"La politique, M. l'abbé, avez-vous grâce d'état ?" me demande un anonyme à 3 H du matin sur Métablog. La question vaut d'être posée, d'autant que le même anonyme semble y répondre : autant il aime la mise au point que je propose sur le moindre mal en politique, autant il me reproche de ne faire aucune considération (mais alors aucune, c'est vrai) sur la politique de M. Sarkozy, durant le dernier quinquennat. Il ne lui vient pas à l'idée que justement, si je ne fais aucune allusion au bilan politique du quinquennat, c'est tout simplement parce que je n'ai ni grâce d'état ni compétence pour faire cela. Je ne fais pas de politique, la politique ne me démange pas (mais alors pas du tout). S'il fallait que je me définisse, disons que, du point de vue des compétences, je suis un apprenti philosophe qui aspire à être théologien. Du point de vue de la grâce d'état, je suis prêtre, en remerciant Dieu tous les jours de la beauté de ce sacerdoce qu'il m'a confié. Mon travail (c'est le mien, je ne peux pas me dérober) est donc d'éclairer les consciences. Non pas en tant que spécialiste de la chose politique, que je ne suis pas, mais en tant que prêtre et aussi, en tant qu'électeur, en tant que citoyen.
J'ai aussi un petit plus en tant que philosophe, qui me fait dire que si mon interlocuteur ne voit pas la différence entre se faire couper un bras et se faire couper les deux bras, moi, au nom de ma philosophie, au nom de mon envie de réel, je la vois très très bien...
Je mets sur le même pied philosophie et envie du réel et je sais bien que l'envie de réel n'est pas forcément partagée par tous les philosophes et qu'heureusement il n'est pas nécessaire d'être philosophe pour l'éprouver. Cela dit "tout le monde a une métaphysique patente ou latente ou alors on n'existe pas" disait Péguy dans Notre jeunesse. Vivre en homme (chercher le réel) c'est déjà philosopher, d'une certaine façon.
De façon plus générale, je dirais à ce sympathique contradicteur ce que j'ai déjà dit à Benoîte : la réalité est une et ce que l'on nomme "spiritualité" n'est pas une échappatoire ni une Tour d'ivoire, ni un Aventin secret. Etre spirituel, c'est faire confiance à l'Esprit qui habite dans nos coeurs par le baptême (ou par le désir du baptême) pour affronter sans ciller les questions qui sont à notre portée. "Faire face" comme disent les héros de Bernanos constamment. S'appuyer s'adosser aux évidences que nous avons pu arracher à la complexité des circonstances et aux déceptions de l'existence pour faire face.
Qu'est-ce donc que cet Esprit demanderez-vous peut-être ? - L'Esprit saint, l'Esprit de Dieu qui s'unit à notre esprit pour nous donner une liberté surnaturelle, que notre psychologie, étroite et pleine de carences, ne nous donne pas toujours par elle-même et que notre raison, enfermée dans ses constructions et dans ses précompréhensions n'est pas forcément capable de percevoir, lorsqu'elle se limite à son fonctionnement ordinaire.
N'oublions pas cette phrase étonnante de la Première épître de Jean, que nous avons lue dimanche il y a quinze jours dans l'extraordinaire rite que j'ai l'honneur de célébrer : "Ils sont trois qui rendent témoignage dans le Ciel : le Père, le Verbe et l'Esprit saint et ces trois ne sont qu'un. Et ils sont trois à rendre témoignage sur la terre : l'esprit, l'eau et le sang et ces trois ne sont qu'un".
L'Esprit règne par le Christ "sur la terre comme au ciel". Quand donc comprendrons-nous que les chrétiens et les chrétiennes sont forcément des hommes et des femmes d'esprit ? Les autoproclamés esprits forts ont jalousé l'esprit chrétien, ils n'ont réussi qu'à le caricaturer (de Don Juan à Nietzsche et à Georges Bataille). Qu'est-ce qui rend témoignage sur la terre : l'eau, qui est celle du baptême ; le sang qui coule à chaque eucharistie et l'Esprit, qui seul nous fait renaître par l'eau et le sang, l'Esprit qui nous donne une nouvelle intelligence de la vie.