vendredi 30 avril 2010

Joël Prieur: "La tête de Freud: comment se la payer"

Article paru dans Minute le 28 avril 2010

On sent que Michel Onfray, qui dans son traité d’athéologie, avait cherché… et trouvé Dieu (pour se le payer), a cette fois jeté son dévolu sur les idoles de la modernité, dont, comme son maître Nietzsche, il pressent le «crépuscule». Première de la liste: Sigmund Freud. Le résultat? Six cents pages de philo… impayables!

Il faut reconnaître à Michel Onfray, qui n’est pas, loin s’en faut, mon maître à penser, un vrai courage intellectuel dans la programmation et l’exécution méthodique de ce déboulonnage d’idole. Ce gros livre comporte cinq parties: symptomatologie, généalogie, méthodologie, thaumaturgie et idéologie.

La première consiste en une sorte de prise de contact avec le sujet, traité comme un symptôme. Il s’agit d’organiser un premier face à face entre Nietzsche et Freud, avec l’idée de jeter le soupçon sur le docteur de Viennes en montrant qu’il se réduit à ses propres pulsions. C’est du nietzschéisme de comptoir appliqué à un freudisme de bazar.

Mais c’est ce qui rend possible la deuxième partie, intitulée Généalogie. Michel de Certeau, aux beaux jours de Mai 68 expliquait que le complexe d’Oedipe était le seul mythe de la modernité. Michel Onfray, lui, démythifie l’Œdipe freudien, explique comment le petit Sigmund a vraiment eu envie de coucher avec sa mère, qu’il l’a écrit dans ses lettres à Fliess son vieux complice (en latin, tellement la chose était dégoutante), qu’il a décrit son attirance sexuelle pour ses filles, en particulier pour Mathilde, celle qui – hasard? – mourra à 26 ans de la grippe espagnole. Sous la plume démythificatrice de Onfray, cela devient inceste et pédophilie: rien de moins! A cela, il faut ajouter l’étrange mépris de Freud pour sa propre femme Marta, et son attirance donjuanesque pour sa belle sœur Minna.

Vous voulez du sordide? Onfray, l’auteur de L’art de jouir et de quelques autres brûlots sulfureux du même genre, vous écrira du sordide avec une rigidité quaker ou une rigueur d’huissier. Je passe sur le mépris dans lequel Freud a tenu son père Jakob («Les morts sont tous de braves types, mais pas chez Freud, du moins pas quand il s’agit de son père» écrit Onfray notaire scandalisé du roman familial freudien), sur les sentiments homosexuels que lui inspire son ami et intime Wilhem Fliess et sur la manière dont il donne à sa dernière fille (qui sera l’amour de sa vie et qu’il… privera de mari!) le prénom de la fameuse Anna O, une hystérique dont l’analyse est aux origines de la théorie freudienne.

Que tout cela est distrayant! Que cette psychanalyse de la psychanalyse est amusante! Onfray nous fait le coup de l’arroseur arrosé avec un vrai talent pour l’anecdote philosophique, une véritable érudition pour établir le détail gaudriolesque par comparaison de la Correspondance et des diverses Biographies du Maître. Quelle rigueur dans la description de tous les pipicaca de notre héros! La psychanalyse méritait bien cela… Onfray n’a pas eu peur du ridicule. Dans les quelque 200 pages de cette «généalogie» pas très morale, il a dessiné l’épure de Freud en patriarche omni-abusif.

La troisième partie, Méthodologie, nous instruit des étranges tâtonnement de Freud avant d’établir sa théorie: cocaïne, électrothérapie, massage hydrothérapique, hypnose avec toucher du front (sic) et en 1910 encore sonde urétrale avec giclée d’eau froide dans la verge pour soigner un priapisme. Dans tout cela, note Onfray impavide, ce qui est recherché c’est, comme dans la psychanalyse: l’effet placebo. Il nous explique l’un après l’autre les extraordinaires ratages du Docteur Freud, dont certains se sont terminés par la mort des patients… L’accumulation des échecs est troublante!

Quand on érige l’absence de méthode en dogme et qu’on est médecin, on finit par se prendre pour un thaumaturge… Ou un sorcier. La quatrième partie de cet ouvrage n’est pas la moins percutante, avec l’énumération des six sophismes sur lesquels repose la psychanalyse, conçue par Onfray (comme par Allan Watts et bien d’autres comme «psychologie du policier»).

Quant à la cinquième partie, Idéologie, elle épingle le côté profondément antiprogressiste de l’auteur de Malaise dans la civilisation. Onfray note la complaisance du père de la psychanalyse pour Dolfuss, le chancelier autrichien, catholique autoritaire. Et il s’offusque de ce que Sigmund ait osé dédicacer l’un de ses livres «A Benito Mussolini, héros de la culture». Lorsqu’il épingle l’idéologie freudienne, on se demande si Onfray n’est pas lui-même un cas clinique d’idéologue, incapable d’admettre que les Années 30, bien nommés «années folles», offraient un contexte culturel compliqué et sensiblement différent du climat d’ivresse démocratique dans lequel nous baignons.

Ce livre n’apporte rien de neuf à la connaissance du sujet (voir encadré). Que l’on en attende rien du point de vue de la pensée! Mais Onfray banalise définitivement le soupçon antifreudien chez les intellectuels germano-pratins et il contribue pour sa bonne part à la libération de nos esprits, littéralement victimes de la sidération analytique. Ces six cents pages annoncent, après bien d’autres ouvrages critiques, un véritable… changement d’ère.

Joël Prieur

M. Onfray, Le crépuscule d’une idole, l’affabulation freudienne, éd. Grasset 618 pp. 2010 - 22 euros

Dis moi qui tu hantes…

Ironie de l’histoire de ce livre: Michel Onfray découvre aux yeux ébahi de son lecteur potentiel un Freud fascisant. Mais en même temps, il s’inspire des travaux antifreudien de tout un courant de pensée qui se situe «à droite», ce qui, pour l’homme de gauche qu’il revendique d’être, fait tout de même un peu désordre. Quelles sont les sources «de droite» de Michel Onfray? La critique que fait Pierre Debray-Ritzen de «la scolastique freudienne» et de «l’imposture» psychanalytique, le gros livre que le sexologue Gérard Zwang a intitulé La statue de Freud, ou les Mensonges freudiens de Gérard Bénesteau sont autant de livres qui ont déjà largement contribué à déboulonner l’idole. Onfray ne les cite pas, mais, comme il le reconnaît lui-même, il s’en sert abondamment. Comment justifier de tels emprunts? C’est chez Albert Camus que Onfray trouve la parade: «Si la vérité me paraissait être de droite, j’y serai» écrit l’auteur de L’homme révolté. «Je consens à cette magnifique phrase» écrit notre déboulonneur d’idoles que l’on devine effrayé de la puissance monolithique de la Correctness dans tous ses états. Le débat bibliographique instauré par Onfray sur 30 pages en fin de volume marque les progrès constants du terrorisme intellectuel de gauche et aussi la capacité qu’a toujours un esprit libre de penser librement.

JP

jeudi 29 avril 2010

[IBP] Communiqué officiel de l'Institut du Bon Pasteur concernant l’Émission "Les Infiltrés".

Mercredi 28 avril 2010
L’Institut du Bon Pasteur condamne fermement et sans aucune forme de double langage tous propos racistes et antisémites comme tout recours à la haine et à la violence. Ainsi qu’il l’a toujours fait, comme en témoignent ses précédentes interventions, en particulier lors de ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Williamson.

Il réprouve comme inadmissibles et scandaleux les propos tenus par certains intervenants de cette émission, véritables marginaux déséquilibrés et dangereux.

Il dénonce aussi les procédés illégaux et parfaitement inqualifiables de journalistes sollicitant expressément des mineurs de treize ans à leur faire tenir ces propos, tout comme leurs faux amalgames et mensonges et annonce qu’ils seront poursuivis en justice.

Il conteste tout lien du Bon-Pasteur avec quelque mouvement politique, comme aussi entre la paroisse Saint-Eloi et quelque groupuscule que ce soit, pas plus géographique que moral. (La paroisse Saint-Eloi n’a pas de cave).

Il dénonce l’odieuse campagne de dénigrement dont l’Église Catholique et ses représentants, jusqu’au pape lui-même, font l’objet systématique depuis des mois dans les médias et dans laquelle s’inscrit cet épisode scandaleux.

Il invite tous les hommes de bonne volonté à travailler pour la paix dans l’Église et dans la société civile ainsi qu’à la vigilance nécessaire contre toute dérive sectaire.

Monsieur l’abbé Philippe Laguérie, supérieur général
Monsieur l’abbé Guillaume de Tanoüarn, assistant
Monsieur l’abbé Christophe Héry, assistant

mercredi 28 avril 2010

Je n'ai pas la télé...

... mais j'ai fait mon possible pour regarder l'émission par quoi le scandale a éclaté à l'écran. Je n'ai malheureusement pas vu le premier quart d'heure : problème de clé. Eh oui... Il y a des gens qui éprouvent le besoin de s'enfermer... Finalement j'ai atterri chez un ami copte qui tient une petite pizzéria sympathique. Et j'ai vu.

Les propos antisémites des gamins : même chauffés par un professionnel de la provocation, c'est affligeant et inadmissible. Comme irréel. Le prof d'histoire ? apparemment pas révisioniste (heureusement) mais disant que l'on "parle trop de la shoah pour qu'il en parle" : inconscient. Ses élèves ont manifestement particulièrement besoin qu'il leur en parle ! Quant à son "De Gaulle est un déserteur" : stupide. Il était sous ministre de la guerre et conseiller de Paul Reynaud. Pendant que d'autres à bord du Massilia larguaient les amares vers Algers, lui se dirigeait vers Londres, l'Angleterre étant notre allié. Où est la désertion ? Quand on se permet de ne pas avoir les idées de tout le monde, il faut être exact, même - et surtout - pour des gamins de 3ème.
Quant à DI ou plutôt aux jeunes qui s'en réclament... Des pieds nickelés comme dit Caroline Fourest à deux reprises. Ces jeunes vivent dans le rêve éveillé. Le réveil sera rude.

Je pense que cette émission permettra à chacun de se démarquer clairement des dérives inadmissibles, des approximations fausses et tendancieuses et de la gonflette.

Reste le problème de faire parler des enfants pour condamner des parents et des institutions. Là clairement il y a abus mental sur ces jeunes et désinformation consciente vis à vis du télespectateur. Bref il y a un problème de droit. Que David Pujadas prête son image de grand Impartial du 20 H à un tel reportage, cela a vraiment quelque chose d'inquiétant pour la santé du débat public.

Le débat, après le reportage, dans l'ensemble était faible, comme si les participants abasourdis par ce qu'ils avaient entendu ne trouvaient rien à dire - qu'une dénégation clairement affichée d'ailleurs par Daniel Hamiche et par l'abbé Aulagnier. Caroline Fourest tirant de "J'aime la chrétienté" un "Je déteste la République" était semblable à elle-même, laïcarde jusqu'à l'os, idéologue. Mais elle n'a pas forcé son jeu. Elle ne pouvait pas mettre sur le dos des deux traditionalistes du plateau la grossièreté énorme des propos tenus : "Tout ce qui est excessif est insignifiant". L'abbé de La Morandais n'avait rien à dire et le montrait.

Frédéric Lenoir, après avoir excusé quelques grenouilles de bénitier de préférer encore la messe en latin, est venu dire, en revanche, que les traditionalistes en général (qu'il appelait les intégristes) avaient toujours un double discours. C'est du reste très clairement le message fort du reportage faisant parler de le gérant de l'Ecole : inutile de juger les gens sur leur dire, il faut les juger sur les intentions qu'on leur prête... De tels tics mentaux (je n'ose pas dire : intellectuels) font froid dans le dos. Comme disait Fouquier Tinville : "Donnez moi une phrase de n'importe qui et je le fais monter à la guillotine", parce qu'à partir des mots je vais lui prêter des intentions et en tirer un complot etc.

Complot et complotisme, c'était le deuxième aspect très sombre du reportage, qui tentait de faire croire que les pieds nickelés que filmait l'Infiltré était un simple maillon d'une chaîne qui étendrait son emprise sur la France entière etc. On sait que c'est le complotisme révolutionnaire qui a entraîné la Terreur et le populicide vendéen. Cela m'inquiète toujours quand des Républicains autoproclamés reviennent aux vieux démons de la Première République, qui a été terroriste. La tendance complotiste du Reportage est indigne du Service public et faite, comme tous les complotismes pour susciter la haine envers les présumés comploteurs.

Personnellement je crois qu'une telle émission doit susciter dabord la clarté, et de la part de ceux qui attaquent, parce que leur attaque pue la haine personnelle, et de la part de ceux qui sont attaqués et qui, vue la violence de l'attaque, n'auront pas grand mal à se défendre : je parle ici des catholiques attachés à la Tradition de l'Eglise et qui, en tant que catholiques ne peuvent cautionner aucune forme d'antisémitisme.

mardi 27 avril 2010

L'être humain plus fort que la machine!

On connaît les blablatrons traditionnels, ces petits programmes amusants qui recomposent des phrases à partir de morceaux de discours stéréotypés. Prenez une trentaine de groupes sujets, une vingtaine de groupes verbaux, combinez les avec une vingtaine de subordonnées, vous avez déjà un gros millier de phrases possibles.

Un article de slashdot.org m’apprend qu’on fait maintenant bien mieux. Les progrès de l’intelligence artificielle permettent l’écriture automatique d’articles. Premières applications : la finance et le sport. On entre dans l’ordinateur un tableau de données: nombre d’essais transformés, investissements exceptionnels, vitesse de la balle à l’engagement, croissance interne, etc. Le logiciel sait les interpréter et les habiller sémantiquement – les développeurs assurent qu’on aura bientôt le choix du style. Le match de base ball de la hischool locale commenté par (la machine qui imite) les plus grandes plumes sportives…

En lisant cela je me disais qu’ils sont vraiment très très forts ces Américains quand brusquement j’ai eu un doute : et si nous étions, en France, bien plus avancés ? Et si nos journalistes, depuis longtemps, savaient écrire n’importe quel article à partir d’un stock de formules et d’une dépêche AFP ? Exemple/illustration avec un article de Nicolas Senèze, sur l’émission des «Infiltrés» qui passe ce soir sur France2.

Les formules stéréotypées d’abord, du côté des méchants surtout :
. un catholique attaché aux formes anciennes est un ‘intégriste’
. sa paroisse est une ‘citadelle’
. pour un gentil, s’y rendre c’est ‘plonger au cœur’ (de la 'citadelle intégriste' donc)
. un méchant ne dit pas, il ‘s’insurge’ ou il ‘reconnaît toutefois’ (ha! on le tient!)
    A dire vrai un gentil ne dit pas non plus, il ‘prévient’ de ses bonnes intentions, il ‘regrette’ la querelle. Il ‘défend’ sa méthode, seule à même de secourir les «valeurs de la nation».

    Sur le fond maintenant! Un seul exemple car mon repas m’attend: s’effrayer (dans le but d’entrainer le lecteur dans son effroi), mais s’effrayer aussi de ce qui n’a rien d’effrayant. Nicolas Senèze s’effraye ainsi qu’à l’école Saint Projet on enseigne en histoire que Pétain a rendu «d’énormes services à son pays». De fait pourtant, c’est bien ce qui lui a valu d’être maréchal.

    Il y a quelques années une question agitait joueurs d’échecs et informaticiens : jusqu’à quand l’Homme battrait-il encore l’ordinateur ? En matière de rédaction automatique, il semble qu’il le batte déjà.

    lundi 26 avril 2010

    Posture & imposture

    Il faut bien faire la distinction, en matière de bonnes et nobles idées, entre la position et la posture. La posture c’est la position sans rien derrière. Les positions se discutent mais la posture m’irrite toujours. Et pour illustrer ce distinguo qui n’a rien de subtil, six exemples comme j’aurais pu vous en donner six cent tant le phénomène est répandu.

    Posture: le législateur qui pour interdire la burqa invoque la dignité des femmes, quand des dizaines de milliers de malheureuses se prostituent dans des conditions sordides.

    Posture: cette école privée qui professe son respect des handicapés qui sont «des gens comme les autres», tellement comme les autres qu’elle n’adaptera rien à leurs besoins spécifiques, et reste («à son grand regret») dans l’impossibilité de les accueillir.

    Posture: ce roi qui «rappelle» que la loi doit s’appliquer partout y compris dans des cités périphériques, et qui feint d’ignorer que sa police a du mal à maintenir un semblant d’ordre à 2.000 mètres de son palais, les soirs de match.

    Posture: ce curé «à l’écoute de tous» mais surtout «de toutes les différences», avec une grille de lecture qui a 50 ans hélas, qui lui fait croire que les jeunes qui lui demandent la messe tridentine sont des petits vieux frileux et conformistes. Impossible de les entendre, donc.

    Posture: ce pacifiste qui condamne l’intervention en Irak au nom de la souffrance des «boys» (déjà 5.000 morts) mais se montre incapable de dire combien d’Irakiens y ont laissé la vie, à 1 ou 2 millions près.

    Posture: ce militant «pro-vie» qui défend l’être humain «dès la conception» mais qui oublie presque qu’il y a une vie après la naissance, et qui balaie d’un verdict sans appel («marxistes ou cryptomarxistes») les initiatives (smic, cmu, ccfd, rmi, etc) qui voudraient aider les plus faibles à survivre.

    Méfiance! Nous avons tous nos ‘postures’.

    dimanche 25 avril 2010

    [conf'] Chrétiens d'Orient: trésors perdus et liturgies disparues - conférence par Jean-Claude Chabrie

    Mardi 27 avril à 20H00 au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris), "Chrétiens d'Orient : trésors perdus et liturgies disparues" - conférence par Jean-Claude Chabrier musicologue orientaliste (avec des documents audio-visuels) - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé). - La conférence est suivie d'un verre de l'amitié.

    samedi 24 avril 2010

    Journée d’amitié franco-russe, le samedi 24 avril 2010 au Centre Saint Paul, 9H00/19H00

    Journée d’amitié franco-russe, le samedi 24 avril 2010, de 9H00 à 19H00
    • Philippe Champion : « Le voyage de Pierre le Grand à Paris. »
    • Tatiana Baliazina-Dupin : « L’Icône de la Mère de Dieu, dite de Vladimir ».
    • Andrei Korliakof : « Le grande exode russe : tous les chemins mènent en France ».
    • Père Christophe Levalois : « L’immigration russe dans ses relations avec la France ».
    • Marc Marchadier : « Penseurs russes et l’intellectuels catholiques entre les deux guerres ».
    • Maurice Gendre : « Politique de la Russie actuelle »
    • Père Hycinthe Destivelle : « Résurrection de l’Eglise russe ».
    Buffet sur place (cuisine russe)

    12 rue Saint Joseph, 75002, Paris
    Pour tout renseignements : 01 40 26 41 78

    mercredi 21 avril 2010

    J'accuse...

    ...les mythos qui font passer leur romantisme personnel avant la foi chrétienne... J'accuse ceux qui ont été filmés par France 2, Capa et Mathieu Maye de brouiller la vérité chrétienne avec des obsessions qui ne regardent qu'eux. Mais je n'ai pas donné de noms. Lisez la défense de Fabrice Sorlin pour Dies irae dans le dernier numéro de Monde et Vie : elle est objectivement convainquante. Les individus filmés étaient-ils de passage, s'agissait-il de provocateurs ? Les procès qui auront lieu si il y a émission ne manqueront pas de nous apprendre ce qu'il en est et d'établir les faits. Toute cette histoire paraît de plus en plus gonflée à l'hélium.

    Je voudrais citer un fait : j'ai été démarché par un certain Pascal pour donner mon avis sur la question juive. C'était il y a environ un an. Je lui dis : cela tombe bien, je donne une conférence sur ce sujet mardi prochain. Il me demande s'il peut venir : - Bien sur. - On peut filmer ? - Bien sûr si conformément à la déontologie vous filmez toujours l'assistance de dos. Il est venu un mardi soir à 20H00. Il a filmé l'ensemble de ma conférence (1H30 : une approche d'ensemble des formules à l'emporte pièce, enfin une conférence), il a été interroger individuellement les assistants durant le pot qui a lieu traditionnellement après. L'émission passe en début d'année scolaire : pas un mot sur le Centre Saint Paul et votre serviteur.

    Ces gens là ne cherchent pas l'information mais la faute. Et s'ils ne la trouvent pas ils la font fabriquer par des enfants mis sous influence... ou ils utilisent les clampins dont je parlais dans mon dernier post. Mais il faut bien reconnaître que certains parmi nous ont prêté le flanc à ces recherches (je ne donnerai qu'un nom : Mgr W) et ont permis que l'on condamne la Tradition catholique pour de fausses raisons.

    Ceux là sont coupables des faux jugements que l'on porte à cause d'eux sur le nom chrétien.

    mardi 20 avril 2010

    L’émission par qui le scandale arrive.

    Les journalistes doivent ils se reconvertir en agents auxiliaires de la morale publique ? C’est cette question que l’on se pose lorsqu’on se trouve devant l’émission Les infiltrés, produite par l’agence capa pour France 2 sous la responsabilité de David Pujadas lui-même.

    On sait qu’il y a une crise dans le Métier : crise du papier d’abord, dépassé par l’information virtuelle portée, dans une permanente immédiateté, par Internet. Crise de l’audio-visuel, qu’illustre bien le vide total des programmes, toutes chaînes confondues. Vous comptez encore sur la télé pour vous distraire ? Faites l’expérience, vous verrez… Le sommeil risque de vous saisir avant que vous n’ayez eu le temps de la mener à bien.

    Cette crise renvoie évidemment à un diagnostic civilisationnel, car les médias sont à l’image de leur destinataires. Elles reflètent un état de la société. On parle d’« ensauvagement », de décérébration, de lassitude d’être ou comme l’expliquait récemment le philosophe Bruno Pinchard, on invoque la « fin de l’âge de l’esprit ». Nous sommes dans un temps, il faut s’y résoudre, où « l’esprit n’est plus le principe de notre savoir » (in Philosophie à outrance, Cinq essais de métaphysique contemporaine, éd. EME).

    Le diagnostic parfaitement gratuit et désintéressé du métaphysicien porte en lui-même des conséquences politiques, éthiques et religieuses dramatiques. Ce ne sont pas elles qui nous intéressent pour l’heure, mais bien les dérives que la fin de l’âge de l’esprit produit dans ce petit monde en crise du journalisme. La télé loisir, emmerdante et ronronnante voit son salut dans la télé réalité. L’information, normalisée par les agences de presse, tente de sortir de son insignifiance en copiant ce procédé de la télé-réalité. Dans la « théâtrocratie » ambiante, rien de tel qu’une caméra cachée pour réveiller les ardeurs du téléspectateur assoupi devant sa télé allumée. Caméra cachée, caméra vérité, voilà enfin de quoi susciter l’intérêt, voilà, pour redresser l’audimat, le viagra des chaînes en panne d’idées!

    La précédente émission de la série « Les infiltrés » a concerné la pédophilie. Les journalistes se sont infiltrés dans des réseaux de photos pédophiles sur Internet, et ils ont gentiment dénoncé leurs sources. Hervé Chabalier, le responsable de l’Agence capa, se justifie, sans mollir de cette nouvelle déontologie de la délation dans les colonnes de Libération : « on ne dénonce pas, on signale » des faits. Puis il ajoute que ces hommes [les pédophiles « signalés » à la police par les journalistes] ne sont pas des sources, mais le résultat de l’enquête journalistique. « Quand on sait que des gamins vont être victimes de prédateurs, il n’est pas possible de ne pas empêcher que ça se fasse. C’est la consigne que j’ai donnée. L’autre cas, c’est si on infiltre un réseau terroriste et qu’on apprend qu’une bombe va faire 150 morts dans le métro, je le ferai aussi. Il y a ces deux cas. Nous sommes des journalistes, mais nous sommes avant tout des citoyens ». C’est beau comme de l’antique ! On constate la volonté affichée par Hervé Chabalier de limiter la délation à deux cas très graves : la pédophilie et le terrorisme. Vous vous imaginiez sans doute que l’émission suivante serait consacrée aux terroristes et que des journalistes de l’agence Capa infiltreraient des milieux intégristes musulmans pour montrer comment des Français se retrouvent transformés en terroristes, dans des camps de formation très spéciaux en Afghanistan ou ailleurs.

    Pensez-vous! L’émission suivante, le 27 avril prochain, a pour cadre une école catholique traditionaliste à Bordeaux, l’école Saint-Projet. Assurément c’est moins dangereux. L’objectif du journaliste infiltré, Matthieu Maye ? Inciter des enfants à la haine antisémite, non sans les avoir chauffés lui-même au préalable par des provocations qui, bien sûr, n’apparaissent pas dans le document qu’il a extrait de son aventure, mais dont plusieurs se disent aujourd’hui témoins scandalisés. Pour parvenir à ce résultat, le jeune homme et ses commanditaires de Capa et de France 2 n’ont pas lésiné sur les moyens. Il s’est immergé dans le milieu traditionaliste pendant plusieurs mois, il a été demander le baptême à l’église Saint-Eloi, tenue par des prêtres traditionalistes de l’Institut du Bon Pasteur et, avec plus ou moins de succès selon les jours et les « victimes » choisies, il s’est fait embaucher comme pion à l’école Saint-Projet. Et il a filmé…Pendant des jours…

    Qu’en reste-t-il ? Assurément un témoignage à charge. Ceux qui ont vu le film, comme notre ami Daniel Hamiche, présent sur le plateau, se disent particulièrement mal à l’aise. Sur les images captées par le provocateur, les enfants en font des tonnes dans un antisémitisme forcé. Est-ce parce qu’ils se sentent loin de tout interdit ? Parce qu’ils veulent mettre le pion dans l’embarras en sortant des choses énormes, obscènes ? Parce que le pion, avec sa chemise boutonnée jusqu’au dernier bouton, fait décidément trop timide et qu’ils veulent se le payer, sans imaginer une seconde que c’est l’inverse qui se passe et que c’est Matthieu Maye qui les a adroitement provoqués ?

    Cette manière de « jouer » avec les enfants en se jouant d’eux et en leur faisant dire des choses dont ils ne perçoivent pas bien la gravité relève évidemment d’une forme d’abus mental. Et cette façon d’utiliser les enfants en leur faisant dire ce que soi-disant penserait leur « milieu » d’origine s’apparente à de la surinterprétation, visant à mettre en place une véritable « loi des suspects », qui aujourd’hui comme hier n’a d’autre but que de tuer. Nous ne sommes plus dans l’information, mais dans la manipulation. Tuer qui ? L’école Saint-Projet ? En quoi les 80 élèves de cette petite unité d’enseignement intéressent France 2 ? Le mouvement Dies irae, principal incriminé dans le film, avec quelques clampins qui jouent à se (nous) faire peur en maniant des armes et des mots trop lourds pour eux ? « Ce sont des pieds nickelés » dit Caroline Fourest, présente sur le plateau lors du débat et qui voulait, là comme ailleurs, jouer son rôle de dénicheuse de fachos…

    Tuer qui ? L’Institut du Bon Pasteur ? Le traditionalisme catholique ? Par amalgame, le pape qui a eu l’outrecuidance de réhabiliter des évêques dits « intégristes », parmi lesquels l’un d’entre eux responsable de déclarations négationnistes à la télévision suédoise ?

    En 1996, le journaliste Gérard Leclerc posait déjà la question : Pourquoi veut-on tuer l’Eglise ? Il me semble que cette question est plus actuelle que jamais… Il y a dans le monde une hyperpuissance du libéralisme consumériste. L’Eglise catholique est l’institution qui a montré qu’elle ne plierait pas, qu’elle ne recevrait pas le matérialisme dans tous ses états comme la source des valeurs. Il faut faire plier cette Eglise-là, il faut tuer en elle toute velléité de résistance, il faut détruire le Pouvoir spirituel qu’elle représente auprès de centaines de millions d’individus – et l’autorité qu’elle retire de cette situation de Monopole. Il faut frapper là où cela lui fait mal en ôtant à cette Institution fondée sur la foi toute crédibilité. Et pour cela, il faut se servir de quelques idiots utiles, provocateurs, nostalgiques d’on ne sait quel « ordre chrétien » ou plutôt d’un ordre noir fantasmatique, en profitant du fait que, pour beaucoup d’entre eux, ils cherchent à faire parler d’eux à tout prix…

    L’émission Les infiltrés qui passe le 27 avril prochain sur France 2 aura au moins cet intérêt de stigmatiser ceux qui, dans une sorte de jeunisme éperdu et perdant d’avance, ont préféré leur romantisme personnel à la foi dans son intégrité et sa virginité, cette foi qui, seule, nous rattache au Christ.. Il faut en finir avec les amalgames et avec tous ceux qui peuvent y prêter le flanc. Que le monde nous attaque ? C’est au programme depuis le commencement : « Le monde vous hait, nous dit Notre Seigneur en saint Jean. Si vous étiez du monde, le monde ne vous haïrait pas, mais vous n’êtes pas du monde et c’est pourquoi le monde vous hait ». Ovide, le chantre de l’art d’aimer, avait aussi une petite phrase terrible, réutilisée par saint Augustin : « La vérité engendre la haine ». Si le spectacle de la haine que donne aujourd’hui les ennemis du nom chrétien est fondé sur la détestation du Christ-vérité, il n’y a rien là ni pour nous étonner ni pour nous impressionner. Nous faisons face, avec les armes paradoxales du chrétien, qui sont la douceur et l’humilité et nous savons que la vérité « passera » toujours au dessus de la haine. Mais si tel ou tel met en avant de mauvaises raisons auxquelles la haine publique s’alimente et prend vigueur, il est coupable de dénaturer le Christ, et ce n’est pas une petite culpabilité.

    Abbé G. de Tanoüarn

    [conf'] Chesterton - conférence par Philippe Maxence

    Mardi 20 avril à 20H00 au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris), conférence de Philippe Maxence, sur Chesterton - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé). - La conférence est suivie d'un verre de l'amitié.

    samedi 17 avril 2010

    Merci aux commentateurs...

    Antoine, Thierry, Julien, Henri, qui ont si bien, si noblement témoigné de l'espérance qui est en nous tous, même en celui qui a écrit : "on fait quoi quand on n'a pas la foi ?" Question suscitée par l'espérance.

    "Ariane me manque et je n'ai pas son fil" écrivait Maurras, poète perdu dans le labyrinthe de l'existence, chrétien à la foi si difficile, mais qui entendait bien s'endormir, Deo adjuvante, "entre les bras de l'espérance et de l'amour", "dans une paix certaine".

    Pour déblayer le terrain (modestement, je crois que c'est tout ce que l'on peut faire : enlever les obstacles, être un removens prohibens), je voudrais aussi répondre à Julien décrétant in-soutenables les deux formules : "la foi est un don de Dieu" et "aimer c'est vouloir".

    "La foi n'est qu'un don de Dieu" : dire cela, ce serait effectivement tomber dans du calvinisme ou du prédestinatianisme. La foi n'est pas qu'un don de Dieu. N'oublions pas ce que Pascal appelait "la vérité contraire". La foi est aussi, substantiellement une liberté de l'homme. Disons : elle est la convergence des deux.

    Comment est-ce compatible direz-vous ? Et les plus instruits dans "la philosophie réaliste", chère à l'Institut de Philosophie Comparée (qui vient d'ailleurs de fêter ses 40 ans) diront peut-être : et le principe d'identité, qu'est-ce que vous en faites ? On répondra, pour faire vite que l'action de Dieu ne détruit pas mais suscite la liberté de l'homme.

    Dire que la foi n'est qu'un don de Dieu c'est rendre indéchiffrable ce don, c'est donner à penser que Dieu est un Monarque absolu qui écraserait ses sujets de la splendeur de ses dons. Julien a raison sur ce point de ne pas aimer la formule, alors que la seule loi que Dieu nous ait donnée, saint Jacques, dans son Epître, l'appelle "la loi de liberté". Dieu donne sa grâce à notre liberté. Il a besoin d'elle pour se faire recevoir par nous.

    Quand on n'a pas la foi ? il faut essayer d'accepter d'avoir ce que Dieu nous donne comme il nous le donne, sans chercher autre chose et en lui laissant le temps, parce que le temps est à lui et non à nous.

    Deuxième détestation de Julien : "aimer c'est vouloir". On trouve cela (plus ou moins) dans L'amour et l'Occident du suisse Denis de Rougemeont, par ailleurs, comme par hasard, moderne lecteur et éditeur de Luther, ce théologien si génial et si unilatéral, qui avait tant de mal avec la "vérité contraire". Cela d'ailleurs lui permet de vérifier la petinence de la formule dePascal : "L'hérésie n'est pas le contraire de la vérité mais l'oubli de la vérité contraire".

    Aimer c'est vouloir soutient Rougemont. Mais aimer c'est une grâce aussi et c'est cette grâce qui seule est assez intime (assez profonde) pour susciter le vouloir.

    Mais j'ergote et ne vous ai as assez remercié les uns et les autres de ces contributions qui sonnent si vraies dans leur diversité, dans leurs emportements, dans leurs doutes et même dans leurs dissonances. la foi est une passion dit Kierkegaard. A vous lire, on comprend ce qu'il veut dire.

    Là aussi il ne faut pas oublier "la vérité contraire" et la convergence des deux vérités.

    vendredi 16 avril 2010

    [brève] Retour du cannibalisme

    Ce genre d'information se trouve en général dans de très confidentielles newsletters qui ne touchent qu'un petit nombre de militants pro-life. Cette fois c'est le très diffusé quotidien Le Parisien qui nous parle de cet "antirides à base de foetus humain". Bigre! Ca s'appelle "Neocutis" et on apprend que "les précieuses cellules" qui sont le principe actif du produit sont "obtenues à la suite d’un avortement".

    Au départ, un constat merveilleux: "En opérant des foetus in utero, les chercheurs se sont rendu compte qu’une fois nés, les bébés n’avaient ensuite aucune cicatrice". D'où l'idée d'utiliser leurs cellules régénératrices pour "soigner les grands brûlés". Puis on a proposé le produit "aux patients qui ont suivi des traitements qui leur ont desséché la peau". Puis encore: "à ceux qui cherchent un antirides".

    Le Parisien indique que le généticien Axel Kahn "n'est pas choqué". Moi si.

    jeudi 15 avril 2010

    Et Bossuet dans tout ça...

    Je rencontre Henri dimanche à Villepreux, et il me dit : je voudrais que vous me disiez où Bossuet parle du désir de Dieu. Je suis au pied du mur.

    C'est à ses dirigées, c'est à des femmes que Bossuet parle le mieux du désir de Dieu. La Soeur Cornuau dabord, mais aussi cette "demoiselle de Metz" qui est une religieuse, laquelle Bossuet adresse quatre lettres qui nous sont conservées, quatre chefs d'oeuvre très différents les un des autres.

    Voici les premières lignes de la première lettre : "Il faut ma très chère fille que vous désiriez ardemment d'aimer Jésus Christ. Je suis pressé de vous écrire quelque chose touchant ce désir dans lequel je fus occupé tout le jour d'hier (sic !). Le désir d'aimer Jésus christ est un commencement du saint amour, qui ouvre et qui dilate le coeur pour s'y abandonner sans réserve, pour se donner tout entier à lui jusqu'à s'y perdre pour n'être plus qu'un avec lui. Quiconque aime Jésus Christ commence toujours à l'aimer, il compte pour rien tout ce qu'il a fait pour cela [ô jansénisme salutaire de Bossuet] : c'est pourquoi il désire toujours ; et c'est ce désir qui rend l'amour infini. Quand l'amour aurait fait, s'il se peut, son dernier effort, c'est dans son extrémité qu'il voudrait recommencer tout : et pour cela, il ne cesse jamais d'appeler le désir à son secours, désir qui commence toujours et qui ne finit jamais, et qui ne peut souffrir aucune limite".

    Voilà Bossuet. Tout le reste est du même tabac. J'avoue que l'un de mes projets a toujours été de rééditer ces quatre lettres de braise.

    Bossuet ne confond pas le désir et l'amour comme le fait le psychanalyste de base. Mais il indique clairement que le désir est le moteur de l'amour.

    Fénelon, lui, au nom de la pureté, veut supprimer le désir : quelle horreur !

    Lacan, quant à lui, cantonne l'amour au transfert, c'est-à-dire à la cure, au divan et aux sauteries toutes symboliques qui peuvent s'y dérouler : quelle perversion !

    Bossuet, comme saint Thomas d'Aquin et comme Cajétan (voir son commentaire de la Question 17 article 5, sur l'espérance) unit l'amour et le désir sans les confondre. Les mammifères supérieurs que nous sommes ne pourraient rien sans désir. Simone Weil, anorexique de façon dramatique, jusqu'à la mort sans doute, a tout de même écrit dans Attente de Dieu que le désir de Dieu est le seul dont nous soyons sûrs qu'il est exaucé. Et elle ajoute cette raison très cajétanienne : parce que le désir de Dieu, dans le mammifère supérieur, vient de Dieu... Dieu ne peut pas se contredire lui-même, donner ce désir et nous priver de son exaucement.

    Bossuet caractérise très bien l'état de Simone Weil dans la suite de sa lettre : "Ce coeur pris et épris par cette sainte admiration ne peut plus voir que Jésus Christ, ne peut plus souffrir que Jésus Christ. Jésus Christ seul est grand pour lui. Et cette admiration s'élève si haut dans le coeur qu'alors on ne peut s'empêcher de dire : le Seigneur est grand. C'est là que peu à peu tout autre objet s'efface du coeur".

    Allez lire la suite... "Laissez donc ma fille aller votre coeur..." continue Bossuet.
    C'est fou ? Saint Paul le pensait déjà et il l'écrivait aux Corinthiens.

    samedi 10 avril 2010

    L'espérance théologale, notre désir infaillible

    Le sommeil se faisait impératif. J'ai été un peu vite sur la fin, lors du dernier post sur Robert Spaemann (dont par ailleurs bien sûr je recommande vivement la lecture, comme extrêmement stimulante : sa manière d'aborder le rapport Rousseau Bonald par exemple... Un délice).

    Les commentaires m'orientent vers l'espérance, avec raison... C'est la clé, dédaignée par Fénelon, et aussi par Spaemann, qui trouve cette vertu trop psychologisante pour être honnête. L'espérance est notre indéracinable désir de Dieu, celui qui, en nous, jusqu'au bout, ne renoncera pas, celui qui n'accepte aucun démenti de l'existence : contra spem in spe, dit saint Paul : contre l'espérance dans l'espérance. Péguy l'a chantée de manière merveilleuse dans le Porche du mystère de la deuxième vertu. La petite fille espérance est... "une fille de la charité" (dixit Péguy) qu'aucune plaie ne dégoûte, qu'aucune misère ne rebute, qu'aucun désespoir ne lasse. En elle est le secret du croyant. C'est une vertu que saint Paul (sauf dans le fameux texte de I Cor. 13 que l'on nomme l'hymne à la charité) a tendance à mettre au dessus de tout. La charité, amour désintéressé, demande parfois un effort : "Aimez vos ennemis de charité" nous demande le Christ : pas si facile, n'en déplaise aux grenouilles de bénitier et autres batraciens à sang froid. Alors que l'espérance... L'espérance ne demande pas l'effort, elle l'exige, elle l'arrache, même au plus rétif.

    Je ne dis pas que l'espérance est facile, encore moins qu'elle nous pousse à la facilité. Mais l'espérance nous commande tel ou tel geste, elle nous ordonne (dans les deux sens du terme : elle nous met en ordre de bataille et elle nous fait entendre un ordre clair et inconditionnel : celui de marcher toujours).

    Quel est l'argument de l'espérance ? "le temps qui reste", selon le titre que Giorgio Agamben a repris à saint Paul. Nous avons peu de temps pour l'éternité. Autant y aller à fond ! Ne pas donner moitié.

    il y a un terrible quiproquo sur l'espérance, qui a fait des générations de tièdes. L'espérance n'est pas une vertu qui nous sécurise, en nous assurant au moins du happy end. L'espérance, qui a partie liée avec le désir, j'allais dire avec l'avidité des choses de Dieu, nous donne cette avidité parce qu'elle nous insécurise et dans la mesure où elle nous la donne. C'est en ce sens que rené Girard achève son livre Achever Clausewitz : "vouloir rassurer, c'est toujours contribuer au pire". L'espérance nous permet de supporter le spectacle du Mal dominant. Elle nous fait trouver dans ce spectacle repoussant le goût de Dieu, de son salut et de son Christ.

    L'espérance fait feu de tout bois. un peu comme on peut dire : c'est la faim qui nous permet d'apprécier davantage tel ou tel aliment (la faim : le meilleur des condiments), de la même façon, c'est le manque de Dieu qui nous fait désirer Dieu, c'est le spectacle du mal qui nous plonge dans l'amour du Bien.

    Voilà pourquoi l'espérance supporte tout. Elle est le désir à son apogée, celui qui fait du manque le signe de la satiété, celui qui, comme l'Eros de Platon dans le Banquet, est capable, tel Ulysse, de tous les stratagèmes pour arriver à ses fins.

    L'espérance ne nous enferme pas dans la tour d'ivoire des quiétistes féneloniens, qui, ayant renoncé au Désir, se perdent dans une contemplation impassible de l'Ordre du monde. L'espérance ne prend pas occasion de l'Ordre établi pour se satisfaire sans rien entreprendre. L'espérance ne dit pas "Amen" à tout, ce n'est pas son genre. Contra spem in spe... L'espérance nous rend chacun responsable de notre attente. Elle est la seule véritable mesure de notre amour.

    Désir infaillible, ai-je écrit en titre. Je pensais au texte de Simone Weil dans Attente de Dieu, où la philosophe explique que le désir de Dieu est le seul qui porte en lui-même sa satisfaction, le seul que Dieu satisfasse toujours.

    vendredi 9 avril 2010

    Antimoderne ? A quel prix !

    Robert Spaemann est un philosophe allemand, que son parcours, à travers les querelles d'école, rend particulièrement intéressant. Ami de Benôît XVI, il est l'un des premiers à avoir tiré la sonnette d'alarme, lorsqu'il s'est agi de travailler, en tant que catholique, à accueillir les femmes en détresse, en leur proposant éventuellement un avortement. Il a montré que c'est un conseil qu'un ou une catholique ne pouvait jamais donner.

    Il publie deux livres en français, l'un aux éditions du Cerf, sur la différence entre les choses et les personnes - que je n'ai pas encore eu le temps de lire - l'autre, aux éditions Hora decima, sur son parcours personnel.

    Dans ce livre, il insiste sur le fait que c'est avant tout notre affectivité qui est malade. Je crois qu'il a raison. Si l'intelligence est en péril de mort, comme dit Marcel De Corte, l'intelligence - notre intelligence - s'affolle devant le néant et ne sait pas comment elle sera capable de se proclamer la mauvaise nouvelle du néant à elle-même. Comme je l'ai expliqué ailleurs sur ce blog, sans la Shoah, sans le kakangile de la Shoah, nous en serions encore à "Cher ami..." et nous déborderions d'un lyrisme compensatoire, en en faisant des tonnes - comme Paul VI fut un temps - dans le culte de l'homme. Même Emmanuel Mounier, féru du culte de l'homme, parlait de la Shoah comme de la... petite peur du XXème siècle. il n'avait certainement pas tout compris !

    Notre affectivité est malade... Cette maladie remonte au moins au différend entre Bossuet et Fénelon, je crois que Spaemann a raison de le souligner.

    Mais là dessus, voilà qu'il donne raison à Fénelon. Pour Spaemann, aimer Dieu, c'est simplement être dans l'ordre [lui préfère parler de téléologie, mais l'idée est la même]. Surtout, affirme Robert Spaemann, il faut éviter, comme le fait Bossuet, de parler de "désir" subjectif de Dieu, cela n'a aucune valeur. Il faut abandonner là l'espérance, trop subjective. Robert Spaemann cite Fénelon : "En perdant l'espérance, on retrouve la paix. L'amour, sans confiance ni défiance, est la seule assurance pour jamais". Commentaire de Spaemann : " Bossuet a dit que Fénelon était un maître du désespoir [a-t-il vraiment tort, eu égard à la citation que nous reprenons ici ?]. Et pourtant elle est magnifique la soumission de Fénelon, lorsque vint de Rome sa condamnation".

    Quel salmigondis ! Mettre le coup de crosse et ses conséquences sur le même plan que la vertu théologale d'espérance, souligner que se prendre un coup de crosse sans broncher, mais sans changer d'avis, valait toutes les formes d'espérance du monde... Cela me semble mélanger la psychologie personnelle et le don de Dieu. C'est dommage!

    En réalité, Fénelon a la spiritualité de sa métaphysique. Concevant "l'être universel", il ne voit d'espérance que celle qui consiste à se mettre à son rang dans l'ordre de l'univers, ce bel ordre qu'il déploie dans son Traité de l'existence de Dieu. Opérant cette mise en ordre, il ne bronche pas un instant. C'est du stoïcisme. Ni plus ni moins. Fénelon accuse un retard métaphysique de mille sept cent douze ans, pour prendre comme points de repère sa mort et la naissance putative du Christ.

    Les choses seraient tellement plus claires si l'on concevait que l'unité d'ordre entre Dieu et les créatures, ce n'est pas je ne sais quel spectacle ordonné des 'degrés de l'être', mais c'est chaque être, en tant qu'il tient son être de Dieu même. Ce personnalisme théologique et métaphysique, il n'en est pas question chez Fénelon, féru des degrés d'être et de la métaphysique ancienne.

    Mais il justifie Bossuet.
    A suivre.

    mercredi 7 avril 2010

    Christ est vraiment ressuscité !

    Nos amis orthodoxes utilisent cette formule comme une sorte de mot de passe en cette période de Pâques. Nous avons peut-être du mal les uns et les autres à nous rendre compte de ce qu'elle signifie concrètement...

    La résurrection du Christ est le plus grand progrès jamais accompli dans l'histoire de l'humanité. A travers elle, notre existence personnelle prend de nouvelles dimensions, au-delà de l'espace-temps. Le Christ est le seul être humain qui ait jamais pu remporter personnellement la victoire sur la mort. Les plus grands capitaines ont remporté des victoires improbables, le jeune Bonaparte au Pont d'Arcole par exemple. Le Christ dans ce duel épique que chante le Victimae Paschali laudes, a remporté la victoire sur la mort : mors et vita duello mirando conflixerunt... Il n'y avait que deux combattants : le chef du camp de la Vie (dux vitae) et le chef du camp de la mort. Au moment où la Mort a cru pouvoir emporter son butin, c'est à ce moment que la victoire lui a échappé : par la mort, le Christ a détruit la mort, disons nous chaque jour dans la Préface pascale.

    Jusqu'au Christ ressuscité, la mort avait toujours le dernier mot. L'auteur sacré du livre qu'on appelle en grec l'Ecclésiaste explique que "tout est vanité et poursuite du vent". Au chapitre 3, il remarque "Le souffle de la bête et le souffle de l'homme sont le même souffle qui s'éteindra de la même façon". Sans le Christ, il faut avoir le courage de le dire, tout n'est que mort et comme le dit un Kundera, même nos amours sont... risibles. Même les choses auxquelles nous attribuons la plus grande importance n'en ont aucune en réalité, confronté au terme universel des biens et des maux...

    Vous me direz : n'y a-t-il pas moyen de prouver l'immortalité de l'âme en dehors du Christ ? Sans doute. Les plus grands philosophes s'y sont essayé. Platon a proposé un mythe de la transmigration des âmes. Pas très inspirant ! Aristote n'a rien proposé du tout, sinon peut-être dans l'Ethique à Eudème, avec un étonnant chapitre sur la fortune (nous dirions : la grâce actuelle). Les stoïciens exaltent le grand tout. Les falasifas dont nous parlions il y a quelques jours ont théorisé ce retour au grand tout, en évoquant avec Averroès un intellect agent unique.

    Le Christ seul (et sans aucune concurrence sur le marché des religions, c'est un fait) nous propose, à son exemple, la résurrection, "une résurrection de vie ou une résurrection de jugement" comme il dit au chapitre 5 de saint Jean. Le Christ seul nous propose d'être responsable de nos actes et de leur conférer une telle importance qu'ils puissent "nous suivre" dans l'éternité, comme dit l'Apocalypse : Heureux ceux qui sont morts dans le Seigneur car leurs actes les suivent".

    Bref on peut dire que la résurrection du Christ change tout à notre propre vie, en nous faisant entrevoir, par la puissance de Dieu et la qualité de nos actes, la possibilité de notre propre "résurrection de vie". D'une certaine façon, si nous voulons vivre dignement, nous avons le choix entre le nihilisme (je parle du nihilisme noble, pas du nihilisme hébété du petit consommateur qui remplit docilement son cadi chez Auchan tous les samedis matins) et la résurrection du Christ. Et ce choix, comme le voyait très bien Louis Salleron naguère dans Ce que le mystère est à l'intelligence, ce choix est littéralement le choix entre les deux protagonistes du vieux cantiques Victimae paschali laudes dont je vous parlais tout à l'heure : la mort ou la vie.

    Fasse Dieu que chacun, nous ayons la force de choisir la vie, c'est-à-dire la résurrection du Christ !

    vendredi 2 avril 2010

    La Semaine Sainte au Centre Saint-Paul

    Dimanche des Rameaux - 28 mars 2010 :
    Messes aux horaires du dimanche : 9H00, 10H00, 11H00, 12H30 et 19H00.
    11H00: Distribution solennelle des Rameaux et chant de la Passion selon Saint Matthieu.
    17H00: Vêpres et Salut du Saint-Sacrement.
    18H00: Dernière conférence de Carême : «L'œcuménisme, de Vatican II à Benoît XVI. Histoire d'une histoire sans jugement de valeur».

    Mercredi-Saint - 31 mars 2010
    19H: Messe avec le chant de la Passion selon saint Luc
    20H30 : Office des Ténèbres du Jeudi-Saint

    Jeudi-Saint - 1er avril 2010
    19H00: Messe Vespérale avec le Lavement des pieds.
    20H30: Office des Ténèbres du Vendredi-Saint.
    Jusqu’à minuit : Adoration au Reposoir (1er étage).

    Vendredi-Saint - 2 avril 2010
    15H00: Chemin de la Croix médité.
    19H00: Messe des Présanctifiés (ou Fonction liturgique) après le chant de la Passion selon saint Jean.

    Samedi-Saint - 3 avril 2010
    10H30: Office des Ténèbres du Samedi-Saint.
    21H30: Veillée pascale et baptêmes de 3 adultes.
    Vers minuit : Messe Solennelle de la Résurrection ou Messe de la Vigile de Pâques (considérée comme Messe de Pâques).

    Dimanche de Pâques -  4 avril 2010 - Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ
    Messes à 9H00, 10H00, 11H00 (messe chantée), 12H30 et 19H00.
    18H00: Vêpres et Salut du Saint-Sacrement.

    Les confessions sont assurées jeudi, vendredi et samedi toute la journée au premier étage.

    De la Shoah comme nouvelle annonce

    Connaissez-vous Imre Kertesz ? Certainement un des très grands romanciers d'aujourd'hui, entièrement édité chez Actes sud. J'ai essayé de lire en chrétien - et en théologien - son oeuvre, nobélisée en 2002.

    Ce texte paru dans Respublica christiana doit être lu attentivement. Mais je pense, j'espère que dans ses ouvertures théologiques, il peut faire débat.

    Un dialogue rêvé avec Imre Kertesz

    Je suis convaincu qu'il y a grâce à ce que Imre Kertesz appelle le génie éthique des Juifs et grâce à ce que nous pouvons nommer, avec saint Paul, le don de Dieu sans repentance, une anthropologie (encore balbutiante) de la Shoah qui devrait réapprendre l'enfer aux incurables optimistes et aux fieffés menteurs (aux menteurs sur nous-mêmes) que nous voulons à toutes forces rester...

    Nous catholiques…

    Comment, nous catholiques, pouvons-nous parler de la Shoah ? On risque très rapidement de s’entendre dire que la Shoah ne nous appartient pas, à nous catholiques, et qu’il nous faut avant tout, par notre silence, respecter le peuple victime et sa mémoire. La question est donc redoutable.

    Mais elle mérite d’être posée si l’on veut éviter que la Shoah ne devienne un événement que l’on enferme dans la singularité de son apparaître, qui ne concernerait que le peuple juif et dont seul le peuple juif aurait droit de parler. En réalité, ce système d’extermination établi au cœur de l’Europe, ne peut pas ne pas concerner les Allemands au premier chef, mais aussi tous les peuples de l’Europe, car, jointe à l’habileté diabolique du promoteur de la Machine de mort, qui se trouve immédiatement en cause, c’est la culture européenne, telle qu’elle florissait dans un des pays les plus civilisés du monde qui apparaît comme mise en question par la Catastrophe.

    Le danger d’un tel sujet est l’apologétique, qui fait chercher des responsables et des coupables, avant d’avoir établi les faits. D’une manière ou d’une autre, on développerait des systèmes herméneutiques, destinés avant tout à blanchir les uns ou à accabler les autres. C’est ainsi que l’Eglise qui a été, de fait, la seule Institution publique, en zone occupée, à défendre les Juifs, de manière officielle, se voit accusée d’avoir permis le génocide, en ayant répandu ce que Jules Isaac a appelé la culture du mépris, liée à l’antijudaïsme traditionnel. A entendre tel ou tel, cette culture du mépris aurait été la pourvoyeuse de l’extermination. « Tous les gardiens d’Auschwitz étaient des baptisés » lit-on ici ou là. Mais est-ce que ces gens ont trouvé dans leur baptême une raison d’accepter de servir d’instrument dans la persécution et dans l’élimination des Juifs ? Qui pourra prouver une énormité pareille ? Que l’on accuse ce que le théologien Jean Baptiste Metz n’hésite pas à appeler une «Eglise bourgeoise»[1], une Eglise qui, depuis des siècles, préfère se trouver du côté du manche, du côté des autorités établies, que l’on mette en cause des chrétiens paresseux, qui ont préféré se taire plutôt que de risquer quoi que ce soit au plan de leur vie personnelle, cela ne doit pas empêcher de constater qu’à chaque époque, la puissance du christianisme s’exprime à travers des mouvements de résistance et que la Deuxième guerre mondiale, qui a vu jusqu’à des hiérarques s’engager dans la défense du peuple juif, ne fait pas exception à cette constante historique. La résistance chrétienne à l’ignominie nazie est la seule à s’exprimer invariablement, sous cette bannière et en raison de cette bannière, quels que soient les aléas du jeu des alliances, qui constitue la géopolitique mouvante du Grand affrontement.

    Le témoignage d’Imre Kertesz

    Pour éviter cette tendance à jouer les procureurs, le mieux est de s’en tenir aux faits tels qu’ils ont été vécus. Pour cela il ne faut pas interroger ceux qui instrumentalisent l’histoire et qui sont prompts à préférer « l’esprit du récit » à ce qui s’est vraiment passé, il faut aller trouver les témoins oculaires, ceux qui font corps avec l’histoire, oui ceux qui, en quelque sorte, sont l’histoire qu’ils disent. C’est dans cette perspective que s’impose, parmi d’autres mais comme un écrivain doué d’une puissance particulière, le recours au témoignage d’Imre Kertesz. Juif hongrois, déporté à Auschwitz-Birkenau puis à Buchenwald entre ses 15 et ses 17 ans, il a développé une oeuvre qui tourne tout entière autour de cette adolescence en camp de concentration. On peut dire que pour lui, Auschwitz est un interminable sujet, une source inépuisable parce que personne n’a osé en sonder le fond. Dans L’holocauste comme culture, récemment paru en français aux éditions Actes sud, et qui ramasse en un seul volume un ensemble de conférences et d’articles donnés ici et là, il expose très bien les raisons profondes de cette obsession pour l’Holocauste, qui, en quelque sorte, constitue son écriture. Avant tout, ce qu’il éprouve c’est une insatisfaction foncière devant l’image qui est donnée aujourd’hui, soixante ans après, de la Catastrophe.

    Lorsqu’on interroge Kertesz sur l’importance du témoignage, il n’hésite pas à manifester cette insatisfaction : « J’ai le plus grand doute quand il s’agit d’une transmission brute, qui n’est pas mise en forme artistiquement. Je trouve qu’il est très important de témoigner de tout ce qu’on sait. Mais quand on ne l’exprime pas de manière artistique, quand on se souvient, pour ainsi dire publiquement, il y a presque toujours manipulation. Même si évidemment, ce n’est pas avec de mauvaises intentions »[2]. Le témoignage sur Auschwitz, c’est-à-dire sur l’extermination brutale et muette de millions d’êtres humains qui n’ont à se reprocher que le crime d’être nés – d’être nés juifs – c’est l’artiste qui doit pouvoir s’en charger. C’est là la réponse que fait Kertesz à la fameuse formule d’Adorno selon laquelle il ne peut plus y avoir de poème après Auschwitz.

    L’artiste doit travailler sur Auschwitz. Il ne peut pas éviter Auschwitz. Lui seul peut exprimer Auschwitz : « Disant cela, je considère l’art non comme un jeu ou un ornement, mais comme une tâche digne et sérieuse, comme l’activité proprement métaphysique de l’homme, ainsi qu’en a parlé Nietzsche. Le sérieux, selon moi, ce n’est pas de mentir ou de tourner le dos à la vie. Si c’est ainsi que l’on conçoit l’art, il ne peut en aller autrement : le nazisme, le stalinisme, tout ce qui s’est passé d’horrible dans ce siècle ne peuvent qu’avoir une influence profonde sur l’art, tant du point de vue de la forme que du contenu. Même lorsqu’on n’écrit pas sur Auschwitz, les expériences d’Auschwitz s’insinuent dans l’écriture. Lorsqu’on ne saisit rien de cette influence, de cette expérience, on a affaire à un art de mauvaise qualité, désuet. C’est un phénomène très intéressant, dont on peut observer des marques évidentes : la langue est mauvaise, l’ensemble n’est qu’un enjolivement frelaté. Pour ainsi dire un art inculte qui ne sait rien ni de l’époque ni des conditions de son émergence »[3].

    Pour sérier le propos de Kertesz, il importe de souligner ce qu’il entend par « Auschwitz » : « C’est ce que j’ai senti immédiatement à même la peau. Auschwitz, c’est la forme la plus grave, la plus dure, la plus extrême que nous ayons connu d’un totalitarisme jusqu’ici. Qui sait ce que nous sommes encore amenés à découvrir ? Avec Auschwitz, le monde tel qu’il fut jusque là, le monde au sens vrai du mot a éclaté ». Faut-il opposer Auschwitz et la terreur stalinienne, en essayant de se demander quel totalitarisme est le plus grave ou en essayant, comme a tenté de le faire Ernst Nolte, de se demander lequel, du nazisme ou du stalinisme est le plus responsable – comme on dirait dans une cour de récréation : lequel a commencé ? Ce travail n’a aucun intérêt. Mettre en cause la Guerre civile européenne pour tenter de blanchir l’Allemagne du nazisme, c’est montrer qu’on appartient encore à l’ancien monde, où les responsabilités sont partagées et où l’Europe est un concert plus ou moins discordant de nations, qui se rejette tout le mal les unes sur les autres.

    C’est refuser de voir l’hydre présent à Auschwitz, cette hydre qui est la même qui se manifeste dans le totalitarisme stalinien, ainsi que n’hésite pas à le noter Kertesz : « Après 1945, durant plusieurs années, je ne me suis absolument pas occupé d’Auschwitz. J’ai tout simplement oublié et ça a marché. Je n’ai pas refoulé, j’en ai parlé mais d’une manière inauthentique. Comme on parle d’une guerre ou d’une captivité. Mais ce que tout cela signifie vraiment, ce que cela signifie pour moi, je ne l’ai compris que dans le stalinisme. Je n’ai pu concevoir Auschwitz qu’à travers l’expérience vécue du totalitarisme qui a suivi (…) Avec Auschwitz, le monde tel qu’il fut jusque là, le monde au sens le plus vrai du mot a éclaté, et ce processus s’est poursuivi jusque dans la Hongrie stalinienne. Auschwitz n’était donc pas une fin mais un commencement, dont on ne peut prévoir le développement ultérieur ». On touche du doigt l’éloquence particulière de Kertesz lorsqu’il aborde Auschwitz, à travers sa pratique quotidienne du communisme selon Staline, version modifiée, made in Hungary, par Janos Kadar dans le quart de siècle qui a suivi le Second conflit mondial.

    Ne sommes nous pas dupes d’une rhétorique, de son enflure, d’une sorte d’inflation verbale qui n’aurait sa source que dans le sentimentalisme et dans ce que Kertesz lui-même appelle « le triomphe des victimes » ? J’ai volontairement sauté quelques mots du texte dense que je viens de citer, parce que ce sont ces quelques mots qui nous exemptent absolument de ce reproche et qui montrent pourquoi seul l’artiste, touchant du doigt la vérité, peut exprimer Auschwitz. Ces quelques mots, les voici maintenant : « La technique par laquelle les humains, les hommes peuvent se métamorphoser totalement sous une dictature. La manière dont ils cessent d’être par exemple à l’image de l’homme du siècle précédent, c’est ce que j’ai senti de façon immédiate à même la peau ».

    Auschwitz, « cette machine à liquider permanente », nous offre le visage horrible d’une humanité en pleine métamorphose, d’une humanité qui ose non seulement renier son Dieu, mais surtout et immédiatement se renier elle-même. Depuis la malédiction que Dieu avait lancé sur Caïn, meurtrier de son frère Abel, l’homme se devait de respecter l’image de son Créateur qu’il portait en lui. A Auschwitz, face au peuple élu, Hitler a voulu donner tort à cette antique malédiction et montrer que la vie humaine n’est rien. Auschwitz est le laboratoire monstrueux d’une expérience métaphysique qui voulait être décisive, celle qui aurait dû établir définitivement, contre tout l’héritage judéo-chrétien, que la vie humaine n’est rien

    Mais au fond, et au-delà de ce refus, par ses promoteurs, de l’héritage judéo-chrétien sur le caractère sacré de la vie humaine, Auschwitz, considéré objectivement dans le déroulement de l’histoire culturelle de l’Occident, constitue d’abord un terrible démenti à l’humanisme du XVIIIème siècle, qui avait exalté la dignité inaliénable de l’espèce humaine, ce signe mystérieux que l’homme possédait en plus par rapport aux animaux, cette sacralité que chacun aurait dû vénérer en lui-même et en n’importe lequel de ses prochains. Que devient-elle après Auschwitz ? Et que devient la modernité, à laquelle il est juste d’identifier Auschwitz, comme l’explique le héros d’Un autre : « Les situations modernes riment toujours un peu avec Auschwitz. Auschwitz ressort toujours un peu des situations modernes »[4]. Le juif Kafka l’avait pressenti dans cette fable qu’il avait intitulé La métamorphose. Kertesz retrouve Kafka dans cette « chronique d’une métamorphose » qu’il a intitulé Un autre. Cette idée que l’homme puisse être un point fixe, que l’humanité de l’homme puisse être le nouveau soleil de notre univers mental, cette idée, après Auschwitz, apparaît comme définitivement périmée, démodée ou désuète, non conforme à cette culture de l’holocauste qui est la nôtre aujourd’hui. L’Homme majusculaire est un peu comme ces dieux morts, que les auspices dans l’Antiquité ne pouvaient évoquer sans un sourire aux lèvres. L’Homme majusculaire est une superstition. Cette superstition, Auschwitz l’a fait voler en éclats.

    L’homme après la Shoah

    Mais cela, personne encore n’ose le dire tout haut. Le monde a peur d’Auschwitz et chacun se met en quête de bouc émissaire. L’artiste seul est capable de dire la vérité sur l’homme après Auschwitz. Je pense à Jonathan Littell et à ses Bienveillantes (2006), dont Olivier de Boisboissel vous a parlé, avec quel éclat, dans le premier numéro de notre revue et dont au fond c’est le message ; je pense à Philippe Claudel et aux âmes grises qu’il met en scène dans Le rapport de Brodeck (2008) ; je pense à Patrick Modiano et à son extraordinaire talent qui lui fait tout dire sans avoir l’air d’y toucher… Tant d’autres qui n’ont pas vécu la Shoah, qui ne sont pas des témoins comme Kertesz est un témoin, mais qui ont compris que la culture d’aujourd’hui est celle de l’Holocauste, que c’est une culture de la mort de l’homme.

    Tout se passe comme si le peuple juif avait eu mission d’annoncer au monde et d’annoncer à une Eglise gagnée par l’esprit du monde et cédant à ses sirènes, cette mort de l’homme. Oh ! Un Michel Foucault avait bien essayé, de son côté, d’annoncer cette mort de l’homme et de dire la fin de l’humanisme et l’agonie des Lumières. Il n’a pas été compris, comme le déplorait récemment son disciple Paul Veyne, mais c’est parce que lui-même n’avait pas précisé que cette mort de l’homme, c’est d’abord à Auschwitz qu’elle a eu lieu et que ce sont les juifs qui en sont les messagers, portant dans leur chair de peuple messianique la preuve monstrueuse des illusions de l’humanisme et des mensonges historiques de la culture européenne.

    Cette annonce de la mort de l’homme succède à l’annonce que fit Nietzsche dans Le Gai S avoir de la mort de Dieu. Nous l’avons tué. « Au couteau » précisait-il. Auschwitz annonce la mort de l’homme de manière tout aussi spectaculaire. Seulement voilà, cette annonce n’est pas seulement spéculaire. Elle n’est pas le rêve d’un halluciné. Elle est la réalité brutale et terrible que renferme l’histoire. Alors que les chambres à gaz fonctionnent à plein régime, c’est un sceau du Livre de l’Apocalypse qui se rompt. Le Mal manifeste son terrible pouvoir sur l’homme. Il y a ainsi une dimension sacrée dans ce que l’on n’appelle pas pour rien l’Holocauste, cette manifestation de la Puissance du Mal en pleine civilisation du « Tout est bien ». Il y a une unicité de la Shoah, car c’est la Shoah qui, de manière irréfutable, manifeste au monde cette Puissance du Mal. Il y a une permanence de la Dignité d’Israël, comme peuple messianique, annonçant le devenir du monde et l’horreur dans lequel il s’enfonce. Le peuple juif est le seul peuple dont la singularité paraisse universelle, aujourd’hui, dans le monde. La singularité monstrueuse de l’extermination programmée par Hitler devient une leçon universelle parce qu’elle est vécue par des juifs. Elle est, qu’on le veuille ou non, un signe des temps, quelque chose comme une apocalypse : une révélation historique.

    Certains ont pu comparer Auschwitz à un Golgotha. Il me semble qu’il y a dans cette comparaison un baptême indu. Il ne peut y avoir sacrifice, il n’y a pas de véritable action sacrée si celui qui supporte ce sacrifice n’est pas conscient de le poser d’une manière ou d’une autre. Ce qui est frappant dans la Shoah, c’est que ceux qui partent à l’abattoir en wagons plombés ne savent pas pourquoi (ou vers quoi) ils partent. Kertesz dans Etre sans destin, montre particulièrement bien cela. L’espoir, jusqu’au bout, fait obéir les victimes à leur bourreau. Par ailleurs ces juifs anéantis n’ont souvent aucune idée religieuse qui aurait donné signification à leur sort. Leur anéantissement est totalement gratuit. Ils le vivent eux mêmes ainsi. Cette gratuité confine à l’absurde comme le montre Roberto Benigni dans le film La vie est belle. Plutôt que de jouer avec la figure du sacrifice, que suggère – indûment ce me semble – le terme d’holocauste, il faut comparer Auschwitz à une apocalypse : cette catastrophe qui est (ne serait-ce qu’étymologiquement) un dévoilement, et que l’on rencontre tout au long de la Bible, ancien ou nouveau Testament.

    Dieu, maître de l’histoire, parle par antiphrase dans les tragédies que l’histoire ne manque pas de fournir. Le récit du Déluge offre un premier exemple. De façon frappante, comme le souligna jadis Raphaël Drai, la Bible contient aussi deux projets de génocide contre le peuple juif. Dans le Livre de l’Exode, Pharaon entend transformer l’aire dans laquelle s’élève les pyramides en un gigantesque Lager, où les juifs devraient travailler ou périr. Travailler et mourir. Dans le Livre d’Esther, Cyrus, abusé par ses conseillers, veut proclamer une sorte de Nuit de cristal dans tout son Empire : les conjurés avaient projeté d’égorger les juifs partout où ils se trouvaient. Dans les deux cas, Dieu conjure la menace avant exécution. Il envoie Moïse à Pharaon et Esther à Cyrus. Il n’a envoyé personne à Auschwitz. Et l’Eglise elle-même n’a pas joué le rôle que l’on aurait pu attendre. Elle a consolé souvent, mais elle n’a pas sauvé le peuple juif du génocide… Ce silence du Dieu dont les promesses sont sans repentance, contrairement à ce que l’on est tenté de soutenir, n’indique pas je ne sais quelle défaillance de la Providence qui laisserait croire à l’existence d’un Dieu fini et faillible, d’un Dieu qui, même s’il est Bon, n’est pas tout-puissant, qui n’est pas le Tout puissant. Un Dieu qui ne serait donc plus le Dieu de Moïse ? Cette thèse que développe Hans Jonas dans Le concept de Dieu après Auschwitz, est trop grecque, trop éloignée de la révélation biblique pour être admissible. Comment comprendre le silence de Dieu, sinon en l’envisageant comme une permission donnée à l’Apocalypse.

    Cette permission de l’apocalypse doit-elle nous surprendre ? Elle avait été annoncée dans l’Evangile : « Le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa clarté, les étoiles tomberont du ciel et les puissances des cieux seront ébranlées ». Ce désordre cosmique n’est-il pas la figure de la monstrueuse inversion morale qui a produit la Shoah ?

    Cette permission de l’apocalypse indique-t-elle la proximité de la fin du monde, comme on le croit souvent ? Non, une apocalypse, prise en elle-même, n’a rien à voir avec la fin du monde. Ainsi le Christ, annonçant la ruine de Jérusalem, souligne : « Cette génération ne passera pas que tout ne soit accompli ». L’histoire est une succession de crises souvent paroxystiques et de petites apocalypses, toutes plus irrationnelles les unes que les autres et qui nous rappellent qu’il n’y a d’ordre et de paix que « lorsque Dieu lui-même édifie la maison ». Si ce n’est pas lui le Maçon, alors tout est vain : « ceux qui travaillent à édifier travaillent en vain ». La génération d’Auschwitz a vécu l’enfer, cet enfer que Kertesz évoque mieux que d’autres dans Etre sans destin. Ne peut-on pas dire du point de vue théologique que le peuple messianique que l’on a essayé de faire disparaître à Auschwitz représente toute l’humanité menacée de l’enfer ? Auschwitz serait-il une sorte de terrible semonce de Dieu, que seul pouvait porter – pour que cet enfer devienne un signe - le peuple messianique ?

    Les clés pour entrer dans l’horreur

    Cette question ainsi posée est chrétienne. Ce recours à l’apocalypse – même s’il existe dans le premier Testament – n’est pratiqué actuellement que dans le cadre d’une théologie chrétienne de l’histoire. On ne peut pas nous reprocher ce christianisme puisque justement ce que nous tentons de faire ici, c’est de confronter les catholiques et la Shoah. Connexion inattendue : cette démarche théologique chrétienne rejoint, par d’autres voies que celles qu’il emprunte, la « méditation interminable » d’Imre Kertesz, qui, lui, n’a évidemment rien d’un chrétien. Le terme qu’utilise Kertesz est moins connoté que celui d’apocalypse. Il parle de katharsis : la purification par le tragique. Et s’il réserve Auschwitz aux artistes, s’il se méfie de ceux qui se contenteraient des faits « bruts », s’il écrit : « le camp de concentration est imaginable exclusivement comme texte littéraire, non comme réalité »[5], c’est parce que l’artiste, en même temps qu’il sait raconter et mettre en perspective l’espace et le temps, possède le secret d’une éventuelle catharsis : « L’artiste espère que la représentation exacte qui le conduira encore une fois sur les chemins de la mort lui permettra d’atteindre la forme de délivrance la plus noble, c’est-à-dire la katharsis, à laquelle il pourra peut être faire participer son lecteur »[6]. Les mots sont à peser. « Représentation exacte » : quiconque a ouvert un livre de Kertesz sait ce que signifie cette exactitude dans une description que l’on dirait parfois hallucinée – hallucinante – tellement elle est précise. Imre Kertesz ne cède pas au mirage de je ne sais quelle artistification du réel. Il l’offre brut, brutal et en gros plans successifs (voir la description du phlegmon dans Etre sans destin). Le véritable artiste n’est pas celui qui sait tricher, mais celui qui a la force de ne pas éluder, de ne pas tourner le dos à tel ou tel aspect trop horrible. Le cahier des charges de l’artiste se complique encore si l’on ajoute que le récit, sans rien « oublier », ne doit cependant pas laisser l’horreur s’infiltrer dans une description. Marquer l’horreur, cela signifierait laisser s’affoler les compteurs et perdre la vision du réel. Rien de psychologique dans l’exactitude du rapport auquel se livre le romancier post eventum, car la psychologie, nous y reviendrons, est en quelque sorte extérieure et étrangère à Auschwitz. Et dans la mesure où l’écrivain a su sauvegarder cette sauvagerie toute primitive, cette sauvagerie non psychologisable, dans cette mesure son récit est cathartique, dans cette mesure son récit invite à ce que nous chrétiens nous appelons une conversion. Si l’on parvient à montrer Auschwitz comme un lieu sans âme, alors on invite le lecteur (c’est la katharsis) à retrouver son âme… oubliée peut-être ou simplement conditionnée et engoncée dans tel ou tel conformisme.

    C’est l’exigence de cette démarche quasi-métaphysique de Kertesz qui doit nous faire comprendre ses critiques contre ce qu’il appelle « le conformisme de l’Holocauste ». Un article retentissant paru d’abord dans Die Zeit et repris dès 1998 dans la NRF s’intitule : « A qui appartient Auschwitz ». Kertesz y attaque nommément le réalisateur Spielberg, soupçonné de donner dans le « kitsch » à propos de la shoah en général et de son film La liste de Schindler en particulier : « Ayant moi-même survécu à l’Holocauste et connu d’autres formes de terreur, pourquoi devrais-je me réjouir que de plus en plus de gens voient sur une pellicule ces événements – falsifiés ? ». « La stylisation de l’Holocauste, qui a commencé presque tout de suite, atteint aujourd’hui des proportions presque insupportables ». Et de mettre en cause, avec le conformisme, « un sentimentalisme, un canon de l’Holocauste, un système de tabous et son langage rituel, des produits de l’Holocauste pour la consommation de l’Holocauste ». Pourquoi perçoit-on la colère dans cette dénonciation ? Parce que l’Holocauste est un événement spirituel, qui ne doit pas être vidé de son sens et transformé en pur produit mémoriel. Comment la catharsis sera-t-elle possible, comment la conversion pourra-t-elle advenir si l’on transforme Auschwitz en un livre d’images qui font peur aux enfants, ou comme le suggère Kertesz à propos du Mémorial de Berlin, si l’on se sert de la Shoah pour créer quelque chose qui va finir par ressembler à un Parc d’attractions ?

    Je parle de conversion autant que de catharsis, je n’entends pas par là une conversion immédiate au christianisme bien sûr, même si je ne veux pas l’exclure chez celui qui est appelé. Mais j’évoque, avec Kertesz la nécessité, pour chacun, dans l’atmosphère actuelle, encore empuantie par la fumée douceâtre respirée à Auschwitz, de retrouver son destin, ce destin dont Auschwitz, niant la vie humaine, a tenté de priver tous les hommes. Nous sommes là au cœur de ce que je n’hésite pas à nommer la vocation de l’écrivain : faire la lumière, porter la vérité, non pas une vérité immobile mais une vérité qui transforme celui qui la reçoit, en lui permettant de se retrouver lui-même. A plusieurs reprises dans son œuvre, Kertesz évoque la question abyssale que Shakespeare met dans la bouche de Hamlet : To be or not to be. Etre ou ne pas être. On pourrait dire que le philosophe Leibniz, moins fou que Hamlet, pose autrement le même soupçon : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien, d’autant que le rien est plus facile ? ». Dans Liquidation (paru aussi sous le titre original de Fiasco), Kertesz s’insurge contre cette question trop basique, trop élémentaire pour être la bonne question. Pour lui décidément la question fondamentale n’est pas celle-là : « Comme chaque fois qu’il arrivait à la fin de la pièce, Keserü se posa la question de Hamlet, qui ne consistait toutefois pas pour lui à se demander s’il fallait être ou ne pas être, mais qu’il formulait en ces termes : suis-je ou ne suis-je pas ? »[7]. Le problème n’est pas l’être. Le problème n’est pas « quelque chose », mais comme Descartes l’a posé pour toujours à travers son fameux Cogito, le problème c’est : JE. Quel est donc ce Je ? Auschwitz lorsqu’il ne supprime pas la vie fait disparaître le Moi, aussi bien d’ailleurs, comme ne manque pas de l’observer Kertesz, chez les victimes, survivantes, que chez les bourreaux[8]. Comment déceler l’absence de destin, comment diagnostiquer le dépérissement du Moi chez un individu ? Le romancier possède un critère infaillible : « Un homme totalement dégradé, en l’occurrence un survivant, n’est pas tragique mais comique, parce qu’il n’a pas de destin »[9]. Le tragique est une catégorie de l’ancien monde. Il ne résiste pas à l’Holocauste. Comme l’a bien vu Roberto Benigni, c’est un gigantesque fou-rire, un fou-rire irrépressible et insignifiant, un fou rire nerveux qui saisit les survivants après avoir terrassé les victimes. Se convertir ? C’est avant tout haïr ce comique de situation et faire en sorte de retrouver le sérieux de l’existence.

    Entrer dans l’horreur, ce n’est pas tenter d’éprouver psychologiquement l’indescriptible. On ne parvient ce faisant qu’à étaler la mousse du sentiment sur les réalités de la vie et cela fait comme une mauvaise sauce qui gâche un bon produit et empêche de le goûter. Entrer dans l’horreur, c’est considérer l’homme sans psychologie et tenter de se représenter ce qu’il est (Robert Musil parlait de façon moins précise me semble-t-il, mais c’était avant la Catastrophe, de l’homme sans qualités). C’est à Auschwitz que l’horreur s’est manifestée. Mais l’horreur finira-t-elle ? « N’oublions pas qu’Auschwitz n’a pas été liquidé pour avoir été Auschwitz, mais parce que la fortune des armes a tourné ; et depuis Auschwitz, il ne s’est rien passé que nous aurions pu vivre comme la réfutation d’Auschwitz… »[10].

    Mais ce n’est pas parce qu’Auschwitz est « irréfutable » qu’Auschwitz en devient forcément inéluctable. L’événement s’est reproduit un peu partout. Mais Auschwitz a produit aussi une vérité, vérité dont personne ne veut mais qu’il faut tenir, et qui, à elle seule est un gage de réforme pour l’humanité. Cette vérité, nous l’avons dit, est négative, cette nouvelle annonce est une sorte de « kakangile », une mauvaise nouvelle. Elle concerne la prégnance du grand mensonge sur lequel nous vivons tous sans que personne n’ose dire que le roi est nu. La vérité d’Auschwitz fait éclater ce grand mensonge : « Notre époque est celle de la vérité, c’est indubitable. Et, bien que par habitude on continue à mentir tout le monde y voit clair ; si l’on écrit : amour, alors tous savent que l’heure du crime a sonné. Et si c’est : loi, c’est celle du vol, du pillage ».

    Sans ce mensonge universel, Kertesz le montre à l’envi, Auschwitz n’aurait pas été possible. Tout ce qui permet de proroger ce mensonge, tout ce qui lui confère une durée de vie a à voir, de près ou de loin, avec l’Holocauste. Le règne du mensonge nous introduit à un monstrueux règne d’Auschwitz… pour demain ?

    Plaise à Dieu que la vérité sur Auschwitz rende impossible ce grand mensonge de la vie sans destin et de l’apesanteur (par delà le bien, par delà le mal) dans laquelle nous nous introduisons toujours davantage sans l’admettre. Plaise à Dieu que la vérité sur Auschwitz conjure la culture de mort dans laquelle nous nous enfonçons chaque jour davantage.

    Abbé G. de Tanoüarn
    Encadré :
    « Nous vivons à l’ère de la Catastrophe, chaque homme est un [11] porteur de la catastrophe, c’est pourquoi il faut un art de vivre particulier si l’on veut survivre. L’homme de la catastrophe n’a pas de destin, pas de qualités, pas de caractère. Son environnement social effroyable – l’Etat, la dictature, appelle cela comme tu veux – l’attire avec la force d’un tourbillon vertigineux jusqu’à ce qu’il cesse de résister et que le chaos jaillisse en lui comme un geyser brûlant – et que le chaos devienne son élément naturel. Pour lui, il n’y a plus de retour possible vers un centre du Moi, vers une certitude inébranlable et indéniable du Moi. Il est au sens propre du terme, perdu. L’être sans le Moi c’est la Catastrophe, le mal véritable où l’homme sans être mauvais lui-même est capable de tous les méfaits »[12]

    [1] JB METZ, « En face des Juifs, la théologie chrétienne après Auschwitz » in Concilium n°195 1984, p.54
    [2] Entretien avec Imre Kertesz, traduit de l’allemand par Carola Hänhel et publié dans P. MESNARD, Consciences de la Shoah, critique des discours et des représentations éd. Kimé p. 391.
    [3] I. KERTESZ, « Le XXème siècle est une machine à liquider permanente », entretien avec Gehrard Moser, publié dans Parler des Camps, penser les génocides, coll. Dirigé par Catherine Coquio, éd. Albin Michel 1999 p. 88.
    [4] I. KERTESZ, Un autre, Chronique d’une métamorphose, coll. Babel 2008 p. 147
    [5] I. KERTESZ, L’holocauste comme culture, éd. Actes Sud 2009, p. 152
    [6] I. KERTESZ, Loc. cit. p.153
    [7] I. KERTESZ, Liquidation, coll. Babel 2005 p. 124. Voir aussi p. 13.
    [8] La question du bourreau et de ce qui peut lui rester de son destin ou de son moi est posé dans la longue nouvelle intitulée Roman policier, coll. Babel 2008. Nous sommes, pour les nécessités de la censure communiste, comme l’explique Kertesz dans un avant-propos, dans le cadre d’une dictature sud-américaine, mais elle ressemble comme une sœur au régime totalitaire socialiste sous lesquels a vécu notre auteur.
    [9] I. K., Liquidation p. 24
    [10] I. K., Un autre, p.85

    [12] I. K., Liquidation, p. 59

    Averroès et la double vérité

    Je vous ai promis un essai d'élucidation de la question de la double vérité chez Averroès et le message chaleureux de vhp m'encourage à le faire, même si, en ce jeudi, en ce Vendredi Saint d'autres pensées nous tiennent.

    C'est effectivement dans son Discours décisif (édité chez GF) qu'il en traite le plus au long. la question est de savoir si, comme le lui font dire les averroïstes latin, il y a vraiment selon lui deux vérités, une vérité pour le peuple et une vérité pour l'élite, seule capable de développer la dialectique philosophique qui mène à la connaissance de Dieu.

    Voici un extrait de ce discours, qui montre que la question n'est pas simple : "Puisque dans cette Révélation est la vérité, et qu'elle appelle à pratiquer l'examen rationnel qui assure la connaissance de la vérité, alors nous Musulmans, savons de science certaine que l'examen des étants par la démonstration n'entraînera nulle contradiction avec les enseignements apportés par le texte révélé : car la vérité ne peut être contraire à la vérité, mais s'accorde avec elle et témoigne en sa faveur" (§18).

    En note, Alain De Libera renvoie à saint Thomas d'Aquin et au Contra gentes... Mais, salva reverentia, ce renvoi me paraît fondé sur une parenté purement verbale ("la vérité ne peut être contraire à la vérité"). Comme dit Arnaldez, dont c'est la clé de lecture, Averroès est "un rationaliste en islam". qu'est-ce que cela signifie ? Que sur ce point des rapports entre la philosophie et la théologie, Averroès et Thomas ne disent pas la même chose. Il s'accorde néanmoins sur une dualité des économies, l'économie de la croyance et l'économie de la dialectique rationnelle. Mais ces deux économies ne signifient pas la même chose chez l'un et chez l'autre. Thomas et Cajétan encore davantage sont bien plus audacieux qu'Averroès dans ce déploiement de deux vérités.

    Pour Averroès, il n'y a qu'une seule science, la science rationnelle et il n'y a qu'une seule vérité "scientifique" celle à laquelle donne accès la technicité philosophique enseignée par Aristote (mais aussi par Platon dont Ibn Rushd a commenté la République). En cela il est rationaliste. Mais, toujours selon lui, il y a d'autres chemins que celui de la dialectique pour parvenir jusqu'à Dieu. Il cite un verset du Coran, qui est effectivement très éclairant : "Appelle les hommes dans le chemin de ton Seigneur par la sagesse et la belle exhortation ; et dispute avec eux de la meilleure manière" (Coran XVI, 125). Cette citation est au coeur de la Pensée d'Averroès.

    S'il n'y a qu'une seule science pour Averroès, il y a plusieurs voie distinctes permettant d'arriver à Dieu. Dans cette phrase du Coran deux apparaissent immédiatement, la sagesse et la rhétorique. Une troisième est sous jacente, la dialectique (racine jdl : disputer avec...). C'est la théorie averroïstes des trois connaissances qui correspondent à différents types d'hommes : "La conviction (religieuse) s'établit pour chaque musulmans par la voie (tariq) propre à produire son assentiment déterminée par la nature de chacun. En effet il existe une hiérarchie des nature humaines pour ce qui est de l'assentiment" (§16).

    Il y a donc trois voies, qui ne communiquent guère entre elles : la lettre du Coran (je ne parle pas du Coran incréé dont d'ailleurs je ne suis pas sûr que Averroès reconnaisse l'existence) correspond à la voie rhétorique. Cette voie n'aboutit pas à une science à proprement parler et elle est utile pour la plupart des hommes, qui n'ont pas accès à la dialectique intellectuelle. je ne parle pas des rares hommes qui ont une connaissance de sagesse. L'idée d'A. est que ces trois voies vers Dieu ne sont pas cotraires au Coran puisque le Coran exhorte à la sagesse. Mais le Coran lui-même, loi avant tout et exhortation, ne comporte pas de science.

    Cette distinction me semble contraire au logiciel occidental et chrétien pour deux raisons :

    Descartes a formulé la grandeur de l'Occident en expliquant dans son Discours de la méthode que "le bon sens est la chose du monde la mieux partagée". Il entendait par là que, pourvu que l'on développe une certaine méthode, tout le monde est capable d'accéder au savoir. C'était déjà l'idée de Platon dans le Ménon : le jeune esclave peut découvrir par lui-même le théorème de Pythagore. Averroès n'est pas dans cet universalisme là. Sa théorie de la hiérarchie des natures humaines se trouve peut être en revanche chez Aristote (cf. sa théorie de l'esclave par nature), mais, dans le progrès de la pensée occidentale depuis Platon, on ne peut plus l'utiliser. Elle n'a plus cours et... heureusement !

    La deuxième raison tient à l'essence même du christianisme. il s'agit d'une religion qui offre une véritable connaissance de Dieu. il y a donc pour nous chrétiens (voir le début du Contra gentes) une double vérité (duplex est veritas), une double science de Dieu : il y a la connaissance que nous avons de Dieu par la raison et la philosophie et il y a la connaissance que nous avons de Dieu par l'enseignement divin (sacra doctrina), qui nous fait scruter sa Parole dans l'Ecriture lorsque nous nous plaçons à la lumière de la tradition. On peut dire aussi qu'il y a la connaissance que nous avons de l'homme à la lumière de la philosophie qui nous fait scruter la nature humaine et il y a celle que nous tirons de la théologie, qui nous découvre la véritable destinée de l'homme dans toute son ampleur (devenir un fils ou une fille de Dieu).

    Cette dualité des savoirs - directement issu de la théologie chrétienne qui la pose et la conçoit comme double - n'est pas anecdotique. Ce n'est pas un "détail". Cette dualité des savoirs a fait la liberté de l'Occident. Elle a permis d'inventer (par exemple) l'autonomie du politique et ce que Pie XII appelle "la saine et légitime laïcité, qui subordonne la politique à la religion non pas dans son essence même (comme c'est le cas en Islam) mais d'un point de vue purement existentiel" en raison du péché" comme disent les scolastiques.

    Dans la perspective d'Averroès, il n'y a qu'une sagesse (la rationnelle), et, parce qu'il n'admet pas la thèse du Coran incréé (ou de ce que l'Apocalypse, en chrétienté, appelle l'Evangile éternel), il n'imagine pas que le Coran soit autre chose qu'une rhétorique puissante, invitant tous les hommes à l'honnêteté par la loi (charia) et les disposant, ainsi, à l'exercice rationnel.

    Il y a une laïcité absolue chez Averroès, celle de la Science : il n'y a pas d'autre science que rationnelle.

    Mais en même temps, n'oublions pas qu'Ibn Rushd est cadi dans la bonne ville de Cadix. il fait appliquer la charia et il prétend que cette application concerne tous les hommes, car la vertu légale est nécessaire si l'on veut se livrer à l'étude. Il y a en effet deux qualités nécessaires pour l'étude : l'intelligence innée (fitra qui désigne dans la hiérarchie des natures un certain type d'homme) et honorabilité légale. il n'y a pas d'autre vie possible, selon Averroès que la vie selon cette honorabilité légale. Quiconque développe un savoir sans se plier à la loi risque d'utiliser sa science pour la luxure ou pour tout autre vice prohibé.

    Chez Averroès, la vie n'est jamais neutre par rapport à "l'honorabilité légale" qu'enseigne "la rhétorique" du Coran. Il n'y a aucune RAISON de se soustraire au Coran puisque toutes les raisons sont laïques et en dehors du Coran. Cette dualité entre savoir et praxis (une pratique sans aucune connaissance transcendante) me semble tout aussi étrangère au logiciel occidental.

    J'espère avoir prouvé par là qu'Averroès, si fascinant soit-il, si bon péripatéticien qu'il apparaisse, n'est pas quelque chose dans l'identité européenne, qui culturellement se caractérise à la fois comme un personnalisme (nous l'avons vu) et aussi (nous venons de le voir) comme une recherche de la vérité indissociablement religieuse et philosophique ainsi que le développent tous les théologien d'Augustin à Benoît XVI.

    Notons que la théorie d'Averroès est elle même condamnée par l'islam car elle fait la part belle à la Science : son rationalisme ne passe pas en milieu islamique.