« Nous ne nous soumettrons pas à la politique séculariste. Nous ne nous effondrons pas. Nous n’avons nullement l’intention de suivre ces éléments radicaux présents dans toutes les Eglises chrétiennes, y compris certaines Eglises catholiques dans un ou deux pays, ni de mettre la clef sous la porte » Cardinal George Pell
Voici un extrait du dossier paru dans Monde et Vie la semaine dernière à l'occasion de la clôture du Synode. Pour avoir les textes complets immédiatement à parution, il suffit de s'abonner - 62 euros pour un an - à envoyer au 14bis rue Edmond-Valentin, 75 007 Paris.
Il semble que l'Eglise institutionnel risque de connaître quelques turbulences... Nous suivrons avec attention la crise interne ouverte par ce synode sans précédent. Il est vrai que la langue de buis n'est pas notre fort, mais qui peut s'en plaindre ?
Le pape François, qui aura 78 ans à la fin de l’année et
fait déjà courir lui-même le bruit de sa démission à 80 ans, a voulu aller
vite. Très vite. Son objectif ? Mettre l’Eglise à l’heure de ce que les Américains appellent le
« care ». « L’Eglise est un hôpital de campagne » avait-il
déclaré au moment de son élection. Dans cette perspective, le premier devoir de l’Eglise n'est pas de dire la Parole de Dieu, mais de prendre soin de
ses fidèles, de les accompagner et d’être comme une grande « soeur en
humanité pour tous les hommes ». C’est dans cette vaste perspective qu’il
fallait, sans supprimer la Loi de Dieu (à laquelle les hommes ne peuvent
pas toucher) assurer les familles en décomposition ou en recomposition de la
sympathie, de la proximité et de l’amour efficace de l’Eglise. Il fallait
affirmer que les personnes homosexuelles constituent « un grand don pour
l’Eglise » et que les lois de l’Eglise sur l’indissolubilité du mariage
étaient susceptible d’un assouplissement, au point que l’on pourrait désormais
considérer certains couples de divorcés remariés cicilement comme des couples ayant accès
à la communion.
Bugs et re-bugs dans l’organisation
Point commun de ces deux nouvelles approches sur les divorcés remariés et sur les homosexuels : la
notion de péché semble oubliée, l’indissolubilité du mariage est mise en cause
sans que cela paraisse gêner quiconque dans le camp des réformateurs, ni le
cardinal Kasper auteur d’une première réflexion sur le sujet, dans laquelle le
mot « péché » n’est pas prononcé, ni le théologien Bruno Forte qui
paya de sa personne dans l’élaboration du document Post disceptationem à
mi-synode.
Le projet du synode est de grande envergure. Pour montrer
qu’il en attend un changement décisif, le pape a annoncé qu’il aurait lieu deux
ans de suite sur le même sujet, sentant très vite que quinze jours de
discussions ne suffiraient pas. C’est évidemment lui qui a été la cheville
ouvrière de ce synode, c’est lui qui en a conçu le fonctionnement, qui a choisi
les acteurs, qui a encouragé son porte-parole le cardinal Kasper en soulignant
que ce progressiste avéré faisait de la théologie « à genoux » ;
c’est lui qui a tenté de faire taire l’opposition lorsque elle a voulu
s’exprimer avant le Synode, explique Sandro Magister sans donner les noms ;
c’est lui qui a inventé ce document de mi-Synode (post disceptationem), qui ne
correspondait pas aux discussions, en couvrant le théologien progressiste Bruno
Forte face au cardinal hongrois Erdö, secrétaire officiellement nommé qui avoua
aux journalistes qui l’interrogeaient n’être même pas au courant du contenu de
ce « premier rapport » (en particulier du texte qu’il contenait sur
les homosexuels). C’est le pape encore qui, au dernier moment, voyant que le
Rapport final risquait d’être controversé, a nommé, en dehors du fonctionnement
normal de l’institution synodale, une commission de six théologiens et
cardinaux tous progressistes et souvent liés à sa personne, qu’il a chargés de
rédiger le Rapport final.
Le pape veut-il passer en force ?
Samedi 18 octobre, pour la fin du Synode, il y eut d’abord
un message (nuntius) qui se tient soigneusement loin de toutes polémiques, se
contentant de féliciter les familles unies. Néanmoins, Jean-Marie Guénois,
responsable de l’information religieuse au Figaro, a tweeté de Rome les scores
du vote pour le Rapport final. Pour trois paragraphes, un sur les homosexuels
(n°55) et deux sur les divorcés remariés (n°52 et 53), la commission créée
spécialement par le pape, qui avait déclaré pourtant qu’elle avait tenu compte
des oppositions qui se sont faites jour durant le Synode, a vu sa rédaction
rejetée. Une majorité des deux tiers était nécessaire pour que le texte soit
voté, elle n’est pas atteinte[1]
mais le temps manque pour voter un texte de substitution, les Excellences et
les Eminences devant rentrer chez elles. Apparemment on avait même pas imaginé
qu’un vote puisse être négatif. Le pape a donc décidé de publier quand même les
paragraphes retoqués (qui ont obtenu la majorité simple).
Il est clair que nous
sommes dans une situation absolument inédite, une sorte de Révolution par le
haut. Cela va prendre du temps, mais François semble bien décidé à passer en
force. C’est en tout cas ce que l’on peut retirer de la remarque du Père
Lombardi, son grand communicateur : « Ces trois paragraphes (52, 53 et 55) n’ont
pas eu la majorité qualifiée des deux tiers mais ils ont eu la majorité simple.
On ne peut donc pas les considérer comme l'expression d'un consensus du synode
mais la discussion va continuer. Il y a encore beaucoup de chemins à parcourir.
Le fait que le pape ait voulu que soient publiés, et le texte, et les résultats
des votes paragraphe par paragraphe - ce qui est une première - démontre qu'il
veut que tous comprennent exactement où en est la discussion et sur quels
points il va falloir continuer le travail du synode ».
Continuer le
travail ? En tout cas, la route est tracée, elle l’est de la main du
Maître pape, il s’agira de ne pas s’en écarter.
Mène-t-elle quelque part ? Pas sûr.
La dialectique d’un chef en difficulté
Dans le discours de clôture du pape François d’ailleurs, on
entend un autre ton, celui du chef qui reprend sa place au centre après avoir
été batifoler à gauche.
Le pape a très (trop ?) habilement conclu le Synode en
renvoyant dos à dos progressistes et conservateurs. Quelle différence avec son lointain prédécesseur Benoît XV, qui ne voulait entendre parler ni d'"intégristes" ni de "modernistes" mais de catholiques tout court !
François discerne cinq tentations
qui ont assailli l’Assemblée synodale. Nous en retiendrons deux, les plus
caractéristiques : D’abord « la tentation du raidissement hostile,
c’est-à-dire de vouloir s’enfermer dans la lettre, à l’intérieur de la loi,
dans la certitude de ce que nous connaissons et non de ce que nous devons
encore apprendre et atteindre. Du temps de Jésus, c’est la tentation des
zélotes, des scrupuleux, des empressés et aujourd'hui de ceux qu’on appelle des
"traditionalistes" ou aussi des "intellectualistes"".
Deuxième tentation : « La tentation d’un angélisme destructeur, qui au nom
d’une miséricorde traîtresse met un pansement sur les blessures sans d’abord
les soigner, qui traite les symptômes et non les causes et les racines. C’est
la tentation des timorés, et aussi de ceux qu’on nomme les progressistes et les
libéraux. »
Le problème est que l’on met facilement des noms sur les
« traditionalistes » qu’il décrit : le cardinal Burke, la
cardinal Muller et quelques autres, qui ont réagi très fort
durant le Synode. On voit moins qui sont les « timorés libéraux », se
reconnaissant dans une « miséricorde traîtresse », sauf à considérer
que ce sont, avec le cardinal Kasper et le Père Bruno Forte, ceux justement sur
lesquels le pape a voulu s’appuyer lors de ce synode.
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[1] D’après
Jean-Marie Guénois, du Figaro, dont voici les chiffres : « Paragraphe
sur homosexualité : 118 pour ; 62 contre ; 2 paragraphes sur les divorcés
remariés :104 et 112 pour ; 74 et 64 contre ». La majorité des deux tiers
était à 123.