mercredi 11 novembre 2015

France, ta laïcité fout le camp! [par Rudy]

[par Rudy] L’affaire est mise en évidence par nos amis de RiposteCatholique. Qui postent le carton par lequel Madame la Préfète et Monsieur le Senateur de la Sarthe prient quelques huiles locales d’honorer de leur présence la «cérémonie interconfessionnelle et spirituelle» pour la Paix, à l’occasion du 11 Novembre. Oui, vous avez bien lu, cette cérémonie républicaine est intitulée «interconfessionnelle et spirituelle».

Spirituelle? ca ne se décrète pas. En tout cas il ne suffit pas de récupérer des lieux (une ancienne chapelle) ni des signes (tentures noires et envolées funèbres à l'orgue) pour baser une spiritualité.

Interconfessionnelle? La cérémonie le serait si intervenaient en tant que telles plusieurs confessions. Dans l'assistance il n'y avait que des gens qui, à titre personnel, ont tel ou tel dieu - ou pas. C'est au fond aussi bien le cas dans une rame de métro ou dans la file d'attente d'un cinéma ou dans toute autre assemblée... aconfessionnelle.

Ce que je crois, plus simplement, c'est que le pays divorce peu à peu du catholicisme. et que même ceux qui s'en réjouiraient peuvent ressentir une espèce de vide cérémoniel, et tenter de le combler... par un mauvais pastiche?

jeudi 5 novembre 2015

Hommage à René Girard

J'attendais cette triste nouvelle depuis quelques mois déjà : René Girard est mort le 4 novembre à Stanford en Californie, à l'âge de 91 ans, et il faut bien dire que la nouvelle a tardé à venir en France. Elle est capitale, pourtant, cette nouvelle à deux titres :

René Girard a offert la dernière pensée globale du monde humain, qui ne soit pas seulement une déconstruction, qui ne se contente pas non plus de régner sur quelques détails de la condition de l'animal humain, mais qui soit véritablement une anthropologie. Il y avait eu Marx ; il y avait eu Freud ; il y avait eu Levi Strauss... Qui d'autre ? Michel Foucault ? Il faudra demander à François Bousquet ce qu'il en pense... Y a-t-il une vision de l'homme chez Foucault ? Il s'est battu toute sa vie pour ne pas en avoir. Mais on peut sans doute concéder qu'à la fin de sa vie, dans ses Cours au Collège de France, il se rapproche du stoïcisme, du christianisme ou des deux (cf. par ex. Subjectivité et vérité). Qui d'autre ? René Girard justement, lecteur aigu de ses prédécesseurs, Freud et Lévi-Strauss, auxquels il a opposé sa vision de l'homme et du désir.

René Girard a montré que le christianisme représentait le salut historique de l'humanité, en tant qu'il venait mettre fin aux constructions sociales archaïques, issues d'un désir obstinément mimétique et qui engendrait la montée aux extrêmes et la sanctification de la violence. Le christianisme représente une inversion de ces "valeurs" issues de démonstrations violentes. "Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu". Le Christ prêche cette paix, qui n'est pas issue de la stabilité d'un rapport de force, mais d'une intention humaine. Dans le Christ et dans le nouveau système de valeurs qu'il offre à l'humanité, il devient possible de rechercher la paix pour elle-même.

Je me souviendrai toute ma vie de ce jour où mon ami François et moi, nous nous sommes annoncés chez lui dans le VIIème. Il avait la gentillesse de nous recevoir alors qu'il était au milieu de sa famille. Il nous parlait. O temps suspends ton vol. Le monde familier qui l'entourait n'existait plus pour lui. Cette longue conversation qui n'était pas la première, m'a beaucoup fait réfléchir sur le mal. François, passionné de Thomas d'Aquin, trouvait Girard pessimiste. Quant à moi, j'ai décidé ce jour-là de remonter, avec Girard, de saint Thomas à saint Augustin.

Girard est-il pessimiste ? Il le serait, il serait gnostique si l'on découvrait dans son oeuvre un refus quelconque de la chair et de la condition charnelle de l'homme. C'est tout le contraire. Le désir charnel n'intéresse pas Girard comme il intéresse Freud, parce que Girard le méridional sait très bien ce que Freud ne sait pas : le désir n'est pas une production physique de l'animal humain mais une construction psychique. C'est cette construction psychique qui est mauvaise. c'est la spirale rivalitaire que s'invente l'homme (ou la femme !) d'où vient tout le mal. C'est le désir quand il devient mimétique, quand il imite le désir de l'autre.

Je pense toujours à une anecdote lue dans Milan Kundera (qui lui-même a lu non seulement Lacan mais certainement Girard) : on te donne le choix entre sortir pendant 24 H avec la plus belle femme du monde à ton bras mais sans rien faire avec elle ou bien faire tout ce que tu veux pendant 24 H avec la plus belle femme du monde sans que jamais personne ne puisse rien en savoir... L'homme psychiquement construit choisit toujours la première solution. Voilà le désir selon René Girard : non pas un pessimisme ontologique sur la chair, mais une crainte devant la facilité avec laquelle se construisent des structures de péché, jusque dans notre psychisme, et souvent sans que nous en ayons clairement conscience.

Il se trouve que ce pessimisme bien tempéré est effectivement celui de l'Eglise romaine, au moins du temps où elle croyait au péché originel. Aujourd'hui où ses membres souvent n'y croient plus, cela reste son dogme, infaillible. Et je crois que l'oeuvre de René Girard est propre à nous le faire redécouvrir.

Oh ! Ce n'est là que mon témoignage de prêtre catholique... Beaucoup ont lu Girard sans aller jusque là. Je pense, entre beaucoup d'autres, au surprenant Christophe Donner et à son beau roman sur Louis XVII, Un roi sans lendemain (Grasset). Mais parmi ceux, tellement nombreux qui se dirigent vers le christianisme, combien doivent quelque chose à la lecture de Girard, à sa quête inlassable et tellement sincère, à ses lectures aigües qui ne vous laissaient pas indemnes (car Girard fut d'abord un critique littéraire et ensuite seulement un anthropologue).

Qui a pu lui résister frontalement ? Un M. Pommier qui porte bien son nom a tenté de le brocarder : il n'a trouvé pour cela qu'un jeu de mots vaseux, dont il a fait le titre d'un minable factum. Le problème ? L'oeuvre de Girard, portant sur ce qui est premier dans la vie humaine, est simplement irréfutable ; elle revêt aujourd'hui d'ailleurs une sorte d'évidence pour quiconque s'en saisit. Elle n'est ni une idéologie ni un dogme de substitution, pourtant. Mais elle offre une claire vision sur ce qu'est le mal, sur les raisons de son avènement. Que souhaiter de plus ?

René Girard n'a pas créé un système, il propose à Ariane un fil pour sortir du labyrinthe. Il est le Petit Poucet qui a semé des cailloux et qui parvient, à la stupéfaction de ses pairs, à sortir sans une égratignure de la Forêt profonde où, jeune Rastignac inconscient et critique littéraire atypique, il était parti jadis chercher le secret de la destinée humaine entre Proust et Dostoïevski.

René Girard était un grand Monsieur. Il nous laisse bien seuls...

mercredi 4 novembre 2015

Aller aux «périphéries»? Quand le «centre» est lui-même incertain… [par Hector]

Moqués (avec tendresse) par Etienne Chatiliez
dans son film "La vie est un long fleuve tranquille",
les Le Quesnoy existent-ils encore?
[par Hector] Je ne sais pas si vous retenu le maître-mot du discours ecclésial actuel, mais ils sont intéressants sur les perspectives caressées par certains esprits. On parle ainsi de «périphéries», d’«aller aux périphéries», L’exhortation s’adresse évidemment à l’Eglise qui doit être «en sortie». Quand on parle de «périphérie», on fait nécessairement référence à un centre, faute de quoi l’expression n’aurait aucun sens.

Bref, qui dit «périphérie», dit donc «centre». Mais encore faut-il s’interroger sur ce centre. Or, il n’est pas certain que le centre soit aussi consistant qu’on le dit. Le grand hic est que nous sommes en 2015, pas en 1958 (mort de Pie XII), en 1962 (ouverture de Vatican II) ou même en 1965 (clôture de Vatican II) - je ne parle même pas des années 1980.

En 1958, en 1962 ou en 1965, il y avait une Église dont la liturgie était relativement fixe et codifiée, des enfants qui disposaient d’un bagage catéchétique, des couples qui se mariaient au terme d’une cérémonie brève à l’ Église et une hiérarchie qui adhéraient nominalement à la doctrine de l’Église ; en 1958, en 1962 ou en 1965, il y avait encore assez de fidèles à qui l’on apprenait que Jésus était bien dans l’hostie ou qu’il fallait distinguer le péché mortel du péché véniel ; en 1958, en 1962 ou en 1965, il y avait encore des prêtres en soutane, que l’on considérait, à défaut de suivre leurs «directives», dont on gardait l’idée qu’ils étaient des hommes séparés du monde, selon toute une lignée terminologique qui partait grosso modo de la réforme tridentine ; en 1958, en 1962 ou en 1965, on apprenait au petit Marcel ou à la petite Thérèse qu’il fallait éviter le mal et faire le bien sur terre si on voulait aller au Ciel ; en 1958, en 1962 ou en 1965, il y avait encore ces congrégations religieuses fleurissantes, dont les frères ou les sœurs enseignaient ou étaient cloîtrés. Enfin – et surtout -, il y avait encore des pourcentages consistants de pratique religieuse, se comptant en dizaines, non en unités. Quant à la périphérie, c’était les ouvriers, les incroyants, les cocos ou les syndiqués ; c’était aussi ceux qui ne croyaient pas au Ciel, mais qui se vouaient à un engagement militant, politique ou syndical ; c’était aussi les hommes de science qui reprochaient à l’Eglise son retard, tout en demeurant admiratifs de sa stabilité et de sa rigueur. Mais ça, comme on dit, c’était avant.

Car en 2015, le centre est aussi incertain que la périphérie, elle-même. Car l’Occident n’est pas reluisant religieusement parlant. C’est bien le problème. Le fidèle se confesse peu ou pas, et cela varie selon les profils de catholiques. Vous avez dit «profils»? Il y a justement une Eglise à plusieurs visages – pardon: vitesses… -, regroupant toutes les sensibilités. Cela prend une forme liturgique, mais avec le récent processus synodal sur la famille, on peut se demander si la pluralité ne s’étend pas aux discours moraux et aux mœurs ; après tout, il peut y avoir une forme extraordinaire de la morale, pour les cathos identitaires, traditionnels au sens très large, et une forme ordinaire pour les cathos moins immergés et plus soumis à la dilution de la transmission de la foi. Simple question. Quant à la foi, il faut ramer pour trouver le fidèle, dans la messe, qui sait ce qu’est l’état de grâce, la présence réelle dans l’hostie consacrée ou le purgatoire. S’ouvrir aux périphéries? Mais c’est faire comme si le centre, lui-même, n’avait pas été secoué par des décennies de crise: départ de prêtres et de religieux, crise catéchétique, disparition de congrégations religieuses qui se traduit forcément par leur moindre visibilité en raison des nécessités de vendre le patrimoine immobilier… Aujourd’hui, la situation de dilution du catholique est telle que l’on a même forgé l’expression de «pratiquants non croyants» pour désigner ces catholiques qui continuent à aller à la messe tout en affirmant ne plus adhérer à une partie de l’enseignement de l’Église et ne plus suivre ses prescriptions morales. Ainsi, les divorcés remariés n’ont pas attendu le luxueux et élitiste chemin pénitentiel (sorte d’avatar de l’interminable casuistique qui a trouvé une nouvelle forme), ni même un «éclaircissement» sur leur situation: ils communient tout court, peu importe ce que pense le prêtre… Enfin, les statistiques démontrent un effondrement de la pratique religieuse, au point même que les années 1980 finissent par apparaître comme des années fastes par rapport aux années 2010! On peut tout simplement se demander si le centre n’a pas tout simplement implosé – pour devenir aussi «pluriel» que les périphéries qu’il veut rejoindre…

Quant aux «périphéries» actuelles, elles perdent aussi de leur consistance : l’incroyant d’aujourd’hui n’est plus ce scientiste ou cet existentialiste qui s’affirmait fièrement face à l’Eglise: il est devenu ce touche-à-tout consumériste, qui n’a ni attirance, ni hostilité pour la religion. L’engagement militant, lui, a été broyé par le carriérisme sur fond de crise des idéologies. Les formes d’engagement profane sont, elles-mêmes, en déclin, et il faut avoir du courage pour militer quotidiennement dans un syndicat ou un parti, sauf intérêt matériel et pécuniaire évident...

À moins que les périphéries ne soient ces nouvelles terres du catholicisme qui, elles, ne goûtent guère aux innovations occidentales, qui n’ont aucune envie d’apprécier des «valeurs positives» dans les concubinages, hétéro ou homosexuels ou de voir leur pasteur se transformer en psys pour couples qui se cherchent… Mais, dans ce cas, les cartes seraient rebattues. Au fond, comme dirait Pascal, le centre est partout, et la périphérie nulle part, à moins que cela ne soit l’inverse. Il y a autant de périphéries que de centres, de centres dans les périphéries que de périphéries dans les centres… On a souvent reproché à l’Eglise de se tromper d’époque. La grosse difficulté est qu’au moment même où elle veut tenir compte de ce reproche, elle l’illustre à plein.

Un billet du Cardinal Dolan en date du 12 octobre 2015, traduit par notre ami Daoudal, complète parfaitement le texte d'Hector. Extrait:
«Puis-je suggérer aussi qu’il y a maintenant une nouvelle minorité dans le monde et même dans l’Eglise ? Je pense à ceux qui, comptant sur la grâce et la miséricorde de Dieu, font tout leur possible pour garder la vertu et la fidélité : les couples qui - compte tenu du fait que, du moins en Amérique du Nord, seulement la moitié de nos gens entrent dans le sacrement de mariage – viennent à l’Eglise pour le sacrement ; les couples qui, inspirés par l’enseignement de l’Eglise que le mariage c’est pour toujours, persévèrent à travers les difficultés ; les couples qui accueillent le don de Dieu de nombreux bébés ; un jeune homme et une jeune femme qui ont choisi de ne pas vivre ensemble avant le mariage ; un homosexuel ou une homosexuelle qui veut être chaste ; un couple qui a décidé que la femme sacrifierait une carrière professionnelle prometteuse pour rester à la maison et élever ses enfants – ces gens merveilleux, aujourd’hui, ont souvent le sentiment d’être une minorité, dans notre culture, certainement, mais même, parfois dans l’Eglise ! Je crois qu’ils sont beaucoup plus nombreux que nous ne le pensons, mais, en raison des pressions d’aujourd’hui, ils se sentent souvent exclus.»