Il faut reconnaître que le rite de communion des fidèles a totalement changé de sens depuis 50 ans. Aujourd'hui c'est un rite qui signifie la participation de tous au même repas et le partage joyeux et fraternel que cela suppose. On communie pour montrer qu'il faut en être. Ne pas communier est pris pour un acte de mauvaise humeur face à la cérémonie, parvenue au terme de son déroulé.
Le problème ? Dans la tradition de l'Eglise, la messe n'est pas un repas comme les autres, nous l'avons dit déjà : c'est un repas sacrificiel. On lit cela très clairement dans l'Apocalypse, et ce verset est déformé dans la liturgie actuelle : "Heureux les invités au repas du Seigneur" nous fait dire le nouveau rite en français. La parole authentique de l'Apocalypse est moins accorte : "Heureux les invités au repas des noces de l'agneau" (Apoc. 19, 9). L'agneau, c'est l'animal du sacrifice par excellence. Les noces de l'agneau, c'est l'extension de ce sacrifice à tous ceux qui veulent "laver leurs vêtements et les blanchir dans le sang de l'agneau" (Apoc. 7, 14). De façon précise, le lin que porte les saints (19, 9), ce sont les bonnes oeuvres (19, 8), ces petits sacrifices qui sont adjoints au sacrifice de l'agneau, dans lequel ces offrandes humaines prennent tout leur sens - tout leur éclat, toute leur blancheur. C'est une première approche de la messe que l'on trouve dans l'Apocalypse : la messe est l'assemblée des rachetés, "une foule immense que nul ne pouvait dénombrer", la foule de tous les rachetés "sur la terre comme au ciel" et, ajoute l'apocalypse (5, 13) : sous la terre et sous la mer". La poignée de fidèles qui continue contre vent et marée d'aller à la messe peut se dire qu'elle représente cette foule des rachetés.
La deuxième approche de la messe est celle du sacrifice de louange qui est manifeste particulièrement aux chapitres quatre et cinq de l'Apocalypse. Par la foi dans l'agneau de Dieu notre louange est transsignifiée. En soi, elle ne consiste qu'à jeter quelques mots sur l'abimes, comme à l'aventure, et en tout cas à la légère. La prière naturelle des hommes n'est qu'une bouteille à la mer. Mais la présence réelle du Christ dans l'eucharistie et la foi qu'elle suscite dans les coeurs, implique un merveilleux sacrifice de louange, que les hommes partagent avec les anges, la terre avec le ciel ainsi que le marque le chant du Sanctus (Apoc. 4, 8). A la messe, la louange de l'homme devient une louange céleste, parce que son objet (la sainte hostie) est divin. Foin des cantiques plus ou moins à l'eau de rose. Disons qu'ils peuvent être simplement une introduction à cette louange qui a effectivement lieu dans le silence de chaque âme, s'offrant au Christ présent, coeur à coeur. "Il est digne l'agneau immolé de recevoir la puissance, la divinité, la sagesse, la force, l'honneur, la gloire et la louange" (Apoc. 5, 12) . Le divin Christ est digne de toutes ces louanges et d'autres encore. Il est l'Emmanuel "Dieu avec nous". Sa présence crée notre louange, qui est ce "cantique nouveau" annoncé par les psaumes et officialisé dans l'Apocalypse (5, 9).
On comprend comment l'Apocalypse insiste sur l'idée du royaume de prêtres.. Chacun effectuant cette double offrande du sacrifice propitiatoire d'une part (celui qui sauve du péché, celui qui nous lave dans le sang de l'agneau) et d'autre part du sacrifice de louange (celui que nous arrache la présence de l'agneau immolé sur son autel), chacun effectuanty en Nom Dieu et pour lui-même ou ses intentions ce double sacrifice mérite le titre de prêtre ; "Des hommes de toutes tribus peuples et langues, tu en as fait, pour notre Dieu - toi l'Agneau - un royaume de prêtres" (Apoc. 5, 10). De la même façon que le ministre est constitué en sainteté par sa communion obligatoire, (comme nous l'avons dit dans la méditation précédente) de la même façon, chacun est constitué prêtre par sa communion, au moins d'intention, au Mystère de Dieu qui se réalise dans l'eucharistie.
A-t-on le droit d'utiliser l'Apocalypse pour comprendre la messe et exprimer ce qu'est la communion, comme nous le faisons ici sans vergogne ? L'un de ses meilleurs interprètes actuels, le protestant Pierre Prigent, ose écrire dans son grand Commentaire : "On peut dire que l'Apocalypse est une interprétation de ce culte (rendu au Christ), une lecture inspirée de la liturgie chrétienne" (P. 105).