mardi 10 novembre 2020

Ite Missa est et bénédiction

 La formule Ite missa est est assez énigmatique. Missa est un terme qui n'existe que dans le latin chrétien. Il a donné son nom à la cérémonie tout entière : la messe, 

La première traduiction que l'on peut donner de cette formule liturgique est : Allez, la messe est ! On peut, sans dommage, se livrer à une lecture mystique de cette première traduction. Le texte ne dit pas - contrairement à l'expression populaire : "la messe est dite", en employant le verbe dire au passé composé. Le verbe employé est le verbe être, au présent : la messe n'est pas d'abord un dire, la messe en ce sens n'est pas d'abord une célébration. Elle est une action, elle est une réalité qui dure dans le présent. Toute messe, en tant qu'action divine, atteint à un présent perpétuel, celui de Dieu. Celui du Christ assis à la droite de Dieu comme dit l'évangéliste saint Marc, citant sans doute le premier Credo, à la fin de son Evangile. La messe est. Le sacrifice unique du Christ a été réalisé dans tel lieu et à tel moment. Il nous met en état de communion au sacrifice divin pour toujours. Allez ! Vaquez ! Travaillez ! Dans les hauts et les bas de votre existence, la messe est, comme un signe qui vous est donné personnellement comme vous y avez assisté personnellement. Qui vous est donné pour toujours, puisqu'y assistant, vous vous êtes orientés vers ce toujours annoncé par le Christ. "Qui cherche trouve et à qui frappe on ouvrira" dit l'Evangile. La messe demeure comme la réalité de ce que chacun de nous au plus profond de son coeur attend de la vie temporel. Une réalité qui ne change pas, qui demeure : Missa est ! La messe est aussi et d'abord pour les siècles des siècles dans la vie éternelle. Ce qui se manifeste dans les églises, sur les autels de pierre ou de bois, c'est le sacrifice éternel du Fils à son Père, que l'incarnation transcrit en langage humain.

Dans cette perspective la messe se limite au sacrifice que l'on appelle aussi munera. Le cardinal Baronius établit un rapprochement entre "missa" et un mot hébreu "missah" qui signifie oblation (cf. Du Cange). La messe est donc proprement le sacrifice du Christ que nous offrons pour pouvoir y participer. Dans sa XIIème Homélie, saint Césaire d'Arles (470-542), cité aussi par Du Cange, explique bien que missa signifie d'abord le sacrifice :

"Si vous examinez les choses avec attention, vous saurez qu'il n'y a pas messe au moment où dans l'église sont récitées les divines lectures, mais qu'il y a messe quand les dons sont offerts (offertoire) et quand le corps et le sang du Seigneur sont consacrés. Car, qu'elles soient prophétiques, apostoliques ou évangéliques, ces lectures vous pouvez les lire vous-mêmes dans vos maisons, ou vous pouvez écouter d'autres personnes vous les lire. Mais la consécration du corps et du sang du Christ, c'est nulle part ailleurs que dans la maison de Dieu que vous pouvez l'entendre ou la voir. Donc celui qui veut célébrer des messes intégralement, avec profit pour son âme, jusqu'à ce que soit dite l'oraison dominicale (Notre Père) et que la bénédiction soit donnée au peuple, avec un corps humilié et un coeur contrit, il doit se tenir dans l'église".

La messe, c'est le sacrifice du Christ. Les lectures, dans l'eucharistie, restent secondaires, écrit saint Césaire dans le texte que je viens de citer. En ce sens, je ne sais ce que vaut sur le fond le rapprochement établi par le cardinal Baronius entre missa et un mot hébreu qui signifie "sacrifice", mais on comprend que la tradition chrétienne n'a jamais mis sur le même plan les lectures (même la lecture de la parole du Seigneur) et la consécration. La messe est. Missa est Le sacrifice du Christ a eu lieu, comme il aura lieu et continuera d'avoir lieu, et ses fruits demeurent et demeureront pour toujours.

Mais on peut regarder le sens de cet Ite missa est autrement. Le mot latin Missa n'est pas un mot qui fait partie du vocabulaire des tout premiers chrétiens. Les apôtres ne disaient pas qu'ils allaient à la messe mais ils pouvaient dire qu'ils célébraient l'eucharistie. D'où vient missa ? Le mot latin "missa" vient de cette expression "missa est", qui depuis toujours (dans Tertullien, dans Cyprien) donne congé aux fidèles après l'eucharistie. Il s'agit d'un envoi ! Florus de Lyon, ce diacre savant au XIème siècle dont nous avons déjà parlé, propose l'étymologie suivante : missa a dimissione. Chacun de ceux qui ont assisté à la messe sont envoyés dans le monde pour communiquer le salut apporté par Jésus Christ. Et la messe - remissio, dimissio, nous a offert le sacrifice du Christ pour la rémission de nos péchés, c'est-à-dire pour notre liberté croyante. Les biens spirituels reçus au cours de la cérémonie ne constituent pas une fin en soi. Il nous sont donnés pour aller dans le monde y porter la paix du Christ, comme le comprend le nouveau rite : "Allez dans la paix du Christ". On trouve déjà cette formule conclusive sur la paix du Christ dans les Constitutions apostoliques (IIIème-IVème siècle), dans lesquelles d'ailleurs se découvre tout le schéma de la messe latine : Lectures, offertoire, consécration, communion. 

Allez, la messe est ou allez dans la paix du Christ dit le prêtre aux fidèles. Les fidèles répondent "Deo gratias" que l'on pourrait traduire aussi "Merci à Dieu". La messe est l'anticipation sacramentelle de la vie éternelle. Merci à DIeu ! La bénédiction, qui suit, est une conformation de cet envoi solennel, l'occasion d'un dernier hommage et d'un dernier Merci au Béni par la génuflexion qu'elle réclame. Une dernière occasion de recevoir sa miséricorde pour la route.

lundi 9 novembre 2020

Oraison après la communion

 Il est difficile de trouver les traits communs entre les différentes communions grégoriennes chantées après que ceux qui le veulent aient reçu l'hostie. Dans une méditation précédente, j'ai avancé que la communion représentait l'action de grâce du prêtre, se reposant dans le mystère qu'il vient de célébrer et en remerciant Dieu. On peut dire la même chose des oraisons  récitées après la communion, ce que l'on appelle les post-communion. La plus universelle, parmi toutes celles que j'ai relues pour écrire ce texte, je l'ai trouvé dans le propre du samedi de la Passion : 

        "Rassasiés par le caractère somptueux (largitas) de cette cérémonie divine, nous demandons             Seigneur        Dieu, de vivre toujours dans la participation de ce mystère"

Notre destin est la communion avec Dieu. Nous en avons entre-aperçu un accomplissement somptueux (cf. largitas) dans la fonction litugique (munus), parce que cette fonction a quelque chose de divin (divinum munus). C'est en tant qu'elle est divine qu'elle nous a rassasiés, qu'elle a rassasié notre désir, en nous donnant accès à la lumière qui ne finit pas, que nous ne voulons pas voir finir pour nous. Cette lumière, nous la saisissons sous le voile du mystère. Tant que nous sommes sur cette terre, c'est en tant que mystère, dans un dévoilement inaccompli, que nous en jouissons.

Il y a différents types de post-communions, en particulier toutes celles qui correspondent à la fête d'un saint. Dans les fêtes de saints, la seule différence est que l'on associe l'intercession du saint ou de la sainte à cette prière de communion à Dieu. Ainsi la postcommunion du commun des vierges peut se traduire de la façon suivante :

    Tu as rassasié Seigneur ta famille par ces dons sacrés (munera au pluriel : offrandes, sacrifice dans le     latin chrétien), nous le demandons, réchauffe nous par l'intervention de celle dont nous célébrons la         solennité".

On retrouve l'allusion  au rassasiment spirituel. La demande est plus sobre : nous voulons être "réchauffés" par le souvenir de cette célébration en l'honneur de telle sainte. La prière peut être plus forte, elle peut demander plus qu'un simple réchauffement de nos relations avec Dieu . Ainsi la post-communion du samedi des quatre temps d'automne fait appel à toute la théologie des sacrements, demandant que nous soyons configurés au Christ :

    "Que tes sacrements, Seigneur, réalisent en nous ce qu'ils contiennent, pour que ce que nous             accomplissons sur un mode sacramentel par une représentation (specie), nous le recevions dans la         vérité des choses".

Que soit réalisé en nous le sacrifice du Christ, que non seulement il s'accomplisse sacramentellement en dehors de nous, mais qu'il s'accomplisse réellement en nous et pour nous. Et que cet accomplissement réel provoque en nous un désir toujours plus fort comme on le lit dans la postcommunion du Cinquième dimanche après Pâques :

        "Donne nous Seigneur, à nous qui avons été rassasiés par la puissance de la table céleste et de                 désirer ce qui est droit et de recevoir ce que nous désirons".

Mystère du désir mystique à mille lieues du désir charnel. Le désir charnel disparaît une fois satisfait pour renaître ailleurs insatiablement. Le désir mystique naît de la perception de notre faiblesse et de notre mortalité. Il est désir de vivre et désir d'être, jamais satisfait, mais qui peut saisir, dans le mystère de la messe, quelque chose comme un accomplissement possible, au-delà du voile. Cela dit, dès maintenant, nous sommes rassasiés par la puissance (virtute) de la table céleste. Le désir mystique est désir d'une puissance, non pas d'une puissance possédée pour soi, celle là est toujours précaire et insuffisante. Etr c'est pourquoi l'ego ne parvient jamais à satisfaire le moi. La puissance qui nous satisfait, puissance de la table  céleste dit l'Oraison, nous satisfait, nous comble dans la mesure où elle n'est pas attendue, où elle vient d'ailleurs, comme une nouvelle naissance dit le Christ à Nicodème, comme un souffle nouveau, comme un désir surnaturel, nous faisant naître à nouveau. La communion nous fait vivre ce monde nouveau et dans ce monde nouveau cette nouvelle naissance, qu'a réalisé le baptême en nous. Elle bouscule le vieil homme, avec ses habitudes et elle fait advenir une dynamique insoupçonnée, venant d'un désir nouveau, comme une renaissance. 

La communion est la fête et la vérification de ce désir nouveau, de ce désir de Dieu, qui n'est rien moins, comme le pressentait Sandor Ferenczi, psychanalyste dissident, qu'un retour à la naissance, une renaissance.

 

dimanche 8 novembre 2020

Après la communion, le mystère

Tout en purifiant les vases sacrés, le prêtre récite deux prières qui constituent son action de grâce. Parce que la liturgie est essentiellement une action, il n'y a pas d'action de grâce silencieuse, de retrait silencieux du prêtre, comme on le voit dans la nouvelle liturgie. Le prêtre a reçu un munus, une fonction, celle de "confectionner le corps du Christ". Sa subjectivité priante n'a aucun intérêt, elle est mise de côté, la seule chose que l'on attend du prêtre, c'est qu'il accomplisse clairement les gestes et les paroles qui constituent le mystère eucharistique et qu'ainsi il puisse rendre visible, tangible, sensible le mystère pour tous ceux qui y sont initiés ou qui veulent participer à cette initiation.

Ce mot d'initiation peut paraître un peu sulfureux. Il est utilisé en théologie chrétienne, lorsque l'on parle des trois sacrements de l'initiation chrétienne : le baptême, la confirmation, l'eucharistie. Les Pères de l'Eglise, en particulier les Pères grecs (saint Cyrille de Jérusalem), parlaient de catéchèse mystagogique. Le myste est justement l'initié qui découvre le coeur du mystère dans une approche (agogué) surnaturelle, qui est intellectuelle certes, mais pas d'abord et pas seulement. Dans le culte à mystère auquel on se fait initier l'enjeu est vital. Il s'agit de savoir à quelles conditions on peut accéder à la vie après la vie. C'est aussi l'enjeu véritable des sacrements.

On a souvent voulu voir dans la cérémonie chrétienne comme un prolongement des cultes à mystère païen. Mais on s'est trompé lorsque l'on a cherché à élaborer des ressemblances rituelles. La ressemblance est spirituelle et non rituelle. Ce n'est pas un hasard si saint Paul développe toute une théologie du mystère dans l'épître aux Ephésiens. Les cultes à mystère renvoient à un culte de la vie, à la quête désespérée d'une vie qui résiste à la mort. On accède à cette vie de l'au-delà à travers les signes sensibles de la vie terrestre (culte de la fécondité par exemple), qui changent ceux qui se livrent à ces cérémonies et qui tendent à les rendre immortels.

Vu sous cet angle, on peut dire que le christianisme représente la véritable initiation. C'est ce que pensait Joseph de Maistre par exemple. On peut ajouter que le culte chrétien est initiatique, au sens où il s'agit de comprendre l'énigme que représente la célébration, de pénétrer le mystère liturgique, qui donne le mot de l'énigme par des gestes, par des signes, par des textes et surtout par cette mystérieuse action sacrée qu'est la transsubstantiation de l'hostie, qui préfigure notrer propre transsignification. La conversion du pain au corps et du vin au sang du Christ nous rend capable de nous convertir nous-mêmes. Quelle est cette conversion, qui n'est pas seulement psychologique mais ontologique ? Nous sommes nés comme des animaux, doués d'une étincelle de raison. Nous devenons, ontologiquement, par la puissance de l'initiation chrétienne, des fils et des filles de Dieu. Il y a en nous aussi un changement de substance, par la conversion de notre désir le plus profond.

Il ne s'agit donc pas pour une liturgie de séduire, en cherchant je ne sais quel effet d'estrade. Qu'attend-on de la liturgie ? Elle doit seulement se laisser pénétrer par qui veut la comprendre. Faire clairement signe et non pas bredouiller des signaux inintelligibles. J'accompagne en ce moment une catéchumène originaire de Mongolie, à des années lumière de la culture chrétienne, que les Français de souche, eux, portent encore plus ou moins avec eux. Impressionnante est son attitude devant la liturgie. Elle assiste à la messe armée de son gros missel, et elle cherche à comprendre. Elle ne sait pas, elle sent que ce qui se passe est essentiel et, avec toute l'attention dont elle est capable, elle découvre la foi dans sa forme sacramentelle et... efficace, transformante !

Ce mouvement d'intériorisation, d'initiation chrétienne me semble parfaitement exprimé par la première des deux prières du prêtre après la communion. La première personne du pluriel, qui est utilisé dans cette prière, indique que le prêtre prie pour tous les clercs qui l'entourent dans le service de l'autel, mais aussi pour toutes les personnes présentes, il prie pour elles et avec elles : "Ce que nous avons pris par la bouche, absorbons le dans une intelligence pure, afin que, de cette cérémonie qui s'inscrit dans le temps, advienne pour nous un remède pour toujours". Si l'on prend cette prière mot à mot, plusieurs choses peuvent être précisées, qui font penser aux religions à mystère. 

L'emploi du mot latin mens (grec noûs) signifie notre capacité à nous abstraire de la matière et désigne donc ici le grand voyage entrepris, avec le viatique de l'eucharistie, vers la vie éternelle. Nous ne sommes pas dans un vocabulaire chrétien où esprit se dit en latin spiritus ou en grec pneuma. Nous sommes dans un vocabulaire philosophique, qui exprime le phénomène spirituel de la communion, ce passage du corps à l'esprit, que nous garantit la parole du Christ, opérant avec une force divine ce qu'elle signifie à l'aide de mots et de gestes humains. C'est le moment de souligner que cette communion se fait par l'esprit (mens), purement par l'esprit (pura mente), qu'elle n'en est pas moins réelle et substantielle, mais qu'elle ne peut se considérer que comme un phénomène spirituel. Dieu est esprit. Et le sacrement est à la fois matériel en lui-même et spiritualisé par la parole du Christ, qui nous spiritualise nous mêmes lorsque nous le recevons.

Deuxième remarque : l'emploi de l'expression latine munus temporale désigne d'après le dictionnaire Du Cange la cérémonie de la messe, ce que nous appelons encore le service ou la fonction liturgique. Service, fonction, tel est aussi le sens de munus au singulier, dans le latin cicéronien. Munera, au pluriel, dans le langage chrétien, signifie l'offrande, le don, le cadeau, le sacrifice du Christ. Il est utilisé en ce sens au début de la consécration : Haec dona, haec munera, haec sancta sacrificia illibata... Mais restons en au singulier : munus, c'est la fonction liturgique inscrite dans le temps et dans l'espace, mais qui porte en elle le remedium sempiternum, le remède pour toujours.

Telle est la première prière du prêtre, en action de grâce : il la récite en purifiant le calice avec du vin. La deuxième prière, pendant que le prêtre se purifie les doigts, est très différente. Elle est à la première personne du singulier (non pas au pluriel) et elle est beaucoup plus concrète ou personnelle. La première prière nous prépare au grand voyage de notre salut, c'est-à-dire de notre transformation spirituelle ; la seconde prière n'invoque pas notre intelligence comme cela se passe dans la première prière, mais nos viscères : "Que ton corps que j'ai pris et ton sang que j'ai bu adhèrent à mes viscères et fais qu'en moi ne demeure pas la saleté de mes crimes, moi qui ait été renouvelé par la pureté et la sainteté de ton sacrement". Avant d'embarquer pour le grand voyage, il faut laisser propre sa maison intérieure, non seulement avoir reçu le pardon de Dieu pour nos péchés (nos crimes dit la prière : devant la Perfection de Dieu tout péché ressemble à un crime), mais être capable de s'en détacher. Pour cela, il faut non seulement que l'eucharistie m'emmène dans le grand voyage du salut, mais que je me laisse purifier jusqu'au tréfond. Un balais n'est pas toujours suffisant ; l'aspirateur comme tout ce qui est mécanique demeure en surface. Il me faut recevoir du sacrement la grâce efficace qui me détourne de mes pentes si facile à dévaler, même quand je crois les avoir remontées.

Je peux rechuter, mais je garde le Seigneur dans mes viscères, il adhère à moi plus encore que je ne suis attaché à lui. Il ne me laissera pas tomber puisque par la communion, il est en moi.

jeudi 5 novembre 2020

Respect de la vaisselle mais pas seulement

Après la messe, on fait la vaisselle, on appelle cela la purification des vases sacrés. Ce qui pourrait passer pour un geste purement utilitaire est élevé jusqu'à devenir un acte sacré, un acte de respect public du sacré. Il s'agit pour le prêtre de faire disparaître toutes les parcelles d'hostie consacrée qui auraient pu rester dans le corporal (tissu amidonné qui reçoit la grande hostie) sur le ciboire vide (qui contient les petites hosties destinées aux fidèles), sur la patène (sur laquelle repose la grande hostie après le Pater), dans le calice (dans lequel on absorbe les dernières gouttes de vin consacré avec du vin non consacré) ou encore bien sûr sur les doigts du prêtre.

Ce respect de l'eucharistie, ce respect de la présence réelle du Christ dans le moindre fragment de l'hostie tend à disparaître chez un certain nombre de prêtres. Dans la forme traditionnelle du rite romain, les prêtres, lorsqu'ils ont touché l'hostie gardent joints le pouce et l'index, jusqu'à leur purification après la communion. Tant il est nécessaire de marquer le respect de l'hostie et de tout ce qui y touche. Le moindre fragment de l'hostie contient le Christ total enseigne saint Thomas d'Aquin dans la séquence Lauda Sion. Cette théologie de la présence réelle, et la pratique respectueuse qui l'accompagne est une des victimes de la réforme liturgique,. La disparition ou l'amoindrissement des signes de respect donnés à la présence substantielle du Christ dans l'hostie laisse porte ouverte à cette théologie symbolique que le Suisse Zwingli au cœur de la pseudo réforme protestante du XVIème siècle, n'aurait pas  renié. Attention : je ne veux pas dire qu'il y ait une théologie de la présence symbolique du Christ dans les textes de la nouvelle liturgie. Je dis que la pratique liturgique, les rubriques simplifiées et leur observation facultative tendent à constituer, parce que la surnature a horreur du vide, une nouvelle théologie purement symbolique de l'eucharistie. Théologie symbolique à laquelle d'instinct le peuple chrétien est rétif, comme l'avait bien compris un Luther en son temps, lorsqu'il maintint dans sa "Messe allemande" la théologie de la présence réelle, et cela, rappelons le, contre Zwingli. Il y a une logique de l'action, une logique de l'irrespect,, dont les ravages sont plus terribles en matière liturgique que la logique de l'idée. Même de l'idée ou de la théologie fausse.

Quelle est la différence entre présence réelle et présence symbolique ? Le symbole, c'est l'homme qui en décide. Il n'y aurait présence du Christ dans l'hostie qu'aussi longtemps que l'homme en décide, pendant la cérémonie par exemple mais pas en dehors d'elle (dans cette perspective on se passe de tabernacle, il n'y a pas de vénération de l'hostie en dehors de la messe, pas non plus lorsque l'on fait la vaisselle après la communion). Mais lorsque le Christ dit : "Ceci est mon corps", il ne propose pas un symbole ou une parabole, qui serait à prendre ou à laisser, au choix, Le Christ, c'est unique dans l'Evangile, impose cette présence, impose sa présence à l'homme. Dans le discours sur le pain de vie (Jean 6), on voit la réaction très négative de ceux qui, après avoir appris l'apaisement de la tempête, assistent au discours de Jésus ; "Quel est cet homme qui veut nous donner sa chair à manger". Ils s'en vont tous et il ne reste bientôt que les apôtres. A ses apôtres, le Christ ne dit pas : je vous ai parlé en figure, il faut comprendre, c'est une image un symbole. Il dit : "Vous aussi vous allez partir ?" Seul Pierre a le courage de prendre la parole: "A qui irions nous Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle". Autrement dit : Je ne comprends rien mais je crois". 

C'est exactement ce que suscite en nous cette présence réelle du Christ dans l'hostie : "Je ne comprends rien mais je crois". Je crois que la Parole du Christ : Ceci est mon corps, ceci est le calice de mon sang est plus forte que les apparences. Ce n'est pas ma dévotion à l'eucharistie qui fait la présence (comme dans le cas d'un symbole religieux), c'est la parole du Christ qui commande ma dévotion à son eucharistie.