On invoque souvent les "valeurs chrétiennes" sans se donner toujours la peine de préciser quelles elles sont. On les invoque pour s'en gargariser... Ou pour les rejeter...
Ceux qui les rejettent paraissent avoir des raisons fortes de le faire, raisons qu'un Nietzsche a développées avec la force qu'on lui connaît : le christianisme, religion de faibles, provient du ressentiment des faibles qui en veulent aux forts. On a parfois même l'impression que l'Eglise s'autointoxique avec ses... fausses valeurs... Oui, qu'elle est faible souvent notre Eglise ! Et quelle différence entre ce qui devrait être, ce que les voix les plus autorisées disent que c'est... et ce que c'est. Ainsi, ceux qui se gargarisent des valeurs humanitaires, en les revendiquant comme identifiant l'Eglise du Christ semblent faire le jeu de ceux qui rejettent cette Eglise.
Exemple de l'identité entre le discours de rejet et le discours d'identification ? Dans Fragile absolu, sous titré Pourquoi l'héritage chrétien vaut-il d'être défendu ?, livre tout récemment réédité en collection Champs Flammarion. Slavoj Zizek explique, comme naguère Alain Badiou dans son Saint Paul ou la naissance de l'universalisme que les valeurs du communisme sont bien les valeurs du christianisme : ce sont les mêmes... Non pas que la Révolution bolchevik soit une révolution chrétienne : Zizek n'est pas si bête ! Mais en tout cas "l'idée communiste" (comme il dit) est une idée chrétienne : "Oui le marxisme est dans le droit fil du christianisme. Oui christianisme et marxisme doivent combattre main dans la main, derrière la barricade, le déferlement des nouvelles spiritualités. L'héritage chrétien authentique est bien trop précieux pour être abandonné aux freaks intégristes".
Freaks? Que les intégristes soient des gens profondément déformés, je le pense et l'ai écrit dans mon Jonas. "L'intégriste est celui qui veut faire la volonté de Dieu, que Dieu le veuille ou non" écrivait Frossard naguère : bien vu! Et cela pose un problème mental, tout en nous ramenant très près de la logique du premier péché. Comment peut-on savoir mieux que Dieu? Il y a dans l'intégriste un gnostique qui s'ignore.
Mais que Zizek nous donne le choix entre "freaks" et cathocommuniste, sans aucun troisième terme, c'est pour lui et pour son honnêteté de chercheur que cela devient inquiétant.
Ce cathocommunisme, dès 1973, Thomas Molnar l'a identifié en évoquant "l'utopie, éternelle hérésie" (Beauchesne éd.) et en montrant comment le Père Teilhard de Chardin entrait volens nolens dans cette logique. Un peu plus tard, dans Le paysan de la Garonne, Jacques Maritain évoquait la temporalisation du royaume de Dieu. Mais combien d'autres se sont tus, parmi les augures de la vie intellectuelle en ce temps là ? Je ne parle même pas de la vie ecclésiale !
Ce cathocommunisme n'est pas mort. Il n'est même pas ringard comme nous le montre le livre de Zizek. Plus grave : le vent d'antilibéralisme consensuel qui souffle en ce moment risque de nous ramener ce monstre spéculatif (véritable freak pour le coup) dans des habits neufs. Je ne dis pas que c'est déjà fait mais le risque est là.
Comment échapper à cette confusion mentale ? Peut-être en fêtant sérieusement la fête du Christ Roi, demain dans le calendrier old fashion. Il suffirait de réentendre le dialogue entre Jésus et Pilate, fantastique page d'Evangile, où Jésus apparaît vaincu, entre les mains de Pilate, mais où il annonce à l'avance sa victoire spirituelle contre le hiérarque : "Mon Royaume n'est pas d'ici". Ou encore, selon une ambiguïté possible en grec : "Ma royauté n'est pas d'ici". Sous entendu : tu ne peux rien contre elle.
Mais quelle est-elle cette Royauté ? Quel est le titre du Christ à régner ? La vérité. "Celui qui est de la vérité entend ma voix".
Le tout est de savoir de quelle vérité il s'agit ? Est-ce le christianisme tel que les hommes affectent de le comprendre, le christianisme réduit à un texte et à une histoire, le christianisme transformé en culture ? Alors oui, du point de vue de la culture chrétienne, Zizek a raison : il y a d'invincibles analogies formelles entre christianisme et communisme.
Mais telle n'est pas la vérité de l'Evangile. ce n'est pas une vérité uniquement formelle, spéculative, susceptible de s'analoguer à d'autres vérités qu'elle annoncerait ou qu'elle accomplirait. La vérité de l'Evangile est indissolublement une vie. Elle représente une transformation de soi, une vérité qui nous fabrique de nouveau, qui nous offre rien moins qu'une deuxième naissance comme l'explique le Christ à Nicodème.
Faire des valeurs chrétiennes autant de valeurs purement humanitaire, en "temporalisant le Royaume des cieux" comme disait Maritain, en réduisant la foi à une culture forcément homologue à d'autres cultures comme on le voit aujourd'hui, c'est oublier les données primitives de ce que j'appellerai une épistémologie de la foi. La foi est une réalité sacramentelle. Soit elle nous transforme, en créant en nous un esprit nouveau, soit elle n'existe pas comme foi, mais simplement comme culture. "La sagesse de Dieu est venue dans la Puissance" comme disait saint Paul aux Corinthiens.
Voilà tout ce qu'oublie le cathocommunisme assez répandu sous diverses formes depuis cinquante ans. Il confond l'action spirituelle et surnaturelle du christianisme avec des ressemblances purement formelles, dont personne ne comprend que les remarqer et les célébrer c'est détruire la puissance du Christ en la ravalant à une simple idée. Humaine trop humaine aurait dit Nietzsche pour le coup.
Il ne faut pas confondre le christianisme spirituel et le christianisme culturel, sous peine de mériter ce qu'annonce le Christ dans un des textes les plus pessimistes de l'Evangile, cette parabole de l'homme qui chasse de chez lui le démon, mais qui, comme le reproche Nietzsche à beaucoup de chrétiens, n'est pas assez fort pour le chasser tout à fait. Voilà une conversion purement humaine, qui s'est effectué sans la puissance de Dieu. Le démon revient, avec sept autres, plus méchants que lui : "et le sort de cet homme là est pire qu'avant" n'hésite pas à souligner le Christ, comme si nous ne l'avions pas assez compris en comptant les démons que comporte cette histoire (huit en tout finalement).
Ne devenons pas chrétiens à moitié ! C'est sans doute la pire des choses qui puisse nous arriver. Voilà la part de vérité paradoxale d'un Nietzsche. La demi-foi est pire que la non-foi. Elle est une trahison, la non-foi n'est qu'un silence (qui peut cesser à tout moment). Il ne s'agit pas de devenir des vibrions pour autant, des fanatiques, non. Le fanatisme, c'est le freak dont nous parlions plus haut. Mais il suffit de réfléchir à ce que signifie pour nous la vérité du Christ : non pas une idée, mais un fait nouveau dans l'histoire, qui nous transforme et qui (Girard l'explique très bien à Nietzsche dans Quand ces choses commenceront) a déjà transformé l'humanité tout entière.
Ceux qui les rejettent paraissent avoir des raisons fortes de le faire, raisons qu'un Nietzsche a développées avec la force qu'on lui connaît : le christianisme, religion de faibles, provient du ressentiment des faibles qui en veulent aux forts. On a parfois même l'impression que l'Eglise s'autointoxique avec ses... fausses valeurs... Oui, qu'elle est faible souvent notre Eglise ! Et quelle différence entre ce qui devrait être, ce que les voix les plus autorisées disent que c'est... et ce que c'est. Ainsi, ceux qui se gargarisent des valeurs humanitaires, en les revendiquant comme identifiant l'Eglise du Christ semblent faire le jeu de ceux qui rejettent cette Eglise.
Exemple de l'identité entre le discours de rejet et le discours d'identification ? Dans Fragile absolu, sous titré Pourquoi l'héritage chrétien vaut-il d'être défendu ?, livre tout récemment réédité en collection Champs Flammarion. Slavoj Zizek explique, comme naguère Alain Badiou dans son Saint Paul ou la naissance de l'universalisme que les valeurs du communisme sont bien les valeurs du christianisme : ce sont les mêmes... Non pas que la Révolution bolchevik soit une révolution chrétienne : Zizek n'est pas si bête ! Mais en tout cas "l'idée communiste" (comme il dit) est une idée chrétienne : "Oui le marxisme est dans le droit fil du christianisme. Oui christianisme et marxisme doivent combattre main dans la main, derrière la barricade, le déferlement des nouvelles spiritualités. L'héritage chrétien authentique est bien trop précieux pour être abandonné aux freaks intégristes".
Freaks? Que les intégristes soient des gens profondément déformés, je le pense et l'ai écrit dans mon Jonas. "L'intégriste est celui qui veut faire la volonté de Dieu, que Dieu le veuille ou non" écrivait Frossard naguère : bien vu! Et cela pose un problème mental, tout en nous ramenant très près de la logique du premier péché. Comment peut-on savoir mieux que Dieu? Il y a dans l'intégriste un gnostique qui s'ignore.
Mais que Zizek nous donne le choix entre "freaks" et cathocommuniste, sans aucun troisième terme, c'est pour lui et pour son honnêteté de chercheur que cela devient inquiétant.
Ce cathocommunisme, dès 1973, Thomas Molnar l'a identifié en évoquant "l'utopie, éternelle hérésie" (Beauchesne éd.) et en montrant comment le Père Teilhard de Chardin entrait volens nolens dans cette logique. Un peu plus tard, dans Le paysan de la Garonne, Jacques Maritain évoquait la temporalisation du royaume de Dieu. Mais combien d'autres se sont tus, parmi les augures de la vie intellectuelle en ce temps là ? Je ne parle même pas de la vie ecclésiale !
Ce cathocommunisme n'est pas mort. Il n'est même pas ringard comme nous le montre le livre de Zizek. Plus grave : le vent d'antilibéralisme consensuel qui souffle en ce moment risque de nous ramener ce monstre spéculatif (véritable freak pour le coup) dans des habits neufs. Je ne dis pas que c'est déjà fait mais le risque est là.
Comment échapper à cette confusion mentale ? Peut-être en fêtant sérieusement la fête du Christ Roi, demain dans le calendrier old fashion. Il suffirait de réentendre le dialogue entre Jésus et Pilate, fantastique page d'Evangile, où Jésus apparaît vaincu, entre les mains de Pilate, mais où il annonce à l'avance sa victoire spirituelle contre le hiérarque : "Mon Royaume n'est pas d'ici". Ou encore, selon une ambiguïté possible en grec : "Ma royauté n'est pas d'ici". Sous entendu : tu ne peux rien contre elle.
Mais quelle est-elle cette Royauté ? Quel est le titre du Christ à régner ? La vérité. "Celui qui est de la vérité entend ma voix".
Le tout est de savoir de quelle vérité il s'agit ? Est-ce le christianisme tel que les hommes affectent de le comprendre, le christianisme réduit à un texte et à une histoire, le christianisme transformé en culture ? Alors oui, du point de vue de la culture chrétienne, Zizek a raison : il y a d'invincibles analogies formelles entre christianisme et communisme.
Mais telle n'est pas la vérité de l'Evangile. ce n'est pas une vérité uniquement formelle, spéculative, susceptible de s'analoguer à d'autres vérités qu'elle annoncerait ou qu'elle accomplirait. La vérité de l'Evangile est indissolublement une vie. Elle représente une transformation de soi, une vérité qui nous fabrique de nouveau, qui nous offre rien moins qu'une deuxième naissance comme l'explique le Christ à Nicodème.
Faire des valeurs chrétiennes autant de valeurs purement humanitaire, en "temporalisant le Royaume des cieux" comme disait Maritain, en réduisant la foi à une culture forcément homologue à d'autres cultures comme on le voit aujourd'hui, c'est oublier les données primitives de ce que j'appellerai une épistémologie de la foi. La foi est une réalité sacramentelle. Soit elle nous transforme, en créant en nous un esprit nouveau, soit elle n'existe pas comme foi, mais simplement comme culture. "La sagesse de Dieu est venue dans la Puissance" comme disait saint Paul aux Corinthiens.
Voilà tout ce qu'oublie le cathocommunisme assez répandu sous diverses formes depuis cinquante ans. Il confond l'action spirituelle et surnaturelle du christianisme avec des ressemblances purement formelles, dont personne ne comprend que les remarqer et les célébrer c'est détruire la puissance du Christ en la ravalant à une simple idée. Humaine trop humaine aurait dit Nietzsche pour le coup.
Il ne faut pas confondre le christianisme spirituel et le christianisme culturel, sous peine de mériter ce qu'annonce le Christ dans un des textes les plus pessimistes de l'Evangile, cette parabole de l'homme qui chasse de chez lui le démon, mais qui, comme le reproche Nietzsche à beaucoup de chrétiens, n'est pas assez fort pour le chasser tout à fait. Voilà une conversion purement humaine, qui s'est effectué sans la puissance de Dieu. Le démon revient, avec sept autres, plus méchants que lui : "et le sort de cet homme là est pire qu'avant" n'hésite pas à souligner le Christ, comme si nous ne l'avions pas assez compris en comptant les démons que comporte cette histoire (huit en tout finalement).
Ne devenons pas chrétiens à moitié ! C'est sans doute la pire des choses qui puisse nous arriver. Voilà la part de vérité paradoxale d'un Nietzsche. La demi-foi est pire que la non-foi. Elle est une trahison, la non-foi n'est qu'un silence (qui peut cesser à tout moment). Il ne s'agit pas de devenir des vibrions pour autant, des fanatiques, non. Le fanatisme, c'est le freak dont nous parlions plus haut. Mais il suffit de réfléchir à ce que signifie pour nous la vérité du Christ : non pas une idée, mais un fait nouveau dans l'histoire, qui nous transforme et qui (Girard l'explique très bien à Nietzsche dans Quand ces choses commenceront) a déjà transformé l'humanité tout entière.