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Moqués (avec tendresse) par Etienne Chatiliez
dans son film "La vie est un long fleuve tranquille",
les Le Quesnoy existent-ils encore? |
[par Hector] Je ne sais pas si vous retenu le
maître-mot du discours ecclésial actuel, mais ils sont intéressants sur les
perspectives caressées par certains esprits. On parle ainsi de «périphéries»,
d’«aller aux périphéries»,
L’exhortation s’adresse évidemment à l’Eglise qui doit être «en sortie». Quand
on parle de «périphérie», on fait nécessairement référence à un
centre, faute de quoi l’expression n’aurait aucun sens.
Bref, qui dit «périphérie», dit
donc «centre». Mais encore faut-il s’interroger sur ce centre. Or, il n’est pas
certain que le centre soit aussi consistant qu’on le dit. Le grand hic est que
nous sommes en 2015, pas en 1958 (mort de Pie XII), en 1962 (ouverture de Vatican
II) ou même en 1965 (clôture de Vatican II) - je ne parle même pas des années
1980.
En 1958, en 1962 ou en 1965, il y
avait une Église dont la liturgie était relativement fixe et codifiée, des
enfants qui disposaient d’un bagage catéchétique, des couples qui se mariaient
au terme d’une cérémonie brève à l’ Église et une hiérarchie qui adhéraient
nominalement à la doctrine de l’Église ; en 1958, en 1962 ou en 1965, il y
avait encore assez de fidèles à qui l’on apprenait que Jésus était bien dans
l’hostie ou qu’il fallait distinguer le péché mortel du péché véniel ; en
1958, en 1962 ou en 1965, il y avait encore des prêtres en soutane, que l’on
considérait, à défaut de suivre leurs «directives», dont on gardait l’idée
qu’ils étaient des hommes séparés du monde, selon toute une lignée
terminologique qui partait grosso modo
de la réforme tridentine ; en 1958, en 1962 ou en 1965, on apprenait au
petit Marcel ou à la petite Thérèse qu’il fallait éviter le mal et faire le
bien sur terre si on voulait aller au Ciel ; en 1958, en 1962 ou en 1965,
il y avait encore ces congrégations religieuses fleurissantes, dont les frères
ou les sœurs enseignaient ou étaient cloîtrés. Enfin – et surtout -, il y avait
encore des pourcentages consistants de pratique religieuse, se comptant en
dizaines, non en unités. Quant à la périphérie, c’était les ouvriers, les
incroyants, les cocos ou les syndiqués ; c’était aussi ceux qui ne
croyaient pas au Ciel, mais qui se vouaient à un engagement militant, politique
ou syndical ; c’était aussi les hommes de science qui reprochaient à
l’Eglise son retard, tout en demeurant admiratifs de sa stabilité et de sa
rigueur. Mais ça, comme on dit, c’était avant.
Car en 2015, le centre est aussi
incertain que la périphérie, elle-même. Car l’Occident n’est pas reluisant
religieusement parlant. C’est bien le problème. Le fidèle se confesse peu ou
pas, et cela varie selon les profils de catholiques. Vous avez dit «profils»?
Il y a justement une Eglise à plusieurs visages – pardon: vitesses… -, regroupant
toutes les sensibilités. Cela prend une forme liturgique, mais avec le récent
processus synodal sur la famille, on peut se demander si la pluralité ne s’étend pas aux discours
moraux et aux mœurs ; après tout, il peut y avoir une forme extraordinaire de la morale, pour les cathos identitaires,
traditionnels au sens très large, et une forme
ordinaire pour les cathos moins immergés et plus soumis à la dilution de la
transmission de la foi. Simple question. Quant à la foi, il faut ramer pour
trouver le fidèle, dans la messe, qui sait ce qu’est l’état de grâce, la
présence réelle dans l’hostie consacrée ou le purgatoire. S’ouvrir aux
périphéries? Mais c’est faire comme si le centre, lui-même, n’avait pas été
secoué par des décennies de crise: départ de prêtres et de religieux, crise
catéchétique, disparition de congrégations religieuses qui se traduit forcément
par leur moindre visibilité en raison des nécessités de vendre le patrimoine
immobilier… Aujourd’hui, la situation de dilution du catholique est telle que
l’on a même forgé l’expression de «pratiquants non croyants» pour désigner ces
catholiques qui continuent à aller à la messe tout en affirmant ne plus adhérer
à une partie de l’enseignement de l’Église et ne plus suivre ses prescriptions
morales. Ainsi, les divorcés remariés n’ont pas attendu le luxueux et élitiste
chemin pénitentiel (sorte d’avatar de l’interminable casuistique qui a trouvé
une nouvelle forme), ni même un «éclaircissement» sur leur situation: ils
communient tout court, peu importe ce que pense le prêtre… Enfin, les
statistiques démontrent un effondrement de la pratique religieuse, au point
même que les années 1980 finissent par apparaître comme des années fastes par
rapport aux années 2010! On peut tout simplement se demander si le centre n’a
pas tout simplement implosé – pour devenir aussi «pluriel» que les périphéries
qu’il veut rejoindre…
Quant aux «périphéries»
actuelles, elles perdent aussi de leur consistance : l’incroyant
d’aujourd’hui n’est plus ce scientiste ou cet existentialiste qui s’affirmait
fièrement face à l’Eglise: il est devenu ce touche-à-tout consumériste, qui n’a
ni attirance, ni hostilité pour la religion. L’engagement militant, lui, a été
broyé par le carriérisme sur fond de crise des idéologies. Les formes d’engagement
profane sont, elles-mêmes, en déclin, et il faut avoir du courage pour militer
quotidiennement dans un syndicat ou un parti, sauf intérêt matériel et
pécuniaire évident...
À moins que les périphéries ne
soient ces nouvelles terres du catholicisme qui, elles, ne goûtent guère aux
innovations occidentales, qui n’ont aucune envie d’apprécier des «valeurs
positives» dans les concubinages, hétéro ou homosexuels ou de voir leur pasteur
se transformer en psys pour couples qui se cherchent… Mais, dans ce cas, les
cartes seraient rebattues. Au fond, comme dirait Pascal, le centre est partout,
et la périphérie nulle part, à moins que cela ne soit l’inverse. Il y a autant
de périphéries que de centres, de centres dans les périphéries que de
périphéries dans les centres… On a souvent reproché à l’Eglise de se tromper
d’époque. La grosse difficulté est qu’au moment même où elle veut tenir compte
de ce reproche, elle l’illustre à plein.
Un billet du Cardinal Dolan en date du 12 octobre 2015, traduit par notre ami Daoudal, complète parfaitement le texte d'Hector. Extrait:
«Puis-je suggérer aussi qu’il y a maintenant une nouvelle minorité dans le monde et même dans l’Eglise ? Je pense à ceux qui, comptant sur la grâce et la miséricorde de Dieu, font tout leur possible pour garder la vertu et la fidélité : les couples qui - compte tenu du fait que, du moins en Amérique du Nord, seulement la moitié de nos gens entrent dans le sacrement de mariage – viennent à l’Eglise pour le sacrement ; les couples qui, inspirés par l’enseignement de l’Eglise que le mariage c’est pour toujours, persévèrent à travers les difficultés ; les couples qui accueillent le don de Dieu de nombreux bébés ; un jeune homme et une jeune femme qui ont choisi de ne pas vivre ensemble avant le mariage ; un homosexuel ou une homosexuelle qui veut être chaste ; un couple qui a décidé que la femme sacrifierait une carrière professionnelle prometteuse pour rester à la maison et élever ses enfants – ces gens merveilleux, aujourd’hui, ont souvent le sentiment d’être une minorité, dans notre culture, certainement, mais même, parfois dans l’Eglise ! Je crois qu’ils sont beaucoup plus nombreux que nous ne le pensons, mais, en raison des pressions d’aujourd’hui, ils se sentent souvent exclus.»