobilisation, pas eu de Civitas, ni de prières, ni de manifestation, les médias auraient condamné le suivant sur la liste : Et Mgr Centène aurait été la cible. Son communiqué l'aurait fait passer pour fasciste, pour fondamentaliste. Si l'abbé Grosjean ose se contenter de dire demain que Golgota Picnic s'attaque au Christ, s'il n'y a pas Civitas devant lui, ce sera lui, curé à Houilles, que le monde médiatique traitera de fasciste, de fondamentaliste, de violent, de haineux.»
C’est que l’abbé Grosjean, curé de 33 ans, a signé vendredi une tribune dans Le Monde avec quelques autres catholiques de sa génération. C’est un texte policé («le regard de ce Jésus-Christ, que notre XXe siècle a voulu évacuer de l'espace public, continue pourtant de déranger nos certitudes trop faciles de son interrogation silencieuse») et plein de bonne volonté : «le désir que nous avons … de dépasser les caricatures pour ouvrir un vrai échange». Et le texte pose quelques jalons en ce sens : «la société … doit réinventer son rapport au sacré» ; «[la question de la responsabilité de l’artiste] doit être posée et discutée clairement» ; «Cet amour [de Jésus] doit être respecté». Car le point irréfragable de cette tribune est que «le symbole du Christ doit être respecté par les artistes» (c'est le titre).

Mais quelle est la nature de ce «doit» qui revient si souvent? Les auteurs semblent l'entendre comme une obligation morale («nous devons accepter de renouer un vrai dialogue … autour de la question de la foi.») Petit problème cependant : il n’est pas certain que la société l’entende de cette oreille, ni qu'elle accepte pour elle ce devoir moral. Des dizaines d’abonnés au Monde ont commenté cette tribune, presque tous dans le même sens :
  • … cette chronique … ne renvoie à aucune autre universalité que l'ancienne vision d'un catholicisme "hégémonique"
  • Je n'ignore pas le fait religieux. Mais pourquoi m'obliger à dialoguer avec des gens qui croient en des fariboles?
  • le christianisme nous fait depuis si longtemps la morale (et pas toujours avec tolérance), qu'on ne voit pas pourquoi on n'aurait pas le droit de lui répondre comme bon nous semble
  • Merci encore aux humanistes de la Renaissance, à Voltaire, à la République enfin, qui nous ont permis de confiner ces personnages dans leurs sacristies.
  • Les religieux ont une fâcheuse tendance à s'imaginer que la croyance est autre chose qu'une opinion, et que donc le respect de la religion s'impose à tous, y compris ceux qui ne croient pas.
Bref, il y a quelques agressifs, mais surtout des gens qui face à la bonne volonté d’un prêtre comme l’abbé Grosjean s’étonnent en substance: «Qui tu es, toi? de quelle autorité nous colles-tu ce devoir?». Isabelle de Gaulmyn vient à pic nous fournir quelques éléments sur le sujet. Elle s'interroge sur la «christianophobie»: les chrétiens ne sont pas menacés, mais le malaise est là. Extrait de sa chronique dans La Croix:
«C’est en 2001, pour la première fois, que le président des évêques de France de l’époque, Mgr Louis-Marie Billé, dans un discours extrêmement sévère et sombre, dressait le portrait d’une Eglise qui n’était plus comprise. Le terme de christianophobie n’existait pas, mais le cardinal avait décrit une société où l’Eglise n’avait plus droit de cité. […] Les catholiques avaient le sentiment d’avoir été tenu pour rien dans le débat sur le pacs, et de faire l’objet d’amalgame sur les premières affaires de pédophilie. Le cardinal Billé, avec toute sa finesse, avait alors pointé le coupable : non pas une laïcité agressive, mais plutôt une ignorance crasse du fait religieux et de la vie des Eglises […] Les journalistes [...] qui se contentent désormais de parler de l’Eglise sous la rubrique faits divers (mœurs, pédophilie …) sans avoir une seule ligne pour évoquer des évènements qui mobilisent chaque année le plus grand nombre de Français, comme Noël, Pâques, les pèlerinages, ou autres…»
Retour aux auteurs de la tribune du Monde -  j'admire leur bonne volonté. Mais ont-ils bien pris la mesure des changements sociétaux? il y a encore 30 ans, être prêtre faisait de vous une autorité morale, à laquelle on ne se soumettait pas forcément, mais dont on reconnaissait la respectabilité a priori. C'était: avant. De nos jours, pour des pans entiers de la société (y compris de la sphère médiatique), un catho est surtout un emmerdeur en matière de mœurs, éventuellement doublé d'un hypocrite (je ne vous fais pas de dessin), responsable (en vrac, et en cumulé) des croisades, de l'oppression des pauvres, du sida en Afrique, voire d'une certaine constipation mentale de notre civilisation, et presque de la shoah.

Et ces gens-là, qu'ils soient clients au Café du Commerce ou professionnels de la Culture, ne partagent pas du tout l'opinion de l'abbé Grosjean quand il écrit qu'«il est urgent de reparler ensemble de la question de Dieu». Un artiste pourrait fort bien faire valoir que dans la mesure où on l'autorise à chier (littéralement) sur ce qui nous est sacré, il a aussi le droit que notre sacré le fasse chier.

vendredi 4 novembre 2011

L'évêque, le ministre, le journaliste et le philosophe face à l'étron

Je suis en ce moment, chez mes parents, sur les terres de Mgr d'Ornellas et l'on vient de me mettre sous les yeux le texte étonnant que le prélat a jugé bon de publier sur le site du Diocèse de Rennes, faisant l'apologie de la pièce de Castellucci Sur le concept de visage du Christ et déclarant tout net, sous l'inter-titre : Le débat est ouvert, "ceci n'est pas de la christianophobie".

J'use de sa permission pour m'enfoncer dans le débat qu'il ouvre ainsi. Je voudrais montrer que ce n'est pas de la christianophobie ordinaire effectivement, mais un nouveau genre de christianophobie qu'il faut analyser.

Certes un certain nombre de catholiques sont de son avis, et parfois des catholiques de bonne droite, Yves Daoudal par exemple, enthousiasmé par cette pièce. Mais l'archevêque se rend-il compte que par cette affirmation tardive, il contredit une dizaine de ses confrères évêques, qui ont déjà pris position de différentes manières contre la pièce, soit pour regretter, comme le cardinal Vingt-Trois, son financement par l'argent public, soit même pour encourager les jeunes chrétiens à dire le scandale qu'ils éprouvent ("Je me sens solidaire de l'indignation" provoquée par cette pièce dit Mgr Le Gall).

Je viens de découvrir dans l'hebdomadaire Minute une reportatio de la parfois surprenante émission de Laurent Ruquier, On n'est pas couché, au cours de laquelle Michel Onfray, auteur du Traité d'athéologie (qui fut un petit best seller) et en général grand adversaire du christianisme, déclare quant à lui à propos de cette pièce : "J'ai écrit le traité d'athéologie donc je peux en parler. On fait de moi un athée radical, mais je trouve que ce n'est pas bien de provoquer les chrétiens comme ça. Je ne suis pas pour l'insulte, le mépris. Je pense que cette espèce de mise en scène où l'on envoie des grenades ou des matières fécales sur le visage du Christ, ce n'est pas nécessaire. C'est une provocation un peu facile. On peut provoquer sans insulter les gens". Parole d'athée et d'athéologue !

C'est que Michel Onfray est un blasphémateur à l'ancienne. Il n'est pas chrétien, personne ne songe à le contraindre et à faire en sorte qu'il le devienne. Son discours, depuis quelques années, est axé sur tous les penseurs hostiles au christianisme, en particulier dans le domaine français. A l'Université populaire de Caen, il ne perd pas une occasion de dire tout le mal qu'il pense de l'Eglise et de son enseignement. Sa liberté d'expression est entière. Elle est respectable, y compris par les chrétiens, même s'ils sont attaqués. Personne n'a jamais songé à aller perturber ses cours au nom du Christ. Il dispense un enseignement dans lequel il prend position, et c'est son droit. Il argumente.

Castellucci, lui, n'est pas seulement un blasphémateur. Il utilise le sacrilège comme une manière de faire de l'art. Il attente de façon systématique au respect des choses saintes (voir ce que dit Jeanne Smits de ses autres productions, l'homme qui s'enfonce un éclat de verre dans l'anus - encore ! - en criant Jésus etc.). Quoi qu'en pense Frédéric Mitterrand, la lutte contre le sacrilège (quel qu'il soit) apparaît dans notre société menacée par l'ensauvagement, comme une nécessité civique. Rien à voir avec ceux qui vont brûler le siège d'un Journal parce qu'ils ne sont pas d'accord avec ses positions laïques ou ses dessins satiriques. Faire l'amalgame entre ceux qui brûlent Charlie hebdo et ceux qui prient à l'entrée d'un Théâtre, c'est avoir de la merde dans les yeux.

La question que pose le concept de Castellucci est la suivante : qu'est-ce qui est sacré ? Qu'est-ce qui commande le respect de manière universelle ? Personnellement je respecte le Bouddha comme un sage, je prends Mahomet pour ce qu'il a été (un chef de guerre visionnaire et cruel)... Il ne me viendrait pas à l'esprit de les bombarder d'étrons, ni l'un ni l'autre. Et s'ils l'étaient, je protesterai au nom de ce qui est respectable dans l'humanité... contre la merde.

Les chrétiens me diront sans doute : dans le cas du Christ c'est différent, il y a le travail du négatif. - Mais pour cela, il faut qu'il y ait du négatif, une prise de position qui soit une vraie prise de risque. Ce qui est nouveau dans le concept du visage... c'est à la fois l'absence de prise de position et la merde. J'ai parlé à ce sujet de nihilisme européen.

L'un de mes correspondants AR, un ancien élève, qui avait déjà attiré mon attention sur la distinction thomiste entre sacrilège et blasphème, m'écrit à propos du nihilisme en insistant sur le fait qu'il n'y a pas d'intention nihiliste dans cette pièce, mais simplement le nihil, le rien. On est donc en plein Nietzsche. Voici un extrait de sa lettre.
"Je pense que le recours au scatologique, à la provocation grossière ne manifeste pas tant l'intention nihiliste des artistes contemporains que leur impuissance absolue à accéder au domaine des idées. Il n'y a pas de message, sinon un message par défaut. Ce spectacle est in-sensé, et c'est être généreux que de le qualifier d’ambigu. Je ne sais plus qui m'a appris que la pensée, c'est la discrimination. Est-ce vous, le vieux de Martigues ou un autre encore ? Dénoncer "l'universelle indifférenciation", c'est exactement pointer ce défaut de pensée. Le choc des images crée un conditionnement pavlovien (l'expression de Myriam Picard "claque dans la gueule" m'y fait exactement penser) qui se substitue à la pensée et au raisonnement. A quoi bon alors argumenter ?"
La nouvelle christophobie n'est pas intellectuelle (voilà pourquoi un athée qui a une réputation à tenir comme Onfray ne veut pas se solidariser avec Castellucci), elle relève du réflexe de Pavlov. il faut créer l'association d'image et d'idée entre le christ et la merde. Si les nouveaux artistes subventionnés parviennent à leur fin, alors le mystère d'iniquité aura consacré son chemin dans notre monde. Alors les signes se trouveront définitivement inversés dans notre culture sans respect. Mais où sera la culture ? Dans la merde justement !

L'enjeu est immense, les provocations vont se multiplier (bientôt Golgota Picnic), les chrétiens face à cette subversion culturelle stipendiée doivent montrer trois choses : une véritable unité ; un grand calme (quitte à mettre les provocateurs hors du jeu) ; une opposition déterminée pour défendre, même de façon publique, un très minimaliste droit au respect, sans lequel il n'y a plus ni religion ni culture.

Tous avec Jeanne

L'année 2012 s'annonce plutôt sportive, entre l'Europe qui s'impose aux Grecs et aux autres, les politiques qui s'étripent et la FSSPX qui ne pourra plus hésiter : ça va faire beaucoup !

Mais l'année 2012, dans l'ordre désormais immuable du calendrier, marque, pour nous autres Français, le sixième centenaire de la naissance de Jeanne d'Arc. C'était donc en 1412. elle était la fille de Jacques d'Arc, personnage important dans le village frontalier et pro-français de Domrémy, et d'Isabelle Romée, femme pèlerine comme son nom l'indique, qui quittera d'ailleurs sa Lorraine pour venir, en un ultime pèlerinage, habiter la bonne ville d'Orléans, où sa fille avait fait des merveilles ès faits d'armes, comme chacun sait.

Jeanne d'Arc engoncée dans sa cuirasse pour les siècles des siècles est trop connue pour être reconnue pour elle-même. Son image a pris la place de sa personne.

Il faut savoir profiter des bonnes fortunes du calendriers quand les temps sont douteux. Nous sommes quelques amis que cet anniversaire inspire : avec Eric Letty, rédacteur en chef de Monde et Vie et Anne-Cécile Foubert qui sera chargée de notre communication, nous avons créé l'association Avec Jeanne (cf. www.avecjeanne.fr), pour retrouver la vraie Jeanne d'Arc, cette femme à la tête de tant d'hommes, cette très jeune fille qui paraissait avoir tant d'expérience politique, cette laïque poursuivie et brûlée par des clercs, cette guerrière jusqu'au boutiste qui n'aimait pas le sang et n'en a jamais versé... Je lance ces quelques paradoxes pour que l'on se fasse une idée du travail qui nous attend cette année.

Il ne s'agit pas de travailler du chapeau. Je rappelle que comme l'explique Colette Beaune au début de sa magistrale biographie, Jeanne est la femme, au Moyen âge, à propos de laquelle nous possédons le plus de documents de première main. Avec le procès en réhabilitation, nous avons les témoignages de ses proches. Avec les minutes du Procès de Rouen, nous entendons sa voix : "Beaux seigneurs, parlez les uns après les autres, pour que je puisse répondre à chacun". Rappelons qu'elle était, en cette terrible occurrence, à la fois la prévenue et l'avocate... On ne l'a pas écoutée alors, mais on l'a entendue. Elle parlait de façon simple, et simplement supérieure, comme le montre la prise de notes de ses juges qui a traversé les siècles.

Qui était Jeanne d'Arc ? C'est un personnage vraiment unique, qui ne rentre dans aucune catégorie. Les historiens aiment établir des classements. Elle est d'emblée hors concours. Qui lui ressemble dans l'histoire ? Mais c'est justement par ce caractère unique qu'elle est aussi... moderne! N'appartenant à aucune des catégories du passé, elle reste disponible pour l'avenir. Étant décidément inimitable, elle est accessible à tous comme un symbole indiscuté.

Si vous voulez soutenir cette action en faveur de Jeanne et de son exemple, si vous cherchez vous aussi à mieux la connaître, s'il ne vous déplaît pas de vivre cette année 2012 "avec Jeanne", n'hésitez pas à rejoindre notre association. La cotisation de 30 euros ouvre droit à deux entrées demi-tarif aux différents colloques que nous organiserons à Paris et à des réductions sur les voyages-visites que nous projetons. Il vous suffit d'envoyer un chèque à l'ordre de Association Avec Jeanne, 23 avenue Rapp, 75007 Paris. Vous pouvez aussi régler par Paypal, pour l'instant sur le site du Centre Saint Paul en précisant bien de quoi il s'agit.

Pourquoi ces adhésions ? parce que nous avons besoin d'un préfinancement pour notre action. Au programme, un Colloque que nous espérons mensuel sur Jeanne d'Arc, son histoire, son personnage dans la littérature, le cinéma, la musique, et aussi sur les questions qu'elle nous pose et qui restent en suspens jusqu'à aujourd'hui : le féminisme chrétien, le rapport entre la foi et la violence, l'inquisition, l'identité française, l'espérance historique, l'héroïsme chrétien et bien d'autres thèmes, à propos desquels elle peut inspirer des solutions actuelles. Je crois pouvoir dire qu'au fil des Colloques se précisera ce que l'on appelle aujourd'hui une spiritualité, la spiritualité de Jeanne d'Arc, accessible à tous justement parce qu'elle est singulière et qu'au Moyen-âge, elle ne ressemble à aucune autre.

Le premier colloque - Jeanne d'Arc au delà de sa légende - a lieu le samedi 3 décembre prochain à l'Espace Bernanos, rue Caumartin. Je vais vous en entretenir de manière détaillée très bientôt, en vous présentant chacun des six intervenants. En attendant, n'hésitez pas à faire un tour sur notre site : www.avecjeanne.fr. Ne serait-ce que pour découvrir les membres éminents de notre Comité Jeanne d'Arc... que vous rejoindrez, si vous le voulez, en adhérant à notre association, pour vivre "avec Jeanne" l'année 2012.

mercredi 2 novembre 2011

L'abbé Morgan (FSSPX britannique) sur le préambule doctrinal.

Dans sa lettre de novembre 2011, l’abbé Paul Morgan, supérieur du district britannique de la FSSPX, décrit comme «inacceptable» le préambule doctrinal que Rome a soumis à la FSSPX. C’est qu’il contiendrait «tous les éléments que la Fraternité a rejeté de manière constante, y compris l’acceptation de la Nouvelle Messe et de Vatican II, tels qu’exprimés dans le Nouveau Catéchisme» (‘all those elements which the Society has consistently rejected, including acceptance of the New Mass and of Vatican II as expressed in the New Catechism’). Et il y aurait eu consensus parmi les participants à la réunion d’Albano (7 et 8 octobre 2011), selon l’abbé Morgan, pour trouver ce préambule «clairement inacceptable» (‘clearly unacceptable’). L'abbé Morgan voit même un signe de la providence dans cette «clarification de ce que Rome persiste dans les erreurs modernes» (‘clarification of Rome’s persistence in the modern errors’).

Ce texte a bien évidemment été repris mardi 1er novembre sur le tradiland français (le Forum Catholique, FECIT) aussi bien qu’anglophone (Rorate Caeli), il y a suscité une certaine émotion… avant que ces pages ne soient retirées. Certains ont vu dans les propos de l'abbé Morgan une indication nette que la FSSPX ne signerait pas d’accord. J’y vois pour ma part confirmation du contraire, très exactement. En effet, les supérieurs de la FSSPX ont posé une sorte d’embargo sur ce préambule doctrinal – d’ailleurs susceptible d’évoluer. Ils souhaitent si peu qu’il soit discuté tous azimuts qu’ils ne l’ont par exemple pas communiqué à Mgr Williamson. Et qu’ils ont demandé aux supérieurs (districts, séminaires) d’observer la plus grande réserve.

Dans ces circonstances, comment expliquer la sortie en force de l’abbé Morgan? Seule explication raisonnable: qu’il ait voulu donner son sentiment, avant que ne s’impose à tous la décision de réconciliation qu’il verrait venir et qui ne lui plairait pas. Quoiqu’il en soit, ce n’est pas pour tout de suite, il faut d’abord laisser s’estomper la réunion d’Assise, et changer quelques points du préambule, histoire de les modifier. Bref: compter quelques mois. En attendant, ceux qui lisent l’anglais trouveront la lettre de l’abbé Morgan dans la partie newsletter de son site. Pour une raison que j'imagine technique, elle n'est plus accessible depuis la partie "District Superior's Letter".

Mises à jour - Les problèmes techniques que j'évoquais ne s'arrangent pas, au contraire, puisque la lettre a depuis complètement disparu du site de la FSSPX britannique.