Bouteille à l'encre... Cher Webmestre, vous dites que les rapports entre les catholiques traditionalistes et les musulmans sont globalement mauvais. Je ne suis pas de votre avis. Je crois qu'un Gaulois catholique est plus proche d'un musulman croyant qu'un Gaulois bobo, athée et incapable d'envisager autre chose (groupe social sur-représenté dans les grandes villes). La foi est toujours une attitude personnelle, même dans une religion aussi impersonnelle, aussi collective que l'islam et ce rapport de personne à personne entre croyants profonds est forcément bon.
Vous dites que 10 % des musulmans observent les pratiques musulmanes. Sachez que dans un numéro de Libération de la semaine dernière, on explique au contraire que 70 % des musulmans de France font le ramadan cette année, c'est à dire s'abstiennent de manger entre le lever et le coucher du soleil.
Interrogé sur ce chiffre important Abdelwahab Meddeb, responsable d'émissions sur l'islam à France Culture répond ainsi à Catherine Coroller, spécialiste de la religion à Libé. Le moins que l’on puisse dire est qu’il ne mâche pas ses mots ; il attaque tout à trac : « Dans un pays comme le Maroc, que je connais bien et qui était jusqu’alors très libéral, on vous emmène en prison si vous «dé-jeûnez». Le jeûne n’appartient plus à l’exercice spirituel, à la discipline au sens fort du terme, ce qui mérite le respect. Le jeûne mystique est vraiment très beau. Dans les Illuminations mecquoises, Ibn Arabi (mystique arabe né en 1165 en Andalousie), en fait une analyse extraordinaire et l’articule de manière profonde avec la pratique du jeûne chez les chrétiens et les juifs. Mais aujourd’hui, le jeûne est essentiellement un phénomène social. Que les gens jeûnent ou pas ne regarde qu’eux. Mais si c’est un jeûne coercitif, violent, et que celui qui jeûne méprise celui qui dé-jeune, voire exerce sur lui une forme de police des mœurs, il faut dire stop. En Égypte, où je me trouve, je constate que le jeûne est quelque chose de construit. Ce qui compte n’est pas que l’individu fasse sa propre expérience du jeûne. Le jeûne sert à restaurer le pacte communautaire ». Il prend l'exemple de l'Egypte et celui du Maroc, mais il est évident qu'il pense aussi aux Banlieues européennes, où la contrainte sociale est très forte et où, hélas, elle se confond avec la contrainte religieuse.
Un peu plus bas, le même Meddeb s’en prend au fonctionnement même de la pratique religieuse en pays musulman, incompatible selon lui avec la liberté des personnes, que notre modernité suppose et que nos sociétés cultivent : « Dans l’islam, il y a un dit du prophète (hâdith) selon lequel si vous ne respectez pas la pratique, faites-le en secret. Cet aspect de la tradition est un peu hypocrite, c’est l’esprit Tartuffe. Or, la modernité, c’est de pouvoir dire «non». Il faut que les gens puissent dire : «C’est ma conviction et je la montre par un acte, celui de jeûner ou non». La liberté de l’individu est le préalable à la liberté politique ».
Citant ce hâdith, Meddeb montre bien la dimension collective de l'islam, qui n'est pas, comme le christianisme, une religion personnaliste. Il y a des mystiques musulmans. Meddeb cite Ibn Arabi. Mais ces mystiques sont persécutés par la Communauté, qui, à travers l'islam règne seul. Islam ? C'est la soumission à la Communauté, qui, dans son unanimité présumée représente Allah lui-même. C'est pourquoi, lorsqu'on observe pas une règle, ce qui compte, dit le hâdith cité par Meddeb, c'est que la communauté ne s'en aperçoive pas. On peut aussi interpréter dans ce sens le principe musulman de la takya, sur lequel mon ami Romain Koller avait commis un remarquable papier dans Objections in illo tempore. Peu importe de mentir sur l'islam (ou de garder le silence sur tel ou tel aspect gênant) si c'est pour le service de la communauté. La recomposition intégriste que l'on observe dans nos banlieues obéit aux principes de cet unanimisme religieux.
Vous souhaitez : Bon ramadan à nos amis musulmans, pour finir. Il me semble que ce souhait, valable de personne à personne dans le personnalisme fondamental qui anime les croyants, ne vaut pas collectivement pour l'islam. Autant ce salut religieux collectif ne me choquerait pas adressé aux juifs, parce que nous sommes de la même matrice ("Bon yom kippour" par exemple, le jour du Pardon est dans la Bible), autant un salut religieux collectif aux musulman est théologiquement plus difficile à admettre, parce que les matrices sont différentes et que la matrice islamique se sent partout vocation à se substituer à la matrice biblique dont vivent ceux que le Coran appelle solidairement et souvent dans le même mépris (voir sourate 9) "les gens du Livre".
Les réflexions de Meddeb citées plus haut (surtout la deuxième) montrent que l'on peut, sans aucun mépris pour les personnes, mettre en question certaines lignes fortes de l'islam, comme on le fait d'ailleurs en Europe depuis trois siècles pour le christianisme.