jeudi 30 décembre 2021

Son fils unique

 Le personnage de Jésus est en lui-même un mystère, que l"on découvre à travers les noms qu'Il porte, le nom qu'il a reçu "avant qu'il fût conçu dans le sein de sa mère" pour ce qui est de son prénom, nom qu'il tient de sa fonction ambiguë au milieu du peuple juif, pour ce qui est de son titre messianique, nom qu'il se donne à lui-même à la surprise de tous, en se prétendant, dès l'âge de 12 ans, "aux affaires de son Père", après une mémorable fugue au Temple. Oui, face à "son Père", il est le Fils. Ainsi se termine ce que l'on appelle imprudemment les évangiles de l'Enfance ! 

On a l'impression que ses relations familiales ne sont rien pour lui. Sa relation avec son Père divin est tout : son être même. En comparaison "Qui sont ma mère et mes frères ? Ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent" (Mc, 3, 35). Pourtant la relation nouvelle qui est établie entre le Fils et son Père divin, dans le Royaume, ne remet pas en cause les relations familiales humaines. La Sainte famille reste la sainte Famille sur le chemin de l'Egypte ; Joseph dirige leur fuite en pleine nuit et permet à l'enfant d'échapper aux meurtriers. Marie est celle qui devine ou qui force les volontés de son fils 'à Cana (qui dira son intuition maternelle ?). C'est elle encore qui le suit jusqu'au pied de la croix. De façon plus générales, sans en rester à la Sainte famille, au sein de l'humanité, les relations familiales sont souvent ambiguës en elles-mêmes, allant jusqu'à réclamer parfois, dans la mythologie, le meurtre du père ou le meurtre du frère. Eh bien, avec leur imperfection, elles font désormais partie du Royaume et, surnaturalisées,  elles se surimposent aux relations purement terrestres, en leur donnant leur vraie valeur : une valeur qui n'est pas seulement terrestre. Il ne s'agit pas d'un accomplissement purement terrestre des vertus familiales. La divinisation, la surnaturalisation de la vie familiale, dans le sacrement de mariage et tout ce qui y touche de près ou de loin, confère  à la vie quotidienne quelle qu'elle soit, déchirée ou sereine, une valeur d'éternité. Cette relation du Père au Fils et du Fils au Père, loin de périmer la Création, lui donne une portée nouvelle. La Trinité, le Père et le Fils avec l'Esprit saint nous le verrons, est une famille. Cette famille divine illumine la famille humaine et la garde de tout égocentrisme et de toute médiocrité. Ou encore donne un sens à cet égocentrisme ou à cette médiocrité pour la délivrance des époux.

Il y a dans l'Evangile de Matthieu, un texte très curieux sur les rapports entre le Père et le Fils (11, 27) que l'on retrouve à peu de choses près dans saint Luc (10, 22). Je vais citer ce dernier texte largement. Il constitue la meilleure introduction au mystère de la paternité et de la filiation divine, dans l'unité du Saint Esprit :

"Ne mettez pas votre joie en ce que les esprit impurs vous sont soumis, mais réjouissez-vous plutôt de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux. En cette même heure, Jésus tressaillit de joie en un mouvement du Saint Esprit et dit ces paroles : Je vous rends gloire, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents et que vous les avez révélées aux petits. Oui, mon Père, cela est juste parce que vous l'avez ainsi voulu. Mon Père m'a mis toutes choses dans les mains ; et nul ne connaît qui est le Fils que le Père, ni qui est le Père que le Fils et celui auquel le Fils l'aura voulu révéler" (trad. Lemaistre de Sacy).

Je voulais insister d'abord sur cette éternité qui est l'atmosphère que Jésus respire dans des mouvements ineffables qui sont  ceux de l'Esprit saint, dans son coeur humain. Ni les sages ni les prudents ne parviennent à cette joie divine par leur seule sagesse et leur seule prudence. Et pourtant Dieu est là., une évidence tangible à tout moment pour l'humanité du Fils de Dieu, je veux dire pour le coeur humain de Jésus. Le Fils n'est jamais séparé du Père que par sa volonté expresse, quand il offre sa mort pour le salut du monde. Avec lui, tous les petits, ceux qui sont visés dans les neuf béatitudes, les pauvres en esprit, les doux, les miséricordieux, ceux là participent de la joie du Fils dans l'Esprit qui vient du Père et du Fils. Ce ne sont pas des intellectuels, ces enfants de Dieu, mais ils sont saisis par Dieu qui les reconnaît comme siens, de même que son Fils est sien.

"Nul ne connaît qui est le Fils que le Père, ni qui est le Père que le Fils et celui auquel le Fils l'aura voulu révéler". La connaissance que le Père a du Fils et la connaissance que le Fils a du Père sont profondément interdépendantes, elles se situent au même degré d'intimité, qui échappe au commun des mortels. La connaissance du Fils n'est pas plus aisée que la connaissance du Père. Elle est tout aussi divine. Elle suppose une révélation. On comprend que le Fils n'est pas seulement un messie, un envoyé, un ambassadeur du Père. Il est l'image parfaite du Père (Colossiens 1), la Pensée du Père, le logos du Père (Jean 1), l'empreinte de sa substance (Hébreux 1). Avec ces textes tirés des Evangiles synoptiques, on est très proche de la théologie johannique, par exemple le fameux : "Philippe cela fait si longtemps que tu es avec moi et tu ne sais pas que qui m'a vu a vu le Père ?" (Jean 14).

Notre Dieu est Père, il a un Fils unique, l'Unique engendré (unigenitus), toute sa fécondité est son fils, et il ne peut y avoir d'autre engendré du Père que le Fils, qui est Dieu, comme son Père est Dieu. Quant au Saint Esprit, Il n'est pas engendré du Père, sinon il serait l'unique engendré et donc le Fils. L'identité relationnelle du Saint Esprit est distincte de celle du Fils ; le Saint Esprit est issu du Père et du Fils. C'est cette relation d'origine (issu du Père et du Fils), relation naturellement distincte de celle du Fils (issu du Père), qui fait du Saint Esprit la troisième personne de la Sainte Trinité - et non un impossible deuxième Fils du Père.

mercredi 29 décembre 2021

Christ

Le nom Christ correspond à l'hébreu machiah qui signifie le messie, à la fois l'ambassadeur de Dieu auprès des hommes et le roi promis à Israël. Pour le philosophe juif Maïmonide, qui écrit quelque douze siècle après la naissance du Christ, et qui croit qu'il n'est pas encore advenu, "le roi Machiah se lèvera un jour pour rétablir la royauté de David en son état, comme lors de son institution, et il reconstruira le Temple, et il rassemblera les exilés d’Israël".

On le voit, pour les juifs l'appellation de "messie" est très politique. En ce sens, elle ne convient pas à la mission de Jésus. C'est pourtant ainsi que le voyaient ses propres apôtres après sa résurrection, juste avant son ascension. "Seigneur, est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël ?" (Ac. 1, 6). Un millénaire plus tard, Maïmonide utilise la même formule : "Le roi Massiah se lèvera un jour pour rétablir la royauté de David". Maïmonide ajoute au rétablissement de la Royauté, la reconstruction du Temple, détruit en 70.  Quant aux "exilés d'Israël", on parle déjà, dans un sens assez proche, dans saint Luc au chapitre 2, de ceux qui "attendent la consolation d'Israël" : ce sont les exilés de l'intérieur en quelque sorte. Le théologico-politique juif, ce nationalisme religieux, a défié les siècles. La venue du Messie Jésus n'a rien changé à cette mentalité messianique, la même dont il est question dans les Actes des apôtres, la même qui tombe sous la plume de Maïmonide.

Le grand historien protestant des origines chrétiennes, Oscar Cullmann,  note que, lorsque Jésus parle de lui-même, il n'emploie pas le nom de messie, mais l'expression "Fils de l'homme" parce que celle-ci n'est pas politique. Elle désigne cet homme assis à la droite de Dieu que prophétisa Daniel le Prophète (7, 14). Et Cullmann de préciser : "Le Christ n'a, il est vrai, jamais refusé le titre de messie, mais il a toujours montré une réserve catégorique quand on le désignait ainsi. Il ne voulait pas qu'on en parlât et dès qu'on l'appelait ainsi, il imposait le silence" (Dieu et César 1956, p. 29).

L'expressions fils de l'homme ne présente pas cet inconvénient de la politisation. Elle représente une messianité spirituelle. La voici développée par le prophète Daniel, à la suite du prophète Ezéchiel : "Je considérais ces choses dans une vision de la nuit et je vis comme le Fils de l'homme qui venait avec les nuées du ciel et qui s'avança jusqu'à l'Ancien des jours [c'est un nom de Dieu]. Ils le présentèrent devant lui et il lui donna la puissance, l'honneur et le Royaume et tous les peuples. Et toutes les tribus et tous les peuples le serviront" (Dan. 7, 13 sq). 

On peut faire deux remarque : le fils de l'homme n'est plus le terreux, le poussiéreux, Adam fait de la poussière du sol. Il est un être qui vient du ciel et - deuxième remarque - c'est de cette origine céleste qu'il reçoit toute gloire, et le royaume, et les peuples nations et tribus de la terre. Tout comme le messie, le fils de l'homme est roi, mais sa royauté ne s'étend pas seulement sur Israël. Parce qu'elle est du ciel, elle s'étend sur le monde, ce que les juifs ne peuvent simplement pas imaginer, alors que leur nationalisme de l'époque est déjà pour eux comme une religion terrestre.

Cette inadéquation entre la conscience spirituelle que le Christ a de lui-même et l'attente politique que représente le messie pour le peuple juif est à l'origine de bien des incompréhensions. Le malentendu culmine en ce jour des Rameaux où le peuple de Jérusalem acclame à Jérusalem celui qu'il croit être son libérateur politique, alors que Jésus, volontairement fait son entrée monté sur un âne. Mais pourquoi un âne ? Comme pour ridiculiser cette attente trop politique, trop nationaliste dont le Messie est l'objet. 

On comprend que le thème du messie judaïque n'ait pas de suite dans les livres chrétiens. On utilise, c'est vrai, de plus en plus le mot messie aujourd'hui, mais c'est à contre histoire. Normalement les chrétiens n'utilisent que l'équivalent grec "christos", que l'on traduit par "oint". Que signifie cette onction christique ? Que le Christ est "descendant de David en ligne directe par les hommes", comme en atteste la double généalogie du Messie chez Matthieu et chez Luc. Ce fils de David est le chef d'un peuple nouveau dans un règne qui n'a pas de fin, comme l'explique l'ange Gabriel à Marie dans la droite ligne du prophète Daniel (Lc 1, 30). 

Le Christ porte ce nom grec non traduit pour justifier que son messianisme n'est pas celui du peuple juif mais celui d'un nouveau germe d'espérance pour le monde entier.

Voilà ce que signifie christos : roi et oint. Non pas roi de rencontre. Non pas roi suite à je ne sais quel bras de fer. Non pas Roi dans un seul pays. Roi parce qu'il en a reçu le droit d'en haut, c'est ce que signifie l'onction que le Christ porte dans son nom même.  Non pas roi d'un seul peuple, le peuple juif, mais roi de tous les peuples, parce que c'est l'humanité nouvelle que dirige le nouvel Adam, celui qui ne s'appelle pas pour rien le fils de l'homme puisque son ministère concerne toute l'humanité.

dimanche 19 décembre 2021

Je crois en Jésus

 Jésus est le nom que lui a donné son père Joseph, comme il est écrit dans la Loi de Moïse. par sa mère aussi en saint Luc, "tu lui donneras le nom de Jésus" ) et d'abord par l'ange Gabriel, aggelos, l'envoyé. Jésus est donc le nom donné par Dieu à cet enfant "avant même qu'il fût conçu dans le sein de sa mère". "Christ" est un nom humain, le nom du Messie, qui signifie "oint". Jésus est un nom divin, au sens où c'est un prénom donné par Dieu et au sens où, de façon absolument unique, ce prénom, nous le verrons, signifie le Dieu qui le donne.

Apparemment pourtant c'est un prénom fréquent, qui correspond à Josué, le successeur de Moïse, celui qui fit entrer les Hébreux dans la Terre promise, celui qui pour cela est appelé "Dieu sauve". Yehoshua. En 134 de l'ère chrétienne,  un certain Yehoshua Ben Korba, le fils de l'étoile porte aussi ce prénom. Il se fait appeler le Messie et tente de lever le drapeau de la révolte contre l'occupant romain. Les Josué sont des soldats, des combattants ils sont bénis par Dieu comme l'a été Josué, le successeur de Moïse ; ou bien ils s'imaginent l'être comme Ben Korba, le fils de l'Etoile, lui aussi crucifié par les Romains. Mais parce que son royaume était de ce monde, on n'en entendit plus parler de lui après sa défaite.

Jésus, lui, n'est pas un combattant : "Celui qui vit par l'épée périra par l'épée". Il n'a que faire de ces guerres intestines qui traversent l'humanité blessée. Son nom est Salut, Yeshua et non Yehoshua, comme le remarque Jacqueline Genot Bismuth. Je vous le disais : un nom divin, car seul Dieu peut sans mentir se dire le salut de l'homme. C'est notre statut ontologique qui nous conduit à la mort. Seul le statut théologique de cet homme nommé salut peut nous procurer une alternative réelle au royaume des morts. 

Comme me disait un paroissien en parlant du salut : il n'y a pas grand chose en magasin. Il ne peut pas y avoir grand chose en magasin. En soi l'humanité est déjà perdante ; elle est perdue. Le salut vient d'ailleurs, la vie éternelle ne relève pas de la biologie humaine, quoi qu'en pense M. Attali, qui nous propose, moyennant l'usage de quelques pièces détachées, de vivre 150 ans. La vraie vie est un cadeau merveilleux, le cadeau du Ressuscité, le cadeau de cet homme qui s'appelle Salut, de cet homme qui est Dieu comme notre salut ne peut être que divin. Le salut seulement humain consiste à jouer la montre : 150 ans au lieu de 80 : une paille. Le salut qui s'appelle Yeshua, s'appelle ainsi parce qu'il n'a pas besoin que Dieu sauve. Il est le salut. Il se communique aux hommes par la foi : je crois dans Jésus, le salut.

samedi 11 décembre 2021

Image de Dieu

 Que reste-t-il à l'homme après le péché originel ? Il reste l'image de Dieu. L'homme a été fait à l'image et à la ressemblance de Dieu (Gen. 1, 27). En quoi consiste-t-elle, cette image ? Il suffit de se demander qui est Dieu pour saisir ce que nous avons en commun. Mais non ! Il ne suffit pas de se le demander. C'est à lui, Dieu, de nous dire qui il est. Et c'est en quoi il faut écouter ce qu'il dit à Moïse en Exode 3, 14. Il faut revenir à cet épisode du Buisson ardent, ce buisson qui brûle sans se consumer devant Moïse ébahi, image d'une chaleur qui ne connaît pas l'entropie, qui ne s'épuise jamais et jamais ne diminue. Dieu dit à Moïse son nom. 

Mais ce nom, avec les aléas de l'histoire, depuis la destruction du Temple de Jérusalem en 70, on ne parvient plus à le lire avec certitude.Les voyelles inscrites au bas des consonnes, simples signes diacritiques, ont disparu. Ce nom sacré n'était prononcé qu'une fois par an dans la solitude du sanctuaire. On ne sait plus aujourd'hui ni comment le vocaliser ni ce qu'il signifiait. 

On nous propose deux traductions, l'une plus traditionnelle : Je suis celui qui suis, mais difficile à commenter, et l'autre plus contemporaine : Je suis qui je suis. Les deux formules ont un point commun à prendre en considération : Dieu dit JE. Et du coup on peut ajouter : L'homme, seule de toutes les créatures terrestres dit JE :Dieu est une personne et l'homme est une personne. Il y a dans ce simple constat une espérance formidable. La ressemblance entre l'homme et Dieu est réelle, elle constitue un appel à une solidarité réelle. "A peine le fis-tu moindre qu'un dieu" dit l'Ecriture en ce sens (Psaume 8).

On peut ensuite épiloguer philosophiquement sur chacune de ces deux "définitions" de Dieu. Dans la version la plus ancienne, Dieu est l'être qui s'affirme face au néant. Mais ce n'est pas assez dire ! il est le sujet absolu : Je suis celui qui suis. L' être est sujet. 

Dans la version qui a les faveurs des contemporains, Dieu se contente de dire : Je suis qui je suis. On pense à l'expression du philosophe Jean-Luc Marion : Dieu sans l'être. Mais peut-on penser "Dieu sans l'être" et ne pas déraper vers l'athéisme ? Le Christ, Fils de Dieu, utilise, lui, en saint Jean le nom de Dieu sous la forme grecque Ego eimi, Je suis. On est loin de Dieu sans l'être et de "Je suis qui je suis". En revanche on retrouve le même passage de l'Exode : Dieu déclare à Moïse ; Tu diras au peuple d'Israël que Je suis m'envoie vers vous (Ex. 3, 16).

Le Christ prend ce nom divin et se nomme lui-même dans plusieurs formules mystérieuses  : "Je suis". "Avant qu'Abraham fut, je suis". Ou encore : "Si vous ne croyez pas que je suis, vous périrez tous dans votre péché". Ou encore selon la traduction latine de saint Jérôme : "Je suis le principe,, moi qui te parle". Le Christ ne dit pas ; "Je suis Dieu", encore moins ; "Je suis un Dieu". Il n'utilise pas ce nom commun, Dieu,  pour exprimer sa divinité mais il emploie le nom propre de Dieu, Yahvé, traduit en grec Ego eimi. Edouard Delebecque, grand exégète et grand helléniste compte huit Ego eimi, huit fois : Je suis dans l'Evangile de Jean. Ainsi huit fois le Seigneur Jésus se présente comme Yahvé Dieu.

En comparaison, dans l'Evangile d'aujourd'hui (troisième dimanche de l'Avent), Jean Baptiste, se présentant aux Juifs au début de l'Evangile de Jean, ne dit pas ; "Je suis". Il n'emploie pas le verbe être à son propre sujet, il ne dit pas : "Je suis la voix", mais seulement "Moi la voix de celui qui crie dans le désert" Il se fait entendre comme la voix du Verbe, souligne Origène (vers 250). Il porte le Verbe car il a la voix qui porte. Mais il n'est pas le Verbe. Et il l'annonce sans même le connaître : "Au milieu de vous se tient quelqu'un que vous ne connaissez pas. Il est venu après moi mais il a été fait avant moi et je ne suis pas digne de délacer la courroie de sa sandale [comme fait l'esclave pour le maître]".

Cette humilité de Jean-Baptiste a de quoi nous faire réfléchir sur l'image de Dieu qui est en nous. Nous ne sommes véritablement cette image, nous ne sommes arrachés à la précarité, à la corruption et à la mort que par la foi en Jésus seule image du Père qui soit de même nature que lui. En nous l'image fugace devient homoiose [mot que nous traduisons, mal, par ressemblance, et qui dit plus] : nous ne nous identifions à l'être du Christ (cet être divin : ego eimi) que par la foi en lui. Sans la foi l'image de Dieu en nous se ternit et elle finit par se perdre. "Si vous ne croyez pas que Je suis, vous périrez tous" (Jean 8, 24).





est pas assez dire.

mardi 30 novembre 2021

Le péché d'Adam et d'Eve

 Nous avons étudié le péché originel en tant qu'il s'est transmis à toute l'humanité, en tant qu'il marque encore actuellement tous et chacun d'entre nous. Reste à se demander  comment comprendre dans ce récit imagé le péché d'Adam et d'Eve. Quel est-il ?

On a voulu y voir un péché sexuel, tant la tentation est grande, pour certains, de réduire tout péché à la sexualité. Nous avons vu dans le post précédent qu'après le péché, Adam et Eve perdent le don de justice originel, ce prodigieux équilibre dont Dieu leur avait fait cadeau et qui disparaît avec la méfiance qu'ils manifestent envers Lui, Eve préférant, nous allons le voir, le discours du Serpent à l'avertissement divin. Dans le récit, la pudeur (le fait qu'ils tentent de se vêtir de feuilles de figuier) est une conséquence du péché et de la perte du don de justice originelle, elle n'a rien à voir avec le premier péché tel qu'il est commis, les théologiens s'entendent tous sur ce point.

Beaucoup de scolastique - dont Cajétan avec lequel cette fois je serais en désaccord - ont estimé que l'arbre de la connaissance du bien et du mal était une simple image, l'image de la désobéissance à Dieu. Adam et Eve pouvaient tout faire dans le Jardin, sauf désobéir à Dieu et l'image de la désobéissance est ce fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Personnellement je ne vois pas le Dieu infiniment bon tester ainsi l'obéissance de ses serviteur, sans qu'il y ait quelque chose de grave derrière cette interdiction. J'avoue que j'ai beaucoup cherché sans trouver. Qu'y avait-il de mal à manger du fruit de cet arbre de la connaissance du bien et du mal ?

Léon Chestov (dans La nuit de Gethsémani, essai sur la philosophie de Pascal) propose une thèse qui est séduisante. Il s'agit simplement de prendre au sérieux le nom de l'arbre, "arbre de la connaissance du bien et du mal". Comme l'arbre de vie désigne le choix par grâce de la vie éternelle, de même l'arbre de la connaissance du bien et du mal propose de mêler la Raison avec une majuscule à l'intuition morale. Je ne parle pas de la méditation morale, qui est nécessaire et nous occupe forcément tous et chacun, pour peu que nous soyons préoccupés de notre dignité personnelle. Je parle de la raison calculante, celle qui compte pour savoir où est le mal et où est le bien, quitte à faire du bien un objectif que l'on ne peut atteindre que par ce calcul rationnel, qui élimine les risques, calcule les chances et supprime ainsi méthodiquement tout élément de foi, refusant tout pari à cause des risques que cela suppose (voir le moderne principe de précaution, qui cherche à éliminer tout risque, à rapprocher du principe impossible Zéro Covid). 

Nous n'arrivons pas au bien par un calcul mais par un acte de foi. Et la foi, au plus intime d'elle-même, c'est le risque : Kalos ho kindunos, c'est un beau risque déclare Socrate dans le Phédon, en expliquant qu'il croit en l'immortalité de l'âme, après avoir refusé la proposition d'évasion que ses disciples lui proposaient. Il ne veut pas désobéir aux lois de la Cité (c'est-à-dire faire le mal) et il croit que ce choix du bien qu'il fait en acceptant de boire la cigüe recevra sa récompense de l'autre côté du voile.

Cette perspective n'est pas seulement chrétienne, elle est grecque, elle est antique, elle est païenne, elle est humaine. Voici ce que dit Socrate à propos de l'enseignement de la morale et donc de sa rationalité, dans le Ménon : "Etranger, voici que je passe à tes yeux pour un homme favorisé du Ciel : tu crois que je sais si l'on peut enseigner la vertu, ou par quels moyens elle s'acquiert. Pour moi, bien loin de savoir si elle s'enseigne ou si elle ne s'enseigne pas, je m'ai même pas la moindre idée de ce que peut être la vertu". Ce n'est pas le discours constant de Socrate qui dit dans la République que la vertu s'enseigne (et cela crée le premier projet communiste totalitaire dans l'histoire de l'humanité). Mais c'est la thèse toute socratique d'Aristote au dernier chapitre de son Ethique à Nicomaque : la vertu ne s'enseigne pas, elle n'est pas rationnelle.

Pour agir bien, il ne suffit pas de calculer, il faut croire au bien et cette croyance est donnée. C'est justement ce que refuse Eve qui veut comprendre l'interdiction que pourtant elle ressent au fond d'elle-même, mais sans parvenir à l'objectiver : "Si vous mangez du fruit de l'arbre de la connaissance vous mourrez" avait dit Yahvé Dieu. - Pas du tout vous serez comme Dieu, connaissant le bien et le mal. C'est vous qui fixerez le bien et le mal grâce à la connaissance que vous allez en acquérir. Les arguments du Serpent ont tenté Eve : définir le bien et le mal par sa propre raison, qu'est-ce que cela peut être moderne ! Eve se laisse tenter, Adam ne se pose même pas le problème;; il se contente de manger, parce qu'Eve est trop convaincue de ce qu'elle fait et que quand elle est convaincue comme cela, il est impossible de la faire changer d'avis.

Ce rationalisme moral n'est pas seulement celui d'Eve. Lorsque l'on refuse de respecter l'humanité de l'embryon par exemple, on peut tirer de ce refus toutes sortes de raisonnements, rationnels par rapport à ce premier principe (l'embryon n'est pas un homme), mais qui sont criminels par les conséquences que l'on tire de ce principe faux, en poussant chaque année le bouchon un peu plus loin. C'est que l'on ne veut plus voir que le nouveau principe que l'on a adopté sans ciller va contre la piété élémentaire envers le prochain le plus faible, le petit d'homme comme dirait Kipling.

samedi 27 novembre 2021

Le péché originel

 "Je ne fais pas le bien que j'aime et je fais le mal que je déteste" disait saint Paul aux Romains (7), pointant par là comme un déséquilibre fondamental dans la nature humaine. 

"Le bien est ce que toutes choses désirent" disait de son côté, comme en contre-pied, Aristote : quel optimisme !

Mais il se trouve, pour donner raison à saint Paul, que le mal, c'est de suivre sa pente. Simplement. Et que cette facilité du mal, cette puissance du mal sur nos destinées, on aurait eu du... mal à dire que c'était couru d'avance. Comment un Dieu bon a-t-il pu créer un univers si fragile, si accessible au mal ? 

En même temps, il y a en chacun d'entre nous un désir du bien, "la loi écrite sur les tablettes de notre coeur" disait aussi saint Paul (Rom. 2, 15). On ne comprend rien à l'homme si l'on écarte cet attrait gratuit pour le bien, qui est aussi en lui.

En substance, le dilemme apparent entre intention de bien et réalisation du mal n'en est pas un : les deux branches du dilemme sont vrais dans l'homme : il est capable de choisir le bien en allant contre ses propres intérêts, parce que c'est profondément son désir. Il est capable par exemple de souffrir pour celle qu'il a décidé d'aimer. Et en même temps, il peut se rendre coupable, envers elle, de tous les laisser aller, des infidélités les plus crasses : le mal est tellement facile pour lui. 

C'est dans ces termes que se pose la question du péché originel, c'est cette contradiction au sein de la nature que ce concept entend décrire. Pascal a très bien dit que c'était la question la plus difficile du monde et en même temps la plus essentielle d'une certaine façon, celle qui porte  sur la réalité de notre condition.  Voici, sur ce sujet, un fragment célèbre des Pensées : "Le péché originel est folie devant les hommes, mais on le donne pour tel. Vous ne me devez donc pas reprocher le défaut de raison en cette doctrine, puisque je la donne pour être sans raison ; Mais cette folie est plus sage que toute la sagesse des hommes. Car sans cela que dira-t-on qu'est l'homme ? Tout son état dépend de ce point imperceptible. Et comment s'en fût-il aperçu par sa raison puisque c'est une chose contre sa raison, et que la raison, bien loin de l'inventer par ses voies, s'en détourne quand on la lui présente ?"

Point imperceptible ? dit Pascal, et il me semble en un double sens : le péché originel ne correspond à aucun savoir inné mais à une révélation divine. C'est dans les premiers chapitres de la Genèse (le troisième en particulier) que cette doctrine se découvre, et elle se découvre sous une forme symbolique. Il est clair qu'aucun témoin n'a assisté à cette scène qui est une recomposition imagée de ce que l'on pourrait appeler la scène primitive de l'humanité, celle que nous cache depuis toujours ce que les philosophes nomment le voile d'ignorance. La discussion entre Eve et le serpent est toute symbolique ; comme disait Cajétan au XVIème siècle dans son Commentaire de la Genèse : On n'a jamais vu un serpent parler. Attention : ce n'est pas parce que c'est symbolique que c'est enfantin. Il s'agit de rien moins que de l'origine du mal.

Aussi ce "point imperceptible" dans l'histoire que constitue le péché originel, "tout l'état de l'homme en dépend". Il est facile à chacun d'identifier la difficulté de sa condition, facile de saisir que des contradictions le traversent. La doctrine du péché originelle est l'unique explication que l'on puisse donner à cette contradiction, sans la supprimer, sans rationaliser la contradiction, sans se saisir d'une partie de la vérité parce que l'on a voulu oublier l'autre. Cet oubli volontaire de la contradiction où s'établit la nature humaine peut nous mener loin, jusque dans l'horreur...

On peut admettre par exemple que la nature est bonne et prendre totalement au sérieux la formule de Montaigne : "Nature est pour moi doux guide". A force de suivre ses impulsions, on en augmente la force. Ses désirs ne viennent-ils pas de la nature ? Alors tout est bon. C'est le marquis de Sade qui a poussé le plus loin le mépris pour la petite voix de sa conscience, en adoptant l'attitude perverse d'un désir en liberté comme "venant de la nature" et donc bon par hypothèse. Il est devenu ce grand seigneur méchant homme qui fait penser parfois à un Gilles de Rais (même si l'élite germanopratine trouve toujours très excitantes ses imaginations - voir l'exposition il y a quelques années au Musée d'Orsay).

Il faut bien distinguer - et l'anthropologie chrétienne nous y pousse - ce que Pascal appelle l'état de l'humanité et ce que nous avons ici nommé la nature. Il y a dans la nature humaine un pari formidable du Dieu créateur : sanctifier la matière. Diviniser l'être sensible et intelligent qu'est l'homme. Mais la nature humaine connaît différents états. Elle peut être laissée à elle-même, en état de sauvagerie pour revenir à la nature animal comme l'enfant sauvage. Elle peut prévenir la puissance de l'agressivité et les déchirements violents, lorsqu'elle se civilise, comme l'a bien indiqué René Girard. Alors apparaît une échelle de valeurs partagée, une morale, plus ou moins perfectionnée au fur et à mesure que l'animal humain prend conscience de lui-même au contact de son semblable. Dans la Genèse, Caïn, qui tue son frère Abel, fait appel à Dieu pour qu'il le protège de la vindicte des autres hommes indignés de son fratricide. Il a expérimenté plus que d'autre la violence qui est en lui. Est-ce pour cela que le texte sacré en fait "le premier constructeur de ville". La ville porte désormais les espoirs de la civilisation humaine. Elle protège l'homme du mal qui est en lui. 

Je citerai un poète grand connaisseur en humanité pour une première conclusion, car il voit dans le péché originel l'origine des dysfonctionnements de l'humanité : Charles Baudelaire écrivait dans Mon cœur mis à nu : "Théorie de la vrai civilisation. Elle n’est pas dans le gaz, ni dans la vapeur, ni dans les tables tournantes. Elle est dans la diminution des traces du péché originel". La constatation me semble encore valable aujourd'hui.

Mais avant qu'on en soit arrivé si loin dans l'histoire humaine, revenons à l'origine, revenons à la scène primitive : Dieu avait d'abord voulu choisir un couple, qui n'avait en lui-même rien d'extraordinaire : Adam, c'est le poussiéreux car il est fait de la poussière du sol. Eve, c'est la vivante, car elle est la chance d'Adam, comme nous l'avons expliqué dans une méditation précédente, et aussi bien sûr, parce qu'elle est la mère de tous les vivants. Adam et Eve devait démontrer la liberté humaine, accepter sans aucune contrainte mais avec joie le don de Dieu, être capable de sortir d'eux-mêmes, pour cueillir le fruit de l'arbre de vie et obtenir ainsi le salut. Dieu leur avait fait un vrai paradis, un jardin (c'est le sens de paradeisson) agréable, en leur donnant quatre qualités qui n'étaient pas dans leur nature mais devaient les aider à équilibrer cette nature à la fois rationnelle et sensible, tenant de la poussière du sol et du souffle de Dieu, de ce Dieu qui mystérieusement les a créés tous deux à son image mais à partir du limon de la terre. 

Ces quatre dons divins, qui ne concernent qu'Adam et Eve, se déduisent de la lecture du chapitre 3 du livre de la Genèse. Il s'agit de l'immortalité (la mort n'est pas un problème tragique), de l'impassibilité (Adam et Eve ne souffraient pas de leur corps) de la science infuse (dans le récit Adam nomme les animaux) et de la justice originelle (le pouvoir de la raison sur les passions est un pouvoir despotique chez Adam et Eve. Aujourd'hui, après le péché originel, dit joliment la scolastique, notre pouvoir sur nos passions est un pouvoir seulement diplomatique et non plus despotique) .

Dans le texte sacré, le don de justice originelle se déduit du fait qu'alors qu'Adam et Eve étaient nus, ils ne rougissaient pas l'un de l'autre. La pudeur n'était pas encore une vertu ! Le drôle d'animal qu'était l'être humain connaissait tous les plaisirs de la vie mais il demeurait maître de lui-même, exerçant un pouvoir despotique sur ses passions.

Il y a deux écoles théologiques, concernant l'effet du péché originel, la vieille et la nouvelle. La vieille école va de Pierre Lombard à Guillaume d'Occam et de Gabriel Biel à Luther et plus encore à Calvin. Pour eux le péché originel détruit la nature. L'homme dès sa naissance est un animal dénaturé. Il n'y a pas de bonne nature.La nature laissée à elle-même est toujours mauvaise, au point conclut Calvin, le plus pessimiste de tous, que Dieu a créé les hommes pour les damner et éventuellement pour les sauver. Sa formule "Dieu nous damne" a horrifié les catholiques de l'époque.

Saint Thomas hésite à recevoir cette doctrine de Pierre Lombard. C'est un optimiste, il croit que la nature créée par Dieu, est faite pour le bien et il estime, selon la distinction que nous proposions tout à l'heure,, que c'est l'état de la nature qui est mauvais, non pas la nature en elle-même. Dieu a condamné le péché d'Adam et Eve (dont nous traiterons dans le prochain post) et il leur a retiré les quatre dons préternaturels que nous venons d'évoquer : immortalité, impassibilité, science infuse et justice originelle). Par la perte du don de justice originelle, l'homme et la femme perdent l'équilibre exceptionnel dans lequel Dieu les avait créés. La nature créée bonne par Dieu demeure, mais le drôle d'animal qu'est l'homme ne parvient plus à être maître de lui-même, sinon par un pouvoir diplomatique, relatif, pas absolu. 

Et voilà le péché originel dans ses conséquences : après le péché d'Adam, l'homme n'est pas devenu mauvais : mais il est sorti du plan divin au terme duquel il devenait participant de la nature divine. Il a donc perdu l'état de grâce dans lequel il avait été créé. Et par ailleurs, privé des quatre dons préternaturels, il devient fragile, accessible à toutes les tentations, tout en gardant le sens du bien dans lequel sa nature avait été créée. Voilà le champ dans lequel germent toutes les philosophies de l'absurde. L'expérience du paradis terrestre est terminée mais l'humanité n'est pas détruite. Elle garde une dernière chance, c'est ce que signifie, en Genèse 3, 15 les trois versets que l'on appelle protévangile. Le premier Evangile se lit juste après le péché d'Adam et Eve. Celle que l'on désigne dès le Livre de l'Apocalypse comme la nouvelle Eve (Apoc. 12) la Vierge Marie et celui que saint Paul reconnaît comme le nouvel Adam, Jésus Christ, (I Co. 15, 45) sont attendus. Cette attente (cette espérance) arrache l'humanité à l'absurde. Il y a une alternative à l'absurde d'une condition humaine qui reste comme découronnée. Cette alternative, c'est une nouvelle Eve et un nouvel Adam, un nouveau commencement pour une humanité qui aura retrouver le sens.

Mors per Evam ; vita per Mariam, la mort par Eve, la vie par Marie, dit saint Jérôme au IVème siècle, exprimant une sublime priorité de Marie en cette affaire du salut de l'homme, une priorité que Dieu reconnaît quand il dit au Serpent antique : Je mettrai une inimitié entre toi Serpent diabolique et la femme, une inimitié entre ta descendances de petits démons et sa descendance de saints et de héros. Marie porte haut le signe de la femme, qui est le premier signe du salut du monde. Cela a commencé à Nazareth, neuf mois avant la naissance de Jésus. Les tout premiers théologiens chrétiens - saint Irénée à la fin du IIème siècle - voient Marie ainsi : l'Eve nouvelle aux portes du Jardin.

vendredi 5 novembre 2021

Significations du récit de la création de la femme

"Homme et femme il les créa" dit la Genèse. On ne peut pas se poser validement la question :Qu'est-ce que l'homme ?, comme on le voit dans le psaume 8,  si l'on ne se pose en même temps la question : Qu'est-ce que la femme ? Pourquoi de telles différences entre les deux sexes ? Pourquoi une telle attirance ?  Et enfin pourquoi cela marche si difficilement ? Pourquoi l'amour est-il à, la fois et sans contradiction apparente, une évidence et un petit miracle ?

On connaît tous la remarque du livre de la Genèse selon lequel Eve est tirée de la côte d'Adam, alors qu'Adam est tiré de la poussière du sol. Ceci comme pour montrer qu'Eve est essentiellement humaine, qu'elle ne peut naître comme femme que dans une nature humanisée. C'est peut-être après tout ce qu'entendait Simone de Beauvoir pastichant le théologien Tertullien : "On ne naît pas femme, on le devient". Ce devenir-là, c'est en même temps l'humanisation de l'homme. Au fond, c'est la femme qui a rêvé la première à la civilisation, voilà pourquoi Eve est essentiellement humaine. J'aime bien dire que c'est la première femme qui a dit non à un homme qui a inventé la civilisation. Mais il faut ajouter contre les ultra-féministes : sans les femmes non seulement les hommes n'ont pas d'avenir, mais ce que l'on appelle la civilisation n'existe pas.

Maintenant me direz-vous, pourquoi Eve a-t-elle été créée de la côte d'Adam ? D'après les spécialistes de l'hébreu, dont je ne suis pas (Daniel Lys), on pourrait traduire : Eve a été créé non pas de la côte mais du côté d'Adam, comme pour indiquer qu'il manquera toujours à l'homme un côté qu'il ne trouve que dans la femme, et que la femme est unilatérale (c'est son charme) dans son origine même. Ce disant, on retrouverait dans la Bible le mythe platonicien de l'androgyne où l'homme et la femme ne font plus qu'une seul chair, un seul être (cf. Gen. 2, 23-24 et Matth. 19, Mc 10, 8)... 

Dans la Genèse, c'est Adam qui est le plus éloquent à propos d'Eve son épouse. Alors que Dieu le plonge dans une sorte de sommeil extatique, pour lui prendre une côte ou un côté, à partir duquel il allait créer Eve, il reprend conscience. Eve est là, rayonnante. Aussitôt, parce que l'amour commence toujours avec des mots, parce qu'aimer c'est d'abord parler, il en fait l'éloge, avec une éloquence qu'on ne lui connaissait pas jusque là et qu'on ne lui trouvera plus guère. Comme s'il n'avait pas su entretenir la flamme, il ne saura plus, après avoir eu ce beau morceau d'éloquence, qu'accuser sa compagne pour mieux se protéger de ce qu'il croit être la colère de Dieu après le premier péché. Adam n'est pas un héros, mais son premier regard sur sa femme était le bon : un véritable coup de foudre, qui autorise tous les autres jusqu'à la fin du monde. 

Tel fut en effet son discours, lorsque "le Seigneur lui amena Eve" : "Voici l'os de mes os et la chair de ma chair. Celle-ci s'appellera femme (icha) parce qu'elle a été tirée d'un homme (ich). C'est pour elle que l'homme quittera son père et sa mère. Il s'attachera à sa femme et tous deux ne feront qu'une seule chair" (Gen. 2, 23-24). Le Christ, citant ce passage, ajoute : "Donc ils ne sont plus deux mais une seule chair. Que l'homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni" (Matth. 19).

Ainsi le lien amoureux devient le lien matrimonial. Cela certes ne va pas de soi mais l'échange de leur consentement dans un rituel social et sacré devient le point fixe qui permet aux couples de soulever le monde, comme disait Archimède, de faire mentir le temps en lui arrachant des poussières d'éternité, et de pro-créer, prenant la place de Dieu, des petits humains auxquels ils auront donné une véritable éducation, une civilisation..

jeudi 28 octobre 2021

Créateur de l'homme et de la femme

Nous nous servons dans cette méditation comme dans la suivante, du récit de la Genèse, qui est à la fois très précis et purement symbolique : comme le notait mon cher Cajétan au début du XVIème siècle, on n'a jamais entendu un serpent parler. Ces deux chapitres offrent sous forme figurative un extraordinaire traité d'anthropologie, dont tout le monde vit aujourd'hui en Occident, au point que ce texte d'apparence naïve est tout bonnement irremplaçable pour répondre à la fameuse question du Psaume 8, où l'on demande à Dieu : "Qu'est-ce que l'homme pour que Tu lui prêtes attention ?".

Dieu a tout créé en donnant ses lois à l'univers. Mais il a créé l'homme de manière particulière. "Singulariter fecit eum" dit le Psaume. Il les a créés individuellement. Chaque être humain est l'objet de l'amour et de la sollicitude de Dieu. Le Livre de la Genèse nous explique que Dieu a fait les animaux selon leur espèce. Mais l'homme est fait non seulement selon son espèce  (la nature humaine comme disent les philosophes) mais de manière personnelle dans une confrontation entre Dieu et chaque visage humain, chaque personne. En grec le mot personne est aussi le terme qui désigne le visage humain (to prosopon). Dieu est un père qui connaît chacun de ses enfants.  C'est lui qui nous a fait ce que nous sommes, avec amour. Et c'est la grande raison pour laquelle il nous faut nous aimer nous-même : Dieu nous a  aimé le premier, il a aimé chacun jusqu'à le faire être. C'est en nous aimant nous-même comme Dieu nous a aimé, que nous apprenons l'amour des autres et l'amour de Dieu. 

C'est avant tout pour cela que le récit biblique ne nous montre pas Dieu créant l'espèce humaine, mais Dieu créant Adam ("le terreux") et Eve ("la vivante"), en ayant sur chacun un dessein qui correspond à son nom.

Adam a pour rôle de faire entrer la matière dont il est constitué dans l'esprit auquel il participe. Il est créé à partir du limon de la terre, plus précisément encore non pas de l'argile (comme le dieu potier des Sumériens) mais de la poussière du sol. Expérience métaphysique la plus folle  ! Comment Dieu va-t-il conduire la matière ou la poussière au-delà d'elle-même jusqu'à lui offrir de partager son éternité ? Comment une telle métamorphose est-elle possible ? Dieu a mis dans l'homme son souffle (Gen. 2, 7), qui doit le faire aspirer à vivre... Et pourtant, dans le récit de la Genèse, Adam ne manifeste pas cet instinct vital qui devrait le faire sortir de lui-même. Il vit comme un supporter du PSG, avec sa télé et sa canette de bière, sans se préoccuper d'autre chose que de son confort dans le Jardin d'Eden, qui offrait à cet égard de bonnes prestations d'accueil, genre hôtel cinq étoiles... 

Adam consomme dans le Jardin, mais il ne voit pas plus loin que le bout de son nez, il ne ressent pas combien toutes choses semblent promises au néant, et donc forcément, il ne pense pas d'avantage à l'arbre de vie, il n'a absolument aucune préoccupation spirituelle. Alors Yahvé Dieu, qui est plein de sollicitude à son égard pense lui donner une deuxième chance : Eve, c'est la vivante. Elle se rendra à l'arbre de vie. C'est elle qui permettra à l'humanité d'adhérer à ce vouloir-vivre éternel, que Dieu a mis en Adam en lui communiquant son souffle. Las ! Certes Eve est plus vivante qu'Adam, mais ce qui l'intéresse, c'est justement ce que Dieu défend, la seule chose qu'il interdise dans le Jardin : l'arbre de la connaissance du bien et du mal.

jeudi 21 octobre 2021

Créateur des anges

 "Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie" disait Pascal.Le monde pourtant n'est pas vide. Il n'y a pas que les hommes, on y découvre à bien y réfléchir, avec l'Intelligence divine omniprésente, la multitude innombrables des anges, ces êtres spirituels créés, ces êtres intelligents et libres. Les anges sont les premiers extra-terrestres. Dans la Bible, ils servent de messagers (angeloi) entre Dieu et les hommes. Autant nos contemporains ont parfois du mal à croire en Dieu, autant ils admettent facilement tout ce peuple hiérarchisé d'anges, qui dansent devant le Mystère de l'univers. Pourquoi les anges sont-ils tellement en faveur aujourd'hui ? Parce que tout un chacun refuse le silence de l'univers, silence effrayant et que spontanément on conçoit l'espace comme peuplé d'esprits. Peuplé d'anges.  

Encore faut-il ajouter, que les anges, esprits libres, ont eu à sa déterminer entre le bien et le mal. Le Bien ? Dieu et l'ordre qu'Il a créé. Le mal ? Se mettre à la place de Dieu et vivre pour soi. Ce verset du prophète Isaïe est particulièrement évocateur de ce qui a pu se passer dans l'esprit des anges mauvais : « J'escaladerai les cieux ; au-dessus des étoiles j'érigerai mon trône ; je serai semblable au Très Haut » (Is 14,13). Que ce soit le péché de l'ange ou le péché de l'homme, il consiste toujours à refuser la loi de Dieu et à se mettre à sa place. La loi de Dieu est-elle composée d'oukases autoritaires fulminés sans motifs ? Non ! La loi c'est ce qui tourne les hommes vers Dieu. Elle est aimée par ceux qui cherchent Dieu : Lex Domini immaculata convertens animas. Pour le psalmiste, qui ne connaissait pas encore les critères d'adaptation au monde discutés à Vatican II ou qui n'avait pas lu le rapport Sauvé, c'est parce que la loi du Seigneur est sans tâche qu'elle attire les âmes... Et de même elle attire les anges qui ont fait le choix du bien. 

Le choix des anges nous permet de lire en grosses lettres  le choix des hommes, qui eux aussi doivent se déterminer selon leur vouloir foncier. Il y a une véritable fraternité dans le service de Dieu entre les anges et nous, comme le marque l'Apocalypse ; "Alors, dit Jean, je me prosternai aux pieds de l'ange pour l'adorer, mais lui me dit :  Non attention, je suis un serviteur comme toi et comme tes frères qui possèdent le témoignage de Jésus, c'est Dieu que tu dois adorer" (Apoc. 19, 10)

L'archange saint Michel est emblématique de ce choix  de Dieu. Il est le protecteur d'Israël, le chevalier d'un peuple persécuté : "En ce temps-là écrit le prophète Daniel, se lèvera Michel, le grand prince qui se tient auprès des enfants de son peuple. Ce sera un temps d'angoisse tel qu'il n'y en a pas eu depuis que la nation existe; En ce temps là ton peuple échappera, tous ceux qui sont inscrit dans le livre [échapperont] (Daniel 12, 1-2). L'ange Michel est ici au service du peuple d'Israël, comme il sera au service de l'humanité  tout entière dans le livre de l'Apocalypse (12, 7 sq.), au terme d'une bataille qu'il mènera pour le bien commun des anges et des hommes, contre "l'antique serpent", l'ange déchu, le diable (cf. Gen. 3, 15). Son nom renvoie à sa mission : Mikaël, qui comme Dieu ? Contre les anges déchus qui se sont pris pour Dieu, l'archange Mikaël nous rappelle que c'est folie de se comparer à Dieu, que cette prétention et cet orgueil métaphysiquement ridicules comportent en eux mêmes   le châtiment qu'ils appellent par leur provocation - tout simplement le rétablissement de la vérité.                                                                                                                                                            

lundi 18 octobre 2021

Créateur du Ciel et de la terre

C'est pour suivre l'ordre du Credo, que j'ai envisagé, dans la précédente méditation, la présence surcréatrice de Dieu, sa Toute puissance surnaturelle, avant sa puissance créatrice. Que veut-on signifier quand on dit que Dieu est "créateur du Ciel et de la terre" ? 

La meilleure explication se trouve dans la Bible, au IIème livre des Macchabées, chapitre 7 verset 20. Elle provient de la mère des sept Macchabées, qui, dans sa langue maternelle "pour ne pas être comprise" du tyran grec Seleucos, donne à ses enfants une ultime leçon de catéchisme, qui nous renseigne sur les mots utilisés dans la population à cette époque pour transmettre la foi juive : "Je t'en conjure mon enfant, dit-elle en s'adressant à son fils aîné, regarde le ciel et la terre et vois tout ce qui est en eux, et sache que tout a été fait à partir de rien et que la race des hommes a la même origine". "A partir de rien". Ex nihilo. La formule est précise, technique. Elle semble contredire le verset 3 du chapitre 1 de la Genèse,  qui décrit, avant l'intervention divine "une terre informe et vide" tohu va bohu, une "nature" éternelle. Mais c'est le livre des Macchabées qui sera repris dans la tradition chrétienne. L'idée chrétienne de création a longuement mûri au préalable dans la tradition juive, dont les chrétiens recueillent le dernier état, le plus récent puisque le Livre des Macchabées remonte au IIème siècle avant Jésus-Christ.. La théorie actuelle du Big-Bang permet de comprendre que le monde n'a pas été "toujours là" mais qu'il avait un commencement, qu'il est à partir de rien.

L'expression "créer à partir de rien", qui renvoie à un néant originel,  possède quelque chose de vertigineux. Elle met le néant au coeur de l'être créé. Elle fait de l'être créé "une fumée qui se dissipe" selon le sens du mot "vanité" utilisé par l'Ecclésiaste dans le livre éponyme (appelé aussi en Hébreu le livre de Qohélet). Elle installe l'homme dans un perpétuel danger d'anéantissement, dont Dieu seul, par sa toute puissance peut le sauver. La tradition chrétienne - saint Paul en tête qui voit l'univers en danger de pourriture (phtora) - retrouvera cette insécurité existentielle dont le Christ nous sauve et mettra cette expérience métaphysique du néant, à l'origine de la foi.

Créer à partir de rien, cela suppose chez le Créateur une puissance infinie, qui va du néant à l'être. De ce point de vue, si l'on prend le verbe "créer" au sens étroit de "faire à partir de rien" seul Dieu est capable de la puissance infinie, de la toute-puissance qu'il faut pour faire surgir quelque chose à partir de rien. Mais qu'est-ce que ce "rien" ? 

"L'idée de néant est un néant d'idée" disait Bergson avec justesse. La philosophie chrétienne ne parvient à distinguer la figure du néant au coeur de l'être qu'à partir de la distinction entre l'essence et l'existence. Créer, cela signifie pour Dieu donner l'existence à une idée qui en soi, comme pure essence dans la pensée divine, est éternelle. Créer signifie donc faire advenir quelque chose dans le temps à travers ce que saint Thomas d'Aquin nomme une "emanation de l'être tout entier" : matière et forme, corps et âme.

Les gnostiques de tous les temps refusent cette perspective  et distinguent le dieu bon d'où émane l'esprit et le dieu mauvais (ou le méchant dieu) inventeur de la matière. Les chrétiens se sont toujours démarqués des gnostiques. Ils considèrent qu'à l'origine, le monde matériel est bon, car créé par Dieu comme le monde spirituel. Tertullien par exemple (mort en 212) dans son  De resurrectione carnis s'exprime ainsi : "Tous les biens destinés à l'homme par Dieu sont dus non seulement à l'âme mais à la chair, sinon par une communauté d'origine entre la chair et l'esprit, du moins par le privilège du nom homme". C'est ainsi que Dieu créateur du corps et de l'âme est le sauveur non seulement de l'âme mais du corps, appelé à ressusciter avec l'âme. 

Le mépris de la chair en général de la sexualité en particulier, n'est pas issu d'un christianisme orthodoxe, croyant en la création, et de la matière et de l'esprit, mais d'un christianisme gnostique qui n'y croit pas . Cette hérésie gnostique, niant la bonté du monde, s'est propagée de manière souterraine jusqu'à nos jours chez des penseurs comme Fichte, qui méprisant la création, méprisent le corps créé par Dieu et restreignent l'homme à sa raison.

"Et Dieu vit que cela était bon".. C'est le leitmotiv du premier chapitre de la Genèse. La création en elle-même est belle et bonne. Nous verrons la prochaine fois ce que signifient le ciel et la terre, l'univers visible et invisible, les hommes et les anges.

samedi 16 octobre 2021

Tout-puissant

Le Tout-puissant dit-on; Cette toute-puissance est le propre de Dieu. Elle le désigne. Mais qu'entend-on par toute-puissance ? Deux choses précisément : la puissance créatrice, que nous étudierons dans la prochaine méditation ; et puis  la puissance surnaturelle ou sur-créatrice, qui comporte elle-même deux manifestations principales : d'une part, le don des miracles, ces actes qui dépassent la nature des choses, actes qui sont possibles parce que Dieu, nous le verrons, n'est pas tenu à la règle ou aux règles qu'il a directement instaurées. Il y a d'autre part et finalement le don de la grâce divine par lequel Dieu partage avec nous, qui ne sommes que des animaux plus ou moins raisonnables, son éternité. 

Disons d'abord que la toute-puissance de Dieu n'est pas seulement créatrice mais sur-créatrice : elle peut produire des miracles. On sait combien, à notre époque, l'idée même de miracle est disqualifiée et disqualifiante. Ernest Renan, dans la préface de la 13ème édition de sa fameuse Vie de Jésus dit : "Je ne crois pas au miracle pour la même raison que je ne crois pas aux hippocentaures et cette raison est qu'on n'en a jamais vu" Au moment où il écrivait cela, la Vierge Marie apparaissait à Lourdes où les miracles se multipliaient. Il aurait suffi qu'Ernest Renan prenne le tout nouveau chemin de fer pour se rendre à Lourdes. Un peu plus tard, le docteur Alexis Carrel, venu à Lourdes par le chemin de fer pour expertiser ce qu'il pensait être une illusion assista contre toute attente à un miracle en direct, ce qui fit de lui un défenseur des Apparitions, même s'il mettra dix ans à retrouver la foi.

L'opposition culturelle aux miracles ne vient pas de ce qu'il n'y en ait pas de constatable mais d'un préjugé scientiste et rationaliste universellement partagé au XIXème siècle. La physique est soumise à des lois invariables qui ne changent jamais, Les mouvements astraux par exemple, sauf comètes, sont calculables, ils ne changent jamais. Mais alors, comment est-il possible que le 13 août 1917 à Fatima, quelque 20 000 personnes ont pu témoigner de la danse du soleil dont la Vierge avait fait le miracle qui attesterait la vérité de ses propos ? Cette gigantesque illusion d'optique, qui touche croyants et incroyants, est-elle explicable sans que Dieu ne s'en soit mêlé d'une manière ou d'une autre ?

Il y a deux grands types de miracles : ceux qui présentent l'accélération d'un processus naturel. C'est à ce type de miracle qu'a assisté Alexis Carrel : une plaie a cicatrisé sous ses yeux. Et, plus grands, ceux qui semblent contredire les lois de la nature, comme ce malade qui voit sans nerf optique, miracle de Lourdes parfaitement documenté. Le miracle de Lanciano en Italie constitue un miracle eucharistique permanent. Au IXème siècle, l'hostie se transforme en chair de façon réelle. On a aujourd'hui analysé ce morceau de chair qui constitue une partie du muscle cardiaque. Chaque fois qu'il est analysé, ce morceau de chair appartient à un homme qui vient de mourir. C'est comme cela depuis le IXème siècle. Les savants du XXème siècle ont pu expérimenter et identifier ce miracle qui dure depuis plus de dix siècles. Mais pas l'expliquer. Ce miracle ne représente pas l'accélération d'un processus naturel mais la suspension sans que l'on sache combien de temps cela durera, de ce processus naturel de pourrissement qui touche toute chair. Dans le même ordre de suspension du processus biologique, il y a, nous l'avons dit déjà, cet aveugle qui, à Lourdes, s'est mis à voir sans nerf optique.

Si on remonte, de ces faits constatés, à leur explication éventuelle, il faut dire que le miracle, si rare soit-il (un seul suffirait) est possible si et seulement si l'on accepte que Dieu n'est pas uniquement la cause rationnelle de l'univers, qui ne peut pas agir autrement qu'il agit, selon une raison universelle implacable. Il est plutôt cause libre. Il crée par sa volonté, sans jamais avoir été obligé de créer ni les lois qu'il a posées ni les choses qu'il a pensées et sans qu'il  ait été obligé de donner l'être aux mille et une combinaisons possibles d'un esprit infini

C'est dans l'histoire humaine que l'on constate le mieux ce que j'aimerais appeler la fantaisie de ce monde créé par Dieu. "Le nez de Cléopâtre aurait été plus court, la face du monde en eût été changée" expliquait Pascal pour défendre la liberté de l'histoire humaine contre l'orgueilleuse nécessité rationnelle, seule prise en compte par son contemporain Spinoza. De ce dernier, on disait en guise d'oraison funèbre : "Il était vrai de toute éternité que Spinoza devait mourir à La Haye le 21 février 1677". Pour lui, le moindre événement empruntait au Principe toute sa nécessité. C'est ce culte de la nécessité qui permet au philosophe de se passer de Dieu : Dieu c'est la raison et la raison c'est tout.

Alors certes, le monde physique est infiniment moins libre que le monde moral, mais l'exception miraculeuse s'y trouve réalisée parfois, sous la forme du miracle clairement établi comme phénomène extra-ordinaire. Il nous appartient de voir comment cette exception, comment ce miracle est pensable. La métaphysique rationaliste qui voudrait que tout événement soit rationnellement explicable est aujourd'hui considérée comme insuffisante. Certes la Toute-puissance de Dieu ne saurait remettre en cause les principes élémentaires d'identité ou de non contradiction. Dieu lui-même ne saurait faire qu'une chose ne soit ce qu'elle est. Mais Dieu n'est pas l'esclave du monde qu'il a créé, nous le verrons dans la prochaine méditation sur l'idée de création.

La métaphysique chrétienne, comme l'avait bien perçu Descartes, est une métaphysique de la liberté. Mais à quoi servent ces considérations métaphysiques ? A comprendre la manière exceptionnelle dont Dieu agit avec nous pour note salut et comment il nous introduit dans le surnaturel, en lui finalement. Le salut éternel fait irruption dans nos vies comme un miracle, nous démontrant que l'homme ne se réduit pas à sa biologie, ni ne se limite aux aspirations contradictoires d'un animal raisonnable. Son désir n'est pas seulement l'obscur appétit charnel. Il ne le sait pas forcément, mais il naît sur la terre pour être divinisé dans le ciel. Par l'intervention inespérée du Christ, il peut échapper à son ignorance et au déterminisme de ses désirs qui ne sont que des besoins, pour découvrir, dans la lumière, un autre désir, le désir d'aimer, un nouvel élan, qui lui apparaît petit à petit comme celui qui le porte vers l'existence divine, en prenant son coeur tout entier. 

Le salut est une extraordinaire délocalisation qui commence sur la terre et se termine dans le ciel. Pascal encore l'avait bien compris : sur cette nouvelle création, il suffit de parier, et nous participerons de ce que l'on peut appeler après saint Paul la divine métamorphose, la métamorphose surnaturelle. La toute-puissance de Dieu lui fait envisager pour l'homme qu'il a créé à son image, une nouvelle création, dans laquelle par la foi nous devenons "participants de la nature divine" (II Pi. 1, 4). "L'homme passe infiniment l'homme" dit Pascal. Magnum miraculum est homo, l'homme est un grand miracle avait prononcé Pic de la Mirandole. Cette transformation de nos horizons de vie est le miracle moral capital, auquel nul n'échappe..
De la part du Père, ce miracle de la divinisation de l'homme est universel ; en intention, Dieu n'oublie jamais personne. Mais nous, nous sommes capables de négliger cette miraculeuse invitation, vrai fruit de la Toute-puissance aimante et libre de Dieu.

vendredi 15 octobre 2021

Paternité : un attribut sexiste ?

 Alors que les déconstructeurs s'en donnent à coeur joie et que le pouvoir administratif dans les pays développés tend à remplacer la mention du père et de la mère dans les notices d'état civil par "parent 1" et "parent 2", les chrétiens continuent à dire que Dieu est Père - et non "Parent 1" ou "Parent 2". Que signifie cette référence à une paternité humaine, lorsque l'on définit Dieu ? 

Pour bien comprendre cette question, il faut garder à l'esprit que la paternité et la maternité, si elles ont biologiquement la même importance, n'ont pas tout à fait le même sens. Il serait même criminel de vouloir faire l'économie de la paternité comme donnée sociale en imaginant que l'on peut considérer que la maternité doit seule être prise en compte et qu'une deuxième mère peut se substituer au père que l'on souhaite oublier en en faisant au mieux un géniteur anonyme. La récente loi sur la PMA sans père en privant les enfants d'une relation au père (soit-il, pour une raison ou une autre, père absent), leur inflige dès la naissance un dommage essentiel. Il faut se ressaisir de cette évidence qu'un père n'apporte pas la même chose qu'une mère, que le masculin n'est pas le féminin, que la loi n'est pas l'amour, et que la dualité des sexes, humainement, n'est pas surmontable, même si il y a dans chaque homme quelque chose de féminin et dans chaque femme une virilité cachée.

Si la dualité des sexes n'est pas humainement surmontable, elle l'est divinement. Dieu créateur de tout et donc aussi bien de la sexualité que de la sexuation elle-même, est à la fois masculin et féminin. D'après la psychanalyse, à laquelle il est arrivé d'être plus mal inspirée, cela peut signifier concrètement qu'il est en même temps la loi (masculine, qui suppose une distance avec ceux à qui elle s'applique) et l'amour (féminin, qui traduit l'immédiateté d'un attachement qui fait être). Dieu est à la fois le maître de sa création, le Seigneur de ses créatures : "Vous m'appelez maître et Seigneur et vous dites bien car je le suis" dit Jésus, affirmant sa divinité au cours du dernier repas qu'il prend avec ses apôtres (Jean 13). 

 En même temps, Dieu a pour ses créatures "des entrailles de miséricorde", comme une femme pour son enfant. "Comme des élus de Dieu, saints et bien aimés, revêtez vous des entrailles de miséricorde, de bonté, d'humilité, de douceur".  (Col. 3, 12). Ainsi parle saint Paul. Si on reprend la formule que l'ange Gabriel en son annonciation attribue à Marie, nous sommes les fruits de ces entrailles divines. Donner des entrailles de miséricorde à "notre Dieu", comme le fait Zacharie, le père de Jean-Baptiste, dans le Benedictus, (Lc 1, 78), c'est lui attribuer par métaphore des organes féminins. C'est dire que dans l'ouvre du salut, Dieu s'est fait plus mère que père.  "Si une mère était capable d'oublier ses enfants, moi je ne t'oublierai pas dit le Seigneur" (Isaïe 66 ). Hardiesse de la Bible que nos petits radotages modernes n'atteignent pas !




lundi 11 octobre 2021

Le Père

C'est le Christ qui nous le révèle ; Dieu - le Dieu unique - est Père, Fils et Saint Esprit. Mais cette révélation du Mystère de la Trinité s'affirme progressivement dans le Nouveau Testament. Au commencement est Celui que Jésus appelle son Père. Il nous apprend à le prier ainsi : "Notre Père qui êtes dans les cieux..." (Matth. 6, 9). Autour de cette prière du Notre Père interviennent plusieurs allusions au Père, avant que le Notre Père ne soit explicitement donné : "Ton Père qui est dans le secret te rendra ton aumône" (Matth. 6, 4). "Pour toi quand tu pries retire toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte et prie ton Père qui est dans le secret. Et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra". Juste avant de réciter cette prière, Jésus assure : "Votre Père sait ce qu'il vous faut Après que la prière du Notre Père ait été donnée on retrouve les mêmes allusions au Père : "Si vous remettez aux hommes leurs manquements, votre Père céleste vous remettra aussi" (6, 14). Jésus répète à propos du jeûne ce qu'il a dit de la prière ; "Ton Père qui voit dans le secret te le rendra" (6, 18).  Il est indiqué ensuite que "votre Père céleste nourrit les oiseaux du Ciel" 6, 26). "Il sait ce dont vous avez besoin" (6, 32). Dans l'Evangile selon saint Matthieu, la paternité de Dieu signifie avant tout l'intimité de sa relation avec le croyant, qui le trouve "dans sa chambre", dans le silence et le secret. 

Plusieurs néo-platoniciens, au Vème siècle, Proclus ou Damascius, se saisissent de cette image du Père charriée par la révélation chrétienne pour désigner l'Origine divine, l'Absolu divin. Ce n'est pas la perspective chrétienne. Si on en reste à l'Evangile, et au phyllum chrétien, ce n'est pas l'origine divine qui est notifiée à travers cette paternité de Dieu, mais plutôt l'amour prévenant dont il entoure celui qui se confie à lui. En christianisme l'origine est plurielle, parce qu'elle est amour, nous l'avons vu, parce que "Dieu est amour". Il n'y a donc pas de paternité divine sans filiation divine. Il n'y a ni paternité ni filiation en dehors de l'esprit d'amour qu'on appelle aussi Esprit saint. "La source est plurielle" comme le répète le Père Congar dans son livre Diversité et communion. La source est trois et un. Plurielle réellement et absolument une.

Ces trois personnes ne sont pas trois sujets  divins, trois dieux, comme pourrait le laisser imaginer le mot latin persona, "personne", qui désigne le masque des personnages de théâtre, les trois visages de Dieu (grec prosopon). Elles ne font qu'un. Dieu, unique, est infini. Il n'y a pas deux infinis, où alors l'un borde l'autre et le limite. En même temps, parce qu'il est amour, Dieu n'est pas il ne peut pas être seul.
Si les trois personnes divines ne sont pas trois sujets, il faut dire qu'elles sont trois relations, des relations que l'on nomme relations d'origine car les trois personnes ne se distingue entre elles que par leur relation d'origine : le Père n'a pas d'origine, on peut dire qu'il est l'origine, même si je l'ai dit plus haut le terme est impropre. Le Fils est engendré par le Père. Il est "l'Unique engendré". Le Père et le Fils "spirent" le Saint Esprit. Mais attention : à aucun moment il y aurait eu le Père sans le Fils, ou le Père et le Fils sans le Saint-Esprit. Tel est depuis l'origine, l'amour des trois personnes divines.


jeudi 7 octobre 2021

Dieu et moi, Dieu ou moi

Comment connaître Dieu ? 

Comme dit saint Jean dans son prologue (1, 19) : "Dieu personne ne l'a vu". Le livre de l'Exode porte ce mot définitif au chapitre 33 : "Voir Dieu, c'est mourir". Dieu est au-delà de notre compréhension ; "Si tu l'as compris, ce n'est pas Dieu" tranche saint Augustin. "Mes pensées ne sont pas vos pensées et mes voies ne sont pas vos voies"  (Is. 55, 8). Tous ceux qui se mettent en route doivent conserver soigneusement cette idée : notre raison n'oeuvre qu'à travers les quatre dimensions de l'espace et du temps. Notre coeur, ce coeur intelligent, ce coeur qui sent Dieu dépasse l'espace-temps et réfléchit à l'infini ; il médite sur ce qui ne peut pas ne pas être. Il suffit pour penser à Dieu de "rester une heure dans une chambre" comme dit Pascal.

L'infini seul permet au fini d'exister comme fini. Et cette permission, ce permis d'être donné au fini s'appelle l'amour de Dieu, ou encore, comme dit Thomas d'Aquin, la volonté de Dieu, qui crée les êtres finis par un choix dont les raisons lui appartiennent. De ce point de vue - l'amour - Dieu n'est pas seulement l'Infini que l'on ne peut pas manquer. Dieu est sujet, il est le Sujet universel, non seulement connaissance, non seulement idée comme le pensaient Platon ou Spinoza, mais sujet libre, sujet par excellence. Dieu n'est pas soumis à je ne sais quelle Nécessité transcendante, il est essentiellement liberté, même si cette liberté est aussi sage que libre.

C'est cette "subjectité" essentielle que Dieu exprime, lorsque sur le Mont Sinaï, il dit à Moïse : Je suis qui je suis. Sum qui sum. Ce qu'il importe de retenir c'est le Je du Je suis. Dieu dit Je. Dieu parle et il nous parle. Et c'est ainsi que l'on peut dire qu'il nous a créé "à son image et à sa ressemblance" (Genèse 1, 27 ) : Dieu dit JE. L'homme dit JE. Différence ? Dieu se suffit parfaitement à lui-même, il est à lui-même sa propre fin. L'homme rivalise avec Dieu quand il prétend s'autosuffire. Cette rivalité et cette prétention constituent le péché dans sa gravité particulière, qui endurcit le coeur de l'homme face à Dieu et l'empêche d'accéder à sa vocation propre qui est l'amour. La Bible  énonce de façon très étonnante cette possibilité d'une rivalité de l'homme avec Dieu. Elle nous invite, ce disant, à choisir Dieu pour notre bien, plutôt que nous-mêmes.

"Yahvé Dieu dit ; voici que l'homme est devenu comme l'un de nous pour connaitre le bien et le mal" (Gen. 3, 22). Ce verset décrit parfaitement le péché comme une rivalité avec Dieu. L'expression "connaître le bien et le mal" qui fait allusion à l'arbre de la connaissance du bien et du mal, planté dans le Jardin d'Eden et dont le fruit, nous le verrons tenta Eve, doit être prise au sens littéral : Dieu seul connaît le bien et le mal. Nous autres hommes n'avons pas un instinct du bien et du mal comme les animaux, qui savent spontanément ce qui est bon ou mauvais pour eux.. Nous ne savons pas non plus démontrer le bien dans une situation donnée. Notre "démonstration" est toujours un calcul. Et le bien que nous calculons, nous le calculons par rapport à nous-mêmes. C'est notre bien à nous, notre intérêt, notre avantage. Voilà de quelle connaissance du bien et du mal nous sommes capables. Nous réduisons le bien à une comptabilité toute personnelle, nous déformons le bien en en faisant mon bien, ton bien, son bien, Lorsque nous voulons connaître rationnellement le bien à faire, nous le réduisons à notre mesure.

C'est que le bien en lui-même, ce bien qui est Dieu comme nous l'avons vu, n'est pas un objet de connaissance démonstrative. Il n'est perceptible que par le coeur intelligent (III Rois, 3, 12). La morale ne se démontre pas, elle se vit. Son objet n'est pas seulement pour nous de "bien faire l'homme" (comme dit Aristote), mais de chercher Dieu, qui est notre destinée éternelle.

S'il est vrai, comme dit le théologien juif Leibovitz, que "Dieu est avant tout une valeur", alors en niant Dieu, je deviens cette valeur que je nie. Je prends mécaniquement la place de Dieu.

mercredi 6 octobre 2021

Croire

Si l'on récite le Je crois en Dieu, une chose frappe immédiatement ; le texte est entièrement commandé par un verbe utilisé  à la première personne du singulier ; Je crois. C'est toute la différence entre la loi et la foi. Une religion qui est pure religion de la loi, comme l'islam, ne passe pas par les sujets pris les uns après les autres. Nul n'est censé ignorer la loi.  La loi est une contrainte collective. Une contrainte religieuse collective, puisque le Coran est considéré comme quelque chose d'incréé, qui contient la parole même de Dieu. Remettre en cause la loi, vouloir l'adapter, c'est s'en prendre à la parole même de Dieu.

La foi, au contraire, correspond à une attitude foncièrement libre. Elle provient, en chacun, du moi le plus profond, en même temps que de la grâce de Dieu. C'est pour chacun "la première grâce" dit Saint-Cyran. Elle est constitutive du psychisme humain. Le prologue de saint Jean le déclare avec force ; "Le Verbe était la vraie lumière, qui  éclaire tout homme venant en ce monde". Tout homme quand ? Tout homme venant en ce monde : la foi a donc pour chacun et en chacun une dimension innée, autant qu'universel. Quand on y réfléchit, Descartes ne disait pas autre chose, expliquant que nous avions en nous l'idée de Dieu et que cette idée, infinie, ne pouvait pas venir de nous, qui sommes des êtres finis.

 Mais cette idée innée de Dieu est élémentaire. Elle demande à être précisée par la parole de Dieu, cet "évangile", cette bonne nouvelle qui retentit à nos oreille, si nous voulons l'entendre. "La foi dit saint Paul vient de ce que l'on entend" (Rom. 10, 17). Fides ex auditu. Lorsque l'on veut connaître Dieu, il importe de découvrir sa parole. La Bible ? Sans doute mais la Bible est une bibliothèque, qui comprend des livres différents. Il importe de commencer la Bible par la fin. La Genèse, le Lévitique, l'Exode, bref les premiers livres de la Bible, c'est beau, mais en soi, c'est difficile à comprendre si l'on ne compare pas ces paroles venues du fond des âges, au Nouveau Testament, qui retrace la geste et synthétise l'enseignement du Christ. 

Ces récits de l'Ancien Testament ne prennent décidément tout leur sens qu'au prisme du Nouveau. Et le Nouveau Testament commence par les quatre Evangiles : l'Evangile selon saint Matthieu, l'Evangile selon saint Marc, l'Evangile selon saint Luc et l'Evangile selon saint Jean. En réalité, vu de Dieu, il n'y a qu'un seul Evangile, que saint Jean dans l'Apocalypse appelle "l'Evangile éternel" (Apoc. 14, 6). Mais il y a quatre versions humaines de l'Evangile, adaptées aux différents types de lecteurs ou à leurs différents besoins. 

Tout ce qui est révélé par Dieu se trouve d'une manière ou d'une autre dans l'Ecriture, qui, elle même est synthétisée dans ce que saint Jean appelle l'Evangile éternel.

Comment formuler l'Evangile éternel ? Comment résumer la foi chrétienne ? C'est tout le plan de Dieu sur l'humanité. Comment l'exprimer ? Les Pères de l'Eglise employaient cette simple formule : "Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu.". Et l'on peut préciser : "Dieu s'est fait homme dans un amour et une condescendance infinie envers les hommes, pour qu'ils deviennent, eux, des "participants de la nature divine (II Pierrre 1, 4), et cela pourvu qu'ils acceptent d'avancer "à pas d'humilité". C'est le leitmotiv de l'Evangile : on avance vers Dieu uniquement par l'humilité, par la reconnaissance de notre propre petitesse. Le Je du Je crois en Dieu s'oublie lui-même dans la foi qui se déclare en lui; Cette foi va le mener en Dieu. Elle est agissante comme une sorte de second code génétique, celui de notre croissance surnaturelle. Cette croissance provient d'une grâce intérieure. Mais en même temps, les paroles des quatre Evangile nous donnent à voir quelles sont "les moeurs divines". Elles nous aident à nous centrer sur Dieu, à nous situer en Dieu, à imiter le Dieu fait homme. 

Voilà la foi : une bienheureuse obsession de Dieu, tel qu'il se donne à nous en même temps à l'intime de nous-même et en même temps par l'autorité extérieure de l'Eglise catholique, qui porte l'Ecriture jusqu'à nos yeux et jusqu'à nos coeurs.  Ce point est fondamental, je le dis d'abord en latin, avec saint Augustin : Ego vero Evangelio non crederem, nisi me catholicae Ecclesiae commoveret auctoritas ". Ce disant, en latin dans son texte, saint Augustin, se confiait sur sa conversion du manichéisme au catholicisme. "Moi je ne croirais pas à l'Evangile, si l'autorité de l'Eglise catholique ne m'y avait poussé". 

Il y a beaucoup de chose dans le premier mot que trouve saint Augustin pour louer l'autorité de l"Eglise : Ego. Les pronoms personnels ne sont pas forcément exprimé dans la langue latine. On pouvait donc se passer d'"Ego". Mais on ne s'en passe pas, car il a un sens intensitif très net, qui signifie quelque chose comme : "Même moi", ou "Moi aussi". J'ai passé ma vie à étudier l'enseignement de l'Evangile, semble nous dire saint Augustin, mais, même moi, j'ai eu besoin, j'ai eu recours à l'autorité de l'Eglise, pour me transmettre le sens des paroles du Seigneur.

Autorité : voilà un mot que les modernes exècre à proportion qu'ils se veulent plus absolument modernes. Or Dieu dépasse si pleinement l'homme, que l'on a besoin de son autorité pour aller jusqu'à lui. Ce n'est pas très difficile à comprendre. Le recours à Dieu pour aller à Dieu est nécessaire et donc il est positif. En latin, la racine aug- qui correspond à l'auctoritas est la même que la racine aug- qui correspond à l'augmentatio. Le verbe augere signifie d'abord augmenter. L'autorité, c'est l'exemple venu de l'extérieur, qui nous aide à progresser, qui nous augmente. Ainsi est l'autorité divine, bienfaisante mais lointaine. A son image doit être l'autorité de l'Eglise, plus proche, plus concrète : en nous transmettant scrupuleusement le contenu de l'Evangile, elle nous aide à ne rien perdre de la Parole de Dieu. 

Ajoutons que cette autorité de l'Eglise, constitutive de notre acte de foi aujourd'hui comme elle le fut pour Augustin en son temps, n'est pas une autorité qui porte sur autre chose que la parole de Dieu, telle qu'elle a été confiée à l'Eglise. L'autorité interprétative de l'Eglise porte sur ce qui lui a été transmis à l'origine, pour qu'elle puisse le transmettre avec exactitude à notre bel aujourd'hui. L'Eglise ne possède rigoureusement aucun pouvoir d'interprétation sur l'avenir, ni non plus sur le présent en tant que tel. Lorsqu'elle a voulu nous expliquer les signes des temps, elle s'est toujours trompé, que ce soit en essayant d'interpréter le millenium de l'Apocalypse, ou bien à l'époque de Joachim de Flore en plein Moyen âge, quand les franciscains prophétisaient un nouvel âge, celui du Saint Esprit ou encore que ce soit lors du récent concile du Vatican, où les évêques réunis se sont fait fort de nous expliquer l'optimisme des années 60, sans prendre garde que cet optimisme cachait un terrible pessimisme, celui de l'idéologisation du monde, de la déconstruction et de la fragilité de nos climats. Le chrétien n'attend pas de l'Eglise une interprétation idéologique, censé nous donner les clés de l'histoire.  Ce qu'elle possède ? Ce qui lui appartient ? Avant tout les clés du Royaume des cieux comme le dit Jésus lui-même, qui les lui a offertes (Matth. 16, 17). Ces clés du Royaume sont celles qui donnent la foi. C'est grâce à la parole bien transmise, que l'Eglise remplit son rôle, elle n'en a pas d'autre, que de donner la foi pour partager aux croyants la vie éternelle.

On peut aimer ce qu'il est convenu d'appeler depuis le pape Léon XIII, la doctrine sociale de l'Eglise, cette vision conservatrice de l'organicisme social, puisée dans le De regno de saint Thomas d'Aquin. On peut défendre la vision que l'Eglise a prétendu avoir des signes des temps et la pertinence de Vatican II dans les analyses politiques et sociales que requiert notre temps. On peut prétendre qu'il n'y a pas d'Eglise en dehors de cette manière de "danser ensemble" que l'on appelle la synodalité. Cela permet certes de ménager le grand corps malade. Mais cela ne relève pas de la foi, telle qu'elle nous est parvenue à travers la Tradition interprétant l'Ecriture. Tout cela, comme l'expliquait naguère le Père Chenu relève de l'idéologie, liée, comme dit le pape François (qui ne se prive pas d'en faire) à une sorte de cléricalisme. 

Je crois en Dieu... Voilà ce que l'Eglise nous transmet. Si nous prenons cette première affirmation du Credo mot à mot, nous constatons d'abord que la foi est une réalité personnelle. Nous venons de voir qu'il existe, depuis toujours, des résumés de la foi. Il importe que ces résumés résument correctement, c'est-à-dire de manière fidèle à la tradition, les paroles de la révélation chrétienne. "Le ciel et la terre passeront, mes Paroles ne passeront pas" dit Jésus (Matth. 24, 35). Et saint Paul renchérit s'il est possible : "Si moi même ou si un ange du ciel venait vous dire le contraire de ce que je vous ai dit, qu'il soit anathème" (Gal. 1, 8). La foi existe dans son objectivité. Nul, fût-il pape, ne peut rien y changer. 

En même temps, nous disons : Je crois en Dieu. Nous utilisons la première personne du singulier. Dans son intégrité, la foi est sous la responsabilité de chacun. Contrairement aux concepts de la raison, qui sont universels, la foi est toujours un élan personnel : c'est ma foi. J'en suis responsable, parce que c'est ma foi qui me vaut le salut. "Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé" (Mc 16, 16). Qu'est-ce que le salut ? Jésus l'affirme de manière parfaitement claire dans saint Jean : "Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais" (Jean 11, 26).

Mais il y a foi et foi. La vraie foi ne se contente pas de croire à, elle croit en. Je crois EN Dieu, ma foi me situe en Dieu. Il y a plusieurs significations au verbe croire : "Je crois QUE le temps sera beau demain matin : le verbe croire désigne ici une simple opinion. Je crois à l'homéopathie, je crois aux fantômes : cette fois on exprime une conviction, qui peut s'appuyer sur des indices positifs mais qui n'est pas issue d'une démonstration rationnelle. Je crois en Dieu : je me situe du point de vue de Dieu que je connais par sa parole. Je m'arrache à moi même et je me donne à lui. Je lui donne toute ma confiance. Je crois en lui, je parie ma vie sur lui.

mardi 5 octobre 2021

De quoi parle le catéchisme ?


Le Credo ou symbole des apôtres

Je crois en Dieu, le Père tout Puissant, créateur du ciel et de la terre

Et en Jésus Christ son Fils unique notre Seigneur,

Qui a été conçu du Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie,

A souffert sous Ponce Pilate,  a été crucifié, est mort, a été enseveli,

Le troisième jour est ressuscité des morts, est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout puissant, d'où il viendra juger les vivants et les morts.

Je crois dans le Saint Esprit, 

La Sainte Eglise catholique, la communion des saints, la rémission des péché, la résurrection de la chair, la vie éternelle

Amen




 J'entreprends de rédiger un  catéchisme pour adultes sur ce blog. Pourquoi une telle ambition ? Parce qu'il manque, sur le marché, un catéchisme qui soit vraiment pour adultes mais qui reste simple d'approche. Le Catéchisme de l'Eglise Catholique est parfait quand on cherche une référence. Mais il est trop long pour servir de livre d'étude.  Le résumé romain, qui en a été fait par la suite, reste à mon avis trop confus ; c'est un catéchisme qui ne commence pas avec la question du salut, pourtant absolument primordiale, mais qui aborde, sans préambule, la liturgie, ce qui ne me semble pas être le savoir le plus élémentaire. La liturgie, comme je l'ai expliqué dans mon dernier livre, nous entraîne dans une véritable initiation de tout l'être au Mystère du Christ. Elle suppose, antérieurement, une certaine connaissance de ce mystère, connaissance que l'on trouve justement dans le catéchisme. Raison pour laquelle les catéchumènes étaient invités à sortir, avant que ne commence l'action sacrée : ils ne possédaient pas encore cette connaissance élémentaire, que fournit le catéchisme.

Le catéchisme qui doit être clair, est avant tout le manuel qui, parlant non pas à tout l'être comme la liturgie, mais à l'intelligence avant tout, explique à l'impétrant comment  participer au plan de salut apporté par le Christ à l'humanité. Comment ? La réponse est simple et en trois temps : le catéchisme enseigne ce qu'il faut croire, ce qu'il faut faire et les moyens à notre disposition pour croire à la lumière et pour faire la vérité, moyens que l'on nomme les sacrements.

Prenons ces trois points l'un après l'autre : la foi d'abord, cette grande méconnue.

C'est par la foi, non par la raison, que l'on participe au mystère du Christ. Qu'est-ce que la foi ? Ni une philosophie, ni une idéologie, ni même une théologie, intellectuellement développée. La foi dit saint Paul aux Hébreux est "la substance de ce que l'on espère" (Hébr. 2, 1). 

Nous avons tous une espérance, ou alors on se flingue. 

Nous avons tous en nous l'idée que la vie est supérieure à la mort et qu'elle doit triompher. La question qui se pose est : où mettons-nous cette espérance ? En nous-même ? Dans notre courage physique ? Dans notre intelligence ? Dans notre volonté indéfectible de prendre la vie comme elle vient ? Tout cela peut nous induire à une forme d'espérance, mais nous savons tous que face à ces forces, face à ces raisons humaines d'espérer, dont nous sommes si fiers, la mort aura toujours le dernier mot. Faut-il se résigner à dire avec Heidegger que "l'homme est un être pour la mort " ? Notre vie serait une sorte de monstrueuse exception, une parenthèse vite refermée, un emballement sans lendemain de la logique biologique qui nous gouvernerait seule finalement, parce qu'elle ne serait jamais capable de résister indéfiniment à la mort ? Un tel pessimisme,  s'imposant à cette réalisation merveilleuse qu'est l'animal humain, en affirmant que le dernier mot, le concernant, appartient à la destruction, est difficile à croire.

Nous avons tous obscurément une autre espérance, une espérance qui n'est pas puisé en nous mais dont nous vivons : l'espérance que la science prolongera indéfiniment notre durée de vie. Ou bien l'espérance qu'au dernier moment, la vie l'emportera sur la mort d'une manière que Dieu connaît. Nous avons donc tous une forme de foi, la foi est universelle, comme l'espérance qu'elle nous représente. La foi n'est pas le monopole des chrétiens.

Ce qui fait de nous des chrétiens en devenir, c'est que nous pensons que seul le Christ peut nous sauver, c'est-à-dire faire triompher la vie en nous. Il est le seul dont on puisse dire ce qu'affirme l'évangéliste saint Jean dans le prologue de son Evangile : "En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes"(Jean, 1, 4). "Il est le premier né d''une multitude de frères" (Rom. 8, 29) dit saint Paul de son côté, le premier des ressuscités et donc celui en qui et par qui nous pourrons ressusciter à notre tour par la foi en lui.

Notre foi dans le Christ ne vient pas d'une démonstration rationnelle. Elle est la foi dans un Mystère, la résurrection, et elle est elle-même un mystère; quelque chose de caché à nos yeux, quelque chose que nous ne pouvons pas atteindre par un mouvement réflexe du type : "Je crois que je crois". Je crois ! Rien à voir avec "Je crois que". Rien à voir avec le brouillard des opinions. Je suis prêt au nom de ma foi à rendre compte de mon espérance. Maladroitement peut-être mais avec conviction. Les lambeaux de vérité que j'ai atteint, je suis prêt à les défendre comme si ma vie en dépendait. Parce que ma vie en dépend.

Ce qu'il faut croire? La foi est si précieuse dans son contenu qu'elle a immédiatement fait l'objet de résumés que l'on nomme aujourd'hui kerugmata, des proclamations. Le plus ancien de ces kérygmes nous est livré par saint Pierre, dans le discours qu'il tient juste après avoir reçu le Saint-Esprit, dans les Actes des apôtres. C'est la première fois que le chef des apôtres s'adresse aux hommes : 

« Hommes israélites, écoutez ces paroles : Jésus le Nazaréen homme approuvé de Dieu auprès de vous par les miracles, les prodiges et les signes que Dieu a faits par lui au milieu de vous, comme vous-mêmes vous le savez, ayant été livré par le conseil défini et par la préconnaissance de Dieu — ; lui, vous l'avez cloué à une croix et vous l'avez fait périr par la main d'hommes iniques, lequel Dieu a ressuscité, ayant délié les douleurs de la mort, puisqu'il n'était pas possible qu'il fût retenu par elle. (...) Ce Jésus, Dieu l'a ressuscité, ce dont nous, nous sommes tous témoins. (...) Repentez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ, en rémission des péchés ; et vous recevrez le don du Saint Esprit" (Actes 2, 22-24, 32, 38))

Paul à la fin de la première Epître aux Corinthiens, vingt ans après la passion et la résurrection du Christ, propose un résumé plus court, centré sur la résurrection :
    
« Or je vous fais savoir, frères, l'évangile que je vous ai annoncé, que vous avez aussi reçu, et dans lequel vous êtes, que le Christ est mort pour nos péchés, selon les écritures, et qu'il a été enseveli, et qu'il est ressuscité le troisième jour, selon les écritures ; et qu'il a été vu de Céphas [Pierre], puis des douze. Ensuite il a été vu de plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart sont demeurés en vie jusqu'à présent, mais quelques-uns aussi se sont endormis [dans la mort]. Ensuite il a été vu de Jacques, puis de tous les apôtres ; et, après tous, comme d'un avorton, il a été vu aussi de moi. »
Dès les tout premiers temps, les apôtres se sont attachés à résumer ce sa voir sur le Christ qu'est la foi chrétienne. Entre 324 et 385, face à l'hérésie d'Arius, qui niait la divinité du Christ, l''Eglise a officialisé avec solennité, le Credo dit de Nicée-Constantinople (324-385), du nom des deux conciles qui l'ont pris comme base. Ce Credo est celui que l'on récite durant la messe. Nous prendrons nous, ici, celui, légèrement plus court et vraisemblablement antérieur à l'hérésie arienne que l'on appelle le symbole des apôtres. 

On en trouve des traces dans l'Eglise primitives, par exemple dans la Lettre aux Tralliens d'Ignace d'Antioche. Un papyrus daté de 150 environ a été trouvé dans les sables d'Egypte, qui comporte l'essentiel du symbole des apôtres : "Je crois en Dieu, le Père tout puissant, et en son fils unique Notre Seigneur Jésus Christ et au Saint Esprit et en la résurrection de la chair et en la vie éternelle" (Deir Balyzeh papyrus).
 
Le symbole des apôtres présente une sorte de résumé de la foi chrétienne en douze articles, et nous le commenterons mot à mot. Son commentaire attentif forme la première partie du catéchisme. Dans ce livre, nous en resterons là.

Deuxième partie constitutive du Catéchisme : Ce qu'il faut faire, Dieu a donné dix commandements à Moïse, il ne revient pas sur sa loi. Il n'y a pas abrogation. Mais dans l'Evangile, le Christ donne deux commandements,  le second étant dit semblable au premier : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit". Et le second commandement : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même"(Matthieu22, 39). Comme dit saint Paul : "L'amour est l'accomplissement du précepte" (Romains 13, 10). Sans amour, même si on les observait matériellement, on ne peut pas accomplir les commandements de Dieu.

Troisième point : quels sont les moyens que Dieu met à notre disposition pour que nous rentrions dans son plan de salut. Ce sont les sept sacrements,, ces signes sensibles et efficaces qui nous donnent la grâce divine, à commencer par le baptême et c'est la prière, dont la plus officielle, la plus autorisée mais pas la plus facile, est celle que le Christ a apprise à ses apôtres (cf. Matth. 7) : le Notre Père. 

Nous reviendrons un jour sur ces deux derniers points, mais nous commençons tout de suite le commentaire du Credo.

samedi 2 octobre 2021

Pourquoi la messe doit-elle être dite en latin... en grec en slavon ou en araméen


La messe dite de saint Pie V n’est pas "la messe en latin", mais, dans sa version la plus pure, qui est la messe basse, elle est la messe du silence. Parce que seul le silence nous offre une vraie communication avec Dieu… Les mots sur Dieu ne peuvent être utilisés explique saint Thomas dans son Traité des noms divins que si, distinguant le signifiant du signifié, ils assignent au signifié une dimension infinie, qui ne va pas sans changer le sens du mot utilisé. Le mode de signifier qui est l’infini, modifie le signifié fini, au point que l’on peut utiliser les mêmes mots sans qu’ils renvoient aux mêmes concepts, sauf à ce que ces concepts soient des universaux, l’être, le vrai, le bien, qui sont en eux-mêmes des concepts analogues, parce qu'universels.                                                                                                                      Mais d’autres mots comme la colère, le pardon, le bonheur, ne sont pas traduisibles dans l’ordre divin. C’est ce décalage entre deux mondes, le monde humain et le monde divin  que signifient les langues sacrées : langues mortes, elles offrent des significations cachées, qu’il faut, chacun, chercher et adapter à leur objet divin, au plus intime de soi-même, à travers l’expérience que chacun en prend.

Double avantage : d’abord, la langue ne peut pas être adaptée tous les dix ans, à une manière humaine de voir l’objet divin, puisqu’elle ne fonctionne pratiquement plus et que les forts en thème qui savent la faire marcher, la plupart du temps sont incapables de restituer la poésie dont les ans l’ont chargée. Elle reste donc semblable à elle-même, sans évolution pour des générations de locuteurs,  auxquels elle garantie, dans sa formalité toujours identique à elle-même, la liberté de croire à la vérité de la parole donnée Par Dieu (et non à la vérité des commentaires produits par les hommes et vieillis aussitôt que rédigés).

Défendant les formes de la foi, cette langue sacrée fait que croire ne devient jamais une faiblesse. Il y a bien sûr le psittacisme, qui est comme chacun sait la maladie du perroquet : il est inévitable en matière de patenôtres, quelle que soit la langue dans laquelle ils s'expriment. Mais les langues sacrées, parce qu’elles sont des langues, constituent – c’est le deuxième avantage - une invitation a un savoir qui est plus haut que soi, ce que l’on appelle une initiation, en l’occurrence l’initiation chrétienne. Autant les langues sacrées préservent l’intégrité de la foi à travers le formalisme qu’elles lui imposent, c’est ce que nous avons appelé le premier avantage, autant elles sont ouvertes à une réassomption personnelle, méditative des textes qu’elles transcrivent, alors que les traductions sont toujours insuffisantes dans leur fausse transparence.

Certes les langues modernes occidentales, par imprégnation, possèdent une partie du lexique des langues mortes qu’elles sont censées exprimer. Mais une partie seulement et cette partie est souvent l’objet  de toutes sortes de déformation. L’exemple le plus simple, en matière de christianisme, est le mot amour. On traduit la divine agapé par amour. Mais l’amour signifie tellement de choses en français ! Et le terme agapé en grec est tellement restrictif. Ainsi, elle subsiste, la divine charité, bien distincte, à côté de l’éros et de la philia. Ce genre de mot clé ne peut pas sans  dommage être remis aux aléas d’un changement de lexique. Le  passage hasardeux  à une autre langue est nécessaire pour le catéchisme, mais non pour cette « glorification droite » qu’est la liturgie, chants des anges repris, le plus clairement possible par les hommes. Le plus clairement possible mais sans qu’ils comprennent toujours tout ce qu’ils proclament. Par la prière liturgique latine grecque ou araméenne, Dieu nous prend au mot sans que nous sachions forcément ce que nous disons. Que dit-on lorsque l’on proclame de Dieu qu’Il est tout puissant ? C’est lui qui donne toute sa signification à l’ortho-doxie, à la droite glorification que l’homme lui offre. Comment ? Par l’expérience silencieuse qu’il réserve à ceux qu’il aime et qui le glorifient non pas en disant mots humains mais avec un coeur pur qui se saisit avec respect des mots de la liturgie comme langage de Dieu : langage qui a Dieu pour auteur non seulement dans l'histoire mais dans nos coeurs.

 

dimanche 19 septembre 2021

Pourquoi François, malgré ses dires, ne sait pas sentir l'odeur du troupeau

 J'ai reçu un mail d'une femme de 60 ans (un an de différence avec moi) m'expliquant comment elle venait de découvrir la messe traditionnelle, sans pouvoir spirituellement revenir en arrière. Je lui laisse la parole.



                Je me permets de vous envoyer un petit témoignage de ma découverte récente de la Tradition vivante au moment où l’orage vient d’éclater accompagné de vents mauvais menaçant les séminaires des communautés Ecclesia Dei.

                J’ai 60 ans et suis entrée au catéchisme en… septembre 1969 ; je n’ai donc JAMAIS connu que les messes de Paul VI. Je fréquentais l’aumônerie au collège, dont la pédagogie était à base de débats (… sur quoi ?… sur rien…) avec son cocktail de fumée asphyxiante et guitare pour l’ambiance. Quand j’osai demander au curé qu’on puisse y parler de Dieu et de la Bible, je n’obtins rien ; sûr que cela n’entrait pas dans la « pédagogie » en vogue (pardon la « Pastorale » !). Je demandai à faire ma confirmation, qui se prépara, hélas, dans ce cadre délétère (« on n’est pas chrétien tout seul » disaient-ils… mais je m’y sentais pourtant bien isolée) si bien que lors de la cérémonie, je n’avais qu’une envie, c’était de m’enfuir, mais c’est la contemplation du grand crucifix éclairé près de l’autel qui me convainquit de demeurer à ses pieds quand même.

                Je dus attendre mes études d’histoire pour connaître l’histoire de l’Eglise et tout particulièrement les auteurs du « siècle des saints », et les fondateurs du Carmel aussi. Toutefois je discernais un décalage entre ce que je comprenais des écrits spirituels de ces époques (auxquels j’adhérais spontanément) et les messes que  je fréquentais, et je ne me l’expliquais pas (mais maintenant que je fréquente la messe dite traditionnelle, je comprends beaucoup mieux !). La lecture des saints du temps passé m’a instruite peu à peu de vérités dont le clergé  ne nous informait pas et dont il ne fallait surtout pas parler. Je faisais déjà appel à la Tradition de l’Eglise pour me nourrir, mais sans le savoir…

                Plus tard, appelée à accompagner des adultes vers le baptême, je découvris la Tradition vivante des églises orientales, à travers des rituels de l’initiation chrétienne qui pouvaient être conférés à la naissance et de la messe de saint Jean Chrysostome notamment. J’en fus émerveillée et regrettais d’être née dans l’Eglise latine, où ces merveilles n’avaient pas cours et où l’on repousse si tard l’accès aux sacrements, qu’il ne faut pas s’étonner que les fidèles s’en passent aussi facilement et finissent par ne plus y croire.

                Enceinte à l’époque et sachant que ma fille ne vivrait pas longtemps, je fis une lettre à mon évêque pour qu’il permette de lui donner les trois sacrements à la naissance. Las, son vicaire général me répondit (l’évêque n’a sûrement jamais eu cette lettre entre les mains) qu’il n’en était pas question pour d’obscures raisons que j’ai oubliées et parce que cela ne correspondait pas à la « Pastorale » locale. Je compris que ce pauvre prêtre ne croyait pas en l’efficacité des sacrements… Je coupai donc immédiatement mes contributions au denier du culte. Je pris du champ pendant plusieurs années.

 

                L’assistance à la messe de Paul VI me devenait de plus en plus difficile sans que je sache pourquoi. Passons sur les prières pénitentielles et universelles « faites maison » et qui deviennent souvent un véritable pensum pour les équipes liturgiques.

                Le plus dur pour moi arrive après la fin du canon de la messe. L’acclamation exigée des fidèles m’est devenue insupportable : « Nous proclamons ta mort Seigneur Ressuscité… et nous attendons ta venue dans la Gloire ». Attendre encore sa venue, cela veut dire qu’on pense qu’il n’est pas présent avec nous. Pourtant, il vient, par le ministère du prêtre, de se rendre mystérieusement présent sur l’autel sous les espèces du pain et du vin. Il se met à notre portée (et à notre merci ?) ici et maintenant… et on attend encore sa venue ? Cela signifie-t-il qu’en réalité, il n’est pas vraiment là dans le pain et le vin ? Une histoire de fou. Quelle ingratitude et quelle impiété ! Comment s’étonner, avec de telles formules répétées à chaque office, que de nombreux fidèles ne croient pas en la présence réelle ? Et l’attente du retour du Christ aux derniers jours ? Cela évoque les discours apocalyptiques de certaines sectes protestantes… Est-ce notre priorité au moment où le Seigneur est présent sur l’autel et où nous devrions l’adorer hic et nunc.

                Ensuite, l’échange de la paix du Christ que les fidèles sont censés se transmettre les uns aux autres est aussi un grand moment. Chacun se détourne de l’autel, cherchant à accrocher du regard les voisins de devant, à côté, derrière, chacun fait des courbettes contraintes ou des petits coucous, comme si la paix venait non pas du Seigneur mais de chacun. Pourtant, cette paix surnaturelle ne descend-elle pas vers nous depuis l’autel où Il est vraiment présent sous les espèces de l’hostie et du vin. En bonne logique, chacun devrait garder les yeux fixés sur l’autel dans une posture d’adoration, avec gratitude, pour recevoir au mieux un don d’une telle valeur, au lieu de s’agiter, de se détourner de l’autel et de jouer un rôle. Ingratitude et esprit mondain s’imposent, laissant le pauvre Seigneur bien esseulé à l’autel…

                La concélébration voulue par la liturgie postérieure à Vatican II m’a aussi été souvent difficile à supporter, sans que je sache pourquoi. Est-ce respectueux, de se répartir la lecture du texte du canon entre plusieurs prêtres (comme si on honorait un hôte), qui lèvent une main en l’air de loin, potentiellement plus ou moins distraits et ce, à un moment si important de la messe. Est-ce le moment de réclamer un geste d’allégeance formel de la part du clergé (comme ce fut le cas à Dijon) dans une mise en scène d’unité formelle du clergé ? Dans ce cas, l’esprit mondain triomphe sur la piété nécessaire pendant le canon. Dieu merci, en milieu rural, on est de moins en moins menacés par les concélébrations du fait de la rareté des prêtres.

                Ainsi pour de multiples raisons, l’assistance à la messe dite ordinaire me devint peu à peu de plus en plus difficile, sans que je comprenne toujours pourquoi d’ailleurs, ou alors il fallait s’abstraire de ce qui s’y passe, ce qui n’est pas non plus une solution durable.

 

                Il y a un an, la sainte Vierge eut la bonté de me faire de nouveau signe lors du pèlerinage du M de Marie qui convergea le 12 septembre 2020 à Pellevoisin dans l’Indre. Des milliers de pèlerins dans ce petit village !… Quelques jours avant, je vins à la messe dans une paroisse près de chez moi lors d’une étape de la vierge pèlerine. Pendant la messe, une parole intérieur s’imposa et me bouleversa : « Mais ils veulent tous qu’on devienne protestants. » Je n’avais jamais eu ce genre d’idée…

                Je demandai à la sainte Vierge de m’éclairer et de me guider sur un chemin sûr. J’étais vraiment très perplexe. Je priais, je lisais (le retour du confinement aida providentiellement). Un jour, je suis tombée sur le livre de Monseigneur Lefebvre, Lettre aux catholiques perplexes. Cette lecture m’éclaira sur l’inconfort que j’éprouvais depuis longtemps à la messe et me réconforta d’une certaine manière. Je fis ensuite l’acquisition de livres expliquant la messe traditionnelle, et d’un missel des fidèles. Quelle découverte enthousiasmante ! Je pus accéder à une messe traditionnelle le jour de l’Epiphanie 2021, jour de la fête de ma fille. Depuis, j’ai repris une pratique régulière, dans une belle communauté à … 60 km de chez moi, ce qui occupe bien mes dimanches. La Tradition, cela se mérite !

                Je me suis surprise à rêver de faire partager dans ma paroisse de rattachement cette découverte des bienfaits de la liturgie d’avant Paul VI selon la belle formule : « il y a plusieurs demeures dans la maison du Père ». Après tout, il y a plusieurs prières eucharistiques et cette variété -là n’est pas perçu par l’institution comme un manque d’unité, puisque c’est elle qui en fit la promotion. Mais si c’était si simple…

 

                Atterrissage brutal le jour de la fête de Notre Dame du Mont Carmel, 16 juillet 2021 ! Quel vilain « cadeau » à la sainte Vierge fit le vicaire du Christ ce jour-là.

 

                Pourtant que de vertus dans la messe ancienne, que je commence à peine à entrevoir. Que de reproches dans ce motu proprio ne sont pas fondés. Le pape l’a-t-il jamais pratiquée ? « On ne voit bien qu’avec le coeur ».

                Le latin n’est pas un obstacle réel car la traduction française est en regard… Et pourtant, des  clercs de plus en plus nombreux, y compris peut-être au sein du haut clergé, critiquent l’usage du latin. Beaucoup sont ignorants du latin, et probablement des la liturgie d’avant Vatican II. Je peux concevoir que quand soi-même on ne maîtrise pas quelque chose, on prenne ombrage que d’autres en bénéficient ou y trouvent un intérêt. Quel manque de curiosité intellectuelle et spirituelle. L’ignorance est un fléau…

                Le texte du rituel ancien est pourtant très facile à comprendre. Il est très concret, en prise directe avec notre condition humaine marquée par le péché ; il introduit peu à peu l’homme à des vérités surnaturelles et exprime simplement la foi catholique. On prend un véritable bain de foi catholique en participant à la messe. Au contraire, les rituels de Paul VI, souvent abstraits, parlent par périphrases vagues ou pas toujours compréhensibles… ou par oxymores comme vu ci-dessus.

                Je m’aperçus ainsi que le texte ancien du Confiteor avait été caviardé (et pourquoi donc ?) atténuant les aspects évoquant ce que j’appelle volontiers la cour du Ciel, qui nous relie à l’Eglise vraiment universelle de tous les temps et à la foi de nos ancêtres (heureusement que nos saints pères et mères dans la foi étaient là pour m’éclairer par leurs écrits et sans doute par leur prière dans mon évolution, sinon j’aurais sombré complètement).

 

                Encore plus important et impressionnant, cette messe est un véritable repos en Dieu tant pour le prêtre que pour les fidèles, tous tournés vers l’Orient. Je considère que la messe tournée vers les fidèles est une violence à l’encontre du prêtre car il se trouve ainsi emprisonné dans un cercle fermé sous le regard de tous et ne peut se tourner vers le Seigneur et lui seul, auquel il tourne physiquement le dos. Quelle pression ! Comment résister ? Dans la liturgie ancienne, on entre doucement, progressivement dans le déroulé de la liturgie ; on n’est pas pressé. Au moment de l’avant-messe, je suis très sensible à cette prière à deux voix alternant entre le prêtre qui monte à l’autel et les fidèles qui le soutiennent et prient d’un seul coeur à cette intention. Cela se double de l’expression répétée d’une grande humilité tout particulièrement nécessaire pour celui qui s’apprête à offrir le Saint Sacrifice en montant à l’autel. Très touchant est le moment où le prêtre dit le Confiteor et où l’assemblée lui répond en demandant au Seigneur sa miséricorde et son pardon… et ensuite c’est l’inverse et le prêtre donne le pardon venant du Seigneur. C’est tellement beau… et malheureusement gommé par la nouvelle liturgie.

                Loin d’être une évasion ou l’expression d’une nostalgie de mauvais aloi, la messe traditionnelle est le repos des âmes dans le coeur du Seigneur (comme le fit saint Jean), qui les nourrit, les soigne, les guérit de leur misères qu’elles lui présentent à genoux humblement et dans la confiance pour repartir avec courage, foi, persévérance, espérance et joie surnaturelles dans le combat de la vie. Les pieds sur terre et la tête tournée vers le Ciel, précédés et accompagnés par le Seigneur lui-même, qui fait notre unité. Ce ressourcement est encore plus nécessaire dans un monde (y compris un monde ecclésial) de plus en plus marqué par la violence, l’isolement et la désespérance. Nulle rigidité là dedans. On est loin ici d’une liturgie lointaine et guindée reprochée, par ignorance, par certains clercs aux communautés vivant de la messe traditionnelle.

                Avec ces appels permanents à l’humilité du prêtre et au service au profit des âmes, avant, pendant, après le Sacrifice, face à l’incroyable splendeur du don qui est fait et qui se donne à contempler, je suis tentée de penser que cette messe est un antidote contre le cléricalisme et le mépris pour les fidèles et leurs besoins, si répandu parmi le clergé, trop peu habitué à faire de nombreux actes d’humilité pendant la messe ordinaire et à recevoir les prières des fidèles comme dans l’avant-messe traditionnelle.

                Pensant à des prêtres dépressifs, insatisfaits ou en difficultés que j’ai été amenée à connaître, je me suis même dit que les évêques, s’ils étaient vraiment soucieux de leur santé spirituelle et psychique, devraient leur proposer de faire une cure de messe traditionnelle, une cure de jouvence comme le psaume 42 le rappelle heureusement au début de la messe.

 

                Je fais partie de la première génération de ceux qu’on a voulu sciemment couper de la tradition (que ce soit dans l’Eglise catholique ou dans l’enseignement) et à qui on a voulu enlever tout point de repère. « Du passé faisons table rase ! » Nous avons été coupés des racines catholiques, affamés spirituellement, étouffés et désorientés depuis notre plus tendre enfance et pendant des décennies. Le fidèle « conciliaire » est laissé sans appui, sans point fixe, seul devant Dieu et sa conscience, pas de confession (ce n’est pas moderne et on a peur de déranger des prêtres surchargés), pas de conseils pour tendre à une sainteté personnelle, puisque c’est la vie communautaire collective qui est valorisée par rapport aux besoins spirituels des individus. Des prêtres sont isolés eux aussi, coupés comme les fidèles de la saine tradition de l’Eglise, isolés dans leurs secteurs paroissiaux immenses, dans leur presbytère, points de mire de communautés paroissiales qui leur font souvent sentir qu’ils ne sont que des passants, du fait des mutations rapides, éventuellement persécutés par leurs fidèles parce qu’ils ne sont pas assez ceci, ou trop cela, des prêtres n’osant pas dire la vérité à leurs fidèles…

                De ce fait, le cléricalisme et l’autoritarisme triomphent facilement et tristement dans une société ecclésiale atomisée où ceux qui restent sont en permanence tourneboulés par l’affirmation de vérités évolutives, d’innovations surprenantes ou de coups d’autorité distillés au goutte à goutte (qui s’apparentent à un supplice chinois) et qui portent d’autant plus que les gens n’ont plus de repères solides pour résister aux abus. C’est la technique utilisée contre la messe et les communautés traditionnelles : quelques ballons d’essai avec la mise au pas ou la destruction de communautés particulières évoluant vers la Tradition, suppression de la commission Ecclesia Dei, motu proprio TraditionisCustodes, et l’attente angoissée pour savoir à quelle sauce seront assaisonnés prochainement les séminaires et communautés spécialisés dans le rite ancien, dans le but d’obtenir des protestations indues de fidélité inconditionnelle  à Vatican II (c’est peut-être beaucoup ? Le bon Dieu nous a donné un cerveau, c’es pour s’en servir au service de la défense de la foi), et de fragiliser la cohésion et la capacité de résistance. Le machiavélisme au pouvoir dans l’Eglise ? Est-ce vraiment évangélique ?…

                Ceux qui avaient des familles déjà enracinées dans la Tradition ont pu survivre à la tourmente post-conciliaire, s’accrochant à quelques rares îlots de fidélité. Les autres, issus de familles moins conscientes, ou éloignés de ces bastions de résistance, vivant isolés à la campagne ou dans des diocèses où la chasse à la messe ancienne fut d’une redoutable efficacité, ont erré et se sont parfois perdus.

                En découvrant la messe traditionnelle j’ai eu le sentiment que j’abordais enfin la Terre promise, que je pourrais vivre désormais en paix de cette liturgie cohérente et sainte, et je formais même le projet de la faire connaître dans mon secteur paroissial rural (car le clergé ordinaire l’ignore complètement, ce qui est stupéfiant) afin d’y faire tout le bien possible  (« tenter l’expérience de la Tradition ») sans mettre en question la participation à la messe ordinaire si les gens préfèrent. Quand je serai trop vieille pour galoper sur les routes à travers la campagne, j’aimerais pouvoir bénéficier d’une véritable assistance spirituelle, qui fit ses preuves à travers les siècles et jusqu’à aujourd’hui, et qui manque tant à nos contemporains, même si beaucoup l’ignorent encore. Mais je sais bien que des gens comme moi sont trop minoritaire pour compter. Et pendant ce temps, les gens sont encore maintenus dans l’ignorance de leurs racines comme il y a cinquante ans…

 

                En vivant sans réticence aucune de la messe millénaire, je n’imaginais pas que je commettrais un crime de « lèse Vatican II » comme le motu proprio dernier l’affirme. Me voici encore « hors des clous », comme quand, petite, on m’opposait la soi-disant « Pastorale » pour me refuser de me parler de Dieu à l’aumônerie. Ce trésor de liturgie que je viens tardivement de découvrir, je ne l’abandonnerai pas. Des pasteurs (?…) suppriment « paternellement » (?) les messes traditionnelles « pour leur bien » (?…) à des centaines de fidèles réguliers, jeunes de préférence tout en chantant les vertus de l’ouverture à l’autre et de la charité. Comme il y a cinquante ans, ce sont encore les jeunes qui sont les premiers visés, sous des prétextes fallacieux. Ils ne demandent pourtant comme moi qu’à vivre paisiblement du don précieux que le Christ fait de lui-même dans une liturgie sûre, sainte, séculaire, nourrissante, vivifiante et féconde, dépourvue d’idéologie et facile à comprendre, qui continue donc de ce fait d’attirer, d’inspirer et de soutenir de si nombreuses vocations religieuses, sacerdotales, et familiales.

« Calme, Courage, Confiance », dit la sainte Vierge à Estelle Faguette à Pellevoisin en 1876. Restons enracinés. Je prie pour que le ban et l’arrière-ban du Ciel se mobilise à notre demande pour défendre le patrimoine menacé de toute l’Eglise, ainsi que tous ceux qui veulent le servir et le faire vivre, et ramener à une véritable charité pastorale les responsables de tous niveaux dans notre Eglise.