vendredi 9 octobre 2020

Le sacrilège

La troisième prière du prêtre, avant de communier, peut paraître la plus... antimoderne ! Nous avons tous en tant qu'homme modernes, la sensation qu'à travers notre communion à l'autel, nous apportons quelque chose au Christ, notre adhésion, notre "clientèle". Par ces temps de COVID, lorsque c'est le prêtre ou l'évêque qui fait le tour des assistants ou lorsque l'on va communier par travées entières il est difficile de rester à sa place. Pourquoi ne pas faire comme les autres ? Pourquoi, alors que l'on vient avec une bonne intention, se dispenser de la communion ?

Cette prière nous le dit: "Que la réception de votre corps, Seigneur Jésus Christ, que je prends tout indigne que j'en sois, ne provoque contre moi ni jugement ni condamnation mais que par votre miséricorde, cela me profite pour la vie éternelle". 

Certaines communions peuvent être inopportunes parce que à ce moment, l'on n'est pas en état de recevoir le Fils de Dieu dans sa maison intérieure, soit que l'on ait été distrait durant toute la sainte messe, sans se donner la peine de suivre la liturgie, soit que l'on ait commis un péché grave, non pardonné. Saint Paul le premier, dans sa Première Epître aux Corinthiens, nous invite à un examen de conscience, avant la communion. "Que chacun s'examine et qu'alors il mange de ce pain et boive à ce calice. car celui qui mange et boit, mange et boit sa propre condamnation s'il ne discerne pas le corps du Seigneur" (I Co. 11).

Ces paroles ont fait couler beaucoup d'encre. Dans son Traité de la fréquente communion (1643), le janséniste Antoine Arnauld entendait rendre obligatoire une pénitence pour le péché commis avant que le pécheur ne reçoive l'absolution sacramentelle et ne puisse de nouveau communier.  On distinguait ainsi dans la confession l'acte d'accusation du pénitent et l'absolution donnée par le prêtre après que la pénitence ait été dûment effectuée. C'était la méthode spirituelle de Jean Duvergier de Heaurane, abbé de Saint-Cyran. Une méthode en vaut une autre, ce genre de démarche virile a pu fixer les pénitents dans le bien en leur permettant de renoncer aux habitudes de péché ; cette façon d'insister sur la gravité du péché commis évitait que l'on ne considère le sacrement de pénitence comme un distributeur automatique de pardon. Mais rendue obligatoire par le génie systématique d'Antoine Arnauld, qui n'avait pas hésité, dans son ouvrage, à appeler tous les Pères de l'Eglise à sa rescousse, elle tendait à faire de la communion non pas un remède à notre faiblesse, mais une récompense donnée uniquement à certains, ceux qui l'avaient mérité. On tombait ainsi dans une forme de rigorisme, une sorte de pélagianisme sacramentel, paradoxal pour ceux qui se revendiqueront tant du grand adversaire de Pélage que fut saint Augustin.

Il ne faut pas dramatiser la communion sacramentelle, le Christ a institué ce sacrement pour nous aider, pas pour ajouter un obstacle au parcours du combattant de la foi chrétienne. Simplement, on doit, je crois dire deux choses : 

Premièrement : cela ne sert à rien d'avaliser une assistance à la messe baclée par une communion distraite. Lorsque l'on a du mal à atteindre son niveau spirituel ordinaire, pourquoi ne pas pratiquer un jeûne de l'eucharistie, en demandant au Seigneur qu'il dispose nos coeurs pour le recevoir dignement, la prochaine fois ? Nous reviendrons sur la communion spirituelle, mais ce peut être une grande aide, lorsqu'elle ne nous est pas imposée par les diktats de l'administration ecclésiastique, qui sur ce point a montré récemment qu'elle valait bien l'administration civile, lorsque par exemple de sa propre initiative, elle contraint ses fidèles à communier dans la main.

Deuxièmement : lorsque l'on s'estime coupable d'un péché grave, mieux vaut trouver un prêtre et se confesser avant de communier. Ne craignez pas de déranger le prêtres qui fait des salamalecs à ses paroissiens en lui demandant une confession. C'est son devoir le plus strict de prendre le temps de vous entendre dans le sacrement de pénitence. 

Il ne faut pas non plus tomber dans le scrupule. La communion est elle-même un remède aux péchés qu'elle efface en faisant rayonner la divine présence dans nos coeurs. L'Eglise néanmoins, par précaution, oblige à la confession pour les péchés graves, avant de pouvoir communier de nouveau. Cette démarche d'humilité nous rapproche du Christ, tant il est vrai que l'on ne peut s'approcher de lui qu'à pas d'humilité et que l'orgueil de celui qui revendiquerait hautement son état de grâce est avant tout pour lui le meilleur moyen d'en sortir.

Si l'on regarde bien, n'est-ce pas cette humilité face au Seigneur qui nous manque cruellement dans la réception du sacrement de l'eucharistie ? On en a perdu l'habitude, parce que l'humilité est une vertu antimoderne, comme je le disais en commençant cette méditation. Gardons nous de moderniser l'eucharistie en la vivant avec une mentalité d'ayant droit. Face au don total du Seigneur, nous n'avons aucun droit et nous sommes tous indignes. C'est l'humilité dans laquelle nous nous approchons de la Table sainte qui nous permet de participer au Banquet divin. Si sacrilège il y a dans la réception de l'eucharistie, il ne vient pas de notre indignité ; nous sommes tous indignes. Le sacrilège eucharistique passe formellement toujours par le manque de conscience de notre indignité.

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