mardi 24 août 2021

Un intellectuel défend le Motu proprio de François

Le texte est déjà un peu ancien, mais il est significatif. Grégory Solari invite à comprendre Traditionis custodes en produisant des arguments qui paraissent un peu plus sophistiqués que les raisonnement ordinaires, avant tout disciplinaires, que l'on entend de la part de tel ou tel évêque, celui de Porto Rico par exemple qui n'a pas hésité à interdire le rite traditionnel dans son diocèse. "Je ne veux voir qu'un rite". 

Pourquoi cette question rituelle est-elle si grave ? Certains mauvais esprits diront que le rite est la partie émergée de l'iceberg ecclésial, que ceux qui n'entendent rien à la théologie peuvent prendre position assez facilement sur le fait qu'il faille ou non mettre un crucifix sur l'autel (geste réputé "traditionaliste"), ou bien sur la possibilité de mettre ou de ne pas mettre une chasuble durant la célébration de l'eucharistie. Ces gestes là sont faciles à voir, faciles à censurer, comme on peut facilement censurer celui qui aurait décidé de ne pas faire comme les autres. La liturgie est au fil des années devenue le champ clos de toutes les contradictions et le lieu de tous les conformismes, que ces conformismes soient progressistes ou traditionalistes. Il faut reconnaître que cette science toute récente se présente comme plutôt plus facile que la théologie, mais qu'en réalité, sauf à s'appeler Benoît XBVI et à avoir fait de la liturgie le travail de toute une vie, le niveau en liturgie (même celui des experts autoproclamés) est généralement bas. 

Quelle joie lorsque l'on rencontre ce texte de Grégory Solari, qui tente d'intellectualiser un peu la tendance du moment. Une joie proportionnée à la déception qui nous saisit lorsque l'on réalise ; ce n'était que cela... L'argument de Grégory Solari est le même que celui de Paul VI en son temps : "Vous faites de la messe de saint Pie V un drapeau"  anti concile. L'ecclésiologie que porte le rite traditionnel (qui pour le concret des rubriques est le rite de Jean XXIII), serait, pour Solari incompatible avec l'ecclésiologie du concile Vatican II. Qu'est-ce que signifie cette affirmation ? Que l'ecclésiologie à laquelle renvoie le rite de saint Jean XXIII soit incompatible  avec l'ecclésiologie de Vatican II, alors même que "le bon pape Jean" est l'un des deux papes du concile, c'est comme si l'on voulait prétendre que le Concile, en particulier dans ses dernières années, a opéré une véritable révolution dans l'Eglise, ce qui paraît très exagéré s'agissant du texte conciliaire (qui jamais n'envisage une nouvelle liturgie). 

Mais objectivement le texte de Solari renvoie à une révolution conciliaire incompatible avec le passé de l'Eglise, passé récent qu'il nous faudrait, à l'entendre, remiser définitivement au grenier des vieilles lunes, à moins d'en faire un magot de brocante. Un peu comme on fait un magot de brocante du Motu proprio de Benoît XVI, Summorum pontificum, déclaré obsolète, par rapport à celui de François qui dit et fait exactement le contraire, travaillant pour l'exclusion là où Benoît XVI avait oeuvré pour la paix.

Une phrase de l'entretien de Grégory Solari avec Cath.ch peut suffire à résumer la position liturgique du créateur d'Ad solem ; "Le rite tridentin dans la structure du missel de 1962, ne me semble pas capable d'exprimer le caractère central de la grâce baptismale, telle qu'on la trouve réaffirmée par Vatican II". Bien sûr l'expression "caractère central de la grâce baptismale" n'existe pas dans le texte du Concile. Sur le sens exact de cette expression on est réduit à des conjectures. Sur la gravité de l'attaque en revanche, on est immédiatement fixé. Pour Grégory, on ose à peine le dire mais c'est la réalité, la différence entre ancien et nouveau rite est ancré dans la nature même du baptême chrétien, baptême qui serait central aujourd'hui et qui donc n'était pas central dans la liturgie traditionnelle et parmi ceux qui y sont attachés. Il faut reconnaître que c'est là une raison puissante en faveur du nouveau rite... Encore faut-il que cette raison soit vraie et l'on voit tout de suite que ni la grâce baptismale ni la perception de la grâce baptismale n'ont changé en 2000 ans d'Eglise. La finale de l'Evangile de saint Marc nous renseigne suffisamment : "Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné". Qu'y a-t-il de plus central pour tous ceux qui se réfèrent à l'Evangile que la grâce baptismale ? Et donc que vaut la puissante raison invoquée par Grégory Solari, selon laquelle l'ancienne liturgie ne tenait pas compte de la centralité de la grâce baptismale ? Rien du tout. C'est une méchante raison, puisqu'elle est ignorante de l'Evangile, hors duquel les raisons sur Dieu n'existent simplement pas.

En écrivant ces méchancetés non gratuites, il me vient l'idée que Grégori Solari avait peut-être envisagé le mot de "centralité" d'un point de vue cartographique. La centralité de la grâce baptismale signifierait que tous les baptisés, clercs ou laïcs sont à égalité au centre de la nef pour proclamer, en allemand ou en français : "Nous sommes l'Eglise". Ce serait cela l'Eglise de François, devenue bien différente de l'Eglise de Jean XXIII, au point que le rite publié par ce dernier en 1962, gardant une claire distinction entre les clercs et les laïcs, comme on la voit déjà dans les épîtres pastorales de Paul ou dans les épîtres de Pierre, ne promeut, lui, en aucune façon la centralité du laïcat.

Mais j'ai peut-être mal compris ce que Grégory appelle la centralité de la grâce baptismale. S'agirait-il du sacerdoce des laïcs ? Mais je crois avoir prouvé très clairement dans mon dernier livre Méditations sur la messe, que seule la liturgie traditionnelle célébrée selon le ritus antiquior, parce qu'elle a une compréhension sacrificielle de l'offertoire, présente de manière convaincante et sanctifiante le sacerdoce des baptisés. Le nouveau rite omet volontairement cette dynamique sacrificielle qui réclame que nous soyons tous des offrants. Le nouveau rite (François est en train de nous habituer à dresser autel contre autel comme il l'a fait lui-même) n'a guère à offrir aux laïcs, à travers la fameuse présentation des dons comme on appelle désormais l'offertoire, qu'un rôle de sous-prêtre, un sous-ministère dans la messe à quatre mains. Sans atteindre le sacerdoce ministérielle, le laïc se voit confier des tâches, qui le rapprochent toujours du prêtre mais, de façon assez vexante il faut en convenir, sans l'identifier jamais à lui. En revanche, dans la mystique médiévale et tridentine, et dans le rite de Jean XXIII, en tant que le sacrifice de l'homme, rappelé durant l'offertoire traditionnel, s'identifie, durant la sainte messe, avec le sacrifice du Christ et prend, dans la victime sans tâche une ampleur... simplement divine, on peut et l'on doit dire qu'offrant les tout petits riens de sa vie quotidienne, chaque assistant, prêtre ou laïc, offre le Christ tout entier, le prêtre ayant simplement la charge d'inscrire cette offrande dans l'espace-temps, alors que tous les croyants, par leurs offrandes, s'inscrivent eux-mêmes dans l'éternité. 

Je chercherai des éclaircissements sur la pensée de Grégory. S'il m'en donne je les publierai immédiatement sur ce blog. Pour l'instant l'intellectuel, le théologien nous a sevré de raisons clairement identifiables, qui justifieraient le plan de destruction publié sous le nom de Traditionis custodes.


mercredi 18 août 2021

Les leçons du Père Maire

L'actualité va tellement vite, un événement chassant l'autre, que vous avez peut-être oublié ce Rwandais anonyme, que la hiérarchie nantaise avait fait portier de la cathédrale de Nantes, en lui confiant les clés de la Maison de Dieu. Apprenant qu'il allait être mis en jugement comme clandestin et théoriquement ramené dans son pays, où les autorités l'attendaient le pied ferme, notre clandestin devint incendiaire. Il alluma tôt matin, se servant de la clé qui lui avait été confiée, trois foyers, l'un sous le buffet du grand orgue, l'autre sous le petit orgue et un autre encore sous le tableau électrique. Seul le premier feu a pris, heureusement pour la cathédrale : il ne reste rien du buffet du grand orgue, mais, quinze jours auparavant, on avait pris toutes les mesures de l'architecture du grand orgue. La ville de Nantes accueille une manufacture d'orgue : on peut entrevoir une restauration dans les années qui viennent, si l'Etat auquel appartiennent les cathédrales, y met du sien..

Mais notre Rwandais, Emmanuel Abayisenga, n'en est pas resté là. Après ce premier exploit, les autorités catholiques, contentes d'aider la Justice par ce petit geste, lui avaient trouvé un asile dans le diocèse voisin, à Saint Laurent sur Sèvre, la maison générale des Pères Montfortains. L'homme y était donc assigné à résidence avant sa mise en jugement. Las... Les locaux d'une congrégation ne sont pas faits pour accueillir des psychotiques. Les raisons d'Emmanuel sont encore mal élucidées : existent-elles seulement? En tout cas, l'homme s'est introduit nuitamment dans la chambre du Père Maire, le supérieur général, qu'il a tué de huit coups de poing, le laissant agoniser dans la pièce qu'il avait préalablement fermée à  clé. Il se trouve que l'ecclésiastique avait donné un récital d'orgue dans la journée précédente qui précédait. Faut-il diagnostiquer une allergie à cet instrument, qui aurait (bi)polarisé l'esprit du meurtrier? En tout cas il attendit le lendemain pour aller se dénoncer à la gendarmerie de Mortagne-sur-Sèvre à une dizaine de kilomètres de son lieu d'hébergement, sans être autrement inquiété.

La question qui se pose est celle de la charité dont l'Eglise à travers le Père Maire, aura fait preuve en la circonstance. On parle beaucoup du Père Maire, mais ce n'est certainement pas de sa propre initiative qu'il a accueilli l'incendiaire, même s'il était content de le faire. Qui est le donneur d'ordre? On ne le sait pas encore avec certitude. "Le Père Maire aura été fidèle jusqu'à donner sa vie", "fidèle à sa congrégation religieuse et au fondateur de sa Congrégation", saint Louis-Marie Grignon de Montfort écrit l'évêque de Nantes dans un communiqué qui va au-delà de celui que l'on trouve sur le site de la Conférence épiscopale. Doit-on faire d'Olivier Maire un martyr de la charité?

Au-delà des écrits des uns et du silence gêné des autres, la question qui se pose est celle de la véritable nature de la charité. La charité nous met-elle vraiment en position de faiblesse, nous rendant semblables à des béni-oui-oui qui ne jugent de rien ni de personne et finalement sont là pour subir et pour mourir, en continuant à donner? La charité est elle la vertu des faibles? Sommes-nous toujours obligés de donner, même si la personne peut faire mauvais usage de ce don (ce mauvais usage est allé ici jusqu'à l'homicide à mains nues ; on peut imaginer que le mauvais usage soit un simple gaspillage).

Il y a effectivement dans tout acte de charité une prise de risque. Ce serait trop simple d'imaginer une charité au nom de laquelle à tous les coups on gagne. Trop simple de croire que qui donne avec charité donne de manière rationnelle, avec toujours un vrai succès à l'arrivée. A qui faut-il donner? Jésus répond : au prochain, c'est-à-dire au plus proche, à celui que l'on croise sur le chemin de la vie et qui se trouve en situation difficile, au point qu'il a  besoin de ce don. Mais faut-il toujours donner? Ne risque-t-on pas de se retrouver avec toute la misère du monde à aider, au point que l'on en deviendrait totalement inefficace?

Il faut se souvenir du lien qui existe entre l'amour et la sagesse. Il y a l'amour de la sagesse que l'on appelle aussi "philosophie" ; et il y a une sagesse de l'amour qu'il ne faut pas sous-estimer. Autant la charité n'est pas rationnelle, parce qu'elle ne doit pas être issue d'un calcul. Autant elle devra toujours être empreinte de sagesse, parce qu'elle manifeste le bien. On ne peut pas séparer le bien de l'amour qu'il suscite, ni l'amour du bien qu'il fait. Faire de l'amour une qualité abstraite, qui n'a aucun rapport avec le bien, aimer pour aimer, c'est se tromper sur l'amour lui-même. Dante a très bien dit cela dans son Paradis : "Car le bien, en tant que bien, dès qu'on l'entend, imprime ainsi l'amour et d'autant plus qu'il comprend en soi plus de bonté" (Chant XXVI). 

Tout amour est amour du bien, la charité ne fait pas exception, ce serait une folie de prétendre le contraire et d'imaginer une charité qui commande en dehors du bien. La question est donc : quel est le bien que nous aimons, quel est le bien que nous faisons quand nous agissons avec charité? A cette question, on ne peut répondre qu'avec une forme ou l'autre de la sagesse. Et on ne peut pas ne pas répondre. Comme dit sainte Catherine de Sienne au début de son Dialogue, "la charité sans la discrétion n'est rien". Sous sa plume, il faut entendre le mot discrétion au sens du choix des moyens en vue d'une fin, ce qui renvoie à la définition aristotélicienne de la prudence. On dira que pour la mystique Catherine de Sienne, il n'y a pas de charité sans l'appréciation du bien à faire. Aimer pour aimer, donner pour donner, accueillir pour accueillir, autant d'impératifs catégoriques, qui n'ont pas de sens et qui n'ont rien à voir avec le commandement de charité que le Christ nous a laissé Le Christ nous demande d'agir pour le bien ou de s'abstenir. Certes il n'utilise pas le mot abstrait "bien", qui vient de Platon. Mais il évoque les fruits : "C'est à leurs fruits que vous les connaîtrez", ce qui signifie bien qu'il faut juger du fruit avant d'agir La charité à elle toute seule ne suffit pas à déterminer l'acte bon. Elle repose sur un jugement qui lui-même repose sur la considération du bien ou des fruits escomptés à travers l'acte bon.

Ce qui a manqué, non pas au Père Maire qui était dans l'obéissance, mais à son commanditaire, c'est cette prudence sans laquelle la charité n'est rien, sans laquelle l'héroïsme le plus éclatant est immédiatement ridiculisé, parce qu'au lieu de viser des fruits, il devient l'héroïsme pour l'héroïsme : peanuts!

dimanche 15 août 2021

Voyage en Italie

Beaucoup de fautes dans mon dernier post que j'avais rédigé à la va vite juste avant de prendre un avion matinal pour Florence. Vous parler de ce voyage ? Evoquer le premier sédévacantiste de l'histoire Savonarole, dont finalement le pape Alexandre VI Borgia aura eu la peau et même le cadavre brûlé sur la place de la Seigneurie ? Vous parler de Dante auquel l'année 2021 est consacré, l'inventeur littéraire du désir de Dieu ? Chercher les raisons de la gloire des Médicis, grands duc d'Occident ? Parler de Pic de la Mirandole, provocateur à Rome, mort dominicain à Florence sous l'improbable absolution du même Savonarole ? Evoquer Machiavel, autre Florentin, et sa politique aussi réaliste qu'introuvable ? cela viendra en son temps. Parler de la Toscane, exalter le miracle de Sienne de son Dôme en noir et blanc et de son incroyable hôtel de ville sur la place duquel atterrit James Bond en personne. Penser aussi à la place des miracles qui est à Pise avec son incroyable tour penchée, le premier miracle de cette place sans doute. Ne pas oublier Volterra, la ville haute avec sa Piazza dei Priori, où l'on retrouve quelque chose des origines étrusques de la Cité et où j'ai pu goûter une Polenta divinement simple et apercevoir les plus belles vues de cette nature efflorescente de tous les verts du monde et pourtant, n'en déplaise aux écolos, absolument domestiquée par l'homme... C'est tout cela à la fois la Toscane tout cela et beaucoup d'autres choses encore. On comprend qu'elle ait offert à l'humanité les plus grands artistes - la sainte Trinité des Michel Ange Raphael et Léonard de Vinci, tous trois florentins - sans oublier les Mécènes les plus intelligents du monde : Côme de Médicis le découvreur de Filippo Lippi, qu'il surprit, enfant, à dessiner par terre avec dextérité, et qu'il sortit immédiatement de la rue, et Lorenzo dit le magnifique, dont le surnom n'évoque pas tant la beauté physique que, selon l'étymologie latine, la richesse en oeuvres de toutes sortes.

Je suis plongé dans Le génie du christianisme de Chateaubriand, heureusement réédité par Maxence Caron en collection Bouquins, et qu'il faudrait que nous relisions tous, tant il fait partie de l'état de la question de la crise du christianisme. Je suis tombé sous la plume de l'Enchanteur, sur des mots qui expliquent bien la complicité native entre l'art et la foi, telle qu'on peut la découvrir en Toscane : " Quand on ne crut plus à rien à Athènes et à Rome, les talents disparurent avec les dieux et les muses livrèrent à la barbarie ceux qui n'avaient plus de foi en elles. (...) Un écrivain qui refuse de croire en Dieu auteur de l'univers et juge des hommes, dont il a fait l'âme immortelle, bannit d'abord l'infini de ses ouvrages. Il renferme sa pensée dans un cercle de boue dont il ne peut plus sortir..." (p. 367).

Mais il faut aller plus loin et remarquer comment cette complicité entre l'art et la foi, en Toscane, correspond à une exaltation de la beauté féminine qui n'a pas de précédent. Je pense à Dante dont le personnage de Béatrice a rendu possible cette gynéphanie, si vous me passez ce néologisme, cette manifestation de la féminité en gloire. Je pense à cet échange de regard entre le pèlerin et sa dame au début du Paradis : "Après que mes yeux se furent offerts, révérents, à ma Dame, et qu'elle les eut rendus contents et assurés, ils se tournèrent vers la lumière qui avait tant promis...". Je pourrais citer le chant VIII plus au long. Il me semble que tout est dit et que la Madone de Filippo Lippi - la célébrissime, celle pour les beaux yeux de laquelle d'ailleurs, fra Lippi quittera, avec k(accord du pape, le couvent que lui avait assigné Côme - réalise, chez le fidèle, quelque chose de cette assurance du regard, exaltée par Dante : "Vous dont on n'a jamais entendu dire qu'aucun de ceux qui aient eu recours à sa protection ait été abandonné" comme l'avait chanté saint Bernard de Clairvaux, un siècle avant Dante, à propos de celle qu'il nous a appris nous Français, à nommer Notre Dame.

Le génie florentin, qui est aussi le génie de l'Eglise en l'occurrence, a constitué à montrer qu'en toute femme il y a une Béatrice, que Vénus n'est pas seulement la sulfureuse qui met les hommes à ses pieds, mais la médiatrice entre l'homme et le divin, décrite par Dante, et que sous une autre identité (Marie est Béatrice) fra Angelico a peinte en Annonciation dans les cellules du Couvent Saint Marc à Florence. Mais le peintre qui a su trouver le moyen de dire cette apogée historique de la féminité reste évidemment Sandro Botticelli, formé par Lippi à peindre des madones et qui formera son fils Filipino. A propos de Botticelli, on pense immédiatement bien sûr à la Naissance de Venus, mais c'est un autre tableau, Le printemps, qui reste le plus chargé en interprétations multiples. Sandro manifeste la beauté de celle dont il est amoureux, Simonetta Vespucci, en l'introduisant au ciel, Simonetta, sorte de météore morte à 23 ans (elle était morte quand le peintre a eu fini Le printemps) est représentée au Ciel, dans l'éternel Jardin, guidée vers une Venus pudique qui évoque étrangement la Vierge, pour des noces forcément éternelles. L'amour profane est signifié par le couple Zéphir-Flore à droite du tableau, Flore troublée par le souffle de Zéphir, voudrait, mais en vain partager son trouble avec Simonetta. L'amour sacré et l'amour profane s'opposent donc dans ce tableau à clés, mais dans ce paradis des fleurs (Florence), c'est l'amour sacré qui garde le dernier mot.

Pour nous chrétiens, l'apogée de la féminité n'est elle pas dans cette fête de l'Assomption ? Vous ferez attention aux paroles de l"Apocalypse dans l'introït de la messe traditionnelle ; "Un grand signe apparut dans le ciel, une femme revêtue du soleil, la lune sous les pieds et une couronne de douze étoiles sur la tête". Qui est cette femme ? Les artistes l'ont compris qui l'ont souvent représentée ainsi ; c'est Marie, c'est Notre Dame. Les exégètes qui veulent absolument que cette femme soit l'Eglise et non Marie auraient intérêt à lire de près le verset 5 du chapitre 12 qui me semble absolument décisif sur l'identité mariale de cette femme qui se pare des éléments du monde  : la lune sous ses pieds, la lumière du soleil est son vêtement, les étoiles sont ses bijoux. Attribuer une telle seigneurie à l'Eglise me semble céder à une vision pour le moins incomplète de l'Epouse du Christ. Mais cela permet aux derniers fidèles de se rengorger et surtout cela permet de remplacer Marie, une femme de chair et d'os, par l'Eglise une féminité abstraite, en oubliant que c'est à Marie qu'a été faite la promesse du salut du monde et que c'est par Marie, par son Oui joyeux et sans arrière pensée qu'advient dans le Christ le salut du monde.

samedi 7 août 2021

Courrier d'un lecteur

Je reçois un mot d'un lecteur de Monde et Vie, Hubert, qui accuse réception à sa manière de notre dernier numéro intitulé "Moi je n'ai pas peur des schismes" et orné d'une photo pleine page du pape François en colère. Il m'envoie un courrier que je ne résiste pas à communiquer de façon anonyme sur ce blog.

"Dans son dernier Motu proprio, le pape François demande de vérifier que les demandeurs de l'ordo de saint Pie V (ou de 1962) acceptent le concile Vatican II, mais son texte lui-même montre que lui n'accepte pas le numéro 4 de la Constitution sur la liturgie : "Le saint concile déclare que la mère Eglise considère comme égaux en droit et en dignité tous les rites légitimement reconnus et qu'elle veut à l'avenir les conserver et les favoriser de toutes manières".

Le pape reconnaît lui-même que ce rite pendant des siècles a favorisé l'unité de l'Eglise. Or son Motu proprio, loin de le favoriser, le combat, et sans oser l'interdire il est vrai, l'expulse des églises paroissiales, alors que presque toutes ont été construites pour lui. C'est donc lui qui s'oppose non seulement à saint Pie V et à Benoît XVI, mais au Concile dont on nous rebat les oreilles. Et personne ne le souligne.

vendredi 6 août 2021

Le droit liturgique

Quiconque a un peu étudié la liturgie reconnaît que depuis le début de l'histoire de l'Eglise, il y a un droit spécifique et impératif de la liturgie. La messe ne se présente pas seulement comme une prière improvisée par chaque assemblée, ni même comme une simple réunion de prière qui aurait ses codes. Sa réalité est différente, elle est divine. Elle se présente comme Tradition divine.

Mettons-nous, si c'est possible, à la place d'un individu normalement constitué, sans préjugé, et vierge de toute habitude cultuelle... La première fois qu'il a entendu l'ordre divin sur du pain : "Ceci est mon corps livré" ; et sur du vin : "ceci est mon sang versé", Il a dû trouver que ce n'était pas possible, que son Eglise forçait un peu la note, que l'on pouvait aller au Christ sans avoir besoin de ce rite barbare ou incompréhensible. Allons plus loin : la première fois qu'un individu normalement constitué a entendu l'ordre divin : "Vous ferez cela en mémoire de moi", vous referez, vous, ce geste fou que j'ai fait devant vous au Cénacle... soit il imitait les auditeurs du discours sur le pain de vie, partant définitivement sur la pointe des pieds, soit il ne lui restait plus qu'à s'exécuter sans fioriture, en reprenant le récit de l'Institution à la lettre. C'est ce qui se passe dans le rite latin.

C'est aussi ce qu'a fait saint Paul en réponse à ses chers Corinthiens : "J'ai appris du Seigneur lui-même ce que je vous ai aussi enseigné" (I Co. 11, 23), dit-il avant de reprendre à leur intention le récit de la dernière Cène à peu près tel qu'on le trouvera dans les Synoptiques (On date très précisément la Première aux Corinthiens de l'an 50 ; les synoptiques seraient un peu plus tardifs). Cela signifie deux choses pour saint Paul : ce n'est pas moi qui vous ai enseigné ce rite, c'est le Seigneur lui-même. Et aussi : ce n'est pas moi qui ai cru nécessaire de vous l'apprendre, mais aujourd'hui (quinze ans après la Passion), c'est parce que le Christ a pris la peine de me révéler ce rite qu'il a accomplis devant ses apôtres la veille de sa mort, c'est à cause du Seigneur donc, que je vous l'ai enseigné. C'est pourquoi ce rite fait partie du dépôt sacré auquel on ne peut pas toucher sans être anathème (Gal. 1, 8-9). "Je vous ai enseigné et donné en dépôt ce que j'ai moi même reçu" (I Co, 15, 3), "afin que vous vérifiiez si vous l'avez retenu comme je vous l'ai annoncé, puisqu'autrement ce serait en vain que vous auriez embrassé la foi" (15, 2). "Le Mystère de la piété" comme dit Paul dans les Pastorales, vient du Seigneur, au même titre que la foi elle-même. Il est aussi sacré que le kérygme de la résurrection du Seigneur dont il est question au chapitre 15 des Corinthiens. C'est dans cette épître aux Corinthiens que l'on découvre le lien entre la loi de la prière (c. 11) et la loi de la foi (c. 15).

J'espère avoir prouvé au paragraphe précédent que ce lien est originaire dans le christianisme. Lorsque saint Prosper d'Aquitaine, au Vème siècle, repère ce lien et martèle sa fameuse formule : "La loi de la prière décide de la loi de la foi" (et non l'inverse), on peut dire qu'il ne fait que reprendre, à travers saint Paul, l'enseignement apostolique. La liturgie n'a jamais été (et surtout pas pour les apôtres), un droit positif confié ad nutum aux premiers épiscopes, ni même au premier des épiscopes, Cephas. C'est à la fois un droit et un devoir pour les chrétiens de faire mémoire de la célébration du Christ, en reprenant les mêmes paroles, dans le même sens que lui.

Beaucoup plus tard, lorsque le jésuite Suarez, dans la ligne du dominicain Cajétan, reconnaît qu'il existe des possibilités d'excès de pouvoir de la part du pape, et que ce dernier, bien qu'il exerce son pontificat effectivement de droit divin, peut se manifester dans son gouvernement comme "un tyran", lorsqu'il confond le droit divin avec un absolutisme décidément trop humain, notre scolastique donnera comme exemple de tyrannie papale potentielle, le non-respect des cérémonies reçues des apôtres. Pour lui, une réforme liturgique dont les motifs ne seraient pas à chercher dans la quête d'un plus grand respect du dépôt mais seraient exclusivement des calculs humains de type pastoraux,pourrait se trouver à l'origine d'un profond désordre au sein duquel pourrait naître un schisme pontifical.

"Moi je n'ai pas peur des schismes" a dit le pape François en 2019 au retour de son voyage à Madagascar. Au point de faire schisme ? L'avenir nous l'apprendra... Disons que la manière dont notre pape dénie tout droit à la liturgie et à sa tradition, pour concentrer tout le droit liturgique sur le droit positif qui émane des papes est particulièrement dangereux. Ce qu'un pape a fait en droit positif, un autre peut le défaire. La liturgie se réduit aux réformes que la papauté lui fait subir pour le meilleur et pour le pire depuis trente ans. Plus personne n'y comprend rien. L'oeuvre liturgique du pape Benoît aura disparu corps et biens devant l'autoritarisme de son successeur.

Tout est dit dès le premier article de Traditionis custodes. Je cite : « Les livres liturgiques promulgués par les saints pontifes Paul VI et Jean-Paul II, conformément aux décrets du concile Vatican II sont la seule expression de la lex orandi du rite romain ». Où l’on apprend cette chose tout à fait nouvelle dans l’Eglise que le droit liturgique serait un droit purement positif, qui provient de l’autorité ecclésiastique et qui n’a pas d’autre source. Pour François, c’est d’ailleurs le seul argument doctrinal qu’il mette en avant dans Traditionis custodes, il n’y aurait donc de loi de la prière que celle qui sort la dernière de la bouche d’un pontife romain.

Fini le respect de la Tradition et de son droit intrinsèque, bien établi pourtant au début de Summorum pontificum. Terminée la distinction si respectueuse justement pour l'Eglise et son histoire, entre les deux formes d'un même rite. Traditionis custodes n'y fait même pas référence lorsqu'il parle sans vergogne pour le pontife précédent, de "l'unique rite romain", en plaçant le rite traditionnel, les centaines de prêtres qui le célèbrent, les dizaines de milliers de fidèles qui y assistent à travers le monde, sous le régime de l'autorisation exceptionnelle, et d'une sorte de loi des suspects (puisque l'autorisation de célébrer le rite traditionnel, pour les plus jeunes est à demander au Saint Siège et que les autorisations toutes à renouveler, seront toujours extra-paroissiales et ne concerneront pas systématiquement la messe du dimanche).

Organisée soigneusement par le pape dans Traditionis custodes, on doit assister vraisemblablement à une montée du mépris, oui mépris que François veut partager avec l'actuelle hiérarchie catholique, mépris qu'est censée ressentir l'actuelle hiérarchie catholique pour tous ceux qui déclareront avoir spirituellement besoin de la messe traditionnelle et qui, pour cette raison, seront désormais soumis au régime des autorisations exceptionnelles et donc considérés comme des catholiques de deuxième zone.

La paix de l'Eglise promulguée le 7 juillet 2007 par le pape Benoît, n'aura pas duré quinze ans. C'est le pape actuel qui rouvre les hostilités ce 16 juillet 2021. En tant que pape, il aurait sans doute le droit de désigner un ennemi interne à l'Eglise, hérétique ou schismatique. Mais son principe est faux : non le droit liturgique n'est pas un droit positif d'abord, mais, comme l'a enseigné son prédécesseur, un droit fondé sur la tradition et sur les propres paroles du Seigneur. Le pape saint Pie V, auquel François se compare dans son oeuvre liturgique, n'a jamais voulu imposer "sa" messe (en fait la messe du diocèse de Rome) aux communautés chrétiennes qui utilisaient des rite ayant plus de deux siècles d'existence. Saint Pie V savait bien et il avait modestement compris que la tradition est le principal fondement du droit liturgique et cela nous l'avons vu, depuis saint Paul.

mardi 3 août 2021

Un sacrifice sinon rien

La dernière prière du prêtre, au cours de la messe, est résolument sacrificielle, comme pour montrer que le sacrifice est l'essentiel de la liturgie. Cette prière se récite au moment où le prêtre baise l'autel une dernière fois,  manifestant par ce geste combien ce rite qu'il vient de célébrer ne provient pas de lui, de sa foi personnelle ou de sa spiritualité propre, mais s'identifie à l'autel, qui porte, nous l'avons vu au début de ce travail, le sens divin du sacrifice. Voici une traduction de cette prière :

Que vous plaise, ô sainte Trinité, l'hommage que je vous rends de mon service. Faites que ce sacrifice que j'ai porté aux yeux de votre majesté, malgré mon indignité, vous soit agréable (acceptabile) à vous et qu'à moi ainsi qu'à tous ceux pour lesquels j'ai porté cette offrande, elle soit propitiatoire (propitiabile) autant que vous êtes miséricordieux, par le Christ notre Seigneur

J'aurais aimé pouvoir faire rimer les traductions des deux adjectifs latins : acceptabile et propitiabile. Difficile de trouver, en français, deux adjectifs assonnants, en des sens si précis et si voisins ! Mais qui a dit que le latin liturgique est un latin de cuisine ? L'homéotéleute aide à articuler la pensée.

Nous avons vu que la messe comportait toutes les formes de sacrifices. La forme la plus durable est certainement le sacrifice de louange, puisqu'il occupera toute notre éternité, en manifestant notre joie d'être à Dieu. Mais la forme la plus immédiatement importante des quatre genres de sacrifice n'est ni le sacrifice de louange, ni le sacrifice d'action de grâce, ni le sacrifice de demande (appelé aussi impétratoire). C'est le sacrifice qui nous rend Dieu propice, qui nous permet d'être comme d'égal à égal face à son éternité,  Il y a entre Dieu et nous le mur de la finitude et du péché. Dieu lui-même a voulu casser ce mur et nous permettre de vivre de plain pied avec son éternité en devenant ses fils et ses filles. La messe, pour qui la vit, réalise cette transformation. C'est en ce sens d' abord qu'elle est un sacrifice. Par la transformation de notre prière dans la prière du Christ, par la transmutation de notre inefficacité dans l'efficience du Fils de Dieu, elle est le signe décisif du changement de notre condition et de l'arrivée, à la fin des fins, du Royaume de Dieu, éternelle communion qui abolit toute finitude, parce qu'elle nous divinise.

C'est le cas de l'écrire : un sacrifice sinon rien, sinon le monde ne changera pas et restera toujours dans cet état d'inachèvement désespérant dans lequel nous le voyons tous les jours. La réponse au problème du mal n'est pas à chercher  en arrière, dans le passé de l'humanité ou dans je ne sais quel état parfait de l'humanité adamique. Elle s'écrit, cette réponse, dans le sacrifice de la croix, où le Fils de Dieu affronte par le miracle de son incarnation la Puissance du mal et la fatalité de la mort, en y répondant par l'amour surnaturalisant. A chaque messe, cette réponse se rend tangible pour que le plus d'hommes et de femmes y participent, en s'incluant, par la médiation du rite sacré, dans la prière du Christ, dont ils sont, ces hommes et ces femmes, à la fois la matière première (si j'ose dire) et, encore aujourd'hui, l'enjeu ultime, mais aussi, dans la communion des saints, les agents communicateurs et les imitateurs indignes.

Ce Mystère ecclésiologique, le pape François, dans son Motu proprio Traditionis custodes, a décidé de le marquer du sceau d'infamie que reçoit, dans sa pensée, tout ce qui est préconciliaire A-t-il décidé de changer de religion, non pas de foi, je le précise : de religion c'est-à-dire de relation à Dieu ? A-t-il décrété que la messe sacrificielle avait fait son temps et qu'elle était le signe d'un autre visage de l'Eglise que le visage qui a triomphé à Vatican II ? Si cette interprétation radicale se révélait juste, ce que l'avenir proche nous dira, ce serait au mépris de ce que voulaient la grande majorité des Pères conciliaires, au mépris de l'Eglise et au mépris du plan divin. 

Pourquoi au mépris du Plan divin ? Parce que le problème du mal dans cette perspective conciliaire n'aurait pas d'autre solution que les bricolages sans cesse recommencés de notre bonne volonté toujours balbutiante depuis que le monde est monde et qu'Eve a croqué dans la pomme. Le monde redeviendrait incompréhensible, livré à un progressisme, que l'on doit dire à bon droit "imbécile", parce que l'on voit bien que, du problème du mal, il n'a qu'un simulacre de réponse. N'en déplaise aux progressistes d'aujourd'hui, la réponse à donner au terrible problème du mal n'est pas le Parc humain avec contrôle obligatoire, crédit social à la chinoise, et passe sanitaire à la française, pour accéder aux vespasiennes et faire régner une morale publique dominatrice, imposée à force de traçabilité des personnes, par des caméras de surveillance et des logiciels de reconnaissance faciale. Ce monde du Panoptikon que Michel Foucault a seul vu venir, est un terrible simulacre de réponse, parce que, progrès technique aidant, ce monde du contrôle est pire que le problème du mal tel qu'il se donne à voir dans les sociétés ordinairement humaines. Terrible ironie de l'histoire ! Les membres du Club de Davos, Klaus Schwab en tête, fascinés par les modalités nouvelles de la survie du communisme chinois, entendent solutionner par le contrôle le monde archipelisé qui est le nôtre. Mais leur remède, indéniablement progressiste pourtant par les techniques qu'il met en jeu, s'avèrera pire que le mal, anéantissant chez les hommes l'idée même de liberté.

Historiquement, la seule réponse au mal est spirituelle, c'est la mort de Jésus sur la Croix et le sacrifice de la messe qui nous permet de nous inclure dans ce mystère. La croix où meurt l'Innocent par excellence semblait pourtant participer du Mystère d'iniquité. Par un retournement sans exemple, elle devient le signe du Mystère de la piété, par lequel nous sommes tous prêtres (c'est-à-dire offrants), et nous devenons les rois de notre propre destinée, en en maîtrisant l'horizon éternel. "Il a fait de nous un royaume et des prêtres" comme dit l'Apocalypse (I, 9). C'est à cette réalité eschatologique que la messe traditionnelle nous permet d'assister et même de participer. Son interdiction par le Motu proprio du pape François a elle aussi un sens eschatologique.