mardi 24 août 2021

Un intellectuel défend le Motu proprio de François

Le texte est déjà un peu ancien, mais il est significatif. Grégory Solari invite à comprendre Traditionis custodes en produisant des arguments qui paraissent un peu plus sophistiqués que les raisonnement ordinaires, avant tout disciplinaires, que l'on entend de la part de tel ou tel évêque, celui de Porto Rico par exemple qui n'a pas hésité à interdire le rite traditionnel dans son diocèse. "Je ne veux voir qu'un rite". 

Pourquoi cette question rituelle est-elle si grave ? Certains mauvais esprits diront que le rite est la partie émergée de l'iceberg ecclésial, que ceux qui n'entendent rien à la théologie peuvent prendre position assez facilement sur le fait qu'il faille ou non mettre un crucifix sur l'autel (geste réputé "traditionaliste"), ou bien sur la possibilité de mettre ou de ne pas mettre une chasuble durant la célébration de l'eucharistie. Ces gestes là sont faciles à voir, faciles à censurer, comme on peut facilement censurer celui qui aurait décidé de ne pas faire comme les autres. La liturgie est au fil des années devenue le champ clos de toutes les contradictions et le lieu de tous les conformismes, que ces conformismes soient progressistes ou traditionalistes. Il faut reconnaître que cette science toute récente se présente comme plutôt plus facile que la théologie, mais qu'en réalité, sauf à s'appeler Benoît XBVI et à avoir fait de la liturgie le travail de toute une vie, le niveau en liturgie (même celui des experts autoproclamés) est généralement bas. 

Quelle joie lorsque l'on rencontre ce texte de Grégory Solari, qui tente d'intellectualiser un peu la tendance du moment. Une joie proportionnée à la déception qui nous saisit lorsque l'on réalise ; ce n'était que cela... L'argument de Grégory Solari est le même que celui de Paul VI en son temps : "Vous faites de la messe de saint Pie V un drapeau"  anti concile. L'ecclésiologie que porte le rite traditionnel (qui pour le concret des rubriques est le rite de Jean XXIII), serait, pour Solari incompatible avec l'ecclésiologie du concile Vatican II. Qu'est-ce que signifie cette affirmation ? Que l'ecclésiologie à laquelle renvoie le rite de saint Jean XXIII soit incompatible  avec l'ecclésiologie de Vatican II, alors même que "le bon pape Jean" est l'un des deux papes du concile, c'est comme si l'on voulait prétendre que le Concile, en particulier dans ses dernières années, a opéré une véritable révolution dans l'Eglise, ce qui paraît très exagéré s'agissant du texte conciliaire (qui jamais n'envisage une nouvelle liturgie). 

Mais objectivement le texte de Solari renvoie à une révolution conciliaire incompatible avec le passé de l'Eglise, passé récent qu'il nous faudrait, à l'entendre, remiser définitivement au grenier des vieilles lunes, à moins d'en faire un magot de brocante. Un peu comme on fait un magot de brocante du Motu proprio de Benoît XVI, Summorum pontificum, déclaré obsolète, par rapport à celui de François qui dit et fait exactement le contraire, travaillant pour l'exclusion là où Benoît XVI avait oeuvré pour la paix.

Une phrase de l'entretien de Grégory Solari avec Cath.ch peut suffire à résumer la position liturgique du créateur d'Ad solem ; "Le rite tridentin dans la structure du missel de 1962, ne me semble pas capable d'exprimer le caractère central de la grâce baptismale, telle qu'on la trouve réaffirmée par Vatican II". Bien sûr l'expression "caractère central de la grâce baptismale" n'existe pas dans le texte du Concile. Sur le sens exact de cette expression on est réduit à des conjectures. Sur la gravité de l'attaque en revanche, on est immédiatement fixé. Pour Grégory, on ose à peine le dire mais c'est la réalité, la différence entre ancien et nouveau rite est ancré dans la nature même du baptême chrétien, baptême qui serait central aujourd'hui et qui donc n'était pas central dans la liturgie traditionnelle et parmi ceux qui y sont attachés. Il faut reconnaître que c'est là une raison puissante en faveur du nouveau rite... Encore faut-il que cette raison soit vraie et l'on voit tout de suite que ni la grâce baptismale ni la perception de la grâce baptismale n'ont changé en 2000 ans d'Eglise. La finale de l'Evangile de saint Marc nous renseigne suffisamment : "Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné". Qu'y a-t-il de plus central pour tous ceux qui se réfèrent à l'Evangile que la grâce baptismale ? Et donc que vaut la puissante raison invoquée par Grégory Solari, selon laquelle l'ancienne liturgie ne tenait pas compte de la centralité de la grâce baptismale ? Rien du tout. C'est une méchante raison, puisqu'elle est ignorante de l'Evangile, hors duquel les raisons sur Dieu n'existent simplement pas.

En écrivant ces méchancetés non gratuites, il me vient l'idée que Grégori Solari avait peut-être envisagé le mot de "centralité" d'un point de vue cartographique. La centralité de la grâce baptismale signifierait que tous les baptisés, clercs ou laïcs sont à égalité au centre de la nef pour proclamer, en allemand ou en français : "Nous sommes l'Eglise". Ce serait cela l'Eglise de François, devenue bien différente de l'Eglise de Jean XXIII, au point que le rite publié par ce dernier en 1962, gardant une claire distinction entre les clercs et les laïcs, comme on la voit déjà dans les épîtres pastorales de Paul ou dans les épîtres de Pierre, ne promeut, lui, en aucune façon la centralité du laïcat.

Mais j'ai peut-être mal compris ce que Grégory appelle la centralité de la grâce baptismale. S'agirait-il du sacerdoce des laïcs ? Mais je crois avoir prouvé très clairement dans mon dernier livre Méditations sur la messe, que seule la liturgie traditionnelle célébrée selon le ritus antiquior, parce qu'elle a une compréhension sacrificielle de l'offertoire, présente de manière convaincante et sanctifiante le sacerdoce des baptisés. Le nouveau rite omet volontairement cette dynamique sacrificielle qui réclame que nous soyons tous des offrants. Le nouveau rite (François est en train de nous habituer à dresser autel contre autel comme il l'a fait lui-même) n'a guère à offrir aux laïcs, à travers la fameuse présentation des dons comme on appelle désormais l'offertoire, qu'un rôle de sous-prêtre, un sous-ministère dans la messe à quatre mains. Sans atteindre le sacerdoce ministérielle, le laïc se voit confier des tâches, qui le rapprochent toujours du prêtre mais, de façon assez vexante il faut en convenir, sans l'identifier jamais à lui. En revanche, dans la mystique médiévale et tridentine, et dans le rite de Jean XXIII, en tant que le sacrifice de l'homme, rappelé durant l'offertoire traditionnel, s'identifie, durant la sainte messe, avec le sacrifice du Christ et prend, dans la victime sans tâche une ampleur... simplement divine, on peut et l'on doit dire qu'offrant les tout petits riens de sa vie quotidienne, chaque assistant, prêtre ou laïc, offre le Christ tout entier, le prêtre ayant simplement la charge d'inscrire cette offrande dans l'espace-temps, alors que tous les croyants, par leurs offrandes, s'inscrivent eux-mêmes dans l'éternité. 

Je chercherai des éclaircissements sur la pensée de Grégory. S'il m'en donne je les publierai immédiatement sur ce blog. Pour l'instant l'intellectuel, le théologien nous a sevré de raisons clairement identifiables, qui justifieraient le plan de destruction publié sous le nom de Traditionis custodes.


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