Souvenez-vous, au mois d’août de l’an passé, la grippe A était au centre d’une vaste campagne médiatique. La tension allait crescendo pour avertir les braves gens. Tous n’en mourraient pas mais beaucoup seraient frappés. L’automne serait pandémique et l’hiver tragique, expliquaient les experts sur tous les écrans et à longueur de colonnes. Vaccination massive et stocks de masques s’imposaient. Et l’Etat de financer alors à grande échelle les instruments du salut. Aujourd’hui, le Parlement dresse le bilan de ce qui est devenu une affaire, pour ne pas dire un scandale. Le rapport de la commission d’enquête du Sénat critique ainsi, ces derniers jours, les rôles respectifs de l’OMS, du gouvernement, des labos et des experts. C’était bien le moins qu’il puisse faire.
Le problème dépasse en effet largement le « manque de souplesse » incriminé du plan sanitaire. C’est précisément cette manie planificatrice qui est en cause, ainsi que la conception pervertie du bien commun qu’elle manifeste de ce fait sous les formes les plus diverses. Mais, on le sait, un tel rapport, simple avis d’un rouage de la grande machine qui, à l’ère de la Providence séculière, veille sur la sécurité et la tranquillité des hommes, ne saurait dépasser la simple évocation du dysfonctionnement d’autres rouages. On ne saurait donc s’étonner non plus si, dans ce classique exercice de remontrances parlementaires, les rédacteurs offrent à leur insu une variante particulière de l’esprit clownesque. En affirmant en définitive que «l'expertise ne peut pas être uniquement un devoir ou un honneur pour les scientifiques, qu'elle doit être reconnue comme un véritable service rendu à la collectivité, et comme telle se voir valorisée ».
Vive les experts, en somme ! Mesurons bien à quel point cette déclaration est emblématique. Car, selon la fuite en avant généralement suivie, la fonction de ces petits virtuoses du système est éminemment centrale pour assurer le bien de la collectivité, dans un monde où les procédures techniques de tous ordres se doivent de compenser l’universelle défiance envers le prochain. Moins de prêtres, plus de techniciens. Cela va de soi, l’esprit de service authentique, autrement dit la charité chrétienne en acte, est trop aléatoire, trop imprécis, en termes d'efficacité. En face, il y a désormais longtemps que la technique s’est vue reconnaître, au-delà de son rôle légitime pour améliorer les conditions de vie, une mission rédemptrice pour parvenir à terme à la gratuité dans les relations humaines. Marx revendiquait cette finalité d'un processus mécaniste déjà en marche à son époque. Le libéral Attali la revendique aussi à l’heure où chacun peut mesurer le chemin parcouru. Cette gratuité, cet esprit du don également prônés par les civilisations traditionnelles et plus encore par le Christ, sont ainsi recherchés obstinément et obscurément à travers une autre voie que celle des vertus antiques ou chrétiennes. Les processus sans sujet en lieu et place du salvateur « Je suis la voie, la vérité et la vie » (Saint Jean 14, 6-14).
Cette théologie scientiste devrait faire sourire au regard du degré de précision dans les résultats auquel peuvent parvenir les techniciens du système. Ainsi, dans l’affaire de la grippe A, en raison de toute une série de facteurs, parmi lesquels procédures rigides, intérêts financiers et spéculations scientifiques figurent au premier plan, « la stratégie vaccinale », selon les termes du rapport, n’a pu modifier son cours en dépit de nouvelles informations sur la réalité du risque pandémique. Cet épisode sanitaire s’érige ainsi en fable de notre époque, fable instructive où, pendant plusieurs mois, vint s’animer toute une ménagerie. On n’oubliera pas la place qu’y tinrent notamment les ânes et les renards, mais aussi les singes, toujours doués pour l’imitation compulsive, les plus nombreux.
Laurent Tollinier
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