Je m'ennuie de vous, chers internautes. Quinze jours de silence, c'est trop. Mais j'avais quelques gros travaux en cours, un livre de débat contradictoire sur Dieu ou l'éthique (le titre fait grincer des dents, non ?), des contributions que j'avais acceptées de donner à un Collectif sur le Vatican, un autre livre sur la nouvelle évangélisation auquel je collabore, sans compter le travail ordinaire. Enfin me voilà avec des tas de choses à vous dire et... oui un peu le trac : par où commencer après si longtemps, le webmestre ayant vaillamment alimenté le Blog presque chaque jour, ce dont je le remercie.
Justement peut-être commencer par lui. Je ne suis pas forcément d'accord sur sa vision de la Hollandie... ce pays très bas, très plat qui est le nôtre depuis le début du mois de Mai. Je crains que l'on ne réussisse pas de si tôt à dépasser le clivage droite/gauche. L'un de mes paroissien, très lancé dans l'action pour une France nouvelle et fervent partisan du nouveau président, m'explique que, de Sarkozy à Hollande, l'on passe de Carl Schmitt à saint Thomas d'Aquin, de l'hyperprésident au président normal, du décisionnisme politique à "l'ordre juste" et à la restauration de l'amitié politique, à travers la négociation que les différents partenaires sociaux seraient assez mûrs aujourd'hui pour mener à son terme dans une véritable harmonie. Dieu l'entende!
Je viens de voir un film très drôle, oui une comédie (ce n'est que cela) sur la persistance du clivage droite gauche en France. Ca s'appelle Le prénom. Patrick Bruel est excellent (je dirais dans son jus) en entrepreneur analphabète, riche et décomplexé (la France qui roule en 4X4), face à Charles Berling, prof charismatique à la vieille Sorbonne (oui Paris IV), socialiste de toujours, imbu de justice sociale et d'antifascisme, avec une nette tendance à se prendre au sérieux, je ne vous dis que ça. Lui, c'est la France qui roule en Scénic. Ce sont des amis de toujours, eux deux, mais alors jamais d'accord et illustrant de manière absolument contemporaine (c'est-à-dire par exemple au delà de tout enjeu religieux) ce que l'on appelle la guerre des deux France. Quand on pense que certains veulent faire l'économie de ce clivage et vont répétant : ni droite ni gauche. Je sors du Prénom, et je me dis : ce n'est pas demain la veille. Sarkozy/Hollande, y a pas : c'est clivant, ne serait-ce qu'au niveau du discours.
Ne vous fiez pas à la bande annonce. Allez voir Le Prénom : Vincent et Anna attendent un enfant. On s'étripe sur le prénom. Et c'est juste jusque dans les détails et puis, aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette pochade est un film à texte. Le dialogue est soutenu et ne traîne pas en longueur. On rit : de soi ? - Parfois.
Il y a un autre film pour lequel il ne faut surtout pas se fier à la bande annonce, c'est De rouille et d'os de Jacques Audiard, avec Marion Cotillard. Quand on regarde la B.A. on a l'impression d'un remake de Intouchables, le film au 13 millions d'entrée sorti en 2011, bourré à craquer de bons sentiments sur tout le monde. L'histoire de celui-ci ? Une bourgeoise qui dresse des orques à ses heures perdues dans un Parc aquatique est victime d'un grave accident. Elle a les jambes coupées par l'un de ces animaux, trop brusquement sorti de son lit. Évidemment le petit copain n'a pas demandé son reste. Elle se retrouve absolument seule : la souffrance fait le vide autour de soi. A qui parler ? Elle se souvient d'un videur, sorte de primate issu de la Diversité, qui l'avait gentiment ramené chez elle à l'issue d'une dispute arrosée. L'histoire peut commencer.
Lui va immédiatement répondre à son attente, en lui donnant la force de dépasser son infirmité, mais sans jamais faire de sentiment, juste avec la force de ces bras de boxeur pour la porter, avant qu'elle ne se fasse adapter des prothèses. Elle réapprend à vivre, à apprécier la vie, son nouveau mentor est toujours "opérationnel", disponible pour elle, prêt à payer de sa personne, évidemment au lit mais pas seulement. C'est plutôt, oui, un copain. La différence entre eux cependant est trop grande pour qu'il puisse envisager autre chose qu'une collaboration amicale qui s'étend à tous les domaines. Ce qu'il possède, ce qui le rend différent ? La délicatesse. Quand elle lui en parle, pur l'en remercier, il ne sait pas ce que c'est. Manifestement il ne connaît pas le mot.
La vie semble devoir les séparer. Et c'est le danger de mort dans lequel se trouve son gamin qui a faire réfléchir le Primate. Elle l'appelle pour lui demander des nouvelles. Il s'est cassé les mains (ses mains de boxeur) sur la glace. Jusque là il vivait la boxe comme une véritable obsession, une passion qui l'absorbait tout entier. Il n'était pas capable d'éprouver autre chose. L'accident de son gamin le sort de cette obsession et lui permet d'apprendre à aimer...
Il me semble qu'il y a là une belle vision de la souffrance qui rend sage et qui rend aimant. Souvenez vous : il y a quelques mois, je m'étais insurgé sur ce blog contre le film de Valérie Donzelli La guerre est déclarée, dans lequel la souffrance était juste vue comme l'occasion de poser une performance vitale. Pour moi cette confusion entre souffrance et performance avait quelque chose de sacrilège. En réalité, il y a un un mystère de la souffrance. La caméra de Jacques Audiard sait nous faire voir ce mystère? Pour lui c'est clair la souffrance accomplit chacun des deux protagoniste. Elle doit sortir de sa superficialité ordinaire. Lui doit découvrir dans sa délicatesse naturelle vis vis d'une femme rencontrée par hasard et dont tout le sépare quelque chose de plus. Mais il ne le découvre vraiment, ce quelque chose, il n'apprend l'amour que dans l'épreuve que traverse son fils et après s'être cassé les mains (ses mains de boxeur) pour le sauver d'une mort certaine.
Voilà : je vous raconte tout mais je ne vous ai rien dit : il faut voir ce très beau film, qui porte un message si étonnamment chrétien (même s'il ne contient aucune référence chrétienne). Le chroniqueur cinéma de Monde et Vie, Champrun, dit qu'il se demande comment on peut changer de vie sans changer d'âme. Il est vrai que l'on ne PARLE pas de l'âme dans ce film, mais cette conversion à l'amour à travers la souffrance est certainement de l'ordre d'une grâce anonyme. "Celui qui FAIT la vérité vient à la lumière" dit l’Évangile de mercredi dans l'extraordinaire rite qui est le mien. Il me semble que ce verset d’Évangile convent bien au film de Jacques Audiard dont les dernières images d'ailleurs sont des images de lumière.