mardi 31 août 2010

(après les mots d'enfants, voici les mots de parents)

L'ouvrage s'appelle "Mots d'excuse, les parents écrivent aux enseignants" - L'auteur est instit, pendant 20 ans il a relevé les passages les plus gratinés dans les cahiers de correspondance, cela donne par exemple: "si vous l’avé pas pris en flagrant délis..." ou encore "Veuiller escusé mon fils qui en se moman na pas le tant de faire ses devoirs". Et c'est censé vous amuser.

Faire rire de l'orthographe des parents, quand on est enseignant, c'est ignoble. En tant qu'enseignante, il m'arrive de lire des mots délirants. Il m'arrive de rencontrer des papas (c'est encore plus poignant quand ce sont des mamans) qui portent leur misère sur la figure. Jamais je n'ai eu envie de rire parce qu'il leur manque 6 dents ou quand l'alcool les a mangés. La dysorthographie massive est un handicap social. Pas plus que de leurs autres problèmes, on n'a le droit ni d'en rire ni d'en faire rire. En tout cas pas quand on enseigne.

Pour certains parents, prendre un stylo est éprouvant. Se rendre à l'école est difficile - ils en ont de trop mauvais souvenirs. Quand ils viennent c'est souvent sur la défensive. Ces parents sont peu nombreux, mais ce sont justement souvent ceux que l'on aimerait voir. Il n'est pas sûr que le livre de mon collègue Patrice Romain contribue à les détendre, s'ils en entendent parler.

Tribune libre dans Monde et Vie - "L’année qui vient… Scenarii pour notre avenir chrétien"

Texte repris de Monde&Vie n°831 - aout 2010

L’actualité nous sollicite souvent, en nous empêchant de prendre de la distance. Chance ! Cette fin du mois d’août, où la moiteur survit au soleil, paraît encore bien vide. C’est l’occasion de réfléchir à ce que nous faisons. « Sauver notre âme avec crainte et tremblement », c’est le conseil de saint Paul aux Philippiens. « Travailler à bien penser » comme disait Pascal. Revenir au B.A BA, ou bien à ce que l’on appelle aujourd’hui « les fondamentaux ».
 
J’ai un ami, Benoît, dont l’enthousiasme, la liberté, le dévouement ne supportent pas de délai. Souvent il me répète son impatience. Je crois qu’il n’y a pas lieu de s’impatienter, car les choses avancent plus vite que nous ne l’imaginons. Et c’est ce que je voudrais lui montrer dans ce papier. Exemple ? J’écoutais l’abbé Barthe (que Benoît a bien connu) sur Radio Courtoisie dimanche dernier (22 août) : il réfléchissait à ce qu’il est convenu d’appeler, entre gens « au courant », la « réforme de la réforme », c’est-à-dire le travail sur la liturgie rénovée pour lui redonner le sens du sacré et la destination sacrificielle. Quelle extraordinaire souplesse chez ce spécialiste de la question liturgique ! Finis les anathèmes et les exclusives ! A travers le rite de la messe, retrouvant sa forme, les catholiques sont en train de se retrouver eux-mêmes et de se retrouver entre eux. Au fond, quelles que soient les options qu’ils ont pu faire voici vingt ans, ils ont aujourd’hui les mêmes problèmes : comment prier dans un monde matérialisé ? Comment résister par l’esprit, dans un univers standardisé par la pensée unique ? Comment transmettre, quand on a des enfants?

L’exigence liturgique est au rendez-vous…
 
Les solutions des uns ressemblent de plus en plus étrangement à celles des autres. Première école de la foi : la messe du dimanche. On ne peut plus se payer des liturgies approximatives, naïves, vides. L’exigence liturgique est au rendez-vous, avec le respect. Comme dirait Coluche, au lieu de se taper sur la gueule, les catholiques apprennent à faire deux services, le latin et le français. Il y a les valeurs de la liturgie traditionnelle, le sens du sacré comme le soulignait le pape dans son Motu proprio, la dimension essentiellement sacrificielle, comme le rappelaient naguère les cardinaux Ottaviani et Bacci dans leur Bref examen critique de la messe de Paul VI… Et puis il y a ce souci qui est présent dans la liturgie nouvelle mais que montrait déjà le pape saint Pie X dans son Motu proprio sur le chant sacré, d’une participation active des fidèles. La synthèse représente l’avenir.
 
J’entends d’ici certain prêtre me dire : « - Mais la messe nouvelle est mauvaise ». – « - Mauvaise ? Opposée à Dieu qui est le Bien absolu ? Alors elle n’est pas valide ? Et le pape qui l’a promulguée et qui a cherché à la rendre obligatoire en a perdu, avec sa tiare, son titre. C’est la seule hypothèse raisonnable à faire dans ces conditions. Ce sont les sédévacantistes qui ont raison ». « - Non, ils ont tort. Mais cette messe, qui est valide certes, n’est pas agréable à Dieu ». Ah ! Ces mots… C’était déjà les raisonnements que j’entendais à Ecône, il y a plus de vingt ans. J’avoue que je n’ai jamais compris comment une messe pouvait être valide et désagréable à Dieu. Le ministre peut être sacrilège. Mais si la messe est valide, c’est que le Christ, sous le voile de l’hostie, implore son Père pour nous, en offrant son corps et son sang : « Ceci est mon corps livré, ceci est mon sang versé ». Je ne vois pas comment on peut imaginer qu’il se passe autre chose si la messe est valide, et ce qui peut bien se passer d’autre.

D’autres me diront : « Vous allez donc célébrer la messe nouvelle, puisque vous dites qu’elle n’est pas mauvaise ». Eh bien ! non… Il se trouve que je suis tombé amoureux de la messe traditionnelle quand j’avais seize ans. Comme dirait quelqu’un, je ne suis pas une girouette ! Dans la théologie thomiste, il est très clair que la « res et sacramentum » du sacrifice de la messe (nous dirions sa finalité profonde), c’est l’unité de l’Eglise. Chaque fois que je célèbre la messe avec le pape Benoît et mon évêque André, j’affirme mon désir de servir l’unité de l’Eglise. Aurais-je besoin pour ce faire d’un autre rite ? Ce serait signifier que le mien n’est pas suffisant : à Dieu ne plaise!

…avec le respect mutuel
 
Je crois que ce que les années nous apprennent, à nous autres catholiques de tous les bords, c’est le respect mutuel. Le cardinal Vingt-trois se rendant au pèlerinage de chrétienté cette année a manifesté aux pèlerins ce respect et en même temps il a été accueilli avec un respect qui l’a touché disent certains de ses proches sotto voce. C’est avec ce respect que pourra se refaire l’unité de la Vieille maison lézardée.

En même temps, il ne s’agit pas d’oublier le fond des polémiques qui ont marqué l’Après-concile. Elles ont été le champ de notre sanctification. Mgr Lefebvre, dans tel ou tel de ses grands sermons, à Lille ou à Paris, nous a redonné le culte du sacrifice de la messe. Lui, l’ancien cérémoniaire du Séminaire français de Rome, il nous a rendu l’amour de sa célébration. Fasse Dieu que cette grande leçon se transmette et que l’on cesse de faire de la liturgie un champ clos pour toutes les expériences ou simplement une sorte de mal nécessaire, une corvée pour le prêtre et pour le fidèle, dont il faudrait se débarrasser le plus vite possible. La liturgie est, dans le saint Sacrifice de la messe, notre principal moyen d’apostolat. Ce que l’on est bien obligé de constater par ailleurs, c’est que le regain général d’intérêt pour la liturgie, amorcé avec l’encyclique Ecclesia de eucharistia en 2003, sert le plus souvent un retour vers la liturgie traditionnel, en particulier chez les jeunes lévites, que je rencontre toujours plus nombreux à souhaiter découvrir les trésors de la Tradition. Reste un problème : la déculturation actuelle. Le latin, pour celui qui ne le connaît pas, peut représenter une barrière, je parle non des assistants à la messe, ceux-là n’ont pas forcément besoin de maîtriser la langue latine pour être conduits, par et dans la sainte messe, au silence intérieur et à l’offrande. Mais les célébrants potentiels, que l’on a parfois volontairement privés de la connaissance du latin, prohibé dans certains séminaires, auront sans doute un peu de mal à se sentir chez eux dans ce rite, à cause de cela. La question posée exige des solutions pratiques.

Non pas se servir de l’Eglise mais la servir

Est-ce à dire que, comme on l’a entendu ici ou là, les traditionalistes ont aujourd’hui gagné leur partie de bras de fer avec la hiérarchie ? Non. Raisonner ainsi, c’est se vouloir un clan dans l’Eglise, c’est se servir de l’Eglise et non pas la servir. C’est elle, l’Eglise, qui grâce à l’initiative courageuse du pape Benoît XVI, est en train de sortir du chaos. Quant à tous ceux qui raisonnent en mettant en avant ce que l’on appelle couramment « la Tradition » ou « les traditionalistes » de telle ou telle tendance, ils feraient bien de se méfier, car les générations passent et ce qui a constitué un enjeu pour des milliers de personnes, les regroupant dans la résistance spirituelle, apparaît aujourd’hui comme infiniment moins urgent. Non par lassitude comme on le croit peut-être, mais simplement parce que les enjeux se sont déplacés. Ils ne sont pas les mêmes aujourd’hui qu’il a vingt ans. Voyez par exemple les difficultés que rencontre la Fraternité Saint Pie X, cherchant à expliquer qu’il faut condamner le Concile, tout le Concile et ne pas se contenter de l’interpréter. Qui comprend ce discours cinquante ans après Vatican II ? Qui comprend cette fixation sur un événement du passé, à part le premier cercle, et tous ceux qui suivent la FSSPX pour d’autres raisons, de proximité ou de service (en particulier dans le domaine scolaire)?

La nouvelle configuration qui a pris forme à l’occasion du pontificat de Benoît XVI résout-elle tous les problèmes ? Bien sûr que non. Certes, comme je l’ai écrit souvent « la guerre de 70 est terminée ». Tout simplement parce que l’esprit des années 70 n’est plus là. Mais d’autres batailles nous attendent, plus redoutables car plus profondes. Tant qu’il s’agit de remarquer comment s’habillent les prêtres et comment ils disent la messe, les marqueurs utilisés possèdent une véritable évidence, qui permettrait même à un enfant de s’y retrouver. Mais, autour de l’interprétation du concile Vatican II et autour de « l’autocritique de la modernité » à laquelle nous invite Benoît XVI (cf. Spe salvi n°19), les problèmes sont beaucoup plus compliqués. Filandreux. Comment s’y retrouver ? Va-t-il falloir que nous devenions tous des théologiens, comme les Français se sont tous sentis sélectionneurs dans l’âme au moment de la Coupe du monde de Foot. On voit ce que cela a donné : une catastrophe.

Il faut d’abord et avant tout définir des fondamentaux, en tirant les leçons des années qui viennent de s’écouler, et en gardant, sans état d’âme, les formes, liturgiques, théologiques, catéchétiques qui ont sauvé une génération. Gardons-les pour qu’elles nous gardent. Beaucoup, s’imaginant que les difficultés sont derrière nous, relâchent leur exigence et rentrent sans bruit dans le rang. C’est le calcul que font sans doute bon nombre de hiérarques. Il n’est pas bon. Ce n’est pas parce que le climat général est à l’apaisement que les enjeux sont moins brûlants, que les dangers sont moins grands. Le matérialisme est de plus en plus épais. Nous avons besoin du meilleur pour continuer la résistance spirituelle, pour entretenir nos réactions catholiques, bref pour vivre en chrétiens. La messe traditionnelle n’est pas devenue facultative parce que les prêtres n’appellent plus, durant leurs sermons, à la solidarité avec la Révolution au Chili ou au Viêt-Nam. Le catéchisme traditionnel n’est pas moins important aujourd’hui qu’hier etc.

Identification du virus conciliaire
 
Il faut aussi progresser dans ce que j’appellerais volontiers l’identification du virus conciliaire, et pour cela rompre en visière avec l’antiintellectualisme qui a pu sévir dans le milieu traditionaliste. Qu’est-ce qui, dans ce long texte approximatif de 500 pages a engendré une telle désaffection chez ceux qui étaient censés le recevoir comme une nouvelle Pentecôte ? Ce travail d’identification demande d’abord une véritable liberté intellectuelle pour ceux qui sont en mesure de le fournir. On peut dire que Benoît XVI la leur a donnée, mais sur le terrain, dans les diocèse, la nouvelle glasnost romaine est loin d’avoir produit tous ses effets.

Il n’est pas sans intérêt dans ce contexte d’observer ceux parmi les théologiens actuels, qui restent, au mépris du dogme le plus souvent, les défenseurs fervents du concile Vatican II. Je pense au Père jésuite Christoph Theobald, parce qu’il s’exprime en français comme son nom ne l’indique pas. Voici comment il met le doigt sur ce que j’appellerais « le problème de Vatican II » , dans un article récent de la revue Etudes : « Une prise en compte nouvelle de la liberté humaine sous sa forme contemporaine, déclenche une réinterprétation de l’identité chrétienne ». Le Père Theobald s’en félicite. Quant à nous, nous ne voulons pas de « la liberté sous cette forme contemporaine » qui absolutise la subjectivité et détruit la foi. Allons-nous pour autant nous contenter d’un esclavage ? Non : c’est un autre mode de liberté que nous cherchons, celui que nous a promis l’Evangile et qui naît du Point fixe de la vérité, reçue paisiblement, pratiquée fidèlement et qui transforme toujours – et pour toujours - celui qui la reçoit.

Abbé G. de Tanoüarn

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lundi 30 août 2010

Jean-Marie Paupert : Paix en la Demeure

Texte repris de Monde&Vie n°831 - 28 août 2010


Jean-Marie Paupert me l’expliqua sans ambages durant la visite que je lui rendis dans son bel appartement du Quai Voltaire : il y avait pour lui deux parties dans sa vie. Une partie où il s’était trompé et une partie où, chevaleresque, il avait entrepris de lutter contre le grand lâcher tout dont il s’accusait de l’avoir provoqué pour une part. Quel est le moment où son avis bascule? Je lui posai la question mais n’eus guère de réponse. Le fait est que dans Vieillards de chrétienté et chrétiens de l’an 2000, publié en 1967, il accuse pêle-mêle Jacques Maritain, François Mauriac et Jean Guitton d’être ces « vieillards de chrétienté », presque « des intégristes ». Et il professe, avec cette sorte de naïveté rafraîchissante qu’il a dû garder jusqu’à son dernier souffle, son admiration pour le Père Chenu (« bien plus intelligent que le Père Congar » me glissait-il encore trente ans plus tard) et son enthousiasme pour la nouvelle ère et « cet avenir de rites, reverdoyant constamment ». Je dirai qu’il était l’un de ces progressistes plein de foi dans l’avenir. Sa foi a été assez grande pour lui permettre de reconnaître qu’il s’était trompé dans ses espérances.

Une position de défense de la culture

Où est chez lui la ligne de partage des eaux ? Si l’on regarde sa bibliographie, il y a bien sûr Péril en la demeure, en 1979, dans lequel il sonne le tocsin de la crise de l’Eglise. Mais l’année précédente son livre sur Les Mères Patries, Jérusalem Athènes et Rome marque bien qu’il se trouve dans une position de défense de la culture, qui va l’amener à défendre la foi, foyer de cette culture. Il le fait dans Les chrétiens de la déchirure: « Je crains aujourd’hui que le catholicisme – oserais-je dire l’Eglise, ne perde son âme. Y restant, je reste dans l’incertitude ». L’animal souffrait et il éructait sa souffrance, comme il éructa naguère son optimisme.

Il avait commencé sa vie comme novice dominicain. Il avait ensuite été éditeur, responsable avec Daniel-Rops, de la fameuse collection Je sais Je crois chez Fayard. Il est resté toute sa vie l’homme d’une parole écrite. Il trouva à La Nef, grâce à Christophe Geffroy, un lieu tranquille d’où il pouvait continuer à éructer… Et au Ciel, où il a tant désiré se rendre, il doit continuer à fulminer, en portant sa récrimination, directe au Père éternel, qui, le voyant venir de loin, trouve les mots pour apaiser dans sa lumière cet honnête émule de Léon Bloy. Il avait toujours su d’avance, ce cher Paupert, que dans l’imprécation, étymologiquement, il y a la prière !

Abbé Guillaume de Tanoüarn

Bonne rentrée quand même

Des professeurs de lettres classiques (grec et latin) se sont émus du remaniement du concours de recrutement, le Capes de lettres classiques. Il est maintenu mais sans grec... ni latin. Rien n’empêche, bien évidemment, les étudiants qui s’y présentent de travailler ces langues en plus. Mais tout concours est difficile, et la meilleure manière de le réussir est de se concentrer sur les matières évaluées. Le grec ni le latin n’en font plus partie.

Voici un énième signe de la disparition par évaporation de la culture traditionnelle propre à notre pays (la France) et à notre foi (le catholicisme). Supprimez le prof, vous supprimez l’élève. A échéance de quelques années il n’y aura plus personne, dans l’immense majorité des collèges, pour enseigner le latin. Quant au grec...

Alain Juppé, sur son blog, écrit partager l’émotion des enseignants («A-t-on le droit de priver tant de jeunes de la chance de rêver un jour à la naissance de l’”aurore aux doigts de rose”, ou aux tourments de la “mer vineuse” en suivant Ulysse dans ses tribulations?»). C’est beau, et Juppé continue, il veut croire qu’il s’agit d’un nouvel épisode de la querelle des anciens et des modernes («qu’on ne vienne pas me dire qu’il est plus “utile” d’apprendre…»).

La réalité hélas est bien plus simple. On a décidé (pour des raisons éventuellement légitimes) de diviser par deux le nombre de profs que l’Etat rémunère. Quand deux vieux partent à la retraite, on n’embauche qu’un seul jeune. Déjà 56.000 postes économisés en 3 ans. Encore 300/350.000 à faire sauter. Pour s’en sortir, il y a trois possibilités : doubler le nombre d’élèves par classe - réduire de 50% la population scolaire - réduire de 50% le volume horaire de chaque élève… la solution retenue étant de jouer sur les trois tableaux, année après année.

Remplir les classes? 30 élèves en petite section, ça se rencontre, mais les murs ne sont pas élastiques. Réduire la population scolaire? en évitant les redoublements par exemple – parce que 10% d’une classe d’age qui redouble, c’est 70.000 élèves à caser. Réduire le nombre d’heures : en supprimant 55 minutes de français, 45 d’histoire,… voire en supprimant la matière. C’est ce qui arrive au grec, et au latin.

Je répète : L’Etat supprime un prof sur deux – on commence par le prof de latin. D’autres décisions intéressantes sont à venir, comme la suppression (par regroupement) des petites écoles rurales. Les Français le regretteront... sans accepter d'y voir la conséquence de leurs choix budgétaires.

dimanche 29 août 2010

Thomas Molnar ou la supériorité de la culture

Texte repris de Monde&Vie n°831 - 28 août 2010

C'était un homme d’une politesse exquise, que la fréquentation des idées avait poli, en lui laissant une humilité sans fard et une compétence à peu près universelle. Américain d’origine hongroise, Tomas Molnar était profondément francophile. Son premier livre – ce n’est pas pour rien – porte sur Georges Bernanos. Il avait besoin de communiquer ses idées et il le faisait avec le même naturel qu’il se mettait à table, en animant la conversation de cette immense culture qui n’était jamais importune, jamais encombrante, jamais pédante (oh non !) mais simplement rayonnante. Avec quel enthousiasme il se rendra régulièrement à Budapest, après la chute du Mur, alors qu’il a largement passé l’âge de la retraite, pour y retrouver un jeune public auquel il enseignera dans sa langue maternelle, la méfiance pour ce qu’il appelait « le mal moderne » mais aussi son immense confiance dans la pérennité des idées vraies. On peut dire que c’est le même sentiment qui l’animait pour écrire, en français, la chronique qu’il faisait parvenir à notre revue Monde et Vie, toutes les trois semaines, faite de choses vues et de jugements empiriques sur ce qu’il pouvait observer, gardant une insatiable curiosité dans le choix des sujets.

Disciple de Maistre et de Maurras

Dans son calme, on avait du mal à discerner sa vie aventureuse, son enfance hongroise en Transylvanie devenue roumaine par le traité de Trianon, sa jeunesse à Bruxelles où il parle couramment le français, son internement à Dachau comme leader de la jeunesse catholique belge et en 1950 sa fuite aux États unis… Foncièrement anticommuniste, il pointe ce qu’il appelle « le déclin des intellectuels », leur allégeance à l’idéologie. Et face à cette « furie nihiliste » qu’est la Révolution, devenue endémique dans le monde, il dresse la contre-révolution, à laquelle il consacre un ouvrage traduit en français sous ce titre, où il apparaît en disciple de Joseph de Maistre et de Charles Maurras. Ce qui frappe dans cette oeuvre, c’est le contraste entre un grand pessimisme sur les situations et un grand calme dans le maniement des idées. Je me souviendrai longtemps de sa finale sur « trois faux héros contre-révolutionnaires », Nixon, De Gaulle et Paul VI. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Thomas Molnar ne cherchait pas à se rassurer à bon compte. Très tôt il condamna l’enthousiasme conciliaire. Il perçut en Jean Paul II un pape qui ne répondait pas à la gravité de la crise dans l’Eglise par des mesures appropriées. Raison pour laquelle il soutint constamment les traditionalistes catholiques.

Il faut ajouter à ces analyses politiques une oeuvre philosophique d’envergure sur laquelle on n’insiste pas assez. Après L’utopie, éternelle hérésie (1967, 1973 tr. fr.), dans laquelle il montre que l’origine de toutes les idéologies est religieuse, en terminant son livre sur une critique sévère de Teilhard de Chardin, Molnar publie aux Presses universitaires de France, Dieu et la connaissance du réel (1974), dans lequel il établit que les positions épistémologiques des grands penseurs du XIXe siècle sont conditionnées en profondeur par leur positionnement théologique. Très tôt, il voit dans « le dieu immanent » la grande tentation de la pensée allemande, à laquelle il consacre un livre en français aux éditions du Cèdre (1982).

Rappelé à Dieu le 20 juillet dernier, en Virginie, Thomas Molnar était en train de dicter ses mémoires. On espère que cet ultime témoignage de sa vivacité sera rapidement traduit en français.

Abbé G. de Tanoüarn

samedi 28 août 2010

L’Eglise, l’Etat et les Roms - Le ministre de l’agriculture dans les choux

Texte repris de Monde&Vie n°831 - 28 août 2010


Bruno Lemaire, ministre de l’agriculture est un jeune politique aux dents longues. Et il n’hésite pas à faire la leçon… au pape lui-même, pour préserver la ligne sarkoziste et les acquis d’un néolibéralisme inquiétant.

Voilà comment, le 22 août, Bruno Lemaire s’en prend sur France 2 aux évêques français, coupables d’avoir parlé en défense des Rom, malgré les ordres d’expulsion qui ont été donnés par le ministère de l’Intérieur: « Je ne fais aucune critique contre l’Église. Je dis simplement qu’il y a, dans notre pays, un principe qui est la séparation totale de l’Église et de l’État. L’Église prend des positions que je n’ai pas à commenter; l’État, lui, est là pour faire respecter la règle de droit ». Une telle déclaration est passionnante parce qu’elle est innocente. Bruno Lemaire, qui s’occupe davantage ces derniers temps du prix du lait et du respect de la Politique Agricole Commune, a sans doute simplement l’impression de proférer une évidence, issue de la correctness ambiante. Séparation totale de l’Eglise et de l’Etat, cela veut dire : à l’Etat son boulot, à l’Eglise le sien, et surtout qu’elle ne sorte pas des limites que lui marquent les consciences individuelles.

Mais que dit la loi en réalité ? Séparation des Eglises et de l’Etat : il s’agit de distinguer deux pouvoirs, un pouvoir spirituel et un pouvoir temporel. Qui a dit que la ligne de démarcation entre l’Eglise et l’Etat était constituée par les limites de l’intime ou de la conscience personnelle, et que quand l’Eglise sortait de ce périmètre de l’intime, il fallait « s’abstenir vertueusement de tout commentaire », comme si les responsables ecclésiaux qui s’expriment ainsi n’avaient pas à le faire ? Qui a fait de la conscience une barrière infranchissable, une prison pour la foi? Personne. Et surtout pas la loi de 1905, ceci d’ailleurs parce que dès son article 1 l’Etat républicain est présenté comme le garant de la liberté de la conscience. Si l’Etat s’occupe de la liberté de conscience, pourquoi l’Eglise ne devrait-elle pas se préoccuper de tous les problèmes spirituels qui, de plus en plus, dans notre société désagrégée, sont impliqués dans la gestion de la chose publique, en particulier aujourd’hui où tous les domaines de la vie font l’objet de réglementation. Pourquoi l’Eglise n’aurait-elle pas le droit de protéger les Roms, qui, après tout, pour beaucoup sont ses paroissiens, assidus aux grand pèlerinage camarguais des Saintes Maries de la Mer ou tout simplement très nombreux chaque année à Lourdes?

Je dirai pour conclure sur son cas : le néo-libéral Bruno Le Maire est inconsciemment totalitaire. Lorsqu’on cultive la dérégulation sous toutes ses formes, c’est la pagaille. Le rappel à l’ordre qui ne manque pas d’intervenir, après la pagaille, est toujours caricatural. Nous avons là, me semble-t-il, la raison profonde de l’échec et de la déconsidération dont le sarkozisme est aujourd’hui l’objet de la part de tous – et en particulier, dans les sondages, de la part des catholiques, qui étaient 60 % et qui ne sont plus que 40 % à lui faire confiance. On abandonne en douce le modèle républicain, on impose le « laissez faire, laissez passer » au niveau de l’Europe: accord de Schengen, Minitraité, imposé au peuple qui avait dit non, lorsque ce Mini Traité s’appelait Traité de Lisbonne. Tant pis pour le peuple! Idéologiquement, l’idéal devient celui de la mobilité universelle, comme l’explique très bien Michèle Tribalat dans un livre récent1. Les mouvements de population qui en résultent ne manquent pas de créer du désordre. Alors on siffle maladroitement la fin de la récréation, en prenant comme boucs émissaires un groupe de personnes dont l’importance numérique sera toujours marginale dans la société française, parce que l’on ne souhaite pas s’attaquer aux vrais problèmes, qui sont les principes de libre circulation absolue, sur lesquels on a fondé une politique pour la France.

Rien de nouveau sous le soleil. Louis Veuillot écrivait déjà que le libéral est celui qui déteste les conséquences de ce dont il révère les principes. Les néos ? C’est pareil !

Joël Prieur

(
1) Michèle Tribalat, Les yeux grands fermés: l’immigration en France, Paris, Denoël, mars 2010.


Le pape a-t-il le droit de parler de fraternité universelle ?

Les évêques n’auraient pas suffi à émouvoir Bruno Lemaire et ses semblables, il y a aussi un petit mot du pape, qui ne cite pas les Roms mais s’applique trop bien à leur cas pour que ces mots ne soient pas volontaires de la part du Souverain pontife. Lors de l’Angelus, le 22 août, Benoît XVI s’est exprimé en français pour dire: « Les textes liturgiques de ce jour nous redisent que tous les hommes sont appelés au salut. C’est aussi une invitation à savoir accueillir les légitimes diversités humaines, à la suite de Jésus venu rassembler les hommes de toute nation et de toute langue. Chers parents, puissiez-vous éduquer vos enfants à la fraternité universelle ». Cette petite leçon d’universalisme semblait implicitement adressée aux autorités civiles françaises. Le pape parle non pas de melting-pot obligatoire ou de mixage, de métissage nécessaire, mais de « diversités légitimes ». Ce n’est pas la même chose ! On sait par ailleurs ce qu’il entend par « fraternité »: non pas un leitmotiv laïc et/ou maçonnique, mais ce que saint Pierre voulait dire dans son épître lorsqu’il donnait ce mot d’ordre: « Aimez la Fraternité ». Pour Benoît XVI, qui a signé un de ces premiers livres sur ce sujet, la fraternité signifie toujours d’abord la paternité de Dieu. On n’est pas frères si l’on n’est pas fils du même Père. Le pape fait de la politique? Mais en quoi sort-il de son rôle en disant cela ? Il est clair que la foi doit se communiquer et qu’elle intervient nécessairement dans la sphère publique. Imagine-t-on une foi qui reste enfermée au fond de la conscience ? Ce n’est pas la foi ! le laïcisme, même le laïcisme inconscient de lui-même que développe un ministre de l’UMP aujourd’hui [cf. article ci-dessus] reste l’ennemi de la foi, qu’il détruit avec des raisonnements faux.

J. P.

Faut-il s'intéresser aux médias ?

Les prêtres peuvent-ils s'intéresser aux médias ? Certains pensent que non, comme si le sacerdoce, faisant concurrence à la "grande Muette de la République", comportait implicitement une sorte de devoir de réserve. Mais c'est tout le contraire ! Le prêtre n'a pas à rester sur sa réserve. Il est fait pour parler. Qu'est-ce qu'un prêtre ? L'homme qui confectionne les sacrements, et qui, ce faisant, agit dans la personne du Christ. Mais si l'on considère sa valeur ajoutée en tant que personne unique, aimée et choisie par Dieu, c'est évidemment dans la parole qu'il faut aller la chercher, cette valeur ajoutée. Le prêtre est, dans tous les sens du terme, un homme de parole. Si cette parole peut de surcroît utiliser tel ou tel porte voix, pourquoi s'en priver ?

Il y a un conditionnement humain qui est important dans la diffusion de la Parole de Dieu. Dieu a voulu avoir besoin d'apôtres, et cela dès le début. Et il a voulu que la parole des apôtres retentisse d'une extrémité du monde à l'autre. il n'est pas indifférent que le Christ soit venu "en ce temps là", où florissaient les communications, grâce aux voies romaines et aux énormes travaux qu'elles ont représenté d'une part, et grâce à des lignes maritimes fonctionnant sans être (trop) perturbées par les pirates d'autre part. L'Empire a offert au Message du Christ la Paix romaine, comme une condition circonstanciellement nécessaire de la diffusion de son message.

Eh bien ! La mondialisation technologique d'aujourd'hui nous offre d'autres moyens. Les Voies romaines d'aujourd'hui passent par Internet. Il serait criminel de ne pas s'en rendre compte. Grâce à Internet, nous sortons de ce que l'on appelait au temps de Mc Luhan, dans les années 70, les "mass-media" et nous entrons dans une époque où, moyennant un minimum de compétence (ou dans mon cas moyennant l'amitié de gens compétents : le webmestre que je remercie...), on peut contrôler sa propre communication. Lorsque Mac Luhan expliquait "le message c'est le medium" il avait raison. Il est dangereux de communiquer quand on ne contrôle pas le medium, qui peut faire n'importe quoi de ce que vous lui donnez.

C'est l'éternel pb des mass media comme la télévision de masse, cette déformation systématique de l'information, au nom d'un message standard à faire passer, dont le vôtre ne représenterait plus qu'un symptôme parmi d'autres. Lorsque vous êtes invités pour permettre aux organisateurs de l'émission de prouver quelque chose, vous n'êtes pas maître de la donne. Alors de deux choses, l'une. Si l'on a que sa personne à promouvoir, si l'on fait dans l'autopromotion, ce n'est pas forcément très grave. Quoi que vous direz, c'est vous que l'on retiendra et peu importent les conditions dans lesquelles passera votre message, du moment que personnellement vous tiriez votre épingle du jeu. Mais si vous vous sentez chargés de porter une parole qui n'est pas vôtre, là les données du pb sont très différentes. Caute ! comme disait Spinoza. Il faut user de suffisamment de précautions pour que le message dont vous êtes porteurs ne soit pas parasité dans une sorte de surimposition médiatique d'un autre message.

Mais ce qui est merveilleux aujourd'hui c'est que la télévision de masse elle-même s'essouffle, que l'on préfère choisir son film soi-même moyennant trois euros et le regarder sur son ordinateur portable que de regarder le film obligatoire à 20 H 30, avec les pubs qui n'en finissent plus. Quant aux talk show, sans rentrer dans le détail de chacune des émissions proposées, on voit bien que la veine s'en épuise et que trop souvent l'on réinvite tout un petit monde de parleurs, toujours les mêmes, qui sont là parce que l'on sait (et donc que l'on contrôle) ce qu'ils vont dire. Bref... La télé de masse, de moins en moins regardée,doublée par toutes sortes de chaînes plus spécialisées, ne me semble plus un endroit incontournable pour "passer" l'Evangile. D'autant plus que ne survivent à cette atmosphère, que des personnalités qui sont soit vidées de toute substance (comme le Père de La M. toujours d'accord avec ce qu'on veut lui faire dire) soit transformées en ravis de la crèche et possédés par un humanisme à la fois élémentaire et faux (comme Mgr de Parthénia), soit diabolisées et heureuses de l'être parce que cela au moins les fait exister.

Nous vivons une époque où la Culture de masse demeure pour tous ceux qui n'ont pas idée d'aller voir plus loin, mais où il est de plus en plus facile de la contourner, tant les offres sont nombreuses.Le pape nous exhorte (c'était à Malte je crois cette année) à considérer le message chrétien - non pas comme partie intégrante du conditionnement de masse - mais comme constitutif d'"une véritable contre-culture", antimatérialiste. Cette contre-culture, qui est une culture de vie, nous avons les moyens de la diffuser sans nous laisser asservir par le medium, grâce aux progrès prodigieux de la technologie.

A nous de comprendre et de faire comprendre que cette contre-culture ne doit pas être une nième culture tribale. Il y a l'universalité d'un matérialisme et d'un consumérisme de masse qui prend aujourd'hui la forme d'une culture et aspire au Monopole universel. Il y a les enclaves, qui maintiennent les lois de la tribu, tous les petits villages d'irréductibles que l'on peut imaginer. Et il y a une contre-culture qui aspire à l'universalité au nom de la vérité dans laquelle l'homme doit se transformer s'il veut échapper au néant (je veux dire : au nom du salut annoncé). Cette contre-culture, qui n'est pas une culture de masse mais qui est une culture universelle, c'est la culture de l'Eglise catholique dans le monde.

jeudi 26 août 2010

[Minute] «Les Roms ne doivent pas être l’alibi du néolibéralisme européen»

article paru dans Minute du 25 août 2010

L’abbé Guillaume de Tanoüarn, membre de l’Institut du Bon Pasteur, dirige le Centre Saint-Paul. Il est aussi le directeur de la revue « Respublica Christiana ». Sur l’affaire des Roms, comme en tout, il refuse la politique du bouc émissaire.

Minute : Est-il vrai que le pape a pris position, contre le gouvernement français, dans le débat sur le renvoi des Roms en Roumanie ?

Abbé Guillaume de Tanoüarn : Il est vrai que le pape, lors de l’Angelus traditionnel à Castel Gandolfo, s’est exprimé en français et seulement en français, sans traduction dans les autres langues comme c’est l’habitude, pour exhorter à l’universalisme chrétien. Voici ses paroles : « Les textes liturgiques de ce jour nous redisent que tous les hommes sont appelés au salut. C’est aussi une invitation à savoir accueillir les légitimes diversités humaines, à la suite de Jésus venu rassembler les hommes de toutes nations et de toutes races. » Il a ajouté, de manière peut-être plus personnelle, mais en s’adressant clairement non aux autorités politiques mais aux parents : « Chers parents, puissiez-vous éduquer vos enfants à la fraternité universelle. »

Je précise, pour ceux auxquels l’expression de « fraternité universelle » apparaîtrait comme connotée dans une tradition spirituelle qui n’est pas celle du christianisme orthodoxe, que le pa­pe donne à ce terme de « fraternité universelle » un sens très précis. Pour lui, ne peuvent être dits « frères » que ceux qui ont le même Père, Dieu en l’occurrence. Rien à voir entre ce mot d’ordre pa­pal et les meetings où Ségolène Royal faisait répéter : « Fra-ter-ni-té », dans une version assez pauvre de la tradition laïque française.

Les psychodrames médiatiques se multiplient ces derniers temps. Il ne faudrait pas faire de quelques mots de Benoît XVI une prise de position dans la politique française. Ce n’est pas la coutume du Vatican d’agir de cette manière. En revanche, je crois que le Saint Pè­re a voulu, de manière discrète, immédiatement amplifiée par le grand or­chestre médiatique international, donner un signe de sa solidarité envers les Roms, dont beaucoup sont chrétiens, fréquentant assidûment des pèlerinages comme Lourdes ou les Saintes-Maries-de-la-Mer en Camargue. On peut aussi voir le souci du pape de ne pas laisser le champ libre aux chrétiens évangéli­ques, qui ont montré leur force montante chez les Roms, pas plus tard que la semaine dernière au grand rassemble­ment de Chaumont (30 000 carava­nes annoncées, venant de toute l’Europe).

Que pensez-vous de l’attitude de l’épiscopat français, qui communique beaucoup sur la question ?

L’épiscopat trouve dans cette affaire une occasion de faire entendre sa voix, ce n’est pas moi qui m’en offusquerai. Le cardinal Vingt-Trois apparaît com­me particulièrement en pointe dans ce dossier parce qu’il est, du point de vue ecclésiastique, non seulement l’archevê­que de Paris, mais aussi l’Ordinaire, responsable des gens du voyage en France.

Il me semble que les Roms, qui ne se­raient pas plus de 15 000 dans notre pays (10 millions en Europe), ont été pris pour des boucs émissaires dans les rodomontades de la nouvelle politique sécuritaire du président Sarkozy. La malheureuse occurrence que représente la date du 18 juillet dernier, où l’on a assisté, à Grenoble, à un commen­cement d’émeute de la part de voyous des cités, et où, en même temps à Saint-Aignan dans le Cher, une brigade de gendarmerie a été attaquée par un groupe de Roms organisés a sans doute donné des idées au gouvernement.

On a pensé qu’il était plus facile, on a pensé qu’il était électoralement plus crédible de lancer, au niveau national, une campagne contre un groupe ultra-mi­noritaire, plutôt que de se donner l’air de stigmatiser le problème grenoblois mais aussi hexagonal de certaines cités, devenues des poudrières, en agitant à nouveau le kärcher comme un épouvantail. J’ai l’impression d’entendre le fameux vers de la Fontaine : « On crie haro sur le baudet ! » Ou si vous préférez les paroles de la chanson : « Le sort tomba sur le plus jeune. »

En tant que prêtre, vous soutenez les Roms ?

Je crois qu’il faut se méfier de la politique du bouc émissaire, mais il ne faut pas non plus pratiquer des généralisations hâtives en sens inverse, en mélangeant des situations diverses, des grou­pes qui n’ont que peu de rapport entre eux, ou en canonisant d’avance tous ceux que l’on répute être des victimes. Autant je me méfie de ne pas avoir à hurler avec les loups, autant je crois qu’il ne faut pas non plus tomber aveuglément dans le culte des victimes. Ces deux attitudes se ressemblent, en ce qu’elles manifestent la même paresse d’analyse et la même bonne conscience.

Les gens du voyage représentent plusieurs groupes : il y a les gitans et les manouches, qui circulent en France de­puis la nuit des temps. Il y a les Roms, originaires de Bulgarie ou de Roumanie, qui profitent de la nouvelle liberté de circulation que représente l’espace Schengen.  A noter des difficultés réelles chez certains Roms : par exemple des trafic d’enfants et de la pédophilie (à Pa­ris longtemps au vu et au su de tous autour de la gare du Nord).

Il ne faudrait pas dire non plus que les Roms sont tous des petits saints et Sarkozy le grand Méchant. Ce serait parfaitement dérisoire. Il y a des problèmes partout dans une société française profondément désagrégée, qui am­plifie le malaise là où il existe. Il ne faut pas se voiler les yeux…

Un prêtre qui dit prier pour la mort du président de la République, même s’il a ensuite présenté ses excuses, vous expliquez ça comment?

Le père Arthur Hervet a déclaré exactement : « Honnêtement, je prie, je vous demande pardon, pour que M. Sarkozy ait une crise cardiaque. » Ce père assomptionniste, selon le génie de son or­dre (l’ordre des Assomptionnistes qui a fondé le quotidien « La Croix »), a sans doute cherché à faire un coup médiatique en convoquant le 22 août une conférence de presse pour expliquer pourquoi il rendait à M. Hortefeux, qui l’avait décoré il y a trois ans, sa médaille de l’ordre du Mérite. Hélas il s’est laissé emporter, en opposant bouc émissaire à bouc émissaire. Son improvisation ratée (c’est de cela qu’il s’agit si l’on regarde la video sans préjugé) ma­nifeste à quelle profondeur peuvent agir les passions politiques chez des clercs qui confondent la mission temporelle qu’ils se donnent avec leur mission sa­crée et sacerdotale. J’appellerai cela volontiers le syndrome de l’abbé Pierre.

Brice Hortefeux se dit prêt à recevoir le président de la Conférence épiscopale, Mgr Vingt-Trois, cardinal archevêque de Paris, ainsi que des personnalités religieuses qui le souhaiteraient. Souhaitez-vous rencontrer Brice Hortefeux ?

Si j’avais à rencontrer M. Hortefeux, ce ne serait pas pour lui parler des Roms, que je connais simplement par quelques rencontres intéressantes au cours de mon ministère, et à propos desquels je ne veux pas avoir un discours simplificateur, mais peut-être pour essayer de le faire réfléchir sur l’in­compatibilité qu’il y a entre la droite forcément conservatrice et respectueuse d’un ordre naturel, qui implique certaines valeurs stables et publiquement encouragées, et une « nouvelle droite » néo-libérale, qui ne sait gérer les situations qu’en alternant une extrême permissivité au paradis putatif de la dé­régulation tous azimuts, et brusquement, par montées de fièvre, un discours répressif de matamore au Kärcher, aussi dérisoire qu’inquiétant.

Combien de temps les conservateurs, qui sont traditionnellement, qu’on le veuille ou non, les plus nombreux en France, continueront-ils à se reconnaî­tre dans ce néo-libéralisme qui, selon la vieille formule de Louis Veuillot, se condamne à l’inefficacité permanente en « révérant les principes de ce dont il déteste les conséquences » ? Il est clair que les problèmes que posent certai­nes populations roms (tout comme ceux que suscitent ici et là les jeunes des banlieues) proviennent du grand « laissez passer » proclamé au niveau eu­ropéen. C’est à cette politique générale qu’il faut s’attaquer, avant de susciter des remous en cherchant des alibis et en entrant maladroitement dans un seul des problèmes particuliers qui hantent notre dissociété actuelle.
Propos recueillis par Gabriel Knaff

«... au cours des ultimes décennies de la civilisation occidentale...» (Michel Houellebecq)

«[...] L'anthropologie chrétienne, longtemps majoritaire dans les pays occidentaux, accordait une importance illimitée à toute vie humaine, de la conception à la mort; cette importance est à relier au fait que les chrétiens croyaient à l'existence, à l'intérieur du corps humain, d'une âme - âme dans son principe immortelle, et destinée à être ultérieurement reliée à Dieu. Sous l'impulsion des progrès de la biologie devait peu à peu se développer au XIXe et au XXe siècle une anthropologie matérialiste, radicalement différente dans ses présupposés, et beaucoup plus modeste dans ses recommandations éthiques. D'une part le foetus, petit amas de cellules en état de différenciation progressive, ne s'y voyait attribuer d'existence individuelle autonome qu'à la condition de réunir un certain consensus social (absence de tare génétique invalidante, accord des parents). D'autre part le vieillard, amas d'organes en état de dislocation continue, ne pouvait réellement faire état de son droit à la survie que sous réserve d'une coordination suffisante de ses fonctions organiques - introduction du concept de dignité humaine. Les problèmes éthiques ainsi posés par les âges extrêmes de la vie (l'avortement; puis, quelques décennies plus tard, l'euthanasie) devaient dès lors constituer des facteurs d'opposition indépassables entre deux visions du monde, deux anthropologies au fond radicalement antagonistes.

L'agnosticisme de principe de la République française devait faciliter le triomphe hypocrite, progressif, et même légèrement sournois, de l'anthropologie matérialiste. Jamais ouvertement évoqués, les problèmes de valeur de la vie humaine n'en continuèrent pas moins à faire leur chemin dans les esprits; on peut sans nul doute affirmer qu'ils contribuèrent pour une part, au cours des ultimes décennies de la civilisation occidentale, à l'établissement d'un climat général dépressif, voire masochiste. [...]»
 
Michel Houellebecq - Les particules élémentaires (1998)

Flammarion publiera le 8 septembre le nouveau roman de Houellebecq, La carte et le territoire.

Dialogue avec mon coiffeur

Mon coiffeur s'appelle Karim, il est arrivé d'Algérie il y a 40 ans, et sa conversation vaut son pesant de cacahouètes. Tenez, la dernière fois, il me dit que non, selon lui je ne vais pas devenir chauve. Il conclut:

Lui - Inch'Allah, comme on dit.
Moi - Ma foi...
Lui - Je dis Allah mais c'est le même Dieu pour tout le monde.
Moi - eh...
Lui - Les chrétiens, les juifs, les musulmans, on a le même Dieu, mon ami.
Moi - ?
Lui - Il y a qu'un Dieu, pareil pour tous.
Moi - !?
Lui - Même les Chinois, les Indiens, on a tous le même Dieu
Moi - ...
Lui - Même les athées, il y a un seul Dieu, c'est le Dieu pour eux aussi.
Moi - heu...
Lui - Il y a le même Dieu, même pour ceux qui croient des conneries.
Moi - ah?
Lui - ... et quand ils meurent, ils sont en enfer.
Moi - oh?
Lui - Bien sûr, on a tous le même Dieu, on a tous le même diable.

Moralité? Quand on parle avec des gens de culture très différente, il vaut mieux (re)définir les termes.

mercredi 25 août 2010

[Rémi Lélian - Respublica Christiana] L'intégrisme est un athéisme

Je reprends à mon compte l'intuition profonde que développe l'abbé de Tanoüarn dans son petit livre sur Jonas (« Jonas ou le désir absent », aux éditions Via Romana), et qui lui fait dire que l'intégriste n'est jamais quelqu'un ayant trop la foi, ou qui encore, foudroyé, l'userait à mauvaise escient, tant elle seule lui tiendrait lieu de mode d'existence au détriment de tout le reste, mais à l'inverse quelqu'un qui ne l'a pas assez. Quelqu’un dont le doute la balaierait de manière si forte, que sa foi lui semble alors un mince rempart face à ce vent kamikaze. Un homme finalement si éloigné de Dieu, sans vouloir l'admettre pour autant, qu'il lui faut pousser sa religion du dogme à l'hystérie, pour espérer lui donner ainsi un aliment sensible, au goût extrême, capable d'irriter ses papilles hélas tuméfiées.

Car si le dogme et la tradition sont les repères dont aucun ne peut faire l'économie devant l'inconnu ultime qu'est le jugement du Seigneur, l'intransigeance, la certitude d'appartenir aux camps des justes, en incarnent l'exact antagonisme. Le refus de la complexité, la haine du doute, l'horreur d'imaginer qu'il existe un ailleurs hors nos critères, ne figurent jamais le rejet de cette subjectivité maladive qui, le siècle passé, nous a obligé de renoncer à presque toute forme de vérité en dehors du particulier, mais précisément son opposé parfait. C'est la victoire de la subjectivité, montée jusqu'à son paroxysme négateur, qui persuade l'intégriste qu'il la combat, lors qu'en appelant objectivité le délire solipsiste de sa vision du monde, à l'intérieur duquel il s'emprisonne, il s'efforce simplement de rendre le subjectivisme plus implacable encore. « Qui fait l'ange fait la bête ».

En d'autres termes l'intégriste est une métastase contemporaine du nihilisme, et le monde qu'il veut défendre n'est ni celui du futur, ni celui du passé, pas plus qu'il n'œuvre au Royaume ou à l'ici-bas. Pis, il est cette pure présence pétrifiée dans une lubie qui l'empêche d'espérer autre chose que ce en quoi il croit, et de croire en autre chose que sa croyance qui n'est plus, depuis longtemps, la foi, mais sa conviction, son idéal !

Pauvre hère, il est la meilleure illustration d'un univers sans Dieu, où l'altérité n'est que l'autre visage d'un « moi » dictatorial, régnant partout aujourd'hui, menaçant chacun, et que nous aurions tort de ne deviner que dans les seuls religieux, puisqu'en chaque homme perdu loin du Tout-Puissant, il sommeille ; et qu'il existe aussi bien des intégristes laïques que des fanatiques « modérés »...

Rémi Lélian

Le fou et le possédé...

Il se trouve que je suis tombé tout à l'heure à la Procure sur un passionnant recueil des articles publiés au mois de mai dernier par la revue Études sur le concile Vatican II. Passionnant ? parce qu'historique. Entre ce que pense de Vatican II le Père Rouquette dans les années Soixante (dont une nièce propre est aujourd'hui un pilier de notre Centre Saint Paul), ce qu'en écrivent Jean Daniélou dans les années Soixante dix (ou un autre jésuite très présent à Vatican II, Henri de Lubac est étrangement absent), Bernard Sesboüe dans les années 80, Gilles Routhier dans les années 90, et Christoph Theobald dans les années 2000, on a vraiment l'impression, en quelques pages d'un drôle de kaléidoscope, avec des variations, une décennie après l'autre, qui sont impressionnantes, quand on les envisage toutes dans le même regard. Inquiétantes ces variations ? Pour un Bossuet peut-être.Pour l'Église, qui les subit, comme les cahots d'une piste mal établie, sans doute. Mais pour un apprenti théologien, qui a compris la nécessité de l'herméneutique que défend le pape Benoît XVI, ce petit volume contient la preuve que le Concile - Protée spéculatif - n'existe que dans son interprétation. les jésuites s'en sont donné à coeur joie ? Pourquoi pas nous ? Attention nous prévient Benoît XVI : ne lisez jamais Vatican II sans la lumière de la Tradition. Involontairement c'est ce que montrent les jésuites du Centre Sèvre qui ont composé ce bel ouvrage : tout est dans l'interprétation.

Prenons carrément l'interprétation ultime, celle du Père Theobald. Il se demande si Vatican II, dans son souci de ne pas heurter la conscience contemporaine, nous a fait renoncer à ce que saint Paul appelait pour les Corinthiens, "la folie de la prédication". Question courageuse ! "Je voudrais montrer plutôt, répond notre jésuite, que les textes juxtaposent au moins deux manières de voir". il y a d'un côté, dans Vatican II, des traces de "l'intransigeance" dans laquelle beaucoup ont vu l'unique manière d'affirmer "la différence chrétienne". Et de l'autre côté,on discerne "le souci d'inscrire la différence chrétienne au sein même des évolutions de la modernité". Qu'en termes galants... Disons pour faire court : soit la différence chrétienne se trouve dans la Parole, qui s'impose d'elle-même à la société dans laquelle elle est prêchée [c'est la position dite intransigeante : la vérité chrétienne ne dépend pas dans son contenu des évolutions de la vie sociale] ; soit la société dans laquelle chacun évolue lui permet d'identifier une différence toujours différente d'avec elle-même, puisqu'elle se découvre dans le fleuve rugissant de l'événement, qui est toujours un autre [c'est la position de Theobald, qui fait du christianisme non pas tant un contenu mais plutôt un style, une manière d'être, s'adaptant sans cesse à la variance du climat dans lequel se trouve le chrétien].

Conséquence de cette adaptation permanente ? L'Église a 2000 ans, soit. Mais, comme il l'explique dans un autre livre, elle est toujours, elle est encore aujourd'hui une "Église naissante". Étonnant, non ? Theobald a-t-il retrouvé dans ce "style" chrétien sans contenu (ou dont le contenu est toujours nouveau) la folie de la prédication dont parle saint Paul ? Quoi qu'il en dise, je ne le crois pas : saint Paul n'a jamais imaginé que son message soit de pure forme. Comme il le dit à ses terribles Galates, "si moi même, si un ange des Cieux revienne et vous dise le contraire de ce que je vous ai dit, qu'il soit anathème".

Certes les livres de Theobald suscitent un véritable emballement. J'irais jusqu'à dire : un enthousiasme. J'emploie ce terme au sens grec, à propos duquel Platon lui-même dans le Phèdre n'avait guère d'illusions : un dieu ou un démon est à l'intérieur et s'agite. Ce n'est pas la folie de la prédication, c'est... une sorte de possession toute subjective. Je pense à cette idée que défend Theobald [dans son livre récent sur Dei Verbum] sur l'inspiration des écritures : est inspiré ce qui est inspirant (op. cit. p. 83). Nous voyons cette étrange reductio ad subjectum qui est le contraire de la folie paulinienne, folie de la croix ou de la prédication,folie absorbée dans le spectacle de la souffrance d'un Dieu ou dans le prestige incomparable de son Verbe qu'elle tâche de faire sien. Comme dit Theobald, "il faut déplacer l'inspiration vers les effets produits dans et entre les récepteurs". L'Évangile me fait de l'effet, c'est un texte inspiré, soutient dans une rhétorique marmoréenne le théologien Theobald. Qu'est-ce donc que cet "effet" produit sur les récepteurs" ? Cela me fait penser à cet "enthousiasme" antique, que l'on peut bien appeler une possession.

Quel exemple pourrais-je trouver d'une telle "possession", d'un tel "enthousiasme" ? A la demande de l'abbé Laguérie, j'ai assisté récemment à la fin d'un dîner avec Mgr Gaillot. Un homme estimable en lui-même certainement. "Un saint type" comme me disait naguère un ami prêtre. Mais enfin... un "enthousiaste", possédé par son esprit propre. Il fallait voir avec quelle ferveur il répétait à longueur de temps, sans se soucier ni de tautologie ni de psittacisme : "Je suis humain" ; "Je défends l'humain"... Quel sérieux! Quelle douceur! Quelle ferveur! Quel sucre dans cette lapalissade! Mgr Gaillot est certainement un inspiré, au sens du Père Theobald. Il a "le style" de la liberté évangélique : pure "forme". Mais que lui reste-t-il d'autre ? Son enthousiasme - assez conformiste, il faut bien le dire - lui a fait oublier "la folie - rugueuse parfois - de la prédication".

C'est qu'il y a loin du fou évangélique au possédé de l'esprit du monde.

jeudi 19 août 2010

Une belle personne

C'est la rentrée. Lorsqu'on est responsable d'un bastringue, on fait le compte... Sur qui s'appuyer ? Avec qui compter ? Celui qui entreprend (et Dieu sait que notre Centre Saint Paul est une petite entreprise spirituelle) a besoin de savoir qui est solide, qui est imaginatif et entreprenant et qui est juste un mangeur de soupe... Ou pire, un déblateur qui vit aux dépens de celui qui l'écoute.

Je dois dire que cette année se présente sous les meilleurs auspices. Depuis cinq ans, j'ai des gens qui proposent des activités ou des cours et qui font tourner la machine. Le Centre Saint Paul devient un lieu de "conspiration" (au sens que Leibniz donne à ce terme : il ne s'agit pas de complot mais de convergence). Je remercie tous ceux qui "conspirent", Micheline, Benoît, Olivier, Matthieu, Matthieu Michel et Mathieu, Camille, Jérôme, Tristan, Catherine, Claude, Marie-Françoise, Gilles, Gilles, Jean-Pierre, Ombeline et tous ceux qui nous rendent service sans être inscrits sur les listes, ceux aussi que j'oublie. Tous les autres ! Je ne parle pas des ecclésiastiques !

Je voudrais tout de même évoquer d'une ligne l'abbé Winfried qui nous vient du Burkina,avec "l'ordre de mission" de son évêque : il découvre en ce moment la liturgie extraordinaire avec un enthousiasme qui me rappelle ma jeunesse."C'est très priant" me dit-il. Il fait des sermons simples et émouvants comme la foi. Et pendant qu'il est là, j'apprends que l'abbé Baumann, en vacances à la Martinique depuis quinze jours, a trouvé moyen de prêcher, impromptu, une récollection à une cinquantaine de personnes. C'est aussi ça l'universalité de l'Eglise : l'échange.

Faut-il des aptitudes ? Qu'est-ce qui est requis pour "conspirer" ? Qu'est-ce qui est requis pour manifester l'aujourd'hui de la chrétienté ? Mettre ses dons aux services des autres. Voilà le maître mot : le service. Chacun, ensuite, apporte ce qu'il possède.

On n'est pas jugé sur ce qu'on a, mais sur ce qu'on donne.

Ce qu'on a, ce qu'on donne ? N'est-ce pas la même chose ? J'ai mis très longtemps à comprendre la formule de Plotin : "Le bien donne ce qu'il n'a pas". On m'avait appris le bon sens scolastique renfermé dans le schiboletth : Nemo dat quod non habet. Personne ne donne ce qu'il n'a pas. Outre que les circuits financiers d'aujourd'hui contredisent à l'envi ce gros bon sens, car les banques passent leur temps à prêter ce qu'elles ne possèdent pas, il me semblait que Plotin voulait dire quelque chose qui ne relevait pas forcément de la science économique actuelle.

Le bien donne ce qu'il n'a pas ? C'est parce qu'il donne ce qu'il est. Et nous faisons tous de même comme dirait la chanson. Nous ne donnons pas ce que nous possédons, rassurez-vous, je ne suis pas un détrousseur. Nous donnons ce que nous sommes. Et c'est pourquoi souvent nous donnons en silence. Par l'exemple. En particulier aux enfants.

Qu'est-ce qui est requis de ceux qui donnent ? Posséder ? Non. Vouloir donner. Une communauté existe, elle rayonne, elle manifeste une joie quand elle est constituée de gens qui veulent donner.

Vous qui avez un peu vécu, si vous vous retournez en arrière, si vous faites un bilan, que vous reste-t-il ? Ce que vous avez acquis ? C'est tellement fragile. Ce que vous emportez derrière le rideau, c'est toujours... ce que vous avez donné. Vous avez cru le perdre. En le donnant, vous l'avez gagné. Vous l'avez gardé pour toujours. Amour, passions diverses, travail : ce qui nous reste, ce n'est pas ce que nous avons jalousement gardé et qui s'étiole entre nos mains, c'est ce que nous avons donné, et qui, de loin, brille encore comme un gage et comme une promesse.

Telle est la loi de la vie. Et c'est aussi, en une sublime redondance, la loi de la charité.

[François Bousquet - Respublica Christiana] Péguy en croisade contre le monde moderne


Charles Péguy est un homme à part dans l’histoire des lettres françaises. Poète de l’incarnation, polémiste redoutable, il avait une âme combattante et religieuse. De l’affaire Dreyfus à la Grande Guerre, il a cherché à faire prévaloir une conception héroïque de l’existence. Jusqu’à en mourir.

L’œuvre de Péguy, c’est à elle seule le mémorial de la Grande Guerre. En mourant au champ d’honneur, d’une balle en plein front, aux premiers jours de septembre 14, son auteur, qui était alors lieutenant, est devenu pareil à ces soldats dont les noms sont gravés sur les monuments aux morts qui jalonnent notre pays. La propriété de tous et de personne. Vichy et quelques autres ont bien cherché à annexer son nom, en vain. Péguy était trop inclassable, lui qui annonçait : « Je suis toujours sur deux plans. » Nationaliste chez les dreyfusards, monarchiste chez les républicains, charnel chez les mystiques. Jean Guéhenno l’a résumé d’une formule sans appel : c’était un républicain qui ne votait pas et un chrétien qui ne communiait pas.

Nul auteur n’aura été plus français que lui. Sédentaire parmi les sédentaires, autant qu’on puisse l’être, il n’aura guère sillonné qu’un seul et même pays, quelques arpents de terre reliant Orléans à Paris et Chartres au ciel. C’est l’homme d’une triple fidélité, à la France, à la civilisation rurale et au christianisme. Fides, la foi. Il l’avait chevillée au corps, soutenu par « la petite fille Espérance », la deuxième vertu théologale, qu’il a célébrée dans Le Porche du mystère de la deuxième vertu (1910). On aura beau chercher, il reste sans précédent dans notre histoire littéraire. La raison en est toute simple : il procède d’une tradition orale. C’est le légataire de la culture paysanne et de la religion populaire. Un enfant de l’ancienne France, simple parmi les simples, qui ne lisait que le missel. L’un des douze chrétiens essentiels depuis le Christ, selon le théologien Hans Urs von Balthasar.

Il restera comme l’auteur d’une œuvre prophétique, longue imprécation contre le monde moderne, placée sous le signe d’Antigone et de Jeanne d’Arc, les deux grandes figures féminines de la désobéissance héroïque. De cette œuvre, émerge tout à la fois une prière, une méditation et un prêche. On a là les registres stylistiques qu’elle revêtira tour à tour. La litanie, le dialogue, la harangue. Le tout rythmé par une langue solidement charpentée, à la robustesse d’un animal de trait, d’une monotonie envoûtante.

La vie et les livres de Péguy ne forment finalement qu’une seule et même chose. Ils avancent d’un même pas assuré, celui d’un personnage intransigeant, à l’aise seulement dans le refus, la polémique, le corps à corps. Un écrivain réactif, qui réagissait en permanence à l’événement et aimait à se trouver au cœur de la mêlée, faire des « personnalités », comme il se plaisait à dire, car les idées sont de chair. Il ressentait comme personne la nécessité de les personnifier, se battant contre la désincarnation du monde moderne, cet art abstrait émergent, dont tout l’éloignait. À cela, l’homme enraciné qu’il était opposait la matérialité du monde, la pesanteur des choses, le relief de la Terre. La Création est tangible, ou elle n’est pas. Le spirituel ne s’est-il pas incarné dans le charnel ? Le Christ ne s’est-il pas fait homme ?

Un porte-parole de la nation réelle

Péguy nous vient de loin, de la nuit des temps, du fin fond de l’histoire de France. Il est sans âge. C’est à travers lui l’être collectif français qui parle, le chœur de nos profondeurs. « Un produit humain qu’il a fallu dix-neuf siècles de culture pour porter à ce point de civilisation », disait de lui Barrès. Il est né le 7 janvier 1873 à Orléans dans une famille de petits artisans, élevé par une mère rempailleuse de chaises, dans le souvenir d’un père menuisier, mort des suites du siège de Paris. Impossible d’arracher l’enfant à ces origines, lui qui écrivait : « Tout est joué avant que nous ayons douze ans. »

Il est entré dans le siècle par la petite porte, celle des boursiers de l’école républicaine, la seule qu’il ne refermera jamais. Jusqu’à la fin, ces premiers maîtres continueront de lui apparaître dans la lumière des aurores enchantées – « beaux comme des hussards noirs ». Ils remplaceront le père mort et l’aiguilleront sur la voie royale de la IIIe République : du certificat d’études jusqu’à l’École Normale Supérieure, dont il démissionnera cependant.

C’est que dans l’intervalle, le jeune homme s’est « converti » au socialisme. Avec ses camarades, dont Albert Mathiez, le futur historien de la Révolution française, n’avait-il pas baptisé sa chambre d’étudiant, sa « turne », du nom d’« Utopie » ? Tout un programme. Il écrit alors dans La Revue socialiste des textes empreints de naïveté, comme De la cité socialiste, rêverie utopique. Mais c’est l’affaire Dreyfus qui va le jeter dans l’arène. À cette occasion, il rencontrera Bernard Lazare, « prophète d’Israël », dont il va rallier la cause (plus encore que celle du déporté de l’île du Diable) et auquel il consacrera des pages inoubliables dans Notre Jeunesse (1910), le chef-d’œuvre du dreyfusisme.

Péguy a alors son quartier général, sa première librairie, rue Cujas, une « boutique d’angle », proclame-t-il fièrement. Au sous-sol, on accueille « les synodes de la révolution et les conseils de guerre dreyfusards ». Le gérant de la librairie en impose à tous avec sa canne, sa pèlerine noire et ses monocles. Il se flatte de conserver dans un tiroir son pistolet d’ordonnance, au cas où. C’est là qu’il succombe au verbe de Jaurès, le grand amour déçu de sa vie. La parole du tribun socialiste l’a littéralement happé. Elle qui submergeait tout auditoire, à telle enseigne que Barrès, pareillement subjugué, disait qu’on ne savait pas si ce flot de paroles émanait d’une source ou d’une citerne. Une citerne, creuse de surcroît, finira par décréter Péguy, qui ne lui pardonnera ni son opportunisme, ni son soutien à la politique anticléricale du « petit père Combes », encore moins son pacifisme. C’est en pensant d’abord à lui qu’il lancera son célèbre : « Tout commence par la mystique et finit par la politique. » Pauvre Jaurès ! Il le traînera par la barbe et par les cheveux avec une sorte de frénésie. Ce « gros poussah », le « représentant en France de la politique impériale allemande », un « traître par essence ». L’Argent (1913) et plus encore L’Argent suite (publié après sa mort) constituent autant de charges meurtrières à l’encontre du leader socialiste. Son assassinat sur papier, avant son assassinat réel le 31 juillet 1914.

Péguy fera donc bande à part, en marge du socialisme officiel. Il installera en 1900 ses Cahiers de la Quinzaine au 8, rue de la Sorbonne, en face de la vénérable institution, son plus puissant ennemi, la voix du rationalisme scientifique et du positivisme. Le « parti intellectuel ». Ce qu’Albert Thibaudet appellera la « République des professeurs ». C’est la philosophie de Bergson qui va sauver le gérant des Cahiers de ce poison intellectuel, en lui donnant accès à un ordre supérieur de réalité. La durée, qui, chez lui, devient épaisseur historique. L’intuition comme antidote à l’intellectualisme de sa génération. En un mot, la liberté. Celle-là même que lui offrent les Cahiers. Là, il n’est pas soumis aux contraintes de l’édition, ni à celles du journalisme, n’étant jamais aussi bon que lorsqu’il n’est pas canalisé, comme pour donner raison à Romain Rolland qui comparait son œuvre à la Loire : tour à tour, ample, calme, majestueuse, indomptée.

Les Cahiers, c’est l’œuvre de sa vie (au total, 15 séries et 229 numéros, pour un nombre d’abonnés qui oscillera entre 900 et 1 200). Il les a portés à bout de bras, même si c’est une entreprise collective. Thibaudet les compara un jour à l’aventure des imprimeurs luthériens du XVIIe siècle, les premiers éditeurs de la Bible. Mais Péguy « n’était pas protestant, certes, mais il était plus que protestant : il était l’homme qui proteste. » Il ne se contentait d’ailleurs pas de protester, il corrigeait les épreuves et composait. Non pas seulement penseur, mais ouvrier typographe, qui faisait revivre à sa manière le compagnonnage.

Péguy ne croyait pas à la mythologie du progrès, cette idée que « l’humanité serait comme un homme qui vieillit ». Il a repris, amplifié, absolutisé la querelle des Anciens et des Modernes, jusqu’à lui donner la dimension d’un combat cosmique. Chez lui, le péché originel était à effet différé : il coïncidait avec l’avènement des temps modernes. Le moderne, c’est celui qui chute – dans la facilité d’argent, dans l’indigence d’âme, dans le règne de la quantité.

L’héroïsme contre la déchéance

Il y avait chez lui un fond de pessimisme historique, corrigé par la foi. « Nous sommes des vaincus. Le monde est contre nous. » Aux chimères du début, ont rapidement succédé des cahiers de doléance, qui portent trace de sa puissante nostalgie pour l’ancien monde, où l’homme « coappartenait » à la Création. Son œuvre en est comme le requiem, derniers feux de la civilisation paysanne, faubourienne et plébéienne, en train de se désagréger sous le régime de l’argent. Deux mots rythment cette déchéance : prostitution et avilissement. Autrement dit, l’embourgeoisement du peuple, auquel Péguy donne un nom : la « métaphysique de la caisse d’épargne ». C’est cela qu’il refuse d’emblée.

Il vivait de plain-pied dans le temps mythologique, appelant « mystique » son mythique à lui, peut-être pour se démarquer de Georges Sorel, l’auteur des Réflexions sur la violence, familier de la boutique des Cahiers de la quinzaine. S’il a héroïsé le passé, c’est qu’il aspirait à ce que ce monde des commencements ne décline jamais, que le temps reste irrévocablement fixé, comme à l’aube du monde, dans sa dimension épique et chevaleresque.

Tous ceux qui l’ont croisé ont été frappés par son allure paysanne. C’est là qu’il faut chercher les origines de son code génétique. La rue d’Ulm, les Cahiers de la Quinzaine ne sont que des étapes dans la redécouverte et la réappropriation de ses racines. Cette communauté française, dont il se perçoit comme l’un des éléments, un parmi d’autres, il a une dette envers elle, s’en acquittant dans ses livres, dès sa première Jeanne d’Arc (1897), en homme qui n’en finit pas de revenir dans la maison du père.

Il est tellement hanté par son peuple qu’il en a ressuscité les morts, comme nul autre avant lui, sinon peut-être Michelet, l’un de ses maîtres. C’est ainsi qu’il parlait au nom des siens, cette foule invisible et muette. Au fond, c’est comme si tous ces hommes obscurs avaient dû attendre des siècles avant d’envoyer leur plus beau fruit à l’École Normale Supérieure pour accéder enfin à la parole. Comment auraient-ils pu être déçus ? Péguy n’a jamais trahi. C’est l’homme d’une fidélité en bloc. « Nous ne renierons jamais un atome de notre passé. »

Son retour à la foi réclamait un langage spécifique. Ce sera la poésie. On a dit alors qu’il avait mis « de l’eau bénite dans son pétrole ». C’est tout le contraire : il l’a chauffé à l’alcool de sa foi. La poésie est indissociable chez lui du sentiment religieux. C’était en poète qu’il priait et méditait. La foi l’a arraché des impasses où l’enfermaient son pessimisme et sa solitude programmée. Le voilà redevenu pèlerin, marcheur de Dieu, à travers la plaine beauceronne, avec pour seuls phares les flèches de la cathédrale de Chartres. Là, devant cette grande nef gothique, dressée au loin, il pouvait s’écrier, au terme de trois jours de marche : « Je ne sentais plus rien, ni la fatigue, ni mes pieds. Toutes mes impuretés sont tombées d’un seul coup. J’étais un autre homme. »

Religion, poésie, nation. C’est tout un. Elles fonctionnent de concert, dans une sorte de chant polyphonique. Homère répond à Clio, la muse de l’histoire, que Péguy a mise en scène dans son Dialogue de l’histoire et de l’âme païenne. De leur côté, Corneille, Pascal et Hugo s’entretiennent avec ceux que le gérant des Cahiers appelait les « mécontemporains », au nombre desquels il se comptait. Jeanne lui servant de fil d’Ariane. À charge pour elle de condenser le destin français. Ce sera le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (1910), sa seconde Jeanne. Et puis Ève (1913), poème-océan, mille neuf cent onze quatrains en alexandrin, sa Légende des siècles à lui, qui embrasse l’histoire de l’humanité, depuis le premier homme. Ève est une coulée mystique qui s’ordonne jusqu’à constituer une immense cathédrale de lumière, dans laquelle Péguy a tout jeté, Rome et Jérusalem, la terre des hommes et le royaume de Dieu. La fécondité du dernier Péguy est stupéfiante. C’est un homme en crue. Il déborde, se hâtant de tout dire, comme s’il sentait son heure approcher.

Le champ d’honneur comme destin

Ainsi donc Péguy a vécu et travaillé comme un moine et un soldat. Pareillement, il est mort comme il a tenu ses Cahiers, debout, en commandant le feu, la veille de la bataille de la Marne, le 5 septembre 1914, laissant derrière lui quelques-uns des plus beaux vers de la langue française, dont son propre épitaphe : « Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre/Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés. »

Il ne fait guère de doute cependant qu’il s’est trompé d’époque. Sa conception de la guerre est totalement anachronique, comme sortie du théâtre de Corneille. C’était un enfant de la « Débâcle », le regard toujours fixé sur la ligne bleue des Vosges. Comme l’a dit Maurras, la revanche était alors « reine de France ». Pour l’auteur de Notre patrie (1905) aussi. Il partageait l’antigermanisme de sa génération, qui n’attendait qu’un prétexte pour se déchaîner. Ce sera le « coup de Tanger » (escale de Guillaume II dans le port marocain en mars 1905). La Belle époque s’achève alors brutalement. L’Europe entre dans une longue veillée d’armes. Péguy s’y prépare à sa façon, ne manquant aucune période de réserve, ni les grandes manœuvres de 1913, prélude au grand massacre, qu’il n’a pas vu venir.

Bernanos disait qu’il ne fallait jamais dire du mal de lui. C’est bien vrai. Mais pour être juste, il ne faudrait jamais manquer de dire du bien de Jean Giono, écrivain paysan lui aussi, et qui nous donne à voir une autre interprétation de la guerre, d’un tragique différent, qui a sa source dans le Sermon sur la montagne, que le grand Pan de Manosque a su se réapproprier. Péguy a glissé dans les ténèbres de la première guerre mondiale. D’une certaine façon, si Jaurès en est le premier mort, Péguy en est le deuxième. L’un pour avoir cru qu’on pourrait empêcher la boucherie, l’autre pour avoir cru qu’elle n’aurait pas lieu. On a d’abord tué la paix, ensuite l’héroïsme. Les deux ont été significativement frappés au visage. Car c’est cela, 14-18. La fin du figuratif, la suppression du visage, dans les tableaux de l’avant-garde comme dans l’enfer des tranchées. En se débarrassant de la face humaine, on a liquidé la question de l’humanité de l’homme, lequel est devenu comme étranger à lui-même. Réduit finalement à l’anonymat du soldat inconnu, qu’on honore par défaut chaque 11 novembre.

François Bousquet

Cet article est paru dans le numéro 3 de la revue.

mardi 17 août 2010

Lourdes, 30.000 personnes évacuées et… rien ?

30.000 pèlerins ont du être évacués dimanche des sanctuaires de Lourdes, suite à une alerte à la bombe. A moins que cela ne m’ait échappé, il n’y a pas eu de réactions. Le Ministre de l’Intérieur n’a pas pris sa voix la plus grave pour assurer qu’il suivait directement l’enquête. Le Premier Ministre n’a pas pris sa mine la plus sombre pour dire son horreur. Le Président n’est pas intervenu toute affaire cessante pour ‘rappeler’ que les membres de la communauté chrétienne sont des Français à part entière. On n’a pas assisté à la litanie des émotions officielles des responsables de droite, de gauche, du centre ni d’ailleurs.

D’aucuns, «dans nos milieux», remarqueront la différence de traitement avec ce qui se passe habituellement pour d’autres agressions, un tag sur une synagogue ou même une mosquée. Ils en concluront en des termes plus ou moins amers que les catholiques sont en France des sujets de 2nde catégorie, quand «les autres» ont droit à tous les égards.

Personnellement, je crois que c’est plutôt «les autres» qui devraient s’inquiéter. Que vaut le soutien que la classe politique & médiatique leur témoigne en pareil cas? Puisqu’il leur est réservé, c’est qu’il relève de la sympathie, qu’il n’est pas acquis par principe. Or les sympathies et les attentions particulières tiennent à des contingences… temporaires.

A dire vrai, il y a une réaction: de la part du Conseil Français du Culte Musulman, qui «condamne avec la plus grande vigueur cet acte qui vise à inquiéter les pèlerins et à perturber les moments de prières et de recueillement auxquels nos concitoyens catholiques sont profondément attachés». Et qui ne craint visiblement pas de se singulariser, puisqu’il présente «ses meilleurs voeux à l'ensemble de nos concitoyens catholiques» à l’occasion de l’Assomption.

PS - Moreno me signale qu'en février 2010 déjà Mgr Dubost s'étonnait: "Je suis heureux de voir avec quel empressement les pouvoirs publics, les politiques, la presse et l’opinion publique se révoltent lorsqu’une mosquée ou une synagogue est attaquée. Je m’en réjouis et je me joins à ceux qui dénoncent de tels délits. Mais cet empressement général rend étourdissant le silence à propos des églises [...]." - Le site profanations.org rapporte régulièrement de tels faits.

mercredi 11 août 2010

Tradition, nostalgie et toutes ces sortes de choses

Je sais bien cher Julien que je vous dois une réponse sur l'islam, mais relisant vos posts et ceux de votre ami musulman, je crois qu'il manque des arguments véritables. Le seul qui ait quelque poids, à vous relire, est celui du nombre. Mais depuis le Premier Testament, depuis Sophonie, depuis la prophétie du petit reste d'Israël, nous savons bien que la vérité et le nombre ne font jamais bon ménage. Je sais ce n'est pas très correct d'écrire cela,aujourd'hui où nous vivons officiellement en démocratie, mais le moyen de penser autrement lorsqu'on accorde que la Parole de Dieu est toujours vraie ?... J'avais un texte sous le coude. Je le garde pour des jours meilleurs, où nous pourrons enfin parler du fond.

J'ai un prêtre ami avec lequel je discute de l'islam depuis des années. Il est foncièrement islamophile. Par ailleurs il a une génération de plus que moi... Je lui dois donc une sorte de déférence. Combien de fois lui ai-je demandé de m'éclairer sur les vertus de l'islam ! Je lui ai demandé une bibliographie. Je lui ai réclamé des rencontres (il y en a eu une ; elle s'est très bien passée mais sans que je puisse constater chez mon interlocuteur musulman le moindre sens critique la moindre mise en perspective historique etc). Bref, l'islam est pour moi un vieux sujet de réflexion. J'en appelle aux lecteurs, qui ont peut-être des pistes à m'indiquer... à ce sujet. Et je précise que j'entretiens les meilleures relations avec les musulmans, qui croient en Dieu et comprennent ce que signifie ma soutane. Mon voisin Larbi me salue d'un "Bonjour Guillaume" chaleureux et il me fait toujours un prix sur son couscous etc. Je ne parle pas ici des personnes et de la relation interpersonnelle, je crois qu'elle est plus facile entre un chrétien pratiquant et un musulman qu'entre un chrétien pratiquant et un jeune Bobo déculturé, pour lequel la religion c'est le mal et la mort. Non ! Le drame ce ne sont pas les personnes, c'est le système "islam", qui me semble objectivement dangereux. Jules Monnerot disait que le communisme avait été "l'islam du XXème siècle". J'ai peur que l'islam soit le communisme du XXIème siècle et que l'ordre vert, sorte d'idéologie alternative, ne règne sans partage sur de larges parties du monde - comme déjà sur certains de nos quartiers.

Mais voilà que je me suis laissé allé à parler de ce que j'avais dit ne pas vouloir traiter aujourd'hui...

Après la conférence de Mgr Pozzo, secrétaire de la Commission Ecclesia Dei, et après la réaction "à chaud" de l'abbé Aulagnier sur son blog, je voudrais revenir à un vieux sujet dûment estampillé aussi celui-là : le concile Vatican II.

Inutile de dire que je ne crois pas à l'efficacité de tous ceux qui votent Radio Nostalgie sur la question. Comme l'explique monseigneur Pozzo, l'état de la question a changé avec Benoît XVI et l'unique référence sur le sujet devrait être l'acte magistériel du 22 décembre [2005] dans lequel le pape Benoît XVI distingue, à propos du Concile, deux herméneutiques, l'herméneutique de rupture et l'herméneutique de continuité. Cette distinction qui n'a l'air de rien représente une révolution mentale, je m'explique.

Un texte magistériel incontestable - prenons les actes du concile Vatican I, saisissants par leur brièveté et leur précision - est un texte qui sert de norme. Ce n'est pas lui qui est soumis à herméneutique, mais au contraire l'herméneutique de la foi chrétienne se construit par rapport à lui. Il est la clé de l'interprétation.

Rien de tel pour les 2000 pages qui constituent le concile Vatican II. La taille sans précédent des documents implique la nécessité d'une interprétation. Laquelle ? Il y a 20 ans on nous répétait "Il faut interpréter le Concile par le Concile". Aujourd'hui Benoît XVI, saisi par l'ambiguïté de la mise en oeuvre des textes conciliaires et qui a tenté de mettre bon ordre à telle ou telle querelle issue du Concile dans des documents comme La notion de communion (1992) ou comme Dominus Jesus (2000), nous demande d'interpréter le Concile par la Tradition. C'est le cas de citer Mgr Lefebvre, dont c'était un des leitmotive quand je suis rentré à Ecône.

J'en parlais avec un ami aujourd'hui sédévacantiste, qui me dit d'un air grave : "Mais vous maintenant, vous acceptez Vatican II". Je lui ai répondu : "J'accepte Vatican II dans le même sens que Benoît XVI, qui insiste pour dire que l'on ne peut jamais prendre le concile seul, que l'on ne peut se référer au texte pléthorique de ce Concile que moyennant une interprétation. Que le Concile existe, nous ne sommes maîtres ni vous ni moi, ni personne d'ailleurs, de ce fait. Vatican II est un fait. Mais c'est un fait que l'on ne peut accepter que moyennant une grille de lecture : la Tradition".

Il ne s'agit donc pas d'opposer un "bon Concile" à un "mauvais après Concile" : ça c'est la thématique conservatrice des années 70, que l'abbé Aulagnier n'a pas oubliée, mais qui n'est pas celle du pape Benoît XVI - qui mérite mieux, en toute franchise que cette frileuse opposition.

Il s'agit d'opposer un acte magistériel, normatif par lui-même et un acte pastoral, qui "ouvre des pistes" doctrinales, sans prétendre rien fixer. D'où vient l'expression "ouvre des pistes" à propos du concile ? Je vous le donne Émile, comme dirait Coluche : de cet universitaire qu'est Benoît XVI, bien sûr, dans un débat public à Rome, lorsqu'il était encore cardinal, avec Paolo d'Arçais (éd. Payot).

Vatican II ouvre des pistes, c'est évident. Il aborde un certain nombre de questions qui n'avaient pas été abordées. Il propose quelques clés. Mais ces clés, elles ont parfois des usages très différents. Un exemple ? Le concept d'Eglise sacrement (LG 1 et 47). Autre est l'usage qu'en fait Karl Rahner, avant même le Concile, autre celui que suggère le Père Dupuy, autre l'interprétation que proposent aujourd'hui le Père de La Soujeole ou l'abbé Gouyaud, dans des ouvrages qui font autorité. Quelle autorité choisir ? Benoît XVI répond : ce choix devra se faire en fonction de la tradition de l'Eglise. Eh bien ! Benoît XVI constate le désordre des interprétations et il conclut deux choses : qu'il faut une interprétation authentique des ambiguïtés de Vatican II (qu'est-ce que nous pouvons rêver de mieux que cet "examen de rattrapage" sur les textes litigieux ?). Et deuxième chose : que l'on ne pourra jamais lire Vatican II sans une référence à la Tradition qui surplombe ces textes et les juge.

Je crois que ce disant le pape joue sur une double réception possible de son propre discours :
Du côté du modernisme théologique, qu'évoque l'abbé Aulagnier sur un ton martial, il y a beau temps que l'on pratique la mise en perspective, la contextualisation et l'herméneutique de TOUS les textes magistériels. Pourquoi Vatican II échapperait-il à la règle ? Je suis en ce moment dans les écrits du Québécois Gilles Routhier. Il ne se prive pas de tirer l'herméneutique dans son sens et d'en appeler à une dynamique du texte conciliaire qui n'est pas sa lettre.
Du côté centriste (je n'ose pas parler de la droite ecclésiastique, ce ne serait pas correct), on a découvert l'herméneutique dans le discours de Benoît XVI. Auparavant on parlait d'"application", de "mise en oeuvre" du Concile. Depuis Benoît XVI, un tel littéralisme, un tel intégrisme conciliaire n'est plus possible. il faut d'abord parler d'interprétation, de Tradition et ensuite de la lettre du texte, mise en perspective désormais.

Je pense que pour les centristes, naturellement littéralistes et respectueux, l'herméneutique de Vatican II, exposée par Benoît XVI, est une Révolution mentale à effets différés.

Comme on lisait autrefois dans les annonces matrimoniales : "Nostalgiques chroniques s'abstenir".

dimanche 8 août 2010

Moi, je serais toi, je penserais ça et ça.

«Ah ! je ne vous confonds pas, vous parti islamiste, avec l’Islam, pas plus que je ne confonds le gui avec le chêne. Vous êtes les parasites de l’Islam ; vous êtes la maladie de l’Islam» (Victor Hugo, 15 janvier 1850, Paris, Assemblée Nationale) Bien entendu la citation est retravaillée, par un Yann Moix facétieux («je m’étais amusé à remplacer le mot ‘parti clérical’ par ‘parti islamique’ et ‘Église’ par ‘Islam’»).

Autre citation, de François Fillon, texto cette fois. Il inaugurait une Mosquée en sa qualité de Premier Ministre: «en renvoyant une image sombre et sectaire, les personnes qui dissimulent leur visage au prétexte de leur foi sont consciemment ou non les opposantes à l'islam de France que vous avez contribué à construire. […] L'islam que vous vivez au quotidien n'a rien à voir avec cette caricature qui abaisse les lumières de votre foi, il n'a rien à voir avec cet extrémisme […] vous devez vous dresser au premier rang contre ce détournement du message religieux». (28 juin 2010, Argenteuil)

On pourrait multiplier à l’envie les citations, je prends simplement celle de David Cameron qui demande de distinguer «entre le vrai Islam et la version déformée diffusée par les extrémistes»  - le ‘véritable islam’ étant une religion modérée et paisible (27 juillet 2010, Ankara).

Victor, Lionel ou David, c’est au fond toujours la même pâtée dont voici la recette:
  • (première couche – muette:) «j’ai un gros problème avec vos vues religieuses, avec ce que vous pensez, avec vos pratiques et avec leur rejaillissement social. Et donc… 
  • (deuxième couche – proclamée:) … apprenez maintenant, re/définie par ma haute autorité, ce qu’est votre religion. Voici ce à quoi vous adhér(er)ez, voici comment vous pratiqu(er)ez, voici ce que vous prêch(er)ez. 
  • (troisième couche – implicite:) Tenez-vous le pour dit, car tel un ayatollah (ou un Torquemada) à la française, j’attends de vous que vous pratiquiez la véritable religion que je vous indique. C’est à ce prix, puisque vous ne voulez pas être agnostiques comme les autres, que vous éviterez l’étiquette d’intégriste
Et pour ceux qui ne plient pas: la sanction. Victor Hugo leur dit: «Vous êtes non les croyants, mais les sectaires d’une religion que vous ne comprenez pas» (15 janvier 1850 toujours).

samedi 7 août 2010

[brève] Ainsi disparaît notre patrimoine, par pans entiers.

«... J’éprouvais un sentiment extraordinaire de religion. Je n’avais pas besoin que La Villeneuve me dît de joindre les mains pour prier Dieu par tous les noms que ma mère m’avait appris. Ce que je ne vois aujourd’hui que par les yeux de la foi, je le voyais comme en réalité, Dieu descendant sur l’autel au son de la cloche sacrée, les cieux ouverts, les anges offrant nos encens et nos vœux à l’Eternel.»
(René de Chateaubriand – Mémoires de ma Vie)

«... Dieu descendant sur l’autel au son de la cloche sacrée…» - En 2010, parmi les étudiants en littérature, combien comprennent? Je ne dis pas «combien partagent» ni même «combien comprennent» l’émotion de Chateaubriand. Je demande combien «combien comprennent» ce dont il parle.

[Rémi Lélian - Respublica Christiana] Shutter Island

Je profite de la sortie récente du DVD pour revenir sur le bouleversant et sombrissime dernier film de Martin Scorsese : Shutter Island. Du moins sur ce que ce film nous dit, une fois passées les révélations dramatiques, et ce que sous-entend le choix du héros de préférer la mort, une fois revenu à la raison, de « mourir en homme de bien » plutôt que de « vivre en monstre ». En effet, à la suite à une enquête labyrinthique mené par le Marshall Teddy Daniels dans un asile psychiatrique, asile qui figure à bien des égards l'antichambre de l'Enfer, celui-ci s'apercevra qu'il n'est pas l'enquêteur qu'il pensait être, mais le sujet d'un jeu de rôle grandeur nature organisé par les médecins de l'île afin de lui faire retrouver la raison et admettre la réalité qu'il rejette ; à savoir qu'il a abattu sa femme juste après qu’elle eut tué leurs enfants. Le jeu réussit et le personnage interprété par Di Caprio reconnait enfin que le monde dans lequel il se débat est un monde imaginaire, fruit de ses propres délires, créés pour lui éviter d'affronter les évènements atroces qui l'ont fait sombrer dans la psychose. Cependant, si le cerveau est guéri, le cœur, lui, ne tient pas l'épreuve et c'est la trépanation que le Marshall choisira, plutôt que la rémission, et sur laquelle le film s'achève dans une apothéose nihiliste d'une abominable tristesse.

On peut s'étonner de voir Scorsese ici réaliser son film le plus noir, et de le voir, lui dont le catholicisme est connu, ne proposer comme issue en ce monde que celle de la mort ou de la folie. A moins de considérer que l'enjeu de Shutter Island ne se trouve pas dans le choix entre la démence et la raison, mais plutôt dans celui entre, d’une part, survivre à la souffrance et à la culpabilité et, d’autre part, mourir pour n'avoir pas à les supporter. Ainsi, l'échec des psychiatres du film tient principalement dans le fait de n'envisager leur patient que comme un être ayant perdu la raison, lors que sa folie résulte uniquement de sa douleur, et qu'en soignant le mal sans guérir la cause, ils s'évertuent à singer Sisyphe en blouses blanches.

En vérité, Shutter Island n'est ni un film policier, ni un film sur l'inconscient, c'est un film d'horreur théologique, au sens littéral, dépeignant un monde refermé sur ses seules limites rationnelles, tandis que la souffrance irradie chacun de ses recoins sans qu'on accepte de la voir (d'ailleurs les camps d'extermination nazis et la bombe atomique laissent planer leur ombre atroce tout au long de la pellicule), et qu'elle nous tue d'autant plus sûrement que personne n'est là pour nous consoler. En français, Shutter Island, c'est l'île close. C'est l'homme, dont le poète a beau nous dire qu'aucun n'est une île, qui se persuade tout de même de son insularité misérable jusqu'à en mourir, non plus par folie, mais parce qu'il a recouvré la raison et elle seule... et qu'elle n'est pas suffisante...

Rémi Lélian

[Laurent Tollinier - Respublica Christiana] Un monde d'experts

Souvenez-vous, au mois d’août de l’an passé, la grippe A était au centre d’une vaste campagne médiatique. La tension allait crescendo pour avertir les braves gens. Tous n’en mourraient pas mais beaucoup seraient frappés. L’automne serait pandémique et l’hiver tragique, expliquaient les experts sur tous les écrans et à longueur de colonnes. Vaccination massive et stocks de masques s’imposaient. Et l’Etat de financer alors à grande échelle les instruments du salut. Aujourd’hui, le Parlement dresse le bilan de ce qui est devenu une affaire, pour ne pas dire un scandale. Le rapport de la commission d’enquête du Sénat critique ainsi, ces derniers jours, les rôles respectifs de l’OMS, du gouvernement, des labos et des experts. C’était bien le moins qu’il puisse faire.

Le problème dépasse en effet largement le « manque de souplesse » incriminé du plan sanitaire. C’est précisément cette manie planificatrice qui est en cause, ainsi que la conception pervertie du bien commun qu’elle manifeste de ce fait sous les formes les plus diverses. Mais, on le sait, un tel rapport, simple avis d’un rouage de la grande machine qui, à l’ère de la Providence séculière, veille sur la sécurité et la tranquillité des hommes, ne saurait dépasser la simple évocation du dysfonctionnement d’autres rouages. On ne saurait donc s’étonner non plus si, dans ce classique exercice de remontrances parlementaires, les rédacteurs offrent à leur insu une variante particulière de l’esprit clownesque. En affirmant en définitive que «l'expertise ne peut pas être uniquement un devoir ou un honneur pour les scientifiques, qu'elle doit être reconnue comme un véritable service rendu à la collectivité, et comme telle se voir valorisée ».

Vive les experts, en somme ! Mesurons bien à quel point cette déclaration est emblématique. Car, selon la fuite en avant généralement suivie, la fonction de ces petits virtuoses du système est éminemment centrale pour assurer le bien de la collectivité, dans un monde où les procédures techniques de tous ordres se doivent de compenser l’universelle défiance envers le prochain. Moins de prêtres, plus de techniciens. Cela va de soi, l’esprit de service authentique, autrement dit la charité chrétienne en acte, est trop aléatoire, trop imprécis, en termes d'efficacité. En face, il y a désormais longtemps que la technique s’est vue reconnaître, au-delà de son rôle légitime pour améliorer les conditions de vie, une mission rédemptrice pour parvenir à terme à la gratuité dans les relations humaines. Marx revendiquait cette finalité d'un processus mécaniste déjà en marche à son époque. Le libéral Attali la revendique aussi à l’heure où chacun peut mesurer le chemin parcouru. Cette gratuité, cet esprit du don également prônés par les civilisations traditionnelles et plus encore par le Christ, sont ainsi recherchés obstinément et obscurément à travers une autre voie que celle des vertus antiques ou chrétiennes. Les processus sans sujet en lieu et place du salvateur « Je suis la voie, la vérité et la vie » (Saint Jean 14, 6-14).

Cette théologie scientiste devrait faire sourire au regard du degré de précision dans les résultats auquel peuvent parvenir les techniciens du système. Ainsi, dans l’affaire de la grippe A, en raison de toute une série de facteurs, parmi lesquels procédures rigides, intérêts financiers et spéculations scientifiques figurent au premier plan, « la stratégie vaccinale », selon les termes du rapport, n’a pu modifier son cours en dépit de nouvelles informations sur la réalité du risque pandémique. Cet épisode sanitaire s’érige ainsi en fable de notre époque, fable instructive où, pendant plusieurs mois, vint s’animer toute une ménagerie. On n’oubliera pas la place qu’y tinrent notamment les ânes et les renards, mais aussi les singes, toujours doués pour l’imitation compulsive, les plus nombreux.

Laurent Tollinier