mardi 31 décembre 2013

Tous malheureux ? Tous mes voeux !

En allant dire la messe aux religieuses de l'institution Saint-Pie X, ce matin à Saint-Cloud, j'écoutais RMC. Jean-Jacques Bourdin, le conformisme de l'anticonformisme, à moins que ce ne soit le contraire : l'anticonformisme du conformisme. En tout cas l'un des grands instituteurs, intronisé pour l'éducation bien pensante du peuple de France chaque matin, docteur en soft-idéologie. La question SMS du jour, nous sommes la Saint Sylvestre : Etes-vous heureux ? Entre neuf heures et neuf heures et demi, il y avait 65 et 66 % des réponses qui s'inscrivaient en négatif : non, nous ne sommes pas heureux. Enorme ! Enorme quand on sait avec Blaise Pascal que "tout homme cherche à être heureux, même celui qui va se pendre". Cela n'a pas fait vaciller le soft man de RMC. Pas de commentaire pour une fois sur ce chiffre, qui l'a pris par surprise. Autant dire que cela lui en a touché une... comme parlait le président Chirac. 66 % des Français à qui on pose la question et qui se donnent la peine de répondre se déclarent malheureux en Hollandie ? Pas de problème : depuis l'Elysée, on va leur répondre ce soir avec "des voeux d'espérance et de combat". T'es malheureux ? Combats quand même va... Comme à Dien Bien Phu ! La TVA augmente et ton pouvoir d'achat diminue ? Mais il faut avoir le moral ! C'est indispensable pour la consommation, et la bonne tenue de la consommation est indispensable pour l'économie... Alors ? Il ne s'agit même plus de bonheur, il s'agit d'euphorie. Répète après moi : Tout va bien ! Le seul ennemi de ton bonheur, c'est Dieudonné et sa quenelle, mais rassure-toi, on va l'interdire. Tu ne la sentiras plus monter...

Je suis vulgaire ? Je pense qu'on le serait à moins. 66 % des gens qui donnent encore leur avis sont malheureux ? Dans cette abbaye de Thélème qu'est la Société française d'aujourd'hui, une société d'abondance où tout est permis, même de se marier entre personnes de même sexe... Ces 66 %, il me semble que c'est un signe. L'euphorie obligatoire, le sourire cheese de rigueur, les photos en rose sur Facebook, qui singent un bonheur que chacun ne fait qu'entrapercevoir, ça ne marche plus.

Que se passe-t-il ?

Il me semble que l'on vit dans une société où tout est précaire, où la vie elle-même devient précaire, où personne n'a plus de statut, où le travail est méprisé et le travailleur jetable, où le capital est imposé et le petit capitaliste stigmatisé, où le plaisir est systématiquement disjoint de l'émotion qui le prolonge (mais que l'on fait disparaître à coups d'antidépresseurs s'il le faut). Que nous reste-t-il ? Un conjoint ? Il n'y a plus de lien et les hommes et les femmes se croisent comme des egos en perdition. Des enfants ? S'ils parviennent encore à faire la différence entre le virtuel, où ils sont englués et où ils endorment les traumatismes de vies familiales déchirées, et le réel (qui ressemble de plus en plus à l'impossible pour eux). Au moins peut-être nous reste-t-il une culture ? Un plaisir de savoir ? Que peut-on savoir à l'heure de la déconstruction ? Le savoir n'est plus qu'un calcul et le calcul ne rend pas heureux...

Nous prenons conscience petit à petit du mal moderne dans ses différentes dimension. A cause de cette prise de conscience, le mal moderne est en train de devenir le malheur moderne. Est-il irrémédiable ? Non ! Il nous reste une chose, la seule que l'on ne pourra jamais nous enlever, notre liberté. "Dieu a remis l'homme entre les mains de son conseil" dit le Livre de l'Ecclésiastique. Les valeurs ou plutôt les non-valeurs du monde ne nous rendent pas heureux ? Il nous reste notre liberté personnel, pour organiser l'espace de notre bonheur. Cet espace serait-il purement intérieur, dans l'échec de toutes nos entreprises extérieures, on ne pourrait pas nous le nier. Encore moins nous l'enlever.

Mais quel est cet espace direz-vous ? Cette métaphore géométrique est trop abstraite.

Non ! Rien n'est plus concret, mais il faut accepter de se passer de la métaphore géométrique et laïque de l'espace, il faut lui donner son vrai nom : la foi. Seul le bien nous rend heureux. La joie, disaient les scolastiques, est la certitude du bien possédé. Cette définition si sobre m'a toujours plongé dans des abîmes de réflexion. Car le bien, nous n'avons qu'une seule manière de nous y relier, ce n'est pas la raison, c'est la foi. Je ne veux pas parler seulement de la foi chrétienne, de la foi surnaturelle, mais de la foi dans tous ses états, la foi dans le bien, la foi dans l'amour, la foi dans l'avenir, la foi dans la vie et dans l'Evangile de la vie. Non pas quelque chose de vague et d'euphorique (ça c'est la caricature laïque de la foi). Non ! Une foi concrète dans un bien concret, qui ne se calcule pas, qui ne se programme pas et qui naît toujours de ce que Descartes, ce chrétien paradoxal, appelait la générosité. Non pas seulement la magnanimité d'Aristote, qui implique toujours un développement de l'âme (magna anima) qui est problématique. Non : Descartes a raison, ce qui rend heureux c'est la générosité, c'est-à-dire aussi l'offrande, le sacrifice. Peut-on être heureux si l'on ne possède rien à quoi se sacrifier ? Rien de plus grand que soi ?

Alors que 66 % des Français se sentent malheureux, alors que l'exigence du bonheur progresse avec la plus claire conscience du malheur, je forge ici le voeu qu'en cette fête de Saint-Sylvestre, chacun fasse l'inventaire des biens qui, dans sa vie, sont plus grands que lui et qui autorisent ou nécessitent le sacrifice. Heureux est-on si dans cette société de satiété on parvient encore à avoir faim et soif d'une justice qui nous dépasse et pour laquelle on est prêt au sacrifice.

vendredi 27 décembre 2013

La morale de l'islam

Il faut suivre attentivement la collection Studia arabica publiée par les éditions de Paris. Vingt et un volumes de recherches sur le monde arabo-musulman et les religions en général. Cette collection est dirigée par Marie-Thérèse Urvoy, prof à Toulouse et son mari Dominique est souvent son complice. Elle publie beaucoup de collectifs et n'a pas peur d'affronter les questions difficiles. Vingt et unième volume : La morale au crible des religions. L'intitulé m'a semblé passionnant.

Et puis tout à l'heure en discutant avec mon ami N, qui vit au Liban et qui a trouvé un peu faible mon entretien avec Nicolas Gauthier, après le débat avec Tarek Obrou, nous en arrivons  cette fameuse question de la morale en islam. Peut-on dire qu'il n'y a pas de morale naturelle, dont les impératifs sont connaissables et reconnaissables par tous (au sens de Kant) ? Peut-on dire que la doctrine morale coranique permet de légaliser les violences qui ont lieu aussi bien en Syrie (où sont les 13 moniales de Maaloula ? Quel calvaire ont-elle gravi ?) qu'en Centrafrique (où les catholiques sont, chez eux, en état de légitime défense, comme on ne nous l'explique pas à la télé) ? Je me dis : ce livre va m'offrir des éléments scientifiques... Et je ne suis pas déçu.

 C'est Marie-Thérèse Urvoy elle-même qui s'est collé à l'article de fond : remarquable ! A lui tout seul vaut qu'on se procure le livre (32 euros). Elle montre bien l'ambiguïté mystico-politique de cette morale.

"On observe que les commentaires coraniques soulignent chacun de son angle de vue le caractère purement extrinsèque de la préférence divine. La liberté d'agir et de choisir n'engendre pas véritablement l'acte, car Dieu seul est le créateur des actes humains selon la plupart des doctrines islamiques (excepté les Mu'tazillites). De fait la vertu dans la morale coranique est ramenée à une dénomination extrinsèque qui n'est que la répercussion sur l'homme de la préférence (tafdil) divine. L'homme ne s'enrichit pas de vertu par ses actes, mais au contraire, ce sont les actes que Dieu fait perdurer pour leur accorder une récompense qui est sans proportion avec eux : devenus sujets de la préférence divine, ils constituent la véritable vertu de l'homme presque au-delà de lui-même. La vertu islamique n'est pas une parure intérieure de l'âme, elle est l'état d'une âme dépouillée d'elle-même dans ses actes d'obéissance, toute abandonnée à Dieu, exhaussée au dessus d'elle-même par son identification au don gratuit et disproportionné des récompenses que Dieu avait promis par un acte pur de la volonté et qu'il accorde généreusement au seul croyant fidèle. Dans ce sens la morale coranique débouche sur la mystique. L'affirmation qu'iul n'y a pas de morale en islam, en ce qu'elle a d'abrupt, n'est pas un paradoxe".

Je ne peux pas citer tout l'article qui comble un vide. Mais je remarque cette ambivalence entre la mystique et la politique, qui est au fond la grande constante du Coran. A la fois le guerrier islamiste y trouve son compte : ceux qui se battent pour Allah sont supérieurs aux autres hommes (cf. Coran IV, 95), ils ont ordre de tuer les infidèles (IX), ils peuvent donc et doivent répandre le sang. Et à la fois on peut dire que cette absence de morale qui fait triompher les versets colériques du Coran dans l'âme de ses lecteurs, provient d'une lecture mystique de la destinée humaine fondée sur une prédestination que ni Calvin ni les jansénistes extrémistes à la Martin de Barcos n'avaient osé conceptualiser : le Coran enseigne la prédestination du moindre acte bon, qui est avant tout créé par Dieu, pré-fabriqué, sans que l'on se soucie (comme le font les chrétiens) d'envisager le rôle de la liberté humaine là dedans.

Pour mettre l'eau à la bouche de mes lecteurs, je souligne que l'on trouve aussi dans ce livre un article passionnant sur Taqiyya et restriction mentale d'Hugues Didier. On sait que les jésuites avaient théorisé la restriction mentale au grand scandale de Pascal. Il s'agissait, pour les disciples de saint Ignace, d'entrer dans le point de vue d'autrui pour l'amener au nôtre", quitte à mentir. Reste que les chrétiens n'ont pas le droit de renier leur foi, les musulmans, si, explicitement dans le Coran (cf. Coran XVI, 106).

mardi 24 décembre 2013

Joyeux Noël !

Chers amis qui passez nombreux sur ce blog, soit que vous soyez devenus des habitués ou des intervenants, soit que vous ayez atterri là tout récemment par le hasard des référencements de Google, en cette Vigile, nous devons nous souhaiter "Joyeux Noël" les uns aux autres. En anglais, Noël, c'est la "messe du Christ" Christmas. En français, le vieux mot de Noël renvoie au solstice d'hiver, à ce moment où le jour commence à augmenter, où la lumière progresse sur la nuit. Ce sera mon souhait : que pour chacun d'entre nous, sur le vieux fond de nos doutes et de nos peurs, dans l'obscurité de notre condition, la lumière s'affermisse toujours plus. Que nous sachions reconnaître celui qui a dit "Je suis la lumière du monde" pour devenir nous mêmes des enfants de lumière, des chevaliers de la foi.

Je me permets d'ajouter à ces voeux une considération très matérielle : alors que l'année fiscale parvient à son terme, n'hésitez pas à faire un don au Centre Saint Paul à travers soit l'Association Cultuelle de l'Institut du Bon Pasteur soit l'Association pour la Diffusion de la Culture Chrétienne. Vous pourrez déduire 66 % du montant de ce don du montant de votre impôt sur le revenu.Que vous passiez par paypal sur ce site où que vous envoyiez un chèque pour l'une ou l'autre association au Centre Saint Paul, 12 rue Saint-Joseph 75002 Paris, de notre côté, dans les meilleurs délais, nous vous ferons parvenir à votre adresse un reçu fiscal.

Je vous avoue, sans honte, que nous avons besoin de vous et que si le Centre Saint-Paul existe, avec trois prêtres, contre vents et marées depuis huit ans déjà, c'est uniquement grâce à ceux d'entre vous qui le font vivre. Que Dieu bénisse votre générosité ! Elle sera aussi un encouragement à notre fidélité de prêtres...

L'athéisme correspond-il à une absence de morale ?

Dans le texte où elle m'interpelle, qu'elle a publié sur le site Boulevard Voltaire, Christine Tasin m'accuse de faire de l'amour un monopole pour les croyants. L'accusation est intéressante, révélatrice. Je voudrais y répondre en mettant les points sur les i.

Chère Christine, vous écrivez, ayant lu mon entretien sur Boulevard Voltaire : "Quel mépris pour les athées qui confondraient « intelligence et calcul » et qui ne verraient dans la vie « qu’un matériau qui se gère » en oubliant l’amour. Je n'ai jamais eu le moindre mépris pour les athées. Vous me citez, mais pas complètement.

Voici ce que je disais : "Les rationalistes athées, eux, confondent l’intelligence et le calcul. Pour eux, la vie n’est qu’un matériau qui se gère. Ils oublient un paramètre : l’amour. Nous le paierons cher !". Je n'envisageais pas de mettre en cause tous les athées en tant qu'athées, mais uniquement les rationalistes athées.

- Peut-on être athée sans être rationaliste ? demanderez-vous peut-être. - A l'évidence, oui, répondrais-je. Nietzsche est un athée mystique, qui démarque le Pari de Pascal en faveur de son propre pari à lui, le pari du rien, de l'éternel retour du même et de "l'éternel sablier de l'existence" sur l'horizon infini du vide (cf. Le Gai savoir n°124). Beaucoup d'athées ne sont athées que parce que, mystiques, ils refusent des idoles qui usurpent le nom de Dieu. D'autres sont athées (tel Feuerbach) parce qu'ils estiment que tout ce que l'homme donne à Dieu comme attribut, il se l'ôte à lui-même dans une aliénation masochiste. Pour Feuerbach, c'est l'homme qui est Dieu : "Toute conscience de soi est une conscience de soi de Dieu". On retrouve là quelque chose de l'élan sublime de Spinoza, l'athée qui parle de Dieu presque à chaque ligne de son Ethique, parce que pour lui l'exercice de la raison est un exercice absolu et donc divin. Spinoza est dans une forme de rationalisme, c'est vrai, mais alors un rationalisme sublime où la Raison n'est pas la petite comptable qui vient vous avertir que le jeu est fini et que, circulez il n'y a rien à voir, rien à savoir, rien à croire, mais où cette Raison est plutôt comme une image plausible du tout dans la moindre déduction, une image tellement belle qu'elle parvient à faire oublier l'existence concrète et toujours imprévisible.

Ces athées là, auquel le Tout donne une sorte de vertige, peuvent être particulièrement accessibles à l'amour. Pourquoi ? Parce qu'ils ne calculent plus rien. Lorsque tout est comme rien, il ne reste que l'amour : une immense compassion totalement désintéressée, celle dont Sartre, dans certains de ses plus beaux élans, a donné une image contre tous ceux qu'il appelait les salauds, les gens trop bien dans leur peau que ne trouble pas le malheur du monde. "Le devenir-athée, dit Sartre dans un texte sur Kierkegaard, est une longue entreprise difficile, un rapport absolu avec ces deux infinis, l'homme et l'univers". Etre athée, au fond pour Sartre, c'est, au-delà de la nausée que cela provoque, accepter ce rapport absolu avec deux infinis, accepter d'être tout, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour totaliser le tout. Il faut bien faire son travail. On en mourrait pour le monde, comme Dieu l'a fait lui-même dans l'Evangile.

Quant aux rationalistes athées, que je visais seuls, que je visais comme rationalistes avant d'être athées, je crois que c'est Flaubert qui les a décrit merveilleusement : Monsieur Homais le pharmacien de Madame Bovary à qui les progrès des sciences font oublier jusqu'aux sentiments humains. Et puis Bouvard et Pécuchet, les deux vieux garçons pétrifiés d'admiration devant l'irrésistible marche en avant de la science et qui essaient désespérément d'en être. Mais c'est dans Albert Camus, officiellement athée que je sache (ou alors on n'écrit pas l'Etranger), que j'ai trouvé la condamnation la plus forte du rationalisme : "Ceux qui prétendent tout savoir et tout régler finissent par tout tuer. Un jour vient où ils n'ont pas d'autre règle que le meurtre, d'autre science que la fausse scolastique qui de tout temps servit à justifier le meurtre" (Deuxième réponse à Emmanuel d'Astier). Ceux qui réduisent le jaillissement baroque du réel à leurs cases mentales, soumettant le réel au rationnel, ont forcément la posture du meurtrier en puissance. Du réel, ils n'aiment ni les démentis, ni les impuissances, ils n'aiment rien. Ils n'aiment pas, ils calculent.

De là à dire qu'il est plus facile de devenir chrétien quand on est athée que quand on est rationaliste, il n'y a qu'un pas, que je franchirais volontiers pour ma part. L'athée conscient du caractère absolu de sa position n'a rien à voir avec l'agnostique, qui, ne sachant rien, peut s'assoupir devant le spectacle de l'univers. L'agnostique a choisi le confort du relatif : il ne sait pas. Quant à l'athée, il me semble que plus il est conscient de son athéisme, plus il est religieux. L'athéisme hardi et total est une sorte de foi dans le néant. Une antifoi. C'est cela qui fait comprendre l'amour immense de l'athée véritable, ce caractère de foi qui s'attache à sa position totale. Il a parié, lui, comme le croyant.

L'amour naît toujours de la foi, et, comme dit Camus, de la Raison totalisante ou globalisante c'est la terreur qui est issue.

dimanche 22 décembre 2013

Réponse à Christine Tasin sur l'islam et l'athéisme

Chère Christine,

vous n'avez pas aimé que j'accepte de rencontrer un imam - Tarek Obrou - et de discuter publiquement avec lui. A Riposte laïque, vous en restez à une opposition totale à l'islam et aux musulmans, coupables de ne pas avoir les mêmes références culturelles laïques que nous. Je crois quant à moi (et je l'ai dit ce soir-là) qu'il faut distinguer l'islam, avec son apologie de la violence (en particulier dans la sourate 9 du Coran) et les musulmans qui ne sont pas tous violents et qui pour un certain nombre d'entre eux (que je souhaite de plus en plus nombreux) dépassent explicitement (en le disant) l'interprétation littérale du Coran. Cette dé-littéralisation du Coran évoque l'épisode des mutazilites et le calife al Mamoun. La persécution des mutazilites fut sanglante, sous le calife al Mutawaqil et sous la pression des asharites, les portes de l'interprétation (ijtihad), ouvertes par les mutazilites, furent fermées au profit du simple tawil (exégèse), qu'aujourd'hui les intégristes refusent à leur tour [exemple de tawil : la main de Dieu, c'est sa puissance]. Un moindre mal : ne faudrait-il pas rouvrir les portes non seulement d'une exégèse timorée, mais aussi de l'interprétation et revenir à l'ijtihad ?

Cela ne suffira pas. Bien sûr, au delà même de la question de l'interprétation, le drame tout archaïque de l'islam c'est la loi, la charia, qui interdit sous peine de mort la conversion à une autre religion que l'islam, qui fait de cette religion un projet politique et qui enferme cette communauté dans des pratiques stérilisantes. Pour les plus intelligents d'entre les musulmans (je pense à Averroès) cette prégnance de la loi était telle qu'ils ont dû développer l'idée d'une double vérité, une pour le peuple et une pour les gens instruits. Averroès était cadi : il a dû rédiger des fatwas (comme Tarek Obrou) mais en même temps il demeure l'une des grandes références de Thomas d'Aquin au plan philosophique. On peut dire d'ailleurs qu'en donnant raison à Aristote à propos de l'hypothèse d'un intellect agent unique, il s'écarte du vieux fond monothéiste biblique repris par le Coran. Pour Averroès, l'homme n'est pas un sujet face au sujet divin (comme Moïse face à "Je suis" dans le Buisson ardent). Son intelligence n'est qu'une petite étincelle qui rejoindra le grand brasier divin. En disant cela, force est de constater qu'intellectuellement Averroès préfère les Grecs au vieux fond sémitique personnaliste. Mais cela ne l'empêchait pas d'appliquer sévèrement la loi du Coran. Thomas d'Aquin, lui, n'est pas un homme de loi. Mais il est fidèle dans la doctrine et finit par critiquer Averroès qu'il admire par ailleurs, à cause de son panthéisme (cf. le Contra averroistas).

Quant à nous, chrétiens, le Christ nous a libérés de la Loi, en particulier explicitement des observances alimentaires (Marc 7). Saint Paul a tiré de ce fait toutes les conséquences théologiques, en bon taleb qu'il était, ayant fait ses classes aux pieds de Gamaliel : "Là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté" disait-il aux Romains.

(à suivre)

lundi 16 décembre 2013

Six mille films, un seul homme

Conférence de Laurent Dandrieu, mardi 17 décembre au Centre Saint-Paul à 20H15.

Thème : Le cinéma entre morale et moralisme. Laurent Dandrieu signera son livre à l’issue de la conférence. Merci à mon alter ego Joël Prieur de son article qui essaie d'aller au fond de ce qu'apporte un critique.

Les éditions de l’Homme nouveau nous ont gâté pour Noël. Elles nous offrent un objet étonnant, plus qu’un livre, pas un simple répertoire. J’appellerais cela un recueil. Dans ce Dictionnaire du cinéma, en effet, chaque film a été cueilli par un fleuriste d’un goût très sûr et il est mis à sa place, majeure ou mineure, dans la composition, ou bien il est simplement rejeté si sa fleur s’est fanée en naissant. 

Six milles films. Un seul homme : Laurent Dandrieu, responsable de la rubrique Cinéma à l’hebdomadaire Valeurs actuelles. Sa méthode ? Voir : « chacune des critiques que vous lirez a été écrite immédiatement après avoir vu le film ». Nous émouvoir : oui, « nous émouvoir de compassion, d’amitié, de rire, de pitié ou de colère, sur cet étrange animal, notre frère, qui rampe dans la fange en rêvant aux étoiles ». Mais aussi juger en faisant appel à « une raison qui se nourrisse de l’émotion au lieu de se laisser réduire au silence par elle ». Ce jugement, Laurent Dandrieu le porte toujours avec audace, que cela plaise ou non. Il nous en avertit dans sa préface : « En matière de critique, oser : tout est là ». 

C’est ainsi que dès les premières pages, on tombe sur A bout de souffle, le film culte de Jean-Luc Godard, avec Jean-Paul Belmondo : étrillé. « Godard, dès sa première tentative accouche d’un cinéma nihiliste, sans personnage, sans récit, sans dialogue, sans psychologie, sans autre contenu que de sembler vouloir tout renverser ». Au final, c’est l’idole de la Nouvelle vague qui est renversée. Le jeu de massacre, avec l’accumulation stylistique des « sans », « sans », « sans », a quelque chose de jubilatoire, comme un « à la fin de l’envoi je touche ». On l’aura compris, ce Dictionnaire à panache n’a rien à voir avec une série de notules, sorties chiffonnées du grand fourre-tout d’Internet . Pour Dandrieu, non seulement le cinéma est un art, l’art peut-être qui sait le mieux nous parler des hommes et des femmes que nous sommes, l’art le plus proche et donc le plus vrai, mais la critique cinématographique, elle aussi est un art à part entière : comment parler dignement de l’art, sinon de manière artistique ? C’est ce qui fait la très grande rareté de ce Dictionnaire passionné : il constitue en lui-même une œuvre d’art. Il porte les lettres de noblesse de la vraie critique.

Attention : je parle d’art. Je ne veux pas dire par là que le Critique s’isolerait dans je ne sais quels cénacles de happy few, seuls capables d’entendre sa parole et de saisir « la tendance » qu’il faut avoir saisi. L’art de Dandrieu n’est pas un art pour connaisseurs qui seraient seulement fiers de leur savoir. Sa critique n’a rien à voir avec le discours pour initiés qu’ont pu distiller les Cahiers du cinéma dans la période où ils ne doutaient de rien, dans les années 70 et 80. D’abord, dans ce Dictionnaire passionné, il y a vraiment des films en tous genres, des sérieux, des guignolesques, on trouve de simples films d’animation aussi parfois dans cette sélection très ouverte. Ensuite, chacun peut se reconnaître dans des jugements, souvent frappés au coin de cette expérience commune qui fait de nous des hommes et des femmes. Simplement, le critique sait nous montrer quand, dans un film léger, notre essentiel se trouve mis en cause, et quand, dans un film lourd, les acteurs se racontent des histoires sans parvenir à convaincre. Il fait du simple spectateur d’abord un homme averti et puis au final un artiste.

Un conseil : gardez toujours ce monument – le Dandrieu – à proximité de votre programme télé : vous lui devrez quelques belles expériences de cinéma et vous apprendrez cet amour des autres qui naît avec la sévérité du regard, avec… comment dire : une certaine exigence.

Joël Prieur
Laurent Dandrieu, Dictionnaire passionné du cinéma, 6000 films à voir ou à fuir, éd. de L’Homme nouveau 2013, 1408 pp. 34, 90 euros

dimanche 15 décembre 2013

Boulevard Voltaire / Abbé de Tanoüarn: «Le recteur Tareq Oubrou est une personne spirituelle»

SOURCE - Entretien réalisé par Nicolas Gauthier pour Bd Voltaire - 13 décembre 2013
Le 9 décembre, vous participiez à un colloque organisé par Fils de France sur le thème « Catholique, musulmans : partenaires ou adversaires ? », à l’occasion duquel vous avez longuement débattu avec l’imam Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux. Quelle peut être l’utilité de ce type de rencontres ?
La rencontre publique entre un imam et un prêtre catholique manifeste une volonté de se connaître, de ne pas rester, dans la même société, les uns à côté des autres, en s’ignorant, en entretenant toutes sortes de préjugés sur des personnes que l’on jugerait de manière purement abstraite, uniquement à travers leur doctrine. Toute rencontre signifie un respect. Pour moi le respect, c’est, au-delà de toutes les communautés, la forme laïcisée de la charité. Le respect et la charité ont le même caractère d’universalité. On ne respecte pas seulement son conjoint, ses proches, ses coreligionnaires, mais tout homme, dans la mesure où il ne triche pas avec sa propre vie. Et ce respect, que l’on doit à autrui, c’est la forme la plus élémentaire, la plus nécessaire de l’amour du prochain. Dans ce cadre d’ailleurs, j’accepterais n’importe quelle invitation.
Si, à l’évidence, les dogmes diffèrent entre ces deux religions, existe-t-il néanmoins un socle de valeurs communes ? Et si oui, ce dernier peut-il être utile à l’apaisement de la société française, tenaillée par divers communautarismes ?
Je n’aime pas le mot « valeur » car la valeur dépend toujours de celui qui lui donne son prix, qui l’apprécie… Je crois plutôt, comme Pascal, à la différence fondamentale qui existe entre les hommes spirituels et les autres. Le recteur Tareq Oubrou est évidemment – son œuvre le prouve – une personne spirituelle, c’est-à-dire une personne qui cherche loyalement la vérité quoi qu’il en coûte. Pascal ne parlait pas des musulmans qu’il ne côtoyait pas, mais il parlait des juifs en disant : il y a une plus grande différence entre un chrétien spirituel et un chrétien non spirituel qu’entre un juif spirituel et un chrétien spirituel. Je crois que les auditeurs de notre débat ont ressenti cela d’une manière ou d’une autre. Vous savez, le verbe est la vraie lumière, qui éclaire tout homme venant dans le monde. Evidemment, chacun est libre de faire ce qu’il veut de cette lumière, mais tout le monde l’a reçue.
Vous avez rappelé à votre interlocuteur le passé radical de ses jeunes années, quand il appelait à la renaissance du califat ; un peu comme l’Action française militait pour le retour de nos rois capétiens. Il dit avoir évolué. Peut-on vous retourner la question, vous qui étiez dans la mouvance lefebvriste avant de finalement rallier Rome ?
Si c’est le fond de votre question, je ne crois pas que tous les intégrismes se vaillent… L’intégrisme coranique s’appuie sur les textes violents du Coran (en particulier ceux de la sourate 9). L’intégrisme catholique (que l’on devrait appeler plutôt intégralisme quand il est non violent) ne peut pas s’appuyer sur une quelconque recommandation de violences envers les autres religions qui serait dans l’Évangile : il n’y en a pas. Le Christ, c’est vrai, nous prévient que la foi est clivante : « Je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive. » Il ne s’agit pas du tout de se servir du glaive pour faire des disciples, comme dans la sourate 9.

Quant à mon évolution : j’ai 50 ans. J’ai été ordonné prêtre à 26 ans. Depuis, oui, j’ai évolué. Comme tout homme normalement constitué. Mais je n’ai jamais été déçu de mes engagements.
Face au mariage pour tous, à la GPA, la PMA, la théorie du genre, une sorte de « front du sacré » est-il envisageable, voire souhaitable ?
Je ne crois pas à un front du sacré, car je ne crois pas à une unité du sacré. Il y a le sacré qui vient de la foi et de l’amour, celui qui s’impose, au-delà même du christianisme, à tous les hommes spirituels. Voyez ce que dit le musulman Al-Fârâbî de l’amour… Mais il y a le sacré qui vient de la violence ; il y a ce mystérieux halo de sacré qui entoure le sexe, nouveau totem ; il y a le sacré qui est lié aux observances ou aux interdits communautaires. Non, toutes les formes de sacré ne se valent pas. Un front ? Où est le front ? J’aurais tendance à invoquer les anges qui chantent dans la nuit de Noël : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté… » Le front, il est le fait de tous ceux qui aiment le bien. Là-dessus, je suis d’accord avec le recteur Oubrou, le vrai problème, contre lequel il faut faire front, c’est le problème de ceux qui veulent faire du bien le produit d’une démonstration rationnelle et qui, ce faisant, oublient l’union intime de l’intelligence et de l’amour. Déjà mille ans avant Jésus, Dieu dit à Salomon : je te donnerai un cœur intelligent. Les rationalistes athées, eux, confondent l’intelligence et le calcul. Pour eux, la vie n’est qu’un matériau qui se gère. Ils oublient un paramètre : l’amour. Nous le paierons cher !

samedi 14 décembre 2013

Plus rose la vie

Qui a dit que la liturgie traditionnelle était froide et compassée ? Dimanche, nous les prêtres du prétendu vieux rite nous sommes tous en rose pour célébrer la sainte impatience de l'Avent, qui tient nos coeurs en joie. Sainte impatience ! Les deux mots semblent s'opposer. Et pourtant... Cette sainte impatience est l'autre nom du désir de Dieu. Non pas un désir naturel à l'animal humain, c'est vrai. Mais, pour celui qui a eu la grâce d'en faire l'expérience une fois, ne serait-ce qu'une fois, il y a un sentiment difficile à décrire, une ardeur qui nous point le coeur : Seigneur venez ! Sans vous en moi, sans vous avec moi, c'est juste plat. Et avec vous, tout est possible. Le jeu de la vie prend son intensité maximale.

On parle beaucoup de la joie en ce moment au plus haut niveau dans l'Eglise. Joseph Murphy a caractérisé la théologie de Benoît XVI comme une "invitation à la joie" (c'est le titre de son livre publié en français chez Artège). Quant à François dans son premier grand document, l'exhortation apostolique Evangelii gaudium, il parle de la "joie douce et réconfortante d'évangéliser". Les deux papes ont en commun de vouloir faire passer le zéphir de la consolation divine sur le troupeau souvent éprouvé.

Il faut néanmoins se rappeler que la joie n'est pas une cause (elle ne peut pas être la cause finale de l'évangélisateur par exemple, ce serait monstrueux : je te donne l'Evangile pour avoir la joie en moi). Comme le dit saint Paul, elle est un fruit. Même la joie spirituelle la plus subite, la plus impromptue (celle de Frossard dans sa chapelle ou de Claudel derrière son pilier) est déjà un fruit de la présence de Dieu. Ce n'est pas l'homme qui "fait sa joie". Pas lui non plus qui peut la calmer cette joie toute puissante. Notre maître en spiritualité au séminaire d'Ecône, l'abbé Giulio Tam, que je salue au cas où, nous racontait cette histoire de saint François Xavier, en plein labeur évangélisateur, ouvrant sa chemise et disant : "Assez Seigneur, je n'en peux plus des consolations que vous me donnez. C'est plus que ce qu'un homme peut supporter..." Il avait tout quitté. Il était parvenu dans les contrées les plus lointaines : après l'Inde, le Japon. Il envisageait la Chine. Sa phrase-clé ? Quid hoc ad aeternitatem ? Devant tout ce qui se passait, devant ce qui l'atteignait toujours plus ou moins, car au naturel ce n'était pas un blindé, : "Seigneur, qu'est-ce que cela par rapport à l'éternité ?". Ou comme le disait encore notre cher abbé Tam  dans un italianisme savoureux, avec un faux air calculateur : "Le temps fuit, l'éternité s'approche". Notre joie, ne l'oublions pas, c'est la joie du salut promis par Dieu aux hommes de bonne volonté. Et ce salut est plus proche de nous maintenant que quand nous avons été appelés à la foi comme l'écrit saint Paul. C'est ainsi que notre joie terrestre est l'effet anticipé de cette joie céleste.

C'est dans cette perspective que s'organise cette petite fête dimanche prochain au Centre Saint Paul. Nous aurons d'abord la bénédiction des fiancés (officiels ou officieux) pendant la messe de 11 H, selon une antique coutume. Puis, après la messe chantée et rehaussée par un violon dont vous me direz des nouvelles, nous vous remettrons à chacun un petit opuscule offert par le CSP, notre calendrier liturgique ; ensuite ce sera le vin chaud de circonstance pour l'inauguration de notre nouveau Point accueil. Après l'avoir bénit dûment, grande braderie de livres sélectionnés pour vous et en bon état. Ils seront en vente à partir de midi et quart. Tout à deux euros, y compris les missels. Les poches et les livres pour enfant seront à 20 centimes. Je dédicacerai mon dernier livre Une histoire du mal, en tirage restreint avant Noël, au prix de lancement de 20 euros (au lieu de 24). La braderie se prolongera dans l'après-midi jusqu'aux Vêpres (17 H), à la conférence liturgique de l'abbé Baumann (18 H) et à la messe (19 H).

vendredi 6 décembre 2013

Pourquoi la messe traditionnelle

Le Centre Saint-Paul édite un calendrier liturgique, commanditée par l'abbé Jean-François Billot, moyennant un travail considérable de David et d'Anne-Cécile. Il sera à la disposition de tous, gratuitement, le 15 décembre prochain, pour l'inauguration de notre nouveau point Accueil écoute. En voici la préface. Sa principale qualité est sa brièveté...

Dans notre attachement à la messe traditionnelle, il n’y a pas l’ombre d’une nostalgie pour des formes anciennes, pour « le vieux rite » [dixit le pape François] qui devrait à tout prix revivre. Quel passé faudrait-il garder ? Personnellement j’ai 50 ans, et je n’ai jamais connu le temps où cette forme du rite romain était célébrée partout. J’ai toujours été à « la messe en français » et c’est vers l’âge de 16 ans que j’ai découvert la messe traditionnelle. La nostalgie ? Connaîs pas.

Mais quels sont les points forts de ce rite ? comme on dirait en Communication. Sans chercher à opposer théologie à théologie, car il n’y a qu’une seule théologie du saint Sacrifice de la messe, je comparerais les deux liturgies et, de points forts, j’en donnerais trois.
  • « A la messe il s’agit simplement de faire mémoire » lisait-on dans les missels à fleurs de mon enfance. La messe traditionnelle ne renvoie pas seulement à une « mémoire » de la geste du Christ. Elle insiste particulièrement sur l’actualisation de cette mémoire. Elle est un PRESENT spirituel, au double sens où elle est DON gratuit de la présence du Christ au milieu de nous (tous les rites s’ordonnent autour de cette présence) et où elle représente ACTUELLEMENT quelque chose de la geste de salut du Christ vers l’humanité. Ainsi conserve-t-on sur l’autel les espèces eucharistiques après l’acte liturgique. Ainsi aussi les fidèles peuvent-ils offrir des messes pour leur bien spirituel ou temporel. La messe est la rédemption qui continue.
  • Un peu brutalement, lorsque j’ai fait le choix de la messe traditionnelle, j’opposais la messe-acte à la messe-texte, préférant la première à la seconde.
  • Enfin la ritualisation de la messe traditionnelle – c’est sa force et sa faiblesse – n’est pas fondée sur la bonne communication d’un message, mais sur l’attraction silencieuse de la beauté : beauté du Christ que l’on adore dans l’eucharistie par des gestes de prosternation ; beauté des objets que l’on utilise avec respect ; sobriété des rites, auxquels on se conforme sans les personnaliser.

vendredi 29 novembre 2013

Ils ont un problème avec la culture catholique...

Voici un extrait de ce que j'ai publié dans le tout dernier numéro de Monde et Vie sur l'Exhortation Evangelii Gaudium, marquant la fin de l'année de la foi.
La grâce suppose la nature, disait Thomas d'Aquin. « La grâce suppose la culture » (115) lance François. Pour le pape, il l’écrit aussi, « le peuple de Dieu s’incarne dans tous les peuples de la terre ». Cette catégorie de « peuple » est absolument décisive chez lui. Tout se passe comme si, pour lui, la grâce ne s’adresse pas d’abord aux individus mais aux peuples. Etreinte baptismale, étreinte éternelle, il faut faire en sorte « que notre peuple vive entre ces deux étreintes » (142). 

Et notre pape d’attaquer « un christianisme monoculturel et monocorde » (117). Et de mettre en cause « la sacralisation vaniteuse de la propre culture de l’Eglise ». Cette dernière formule me pose un problème. Je voudrais y réfléchir et chercher les raisons de la soudaine condamnation que semble jeter le pape.

C'est un fait bien connu : le cardinal Bergoglio croit à la culture populaire argentine. En 2002, il a édité un long commentaire d’un poète gnomique argentin José Hernandez, intitulé Le Gaucho. Il se veut proche de son peuple, il aspire sans doute aussi à devenir le représentant des peuples contre la mondialisation libérale. Mais pourquoi ne voit-il pas (comme l'avait si bien vu Mgr Lefebvre) la fécondité mondiale d’une culture catholique, qui a été l’une des grandes institutrices des peuples à l’époque des Missions ? Je hasarde une réponse : cette culture catholique reposait sur la beauté rituelle d’une liturgie unique partout dans le monde. Cette liturgie étant aujourd'hui  réputée résiduelle, il est devenu difficile de parler d’une culture catholique universelle depuis le Concile.

A tous ceux qui croient encore en une culture catholique, capable de s’inculturer partout, mais qui est avant tout façonnée par la foi, le pape adresse le reproche de néo-pélagianisme : « Dans certaines formes de christianisme, on note un soin ostentatoire de la liturgie, de la doctrine ou du prestige de l’Église, mais sans que la réelle insertion de l’Évangile dans le Peuple de Dieu et dans les besoins concrets de l’histoire ne les préoccupe. De cette façon la vie de l’Église se transforme en une pièce de musée, ou devient la propriété d’un petit nombre » (95). Il se pourrait bien que la mission historique des traditionalistes soit aujourd’hui, face au refus institutionnel d’une culture catholique solide, de transmettre cette culture malgré l’institution qui devrait la porter.
  
GT

lundi 25 novembre 2013

Réponse à NN sur l'unité de l'Eglise. L'Eglise une selon le pape François

Le Christ est roi de nos conscience, sa vérité est un absolu qui domine et qui illumine de l'intérieur notre raison. Mais comment cela peut-il se vérifier, me demandez-vous, si l'Eglise n'est pas une, si elle se divise elle-même ?

Je crois qu'il ne faut rien dramatiser à cet égard, au moins pour l'instant. L'Eglise est une de l'unité que Dieu lui donne remarquait Charles Journet dans son premier livre chez Grasset sur l'unité des chrétiens. C'est Dieu qui nous unit. Et c'est lui qui nous a tous créés différents. La diversité des individus créés est l'image finie de l'infini divin dit saint Thomas, Ia Q44. Saint Paul de son côté insiste sur la diversité des charismes. Regardez aussi l'épitre aux Galates : "J'allais voir Pierre et lui dis qu'il ne marchait pas selon la voie droite de l'Evangile". Le charisme de Paul, c'est cette droiture que lui donne sa terrible intelligence. Ne s'est-il pas converti "rue Droite" à Damas, dans la Maison d'Ananie. Ce n'est pas pour rien que cette rue existe toujours sous ce nom... (il y avait d'ailleurs avant la guerre un pâtissier rue Droite qui confectionnait de merveilleuses petites choses, signe que l'on ne s'éloigne pas si facilement que cela de la droiture). Pourtant saint Pierre, lui, il n'habite pas rue Droite. Il est face aux humains, il négocie : peut-on manger de la nourriture qui n'est pas cacher ? Il dit "oui", puis il dit "non", selon les gens auxquels il s'adresse. Il tente de ménager les personnes. Cela rassure d'abord les intéressés, puis cela provoque une belle pagaille.

Qu'est-ce qui a changé ?

Comment est-on sûr que l'on se conforme au don de l'unité que le Seigneur nous fait en nous appelant dans son Eglise ? Le Père Congar avait beaucoup travaillé la question. Dans son article "schisme" pour le DTC, il fait appel à peu près uniquement à Cajétan, commentant l'article sur le schisme dans la IIaIIae, 38. Qu'est-ce qu'être membre de l'unité de l'Eglise ? C'est agir comme une partie [agere ut pars] dans l'Eglise, chacun selon ses moyens, ses capacités, son histoire, ses origines etc. Que signifie "agir comme une partie" ? Cela veut dire : ne jamais se prendre pour le tout. Accepter de n'être qu'une partie, de ne donner qu'une partie du témoignage du Christ. Accepter qu'à côté de soi, il y ait des chrétiens très différents, qui sont tout autant fils et filles de Dieu, même s'ils donnent à voir autre chose que ce que l'on fait soi.

Dans ce sens le radicalisme n'est pas forcément mauvais lorsqu'il s'agit de remonter aux racines de notre foi. Il est mauvais lorsque de petits groupes de purs se prennent pour l'Eglise tout entière ou pour ce qu'il en reste. Il me semble que le pape François (voir sa démarche avec Scalfari directeur de la repubblica) a compris que l'Eglise (un milliard deux cents millions de chrétiens) n'était pas un troupeau dans lequel toutes les brebis penseraient pareil sur tout et bêleraient pareil à tous moments, mais une société de personnes, la grâce travaillant différemment  dans chaque âme. Certains ont peur de cette liberté du pape. Je crois qu'elle est un don providentiel du Saint Esprit, qui, ironie vraiment divine, a mis un électron libre à la tête de plus d'un milliard d'individus. - Et ça marche ? - Regardez ! Il suffit que nous ayons à coeur d'agir comme une partie et non pas comme le tout.

Jean Sevillia, une raison française

Jean Sévillia rédacteur en chef adjoint au Figaro Magazine, a beaucoup écrit contre le terrorisme intellectuel de la gauche bien-pensante, pour démasquer ce qu’il nomme lui-même l’Historiquement correct. Son dernier livre sur l’histoire de France se présente comme une première synthèse de ses travaux. Il nous annonce une « histoire passionnée de la France ». Quant à moi, ce qui me frappe, c’est que cette histoire est encore plus raisonnée que passionnée. Dans le superbe ouvrage, publié par les éditions Perrin, nous sommes invités à une rétrospective argumentée sur chacune des grandes phases de l’aventure française. Sans nostalgie. Il n’existe pas de passé idyllique et l’on est bien obligé de constater que chaque époque a ses difficultés. Mais, avec Sévillia, on s’exerce à comprendre chaque obstacle, en rappelant avec précision les événements et les enjeux. L’histoire de la France est une succession de maelström, précédés et suivis de toutes sortes de psychodrames au cours desquels se déchaînent les haines civiles. L’auteur nous dit-il tout ? Bien sûr que non. Au moins peut-on se repérer dans ce labyrinthe typiquement français, un fil d’Ariane à la main. Plus on approche de notre temps, plus cet effort de clarification, loin de toute idéologie, s’avère passionnant. Les pages consacrées à la Deuxième Guerre mondiale ou à la Guerre d’Algérie sont des chefs d’œuvre d’objectivité et de compréhension. Alors que certains semblent prendre un malin plaisir à aviver ces blessures nationales, c’est une œuvre de justice que tente l’auteur de ce livre, aidé par le recul du temps. En lisant Sévillia, on se prend à penser à un monde où la diabolisation n’existerait pas et où la raison historique aurait eu le loisir de faire son travail d’objectivité et de paix, un monde où les Français (puisque c’est d’eux qu’il s’agit) pourraient à nouveau s’aimer eux-mêmes et s’aimer entre eux.

Ce bel ouvrage, facile de lecture, somptueusement illustré (qui fera un merveilleux cadeau de Noël), entend mettre en valeur délibérément «ce qui rassemble et ce qui réunit».
Jean Sévillia, Histoire passionnée de la France, éd. Perrin 2013, 560 pp. 25 euros
Conférence de Jean Sévillia au CSP mardi 26 novembre prochain à 20 H 15. Il vous dédicacera son livre.

samedi 23 novembre 2013

Crise : les mots pour rire de nos maux

Merci à Alain qui nous envoie ce qui suit et qui nous donne même l'occasion de faire de l'esprit sur notre dos... Ce post est un peu moins sérieux que d'habitude, mais il est très grave... Il montre à sa manière l'universalité de la crise.
C'est la crise pour tous.
Les problèmes des boulangers vont croissants...
Alors que les bouchers veulent défendre leur beefsteak,
les éleveurs de volailles se font plumer,
les éleveurs de chiens sont aux abois,
les pêcheurs haussent le ton
Et bien sûr, les éleveurs de porcs sont "dans la merde ",
tandis que les céréaliers sont "sur la paille".
Par ailleurs, alors que les brasseurs sont sous pression,
les viticulteurs trinquent.
Heureusement, les électriciens résistent.
Mais pour les couvreurs, c'est la tuile et
certains plombiers prennent carrément la fuite.
Dans l'industrie automobile, les salariés débrayent, dans l'espoir que la
direction fasse marche arrière.
Chez EDF, les électriciens sont sous tension, mais la direction ne semble
pas au courant.
Les cheminots voudraient garder leur train de vie, mais la crise est arrivée
sans crier gare,
alors... Les veilleurs de nuit, eux, vivent au jour le jour.
Pendant que les pédicures travaillent d'arrache-pied,
les croupiers jouent le tout pour le tout,
les dessinateurs font grise mine,
les militaires partent en retraite,
les imprimeurs dépriment et
les météorologues sont en dépression.
Les prostituées, se retrouvent à la rue : c'est vraiment une mauvaise passe!

Le Christ roi de nos consciences

Dimanche prochain à partir de 14H00 j'interviendrai à la salle paroissiale de la paroisse Saint François Xavier sur le thème Le Christ roi de nos consciences dans le cadre d'un Colloque sur le Christ roi organisé par l'association Ecouter avec l'Eglise qu'anime le Père Michel Viot.

Le Christ est roi de nos consciences, non pas qu’il les brutalise, ni qu’il s’impose à elles par la force. Mais il met néanmoins chacun d’entre nous devant la nécessité de faire un choix, qui sera un choix définitif, un choix sans repentance. Parce qu’il est “la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde”, parce qu’il est “aeterna lux credentium” (la lumière éternelle de tous ceux qui croient) comme on le chante durant le temps de l’Avent dans le Conditor alme siderum, il se donne à chacun d’entre nous, d’une manière ou d’une autre comme la vérité de notre condition. C’est devant Pilate, alors qu’il va être condamné à mort, alors que tout semble lui échapper, c'est à ce moment pathétique entre tous où le Messie est déféré devant les Polices juives et romaines pour être condamné à mort, qu'il revendique "sa royauté" (véritable sens de basileia dans ce contexte de Jean 18). “Ma royauté n’est pas d’ici” mais “quiconque est de la vérité entend ma voix”.

On comprend dans ce contexte biblique la condamnation des pape du XIXème siècle. Grégoire XVI traite la liberté de conscience de “folie”. Ce serait en effet une folie de penser que la vérité divine se donne à notre raison se pliant à nos démonstration (voir aussi Prop. 15 du Syllabus de Pie IX). La foi n'est pas l'objet d'une supputation même très intelligente, mais comme le dit Pascal, l'objet d'un pari, avec mise, risque et gain (à chaque fois). Ainsi la foi s'impose à nous. Elle est à prendre... ou à laisser, si nous voulons laisser la vie. Mais en même temps, cette vérité représentant une Intelligence qui nous dépasse, ne nous contraint pas, elle nous est donnée de l’intérieur. En cela, le Christ et son Eglise respectent évidemment la “liberté des consciences” (Pie XI Non abbiamo bisogno 1931). Non seulement le Christ la respecte, mais il la cherche, il la veut. Il en fait le sésame de notre vie éternelle.

Devant la montée des totalitarismes, Vatican II a souhaité insister sur ce point pour soustraire les consciences au contrôle que tous les Big Brothers du monde entendent exercer sur elles. Pour couper court à beaucoup d’incompréhension, Jean-Paul II dans Veritatis splendor (1993) a insisté sur le caractère absolu de la vérité – vérité naturelles de la morale, mais aussi, insiste Benoît XVI, vérité révélée, qui ne peut pas subir "la dictature du relativisme". 

Dans son sermon du 18 novembre dernier, le pape François insiste, quant à lui, sur la nécessité de se garder de ce qu’il nomme “la pensée unique” pour libérer nos coeurs et les laisser s’ouvrir à la lumière intérieure, "la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde".

mardi 19 novembre 2013

Un coup de griffe papal

Le pape François nous réserve toutes sortes de surprises. Il surprend en particulier les esprits chagrins qui pensent toujours que tout va mal à Rome. Pour son homélie, en la chapelle de la maison Sainte-Marthe, il s’est inspiré de la première lecture de la messe du jour (Maccabées 1,10-64), dénonçant la « racine perverse » de la mondanité quand les guides du peuple vont « négocier » pour se rapprocher d’autres traditions. Merci à Zenit de cette traduction ! Voici François dans le texte. Les coupures sont de Zenit, les Inter aussi, sauf le dernier. Très important, le coup de griffe papal à la globalisation actuelle.

On ne négocie pas la fidélité

« C’est comme s’ils disaient : "nous sommes progressistes, nous allons dans le sens du progrès, là où va tout le monde" ». Mais ils négocient « la fidélité au Dieu toujours fidèle ». « Ceci s’appelle apostasie, adultère... ils négocient exactement l’essentiel de leur être : leur fidélité au Seigneur ».
Il s’agit d’un « esprit de progressisme adolescent » qui « croit qu’avancer dans n’importe quel choix est mieux que de rester dans les habitudes de la fidélité ».
 « Et ceci est une contradiction : on ne négocie pas les valeurs mais on négocie la fidélité. Et ceci, c’est justement le fruit du démon, du prince de ce monde, qui fait entrer dans l’esprit mondain ».
Et ensuite, viennent les conséquences : « Ce n’est pas la belle mondialisation de l’unité de toutes les nations - chacune avec ses usages, mais unies – mais c’est la mondialisation de l’uniformité hégémonique, c’est la pensée unique. Et cette pensée unique est le fruit de la mondanité. »
Enfin, lorsque « toutes les nations se conforment aux prescriptions royales », « le roi construit l'abomination de la désolation sur l'autel des holocaustes ».

Non à la pensée unique

« Mais, Père, cela existe encore aujourd’hui ? Oui. Parce que l’esprit mondain existe encore aujourd’hui, et pousse, aujourd’hui encore, à cette envie d’être progressiste avec la pensée unique. Si on trouvait le Livre de l’alliance chez quelqu’un et si quelqu’un obéissait à la Loi, la sentence du roi le condamnait à mort : et cela, nous l’avons lu dans les journaux ces derniers mois. Ces gens ont négocié leur fidélité à leur Seigneur ; ces gens, poussés par l’esprit du monde, ont négocié leur identité, ont négocié leur appartenance à un peuple, un peuple que Dieu aime beaucoup, de qui Dieu veut faire son peuple ».
Aujourd’hui, a mis en garde le pape, on pense qu'il faut « être comme tout le monde, être plus normaux, faire comme tout le monde, avec ce progressisme adolescent ».

L'esprit d'enfance

« Mais ce qui console, c’est que devant ce chemin de l’esprit du monde, du prince de ce monde, ce chemin d’infidélité, le Seigneur est toujours là, il ne peut se renier lui-même, il est le Fidèle ; Lui, il nous attend toujours, il nous aime tellement et il pardonne lorsque, nous repentant des pas, des petits pas que nous avons faits dans cet esprit de mondanité, nous allons à Lui, le Dieu fidèle envers son peuple qui n’est pas fidèle ».
« Avec l’esprit des enfants de l’Église, prions le Seigneur pour que, par sa bonté, par sa fidélité, il nous sauve de cet esprit mondain qui négocie tout ; qu’il nous protège et nous fasse avancer, comme il a fait avancer son peuple dans le désert, en le prenant par la main, comme un papa qui porte son enfant. En tenant la main du Seigneur, nous avancerons en sécurité ».

vendredi 15 novembre 2013

Désobéir par devoir ?

Alors que la cote de popularité du président Hollande est tombé à 15 % et qu'il faudra sans doute inventer une mesure pour des sondages qui tomberaient en dessous du niveau de la mer - quelque chose comme une cote d'impopularité une fois qu'on a constaté que toutes les cotes de popularité sont mal taillées - il me paraît opportun de réfléchir à la vieille question de la désobéissance civile, telle que le Catéchisme de l'Eglise catholique l'envisage.

Question difficile et qui, dans notre République, semble aujourd'hui purement théorique.On lit par exemple dans le CEC : "On est moralement tenu de résister aux ordres qui commandent un génocide" (n°2313). Je pense qu'aucun de mes lecteurs (absolument aucun) ne peut contester que l'ordre de génocide doit être refusé et combattu. - En France me dira-t-on, cela ne risque pas d'arriver... - Il ne faut jamais dire jamais... La question de l'identité est aujourd'hui au coeur des débats. Demain son traitement peut devenir agressif, éruptif, meurtrier... Il faut se tenir prêt, comme chrétien, à refuser un ordre ouvertement immoral et violent. L'obéissance n'est pas toujours une vertu.

Je pense irrésistiblement à tel passage du Procès Eichmann à Jérusalem. L'un des derniers nazis, arrêté par l'Irgoun en 1961, allait être jugé en 1962. Hannah Arendt avait été envoyé par The New Yorker, un gros magazine branché de la Côte Est, pour couvrir l'événement. En méditant sur le procès de l’Obersturmbahnführer (lieutenant-colonel) Eichmann, responsable des infrastructures ferroviaires de la déportation des juifs, elle est surprise de l’insignifiance de ce bourreau. Le procès avait lieu à Jérusalem. Il fut précédé de très longs interrogatoires, auxquels Eichmann se plia de bonne grâce, comme pour se faire valoir auprès de ceux qui avaient la charge de le faire parler. Elle a dépouillés minutieusement toutes les pièces. C’est ainsi qu’elle cite ce compte-rendu des paroles d’Eichmann au moment de sa première condamnation en 1961. L’accusé proteste : « Le tribunal ne l’avait pas cru, quoi qu’il eût toujours fait de son mieux pour dire la vérité. Le tribunal ne le comprenait pas : il n’avait jamais haï les juifs, il n’avait jamais voulu que des êtres humains fussent assassinés. Il était coupable parce qu’il avait obéi, et pourtant l’obéissance était considérée comme une vertu. Les dirigeants nazis avaient abusé de sa vertu » (éd. Folio pp. 399-400). 

Ce qui frappe dans cette déposition étrange, de la part de quelqu'un qui a loyalement organisé le convoyage de centaines de milliers d'individus vers des Camps d'extermination, c’est le type de conscience qui accompagne "l’aveu", ou plus exactement la gangue d’inconscience qui l’entoure. Eichmann ne se reproche rien à lui-même. Il se réduit volontiers lui-même à une pure fonction de rouage dans une machinerie. Parce que ces crimes ont été commis dans le cadre d’un système légal, il se trouve exonéré non seulement d’en payer le prix mais d’en ressentir la moindre responsabilité personnelle. Il serait plutôt satisfait d’avoir accompli un travail important, au service de ceux qui lui ont fait confiance. Faut-il dire qu’il est victime d’une idéologie mortifère ? Sans doute, mais en précisant bien qu’Eichmann n’a rien du fanatique endoctriné, de l’idéologue bétonné ni non plus du menteur cynique. Il est même involontairement comique à cause de la naïveté ou de la fatuité de ses réponses. 

Hannah Arendt, après avoir patiemment présenté ce dossier dans tous ses détails, conclut elle-même : "Nous sommes bien obligés de noter qu’Eichmann a agi précisément selon le sens inné de la justice que l’on pouvait attendre de lui. Il a agi selon la règle, il a examiné l’ordre qui lui était donné du point de vue de sa légalité manifeste, c’est-à-dire de sa régularité". Victime du système ? Il est en tout cas purement légaliste. Il a de bonnes raisons de penser qu'il est couvert par la loi. La loi civile se substitue pour lui à la loi morale. "Selon lui, observe finement Hannah Arendt rentrant dans la peau du criminel, il n’avait pas besoin de s’en remettre à sa conscience puisqu’il n’était pas de ceux qui ignorent les lois en vigueur dans leur pays". Pas besoin de sa conscience ! La loi civile pourvoit à tout. Le drame d’Eichmann, au fond, c’est qu’il ne pense pas. Il applique la règle. Il est régulier, discipliné, obéissant et cela lui suffit. Le terme familier de “lobotomisé” semble lui convenir.Il est lobotomisé de la conscience.

Pour une fois la reductio ad Hitlerum fonctionne bien ici : elle permet de comprendre qu'il existe un problème d'obéissance ou de désobéissance civile et que ceux qui ne le voient pas, qui ne l'imaginent même pas comme Eichmann, peuvent être gravement coupables, selon le domaine d'obéissance qui est le leur et dans lequel ils se sont réfugiés. Actuellement les questions de respect de la vie humaine de la conception à la mort naturelle et de respect de l'ordre naturel [il faut un homme et une femme pour faire et pour élever un enfant] sont des questions sur lesquelles la conscience doit parler avant l'obéissance à la loi civile.

Mais le CEC nous fournit aussi un paragraphe de Gaudium et spes, la Constitution de Vatican II sur l'Eglise dans le monde de ce temps, qui élargit notablement la perspective et multiplie les cas dans lesquels on est susceptible de se résoudre à la désobéissance civile : "Si l'autorité publique, débordant sa compétence, opprime les citoyens, que ceux-ci ne refusent pas ce qui est objectivement demandé par le bien commun. Il leur est cependant permis de défendre leurs droits et ceux de leurs concitoyens contre les abus de pouvoir, en respectant les limites tracées par la loi naturelle et la loi évangélique" (GS74 §5 cit. CEC n°2243). Dans le paragraphe suivant, il est expliqué dans quelles conditions il peut être légitime de recourir aux armes. Ces conditions sont restrictives, mais même cette résistance-là l'Eglise l'envisage éventuellement comme un devoir. 

Certains esprits chagrins penseront que comme c'est Vatican II qui l'a dit, il faut se garder comme de la peste de cette doctrine "libertaire". En réalité, il s'agit bien de la doctrine de l'Eglise. Reste à travailler sur les applications concrètes. Je veux bien croire qu'elles sont fort peu nombreuses. Mais elles existent : à parler en général, disons qu'un pouvoir qui travaille habituellement pour le mal commun perd sa légitimité en démocratie. En République au contraire, il la garde, puisque ce pouvoir lui a été légalement conféré par le peuple. C'est la même chose dans une Monarchie de droit divin, mais dans ce dernier cas, le pouvoir a été conféré par le hasard de l'hérédité. Les Ligueurs catholiques qui, au XVIème siècle, refusaient que ce hasard de l'hérédité puisse conférer le pouvoir à Henri de Navarre, prince (plus ou moins) protestant... Ils étaient anti-monarchiques à tendance thomisto-démocrate : le bien commun d'une population majoritairement catholique passait avant le respect des lois de dévolution de l'autorité. 

Aujourd'hui, notre Monarchie a accouché de la République. On retrouve le même absolutisme, et donc la même absence de souplesse, l'impossibilité de remettre en cause le verdict ancien du Suffrage universel, malgré les difficultés du Pouvoir et ses 15% actuels. Ce serait anti-républicain de contester l'autorité du gouvernement nommé par le Président. Antirépublicain, nous ne le serons pas. 

Mais passerons-nous un jour, nous autres Français, de l'absolutisme républicain à la pratique démocratique ? Ce n'est pas sûr. Il faut déjà en parler et le moins que l'on puisse dire est que les circonstances sont favorables.
Au CSP, conférence de l'abbé G. de Tanoüarn, mardi 19 novembre à 20 H 15, sur La désobéissance civile (Thomas d'Aquin, Hannah Arendt et notre bel aujourd'hui).

jeudi 14 novembre 2013

La Rébellion Cachée: rencontre avec le producteur

La Rébellion Cachée, docudrame sur les Guerres de Vendée, vient d’être filmé en France en septembre. Nous profitons in extremis du passage à Paris ce weekend de Daniel Rabourdin, son producteur, que nous recevrons au Centre Saint-Paul ce dimanche (17 novembre) à 15H00.

Daniel Rabourdin, Franco-Américain catholique nous présentera le mouvement derrière la production internationale montée de toute pièce sur son fond de retraite et avec l’aide des Américains et Français de tradition:  financement international, avec nouvelles méthodes de marketing, crowd-funding, équipe commando, travail sous les radars. Des méthodes renouvelables dans bien des domaines, une initiative de qualité qui marche. Bonus: histoires drôles sur le making-off.

La bande-annonce:

mercredi 13 novembre 2013

Dix Mille Commentaires [par RF]

[par RF] Je voudrais, à l’occasion de la publication du 10.000e commentaire sur ce blog, remercier leurs auteurs. Un certain nombre d’articles ont été écrits en réponse plus ou moins directe à vos contributions. J’en profite aussi pour appeler quelques petits points sur lesquels je dois me montrer plus vigilant:

On ne peut pas, dans un commentaire, s’en prendre à une personne. On peut éventuellement s’en prendre (modérément, hein?) à l’abbé de Tanoüarn ou à moi-même qui suis le webmestre, puisque nous sommes presque les seuls à pouvoir poster directement, et donc à nous défendre efficacement. Mes excuses, bien sûr, à ceux été récemment mis en cause par des esprits grossiers.

Toutes les opinions sont les bienvenues, dans la mesure de la courtoisie, de la décence, et de notre sujet. Cela ne dispense personne de réfléchir et de faire preuve de bonne foi. Pas la peine non plus de vouloir à tout prix faire entendre raison à votre voisin, les dialogues les plus longs ne sont pas forcément les plus productifs.

Les provocateurs de tout poil (ils ne manquent pas) doivent garder à l’esprit que je ne mets à supprimer leur message qu’une petite fraction du temps qu’il leur faut pour l’écrire. Pour autant je ne suis pas toujours disponible, et si un texte n’est pas (encore) validé, c’est typiquement que je ne l’ai pas (encore) lu.

Pour terminer sur une note joviale et illustrer ce qui précède, je redis l’anecdote sans doute déjà racontée: Je trouve un jour des reproches sur des propos antisémites et négationnistes qui auraient été publiés sur le MetaBlog – on m’assurait de suites judiciaires. Bigre! je n’avais pourtant rien vu d’approchant. Les propos gratinés en question étaient en fait dans un commentaire envoyé juste un peu avant, que je n’avais pas lu donc pas encore validé. Mon censeur n’avait pu les lire qu’après les avoir lui-même écrits. Ah, le taquin!

samedi 9 novembre 2013

Une leçon de tolérance chrétienne dans l'Evangile

«Laissez les grandir ensemble jusqu’à la moisson» dit Notre Seigneur dans la fameuse parabole du Bon grain et de l’ivraie (Matthieu 13, 24-30). L’Evangile du Vème dimanche après l’Epiphanie sert ici de «bouche-trou» pour aller jusqu’à la fin de l’année liturgique. L’ivraie ? Une mauvaise herbe, qui croît plus vite que le bon grain. Mais au début de leur croissance, avant maturité, quand la plante est montée en brin, on peut toujours confondre la mauvaise et la bonne. Mieux vaut donc laisser croître ensemble le bon grain et l’ivraie.

 Il me semble que cette parabole célèbre nous donne la formule même de cette vertu oubliée et souvent déformée qu’est la tolérance chrétienne. 

Première application, que l'on trouve dans l'actualité en ce moment : la prostitution. Je ne veux pas et ne peux pas faire partie des 343 salauds, n'ayant ni la possibilité ni l'intention de devenir un client, mais puisque le sujet va bientôt faire la une des JT et des quotidiens, notre gouvernement entendant faire payer les clients, autant dire ici que c'est sur cette formule de tolérance chrétienne que saint Thomas d'Aquin et Cajétan défendent ce qu'ils appellent en leur latin : usura (la finance fondée sur le prêt à intérêt) et prostibula (les maisons dites justement de tolérance). On trouve cela, chez Thomas, dans le commentaire du psaume 118 §5, dans le traité des Lois de la Somme théologique (Lex humana non potest omnia cohibere sed tantum illa mala quae perturbare possunt pacificum statum civitatis S. th IaIIae Q 99 a1 co et aussi sur la prostitution Q 101 a3 ad 3m) et chez Cajétan dans son Commentaire de la IIaIIae Q. 10 a. 11 n. 2. A propos des meretrices (des prostituées), Cajétan renvoie à un topos, un lieu commun de l'Ecole, qui est de saint Augustin : "Enlève les prostituées des affaires humaines et tu troubleras tout par les passions (libidinibus)" (voir son De Ordine II, 12, éd. Pléiade t1 p. 152). Quant à Thomas, il précise lui que l'amélioration du sort des prostituées est typique de la loi chrétienne. Les lois anciennes les persécutaient. Mais dit le Docteur : Praevalente christiana religione, lex illa exstirpata est" (In IV Sent. d.33 q1 a3 qa1). Il précise aussi que ces dames peuvent retenir un salaire mais doivent restituer ce qu'elles auraient extorqué par fraude "superflue" (IIaIIae Q62 a5 ad2m).

Je vous garde pour un prochain post l'enjeu métaphysique de la parabole du bon grain et de l'ivraie que développe Cajétan : tout le problème du mal s'y trouve posé (comme il est posé par Augustin au début du De Ordine). 

L’Epître de la même messe insiste sur l’importance de la bonté que nous devons nous manifester les uns aux autres : « Faites-vous donc un cœur compatissant, soyez bon, modestes, doux et patient, vous supporta,nt les uns les autres et vous pardonnant mutuellement s’il surgit quelque différend ». Cette apostrophe tirée de l’Epître aux Colossiens me semble compléter parfaitement l’Evangile d’aujourd’hui. Elle dit bien quelle doit être l’atmosphère des communautés chrétiennes, des familles chrétiennes. Je pense toujours à la formule du Père Festugière, spécialiste de Platon, du platonisme et du passage au christianisme de toute une élite intellectuelle dans les trois premiers siècles de notre Ere. Il répétait : « Si l’on me demande mon avis de vieil helléniste sur les raisons du passage si rapide du monde antique au christianisme, je dirais que c’est la charité, l’extrême charité qui régnait dans les communautés primitives qui a fait le succès de l’Eglise ». Il me semble qu’une telle formule, alors qu’on parle beaucoup de nouvelle évangélisation mais qu’on ne la voit guère à l’œuvre, devrait nous pousser à faire notre examen de conscience. Sommes nous vraiment tolérants les uns envers les autres ? Sommes nous assez attentifs les uns aux autres ?

Quelles sont les limites de la tolérance ? direz-vous. Si cette tolérance exprime l’amour du prochain, il n’y en a pas d’assignables.

La seule chose qui soit requise pour que la tolérance ne soit pas une faiblesse – et parfois une faiblesse coupable – pour qu’elle ne devienne pas une marque d’indifférence envers le bien ou le mal, la seule limite pour qu’elle ne devienne pas un blanc-seing aux nuisibles, c’est le respect. A partir du moment où l’on est moralement sûr du respect des uns pour les autres, quelles que soient les pensées, les préoccupations, les idées des uns et des autres, il faut savoir faire acte de tolérance. Au contraire, lorsque le respect n’est pas présent, il est important de pouvoir faire acte d’autorité pour limiter la tolérance.

Vous me direz : dans la parabole, le Christ ne semble pas mettre de limite à la tolérance. Le seul moment où la tolérance est remplacé par la justice, c’est la Moisson, c’est-à-dire, dans la langue des paraboles, la fin du monde, où Dieu – et Dieu seul – rend son jugement. D’ici là, le Christ nous répète : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ».

Il faut mettre des limites à a tolérance, lorsque l’on se trouve devant l’évidence du bien à faire et du mal à éviter. Il est clair par exemple que l’on doit empêcher de nuire un violeur potentiellement récidiviste ! Mais la perspective de Jésus n’est pas socio-politique. Son Royaume n’est pas de ce monde. Si Notre Seigneur ne met pas de limites, lui, c’est dans la mesure où l’ivraie peut jusqu’au bout se transformer en une bonne herbe et porter du fruit. Le plus grand pécheur est capable de se convertir. L’épisode des deux larrons, crucifiés l’un à droite et l’autre à gauche du Christ, est significatif. Au commencement de la conversion du bon larron, il y a sa lucidité sur son propre péché : « Si nous sommes là, nous, c’est justice ; mais lui, Jésus, il n’a rien fait ». Après la lucidité sur soi-même, vient l’appel à la miséricorde : « Seigneur, souviens toi de moi quand tu seras dans ton Royaume »… La tolérance du Seigneur « qui fait briller son soleil sur les bons et les méchants » l’aura accompagné jusqu’au bout, ce larron. Elle l’aura retourné et récupéré in extremis.

vendredi 8 novembre 2013

Radio Courtoisie / Voix au chapitre du 6 novembre 2013 -- “Les convertis de l'Islam : perspectives”

Lien audio

Guillaume de Tanoüarn, assisté d'Anne Le Pape, recevait Mohamed-Christophe Bilek, fondateur de l'association Notre-Dame de Kabylie, Maurice Saliba, traducteur et Mohamed-Maurice Rahouma, écrivain, pour une émission consacrée aux convertis...

mercredi 6 novembre 2013

L'ultimatum des Bonnets rouges vient d'expirer...

Ils avaient donné au Gouvernement jusqu'à midi, aujourd'hui.

Les Bonnets rouges m'intéressent beaucoup. Je suis Breton, je sais. Mais il faut bien le reconnaître : ce mouvement est unique; Ce n'est pas un hasard si nos Bretons ont adopté un emblème de jacqueries monarchiques, un emblème antérieur à la Révolution française, le bonnet rouge, non phrygien. C'est, à ma connaissance, la première fois depuis 1789, que le peuple conteste un impôt dans son principe (sans se contenter de "suspension ou d'exemption partielle). Ce faisant, il conteste donc... l'Etat républicain. Le peuple a déjà contesté des licenciements ou organisé des grèves pour obtenir de meilleurs salaires. Le socialiste Clemenceau, en 1906, faisait tirer à balles réelles sur les grévistes. Mais depuis 1789, le peuple n'avait pas contesté l'impôt. Non pas parce que cet impôt aurait été moins cher après la Révolution : au contraire. Mais on avait démontré au peuple que l'impôt... c'était pour lui en fin de compte. Il aurait eu mauvais goût à se révolter. Aujourd'hui, ce sentiment n'est plus partagé : l'impôt, c'est pour les autres, alors... y'en a marre !

Autre chose est de mettre en cause la démocratie, en expliquant que la vraie démocratie est vertueuse (Cahuzac). Autre chose est de mettre en cause les élites mondialisées, en estimant que ces élites n'en sont pas (DSK). Et autre chose encore de s'interroger sur l'Etat lui-même et sur son droit à promulguer de nouveaux impôts ou à augmenter drastiquement les impôt existants. Il n'y a qu'en Grèce que l'on a vu ça. Et nos Bretons ont la tête un peu plus dure que les Grecs. Alors il est bien possible que l'on noie la révolte sous les subventions. Mais la crise est là : où trouver l'argent ? Et puis, qu'est-ce que ça va donner dans les urnes ?

Il me semble que l'Etat qui, par Préfecture de police interposée, ment aux Français sur les chiffres de la manif pour tous en les divisant par trois, l'Etat qui refuse la clause de conscience aux maires en désaccord avec le mariage homosexuel, c'est le même Etat qui doit faire face à ceux qui contestent l'ecotaxe Et tout cela sur fond de crise économique persistante. Les crises risquent de converger, les critiques de confluer. - Ce n'est pas nouveau ? - Il y a une nouveauté : c'est l'Etat républicain représenté actuellement par M. Hollande qui est mis en cause. 2014, année politique.

samedi 2 novembre 2013

Avis de tempête

L’Evangile d’aujourd’hui nous entraîne dans la tempête avec Jésus. Il est important de souligner que la présence de Jésus ne constitue pas un préservatif à toute tempête, à tout trouble. Ils sont avec Jésus, ses douze apôtres, mais ils sont dans la tempête. Image des tempêtes que nous traversons nous-même, alors que Jésus est avec nous. Nous pouvons le quitter. Nous pouvons décider que nous avons d’autres priorités. Lui, il est là. Disponible. « Seigneur, sauvez-nous, nous périssons ». 

Il nous permet de traverser les tempêtes, il guérit nos états d’âme, il ramène à leurs véritables dimensions les psychodrames tragi-comiques de notre existence. Mais les drames véritables ? Lui seul peut leur donner un sens, lui seul peut les transformer en sources d’amour. 

« Quel est cet homme auquel même la mer et les flots obéissent ? » On a souvent fait du Christ un « loser », un perdant sublime. - Lui un perdant ? C’est nous qui ne le comprenons pas. Si nous pensons cela "quelque part", alors c’est nous qui avons perdu le mode d’emploi de notre « être avec le Christ ». Regardons-le dans cette barque, affirmant tranquillement sa maîtrise sur les éléments. Et cette maîtrise du Christ, essayons, dans la foi, de nous en saisir, pour l’exercer sur notre propre vie, non pas en cherchant à tous propos l’épreuve de force ou la partie de bras de fer, mais en songeant que l’on ne gagne jamais vraiment tous les conflits auxquels il faut faire face (à commencer par le conflit que nous entretenons avec nous-mêmes et avec notre propre faiblesse), nous ne gagnons, nous ne surmontons les conflits que par l’amour que nous puisons dans le Christ. Il nous donne son Pouvoir. Il nous donne son autorité. Il nous donne sa liberté sur et dans la vie, mais il ne nous donne tout cela qu’au nom de l’amour.

Contemplons ce pouvoir qui est le nôtre, contemplons cette royauté qui est la nôtre au nom du Christ. Et essayons, dans les épreuves que la vie nous fait traverser, de ne pas être indigne de don que le Christ nous a fait et qu’il nous a léguée en héritage. Ne dissipons pas cet héritage par notre superficialité, par notre distraction, en nous laissant dominer par nos peurs. Il faudrait que l’on puisse dire de nous comme de lui : « Quel est cet homme auquel même les vents contraires de la vie semblent obéir ? Quel est cet homme que les vagues de l’existence ne parviennent pas à submerger ? Quel est cet homme qui maîtrise le Mauvais ? Qu’a-t-il de plus que nous D’où lui vient ce savoir faire et cette science de la vie qui nous étonne ? ».

De même que l’on présente le Christ comme un loser alors que, seul au monde il a gagné la seule bataille qui vaille la peine d’être menée jusqu’au bout, la bataille contre la mort, de même on présente le chrétien comme un abandonné qui reçoit tout de Dieu et n’a à faire preuve de rien. On lui retire même toute force personnelle dans la crainte de retirer à Dieu en attribuant à l’homme… Crétinerie ! Moraline! Christianisme abâtardi! La belle préface des saints que nous avons lue le 1er novembre, nous précise que en couronnant nos vertus Dieu ne se retire rien à lui-même puisqu’il couronne ses propres dons. 

Si nous sommes dans la tempête, c’est bien que nous traversons des épreuves que Dieu permet, et qu’il nous envoie. Il s’agit de nous faire la main. Certes, ces tentations, il ne nous y soumet pas, il n’est pas sadique ! Il n’y a jamais eu de prédestination au mal que dans la tête trop scolastique de Calvin [ou dans telle formule un peu énervée de Luther, mais ce sont l’un et l’autre des intégristes]. Cependant, depuis l’arbre de la connaissance du bien et du mal au Jardin d’Eden, Dieu nous fait entrer en tentation, il nous éprouve. « Parce que tu étais agréable au Seigneur, dit l’ange Raphaël à Tobie, il était nécessaire [nécessaire !] que la tentation t’éprouve » (Tobie 12, 13). Cette citation classique des Retraites de saint Ignace devrait nous faire réfléchir sur la nécessité de la tentation dans notre propre vie chrétienne. Ne craignons pas les tempêtes, elles sont au programmes !

Pour revenir à la scène de la Tempête apaisée, cette tempête n’empêche pas le Christ de dormir (la tête sur un coussin précise saint Marc). Il ne calme les éléments que par condescendance pour la peur des apôtres. Avec lui, qu’avaient-ils donc à craindre de toutes les tempêtes du monde ? 

On sait comment près de Malte, Paul, après 14 jours de dérive, connaîtra la tempête durant trois jours jusqu’au naufrage inclusivement… Regardez son autorité (Ac. 27) : « Courage mes amis, un ange du Dieu que je sers m’a dit : Sois sans crainte Paul ! Voici que Dieu t’accorde la vie de tous ceux qui naviguent avec toi ». Nous n’avons pas de vision, nous ? Sans doute, mais nous avons reçu en héritage la même foi que Paul et c’est cette foi qui produit la force dans la tentation. "Si vous aviez la foi comme un grain de Sénevé..."

samedi 26 octobre 2013

La divine surprise du Notre Père

Cet article est paru dans le dernier numéro de la revue Monde et Vie
« Ne nous soumets pas à la tentation ». Cette vieille traduction de la sixième demande du Notre Père deviendra caduque le 22 novembre prochain. Elle est remplacée par une traduction plus conforme au texte originel : « Ne nous laisse pas entrer en tentation ».

La nouvelle couvait sous le boisseau depuis des années. Et voilà que c’est officiel, les journaux, les radios, la télévision se sont fait l’écho de l’incroyable nouvelle : l’Eglise catholique change sa traduction du Notre Père. Pour que cette modification de quelques mots fasse autant de bruit, il faut que ce geste soit très important. Cette traduction, adoptée sous les auspices du cardinal Feltin durant la nuit pascale de 1966, est l’un des fruits du concile Vatican II. Elle représente une concession œcuménique des catholiques, qui décident unilatéralement d’adopter la formule en vigueur chez les réformés et de faire suivre la récitation du Pater de la closule : « Car c’est à toi qu’appartiennent le règne la Puissance et la gloire pour les siècles des siècles ». Elle avait été annoncée par un communiqué commun des catholiques, des protestants et des orthodoxes dès le 4 janvier précédent.

L’idée que toutes les confessions chrétiennes puissent réciter le Pater en français avec les mêmes paroles revêtait une signification spirituelle certaine. Mais, pour permettre cette avancée, on avait repris la version protestante, et, à propos de la sixième demande « Ne nous soumets pas à la tentation », cette reprise a très vite posé un problème à la conscience des catholiques : Dieu peut-il nous soumettre à la tentation, c’est-à-dire nous y faire succomber ? Lorsque l’on croit à la prédestination absolue, lorsque l’on dit comme Luther « Dieu nous damne », lorsque l’on précise comme Calvin qu’il existe une prédestination au bien mais aussi une prédestination au mal, alors on comprend bien que la traduction « N e nous soumets pas à la tentation » ne pose aucun problème de conscience. Mais si, comme les catholiques, on continue à croire dans le libre arbitre de l’être humain, alors cette traduction est spontanément inadmissible parce que trop unilatérale. C’est tout ce que l’on n’a pas voulu voir en 1966 dans l’enthousiasme œcuménique qui a suivi immédiatement le Concile.

Le fait qu’on le découvre aujourd’hui signifie-t-il que ce prurit œcuménique est passé. Il montre en tout cas que l’engagement œcuménique a changé de nature. Les «gestes forts», les abandons généreux qui étaient à la mode dans les années 60 (les drapeaux de Lépante rendus aux musulmans par Paul VI), les concessions symboliques (le même Paul VI demandant sa bénédiction au Patriarche orthodoxe Athénagoras, au mépris de sa propre primauté en tant que pape) étaient monnaie courante. Mais depuis l’intervention d’un certain cardinal Ratzinger l’œcuménisme est nettement plus doctrinal. En 1999, a été signée une déclaration commune aux luthériens et aux catholiques sur la justification par la foi (et donc sur la prédestination). Mais rien de tel n’a pu encore avoir lieu avec les réformés, qui n’ont pas bougé d’un pouce sur leur doctrine traditionnelle, tout en mettant en cause, pour les plus libéraux d’entre eux, jusqu’à… l’existence de Dieu. Bref l’œcuménisme avec les réformés, si important soit-il, est dans une impasse dont on n’est pas près de sortir. L’enjeu œcuménique de la traduction de la 6ème demande est donc moins important aujourd’hui. 

Mais encore fallait-il que l’Eglise qui est en France accepte de mettre en cause publiquement son « infaillibilité sur le terrain » et reconnaisse que l’on a fait réciter aux fidèles un texte erroné, en rendant obligatoire une traduction qui n’était pas catholique…. Ce deuxième volet de la querelle n’est pas encore passé. J’en veux pour preuve les mises au point ecclésiastiques qui se multiplient, précisant qu’il n’y aurait aucun changement dans la liturgie avant des années et que c’est uniquement une nouvelle traduction liturgique de la Bible qui sera proposée à la traditionnelle Conférence des évêques à Lourdes au début du mois de novembre prochain. Parmi d’autres, le plus autorisé, le porte parole des évêques, Mgr Bernard Podvin précise : « Rien ne change actuellement pour la prière du Notre Père, y compris à la Messe. Un changement pourra intervenir dans quelques années lorsqu’entrera en vigueur la nouvelle traduction du Missel Romain, qui est encore en chantier».

Où l’on voit qu’au-delà de ce qui est vrai et de ce qui est faux, la pilule a tout de même du mal à passer !
Les raisons du changement
Il faut remonter aux travaux très précis de l’exégète Jean Carmignac, avec ses Recherches sur le Notre Père (1969) pour comprendre la volte face de l’épiscopat français à propos de la traduction du Et ne nos inducas in tentationem…Si l’on se contente du latin (et du grec) on a : « Et ne nous induisez pas en tentation… ». Le « Ne nous soumettez pas à la tentation » aggrave un peu les choses, en laissant entendre qu’un Dieu peut nous soumettre à la tentation c’est-à-dire nous prédestiner au mal. Mais le principe est le même. Le Père Carmignac soutient lui que l’original de cette prière ne peut être que dans la langue liturgique de l’époque : l’hébreu. Et en hébreu, dit-il, cela correspond à un mode factitif ou causatif : « Faites que nous n’entrions pas en tentation ». On rejoint ainsi d’une certaine manière l’ancienne traduction française : « Ne nous laissez pas succomber à la tentation». 

Le problème de cette ancienne traduction, c’est qu’elle prend en compte avant tout l’issue de la tentation, alors que manifestement, d’après le sens du inducere latin et de son équivalent grec, il s’agit d’entrer ou de ne pas entrer dans cette zone dangereuse qu’est la tentation. Mais cette nuance est minime et ne met pas en cause l’orthodoxie de celui qui demande que Dieu « ne le laisse pas succomber» à la tentation.

La traduction actuelle, tenant compte de cette nuance, paraît bien a plus exacte : « Ne nous laisse pas entrer en tentation… » On aurait pu dire aussi : « Ne nous soumettez pas à l’épreuve…»

mercredi 23 octobre 2013

Sionisme et antisionisme

Une salle pleine ce soir au CSP pour écouter la critique d'Alain Wagner sur Alain Soral. Le Conseil de rédaction de Monde et Vie ayant été déplacé du mercredi au mardi, je n'ai pas pu assister à la conférence et me suis contenté de proposer un petit prélude sur le sionisme et l'antisionisme. En rentrant, ce soir, je trouve dans ma boîte "Trois remarques" de mon ami G. sur "mon avant propos" de ce soir. Elles sont stimulantes, comme toujours, elles méprisent toute correctness, ce qui n'est pas pour me déplaire, même si, sur ce point, je crains que nous restions en désaccord.

Quant à Alain Soral, objet de notre propos de ce soir, dont on appréciait la vis polemica (voir son Jusqu'où va-t-on descendre ?), je dirais qu'il considère l'antisionisme comme la clé universelle - le passe partout - qui explique tous les sujets, que ce soit le sort de la Planète ou l'horreur pédophile. Cette obsession entraîne évidemment une sorte de strabisme, qui finit par transformer l'horizon en un point. Un point c'est tout. Cette simplification peut faire passer les auditeurs de l'antisionisme à l'antisémitisme - c'est-à-dire à la détestation ponctuelle de la culture ou de la race juive.

L'antisionisme ? Je n'ai vu que deux sens à ce mot tout à l'heure. G. m'en propose un troisième. Il a raison.

Le premier c'est "l'opposition au projet sioniste d'établissement d'un projet national juif en Palestine" (merci Wikipedia).
Pour moi, ce premier antisionisme est absurde puisque les juifs ont créé "un foyer national" en Israël depuis 1947. Il y a 8 millions de citoyens israéliens aujourd'hui dont 6, 5 millions de juifs. On ne peut pas revenir sur ce fait. Il ne s'agit pas "d'idolâtrie du fait", il s'agit simplement de reconnaître qu'en politique, comme dit Aristote, "les faits sont principes" (et non les idées). G. me dit : "La Révolution est un fait, la colonisation a été un fait".

Je crois que ces deux exemples sont parfaitement bien choisis. Je passe sur la colonisation mais j'entends encore le président Bongo refuser la création d'un Lycée français à Libreville en disant : "Tous les lycées de Libreville sont des lycées français". Il ne maniait pas vraiment la langue de bois, le vieux ! Mais le fait est ! On ne peut pas, quand on exerce le pouvoir, s'écrier comme Jean-Jacques : "Ecartons tous les faits". La colonisation française a été un fait. Elle demeure dans ses conséquences culturelles, linguistiques d'abord. Même pour un membre du CRAN !

Pareillement, on ne fait pas de la politique française de la même façon avant et après la Révolution., même et surtout quand on est contre-révolutionnaire. Les démocrates chrétiens et autres MRPistes ont voulu croire que la République n'existait pas vraiment avec son passé passif, que la démocratie seule triomphait, que la Révolution était une parenthèse que l'on pouvait refermer. Leur pacifisme politique ne convainc personne ni à droite ni à gauche. Ils me font penser à ces chrétiens (qui furent très attirés par le pape Benoît) et qui voulait faire comme si le concile Vatican II n'avait pas eu lieu. Comme si on pouvait vivre dans l'Eglise sans avoir à prendre son parti de cet événement. Le pape François, arrivé au Souverain pontificat, a démenti tout cela en cinq sec. Je ne dis pas que François est mieux que Benoît, mais je dis simplement qu'il faudra bien s'atteler à Vatican II et que les propos du Pontife régnant sur la liberté de conscience (voir notre article Une critique cinglante) ont eu l'avantage de reprendre Vatican II dans tout ce qu'il a de plus contestable. Plus question de tout planquer sous les tapis du Vatican !

Eh bien ! Israël est un fait. Peut-on être contre ? Ni pour, ni contre... Il faut simplement trouver des solutions au conflit israélo-palestinien en tenant compte de ce fait.

Deuxième définition : l'antisionisme est l'opposition à certaines positions politiques d'Israël et à son extension, qui va jusqu'à l'opposition à l'existence même d'Israël. La deuxième définition (toujours prise de Wikipedia) tend à rejoindre la première, tant les passions que déclenche ce sujet sont vives.

La question de l'extension d'Israël est extrêmement sensible. Je ne crois pas que ce soit de l'antisionisme de dire, avec ce sioniste spirituel que fut Yeshayaou Leibowitz que le triomphe israélien lors de la Guerre des Six jours, qui entraîna une exaltation nationaliste juive, fut "une catastrophe pour l'Humanité et pour l'Etat d'Israël". D'ailleurs, lorsque en 1974, Israël accepte la résolution 242 des Nations Unies sur le retour aux limites de 1967, Israël n'est pas... antisioniste. On est très loin aujourd'hui de cette ligne et même l'évacuation de la Bande de Gaza en septembre 2005 peut être considérée comme un prélude à la Guerre de 2009. Il est clair que la volonté de paix est difficile à trouver ailleurs que dans quelques individus héroïques de part et d'autre. Pour les Israéliens, peut-on faire la paix avec des gens qui, durant les prêches du vendredi, ne cachent pas (je parle des islamistes de plus en plus nombreux) qu'il faut "anéantir Israël" (Je l'ai entendu une fois de la part d'un Taxidriver parisien barbu... Ca calme !)... Pour les Arabes, musulmans et chrétiens, peut-on supporter les humiliations quotidiennes des check-points et la paralysie qu'ils engendrent ? Et puis... "18 000 maisons palestiniennes détruites, 750 000 Palestiniens arrêtés à un moment ou à un autre depuis 1967, 11 000 détenus pour l'heure, 600 barrages en Cisjordanie, "lieux de vexation ou de brutalité gratuite". C'est Régis Debray qui donne ces chiffres et qui s'indigne (cf. A un ami israélien, avec la réponse d'Elie Barnavi, Flammarion 2010).

On peut se demander si un accord politique est possible, ce n'est pas de l'antisionisme de poser la question. Les Accords d'Oslo ne sont plus qu'un lointain souvenir. Et alors que Bibi Netanyahu est régulièrement réélu, on cherche qui peut bien porter non pas la paix mais l'apaisement. Est-il vrai par exemple qu'Israël aujourd'hui abrite des Jihadistes en repli stratégique dans le Golan ? Quand on en vient à la négociation elle-même, le statut de Jérusalem reste une pomme de discorde. Il me semble que la politique des papes, si profondément rationnelle, si volontairement dépassionnée dans ce domaine - politique qui n'est ni sioniste ni antisioniste - pourrait être comme le retour de la colombe, un brin d'olivier dans le bec, qui annonce la fin du Déluge.

Significatif en tout cas est l'opposition fin août 2013 entre Laurent Fabius, notre ministre des Affaires étrangères et Benjamin Netanyahu, l'un disant que le conflit israélo-palestinien est "le père de tous les conflits" (au cours d'une émission chez Bourdin sur RMC) et l'autre lui répondant quelques jours plus tard de visu à la Knesset que les conflits sont dans tout le Proche Orient et refusant de voir le conflit israélo-arabe comme un conflit matriciel. Qu'il existe un tel désaccord à ce niveau entre deux juifs, l'un ministre français, l'autre premier ministre en Israël montre bien dans quelle impasse sont les politiques.

C'est sans doute pourquoi la religiosité n'est pas absente de ce conflit, même lorsqu'il s'invite dans nos Banlieues ou dans les déclarations de nos hommes politiques. Dans nos Banlieues ? Les prêches incendiaires en arabe qui tendent à fanatiser une population qui ne veut pas apprendre à vivre à l'Occidental (ou qui ne veut pas s'intégrer) et qui cherche un Bouc émissaire... A supprimer. Dans les déclarations de nos hommes politiques ? L'image de Fabius sur la paternité universelle de ce conflit est vraiment trop forte : surinterprétée. Mais que penser d'un Manuel Valls disant qu'il est "éternellement attaché à Israël" ? Eternellement ? Il y a dans cet attachement quelque chose qui n'est pas purement politique. Pas purement tactique comme serait purement tactique l'assistance à un dîner du CRIF par exemple. Le sionisme et l'antisionisme sont-ils en train de devenir des religions jusqu'en Occident ? Si l'antisionisme se fait religion, ce sera la religion du Bouc émissaire, une religion génocidaire.

Si le sionisme se fait religion... Aujourd'hui c'est le nihilisme qui gagnerait. La France, toujours paroxystique en politique, est un bon test. Ce serait la religion de la Shoah que critique âprement Imre Kertesz. Comme dit Jean-Christophe Attias, "la mémoire du génocide érigée en religion est une religion sans Dieu et sans espérance. Admettons qu'une religion puisse se passer de Dieu... Mais de l'espérance ? Une religion ne saurait tourner seulement autour de la mort" (in Les Juifs ont-ils un avenir ? avec Esther Benbassa, éd Lattès 2001 p. 113). Esther Benbassa ajoutait alors : "Je dirais aussi que cette religion est entièrement fermée sur elle-même et s'auto-alimente, et que cette sacralisation clôt le débat. Il est à souhaiter qu'il ne s'agisse là que d'un moment critique susceptible de dépassement". Quel dépassement ? Evidemment pas le révisionnisme, mais bien l'universalisation. Esther Benbassa explique : "Je ne vois de salut que dans l'universalisation. Universaliser n'est pas oublier. C'est de l'excès de paroles que découle l'oubli, la normalisation". Ce discours évoque mot pour mot les thèses défendues merveilleusement par Imre Kertesz dans toute son oeuvre romanesque mais spécialement dans La Shoah comme culture. Elles sont non pacifistes mais pacifiantes. Question ; que signifie cette universalisation à l'heure du conflit israélo-palestinien ?

Il me semble vraiment que, comme pour tout paroxysme humain, le conflit israélo-arabe n'est pas purement politique. Il porte en lui non pas je ne sais quelle religion séculière de substitution, comme serait la religion de la Shoah, mais l'incandescence religieuse de cette région et sa spécificité historique... C'est le message de paix que portent les chrétiens (ces deux pour cents de Palestiniens chrétiens restant envers et contre tous) qui devra l'emporter pour que le calme s'établisse vraiment au Proche-Orient. Plus le temps passe, plus on se rend compte qu'en Syrie, au Liban, comme en Israël, les peuples ne veulent pas la guerre. Seuls un petit nombre d'irréductibles, politiques d'un côté qui la font rentrer dans leurs calculs, jihadistes de l'autre pour qui elle est une religion, continuent à l'appeler de leurs voeux. L'échec de la Communauté internationale à imposer la guerre en Syrie (comme elle l'avait fait en Libye quelques mois auparavant) est caractéristique d'une nouvelle donne, qui donne tort aux Faucons et autres théoriciens du Chaos. L'équilibre de la terreur est précaire pour tout le monde. Il faut convertir la classe dirigeante... côté salafiste (Arabie saoudite etc.) côté israélien (où le discours faucon est dominant) et côté occidental (De BHL à Sarko, y a du bouleau ne serait-ce qu'en France). Mission impossible ? Reste à trouver des porteurs de paix, comme le fut Isaac Rabin au mépris de sa vie, après avoir été un partisan de la guerre lors de la Première Intifada.