La formule Ite missa est est assez énigmatique. Missa est un terme qui n'existe que dans le latin chrétien. Il a donné son nom à la cérémonie tout entière : la messe,
La première traduiction que l'on peut donner de cette formule liturgique est : Allez, la messe est ! On peut, sans dommage, se livrer à une lecture mystique de cette première traduction. Le texte ne dit pas - contrairement à l'expression populaire : "la messe est dite", en employant le verbe dire au passé composé. Le verbe employé est le verbe être, au présent : la messe n'est pas d'abord un dire, la messe en ce sens n'est pas d'abord une célébration. Elle est une action, elle est une réalité qui dure dans le présent. Toute messe, en tant qu'action divine, atteint à un présent perpétuel, celui de Dieu. Celui du Christ assis à la droite de Dieu comme dit l'évangéliste saint Marc, citant sans doute le premier Credo, à la fin de son Evangile. La messe est. Le sacrifice unique du Christ a été réalisé dans tel lieu et à tel moment. Il nous met en état de communion au sacrifice divin pour toujours. Allez ! Vaquez ! Travaillez ! Dans les hauts et les bas de votre existence, la messe est, comme un signe qui vous est donné personnellement comme vous y avez assisté personnellement. Qui vous est donné pour toujours, puisqu'y assistant, vous vous êtes orientés vers ce toujours annoncé par le Christ. "Qui cherche trouve et à qui frappe on ouvrira" dit l'Evangile. La messe demeure comme la réalité de ce que chacun de nous au plus profond de son coeur attend de la vie temporel. Une réalité qui ne change pas, qui demeure : Missa est ! La messe est aussi et d'abord pour les siècles des siècles dans la vie éternelle. Ce qui se manifeste dans les églises, sur les autels de pierre ou de bois, c'est le sacrifice éternel du Fils à son Père, que l'incarnation transcrit en langage humain.
Dans cette perspective la messe se limite au sacrifice que l'on appelle aussi munera. Le cardinal Baronius établit un rapprochement entre "missa" et un mot hébreu "missah" qui signifie oblation (cf. Du Cange). La messe est donc proprement le sacrifice du Christ que nous offrons pour pouvoir y participer. Dans sa XIIème Homélie, saint Césaire d'Arles (470-542), cité aussi par Du Cange, explique bien que missa signifie d'abord le sacrifice :
"Si vous examinez les choses avec attention, vous saurez qu'il n'y a pas messe au moment où dans l'église sont récitées les divines lectures, mais qu'il y a messe quand les dons sont offerts (offertoire) et quand le corps et le sang du Seigneur sont consacrés. Car, qu'elles soient prophétiques, apostoliques ou évangéliques, ces lectures vous pouvez les lire vous-mêmes dans vos maisons, ou vous pouvez écouter d'autres personnes vous les lire. Mais la consécration du corps et du sang du Christ, c'est nulle part ailleurs que dans la maison de Dieu que vous pouvez l'entendre ou la voir. Donc celui qui veut célébrer des messes intégralement, avec profit pour son âme, jusqu'à ce que soit dite l'oraison dominicale (Notre Père) et que la bénédiction soit donnée au peuple, avec un corps humilié et un coeur contrit, il doit se tenir dans l'église".
La messe, c'est le sacrifice du Christ. Les lectures, dans l'eucharistie, restent secondaires, écrit saint Césaire dans le texte que je viens de citer. En ce sens, je ne sais ce que vaut sur le fond le rapprochement établi par le cardinal Baronius entre missa et un mot hébreu qui signifie "sacrifice", mais on comprend que la tradition chrétienne n'a jamais mis sur le même plan les lectures (même la lecture de la parole du Seigneur) et la consécration. La messe est. Missa est Le sacrifice du Christ a eu lieu, comme il aura lieu et continuera d'avoir lieu, et ses fruits demeurent et demeureront pour toujours.
Mais on peut regarder le sens de cet Ite missa est autrement. Le mot latin Missa n'est pas un mot qui fait partie du vocabulaire des tout premiers chrétiens. Les apôtres ne disaient pas qu'ils allaient à la messe mais ils pouvaient dire qu'ils célébraient l'eucharistie. D'où vient missa ? Le mot latin "missa" vient de cette expression "missa est", qui depuis toujours (dans Tertullien, dans Cyprien) donne congé aux fidèles après l'eucharistie. Il s'agit d'un envoi ! Florus de Lyon, ce diacre savant au XIème siècle dont nous avons déjà parlé, propose l'étymologie suivante : missa a dimissione. Chacun de ceux qui ont assisté à la messe sont envoyés dans le monde pour communiquer le salut apporté par Jésus Christ. Et la messe - remissio, dimissio, nous a offert le sacrifice du Christ pour la rémission de nos péchés, c'est-à-dire pour notre liberté croyante. Les biens spirituels reçus au cours de la cérémonie ne constituent pas une fin en soi. Il nous sont donnés pour aller dans le monde y porter la paix du Christ, comme le comprend le nouveau rite : "Allez dans la paix du Christ". On trouve déjà cette formule conclusive sur la paix du Christ dans les Constitutions apostoliques (IIIème-IVème siècle), dans lesquelles d'ailleurs se découvre tout le schéma de la messe latine : Lectures, offertoire, consécration, communion.
Allez, la messe est ou allez dans la paix du Christ dit le prêtre aux fidèles. Les fidèles répondent "Deo gratias" que l'on pourrait traduire aussi "Merci à Dieu". La messe est l'anticipation sacramentelle de la vie éternelle. Merci à DIeu ! La bénédiction, qui suit, est une conformation de cet envoi solennel, l'occasion d'un dernier hommage et d'un dernier Merci au Béni par la génuflexion qu'elle réclame. Une dernière occasion de recevoir sa miséricorde pour la route.
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